Mon sommeