Il était tard, je sais, pour manger. Ca tombait bien, j'avais pas faim. Pas plus que y'a une heure, deux ou depuis toute la journée d'ailleurs. Comment dans une grande majeure partie du temps. Ouai on peut croire que j'suis une grosse morfale, et une tartine de nutella par-ci, et un oignon par là et des crêpes à en pleuvoir. Si j'étais dans la cantine, c'était pour écrire tranquillement. Ouai, j'écrivais bien là, sans personne autour de moi. Non pas que les autres me font chier, mais parfois, la solitude avait du bon. La mine de mon crayon sur le papier, celui-ci glissait sans cesse. J'avais passé le prime d'hier dans un état de sevrage pas totalement voulu, mais promis à Otello. Une expérience à tenter car il avait été si gentil avec moi, en taisant l'affaire qui nous liait à présent. Sauf que je n'étais pas assez forte. Le prime terminé et enfin libérée de tout les regards, j'avais préféré m'exiler dans un coin et me camer dans la solitude. Comme là. Seule, je mâchais l'un de mes « chewing-gum du bonheur », mais rapidement, quelqu'un vint me rejoindre à ma table. Je relevais les yeux de mon carnet, un large sourire pour accueillir celle qui partageait mon lit, en toute camaraderie, bien entendu. « Ca va ? » Je clignais quelques instants des yeux, de secouer ma tête de haut en bas. « Impec, mec, comme sur des roulettes! » Lui répondais-je en lâchant un léger rire. Bah oui, tout allait bien pour moi, je ne mentais pas. « T'avais pas l'air bien hier soir. Et je dois peut-être m'excuser d'avoir abuser de la bouteille. » Ah, hier soir... Non effectivement, mais c'était passé. Comme je supposais que c'était passé pour elle. Je n'avais rien retenu du prime d'hier, seulement que Branca n'avait pas forcément quitté le prime non plus d'un bon pied. « T'excuses pas, t'es folle ! C'est pas grave du tout... On a tous nos moments comme ça, non ? » Je souriais, simplement. Bah oui, j'voyais pas pourqoi elle s'excusait auprès de moi. Je faisais justement référence à mon état. « Oublie hier soir s'il te plait ! » Lui demandais-je, sans pour autant la commander. Elle faisait ce qu'elle voulait, mais je préférais oublier pour ma part. « Tu veux voir c'que j'fais ? » Je pointais mon carnet avec mon menton.

« T'en veux ? » Je relevais mes yeux sur Branca, bougeant la tête lentement de droit à gauche. « Non merciiii ! » Pas de soda pour moi, non, j'avais pas soif, autant que je n'avais pas faim. Rien du tout et je me portait très bien. Pas la peine de s'en soucier ou quelque chose comme ça. « En ce qui me concerne, j'ai déjà oublié une bonne partie de hier soir de toute façon... » Oh bah c'était parfais alors, même sacrément parfait ! Pas besoin de m'étendre sur le pourquoi du comment j'avais disparu du prime après justement m'être fait, visiblement remarqué, par ma non vitalité. Bah ouai, quand j'suis trop surexcitée on me remarque, quand je ne le suis pas du tout, on me remarque aussi. J'ai malheureusement pas de juste milieu, BAAAAAH NON. J'lui adressais alors un large sourire comme seul moi j'sais les faire les faire, les faire, avec les dents qui brillent et toi. Finalement j'lui proposais de lui montrer c'que je faisais. « Oui. Tu dessines souvent ? » Mon sourire très large laissa place à un plus modeste. « Non. J'écris en général ! Mais je gribouille un peu aussi, parfois, quand je ne sais pas quoi faire... » Alors oui, c'était une occupation contre l'ennuie, contre aussi l'insomnie, parce que j'aimerais bien me coucher vraiment, mais j'pouvais pas. Je donnais trois ou quatre derniers coups de crayons sur le papier lisse et quadrillé, avant de retourner mon carnet et le pousser devant elle. (TADAM) « J'suis pas une pro hein, pfffu ! » avouais-je avec un léger amusement. « C'est quoi en fait, t'es 'chewing-gums' ? » Je laissais échapper un rire. Ouai parce que sur le coup, j'avais pas bien compris la nuance de sa question. « T'sais pas ce que c'est des chewing-gums ? » Lui demandais-je dans un premier temps, sourire aux lèvres, mais j'avais conscience que je me foutais un peu de sa gueule et j'aime pas du tout ça. Cette semaine n'était pas bonne pour moi. J'voulais vraiment pas en parler et pourtant, j'avais l'impression de devoir faire mon coming-out devant tout le monde. Je l'avais dis à Otello, d'accord, parce que la situation s'y prêtait, mais pas là. Ca tombait comme ça, comme un cheveux sur la soupe. Je me mettais alors à rogner le bout de mon crayon de bois, ne sachant pas vraiment quoi décider. Le regard que je portais finalement sur elle lui demandait de se taire. De ne rien dire. De cacher ça au plus profond d'elle et de ne surtout pas me juger. Oui, tout ça dans un seul regard. Je repris mon carnet entre mes mains pour gribouiller un truc, avant de lui tendre de nouveau le papier. Inscrit dessus, en petit caractère afin de n'être vu que par Branca, 'De la drogue'.

« Pas mal pour des gribouillis... Et ce sont les lèvres de qui ? » J'esquissais un sourire timide, ouai ouai, je l'étais là, en ce moment même. Je ne montre jamais ce que je fais normalement, c'est pour ça que ça me gênais un peu. « J'ose pas l'dire... Bon allez, c'est Dagmar, enfin, je me suis inspirée de ses lèvres... » Et le reste reste de l'impro. Mais faut pas le dire... En parlant de ne pas le dire, j'avouais ce que je cache en moi depuis longtemps. Et depuis le début du jeu aussi, la drogue, mon addiction, mon horrible cadavre dans le placard. « Je le savais ça Asmaa. Ce que je voulais savoir c'est 'quoi' avec plus de précision. » Je fis une petite moue. Je ne la prenais pas pour une débile, ni pour plus bête qu'elle ne l'était. Je ne pensais juste pas qu'elle avait compris. Ca aurait pu être n'importe quoi, des cachets pour telle ou telle maladie, un souvenir que j'veux cacher peut-être du bled, ou un truc en rapport à une personne disparue. Ca aurait pu être n'importe quoi, vraiment... « T'as rien à craindre de moi, je suis pas toute blanche à ce niveau là aussi. » Je pensais que ça passerait, ouai bon, on peut essayer quand même ! Je baissais les yeux. J'hésitais. Je ne savais pas si c'était véritablement dans mon intérêt de lui parler de ça, mais en même temps, comme elle le soulignait si bien, elle était un peu dans le même chemin que moi. À peu près. Elle n'était pas blanche, effectivement, alors cela me poussa à m'ouvrir encore un peu. Elle ne sera que la deuxième et seule autre personne à le savoir ici, après tout. Toujours sans un mot, je repris mon carnet et mon stylo bien en main, pour griffonner encore un peu plus. 'C'est du Khat. De la drogue à mâcher. Je sais pas si t'en a déjà pris... Pourquoi j'ai commencé? Parce que je n'aime pas ce que je suis au naturel, une fille trop timide, craintive, naïve, à la limite de la bêtise. Cette bêtise passe mieux quand je suis montée sur ressorts. Au moins, ça fait rire les gens ! ' Parce qu'elle avait dû apparemment en prendre, de la drogue. Avait dû, parce que c'était là que résidait notre différence. Elle ne le faisait plus quand moi je prenais carrément le risque de m'affichez devant les caméras. Jusqu'où la dépendance nous pousse, vraiment...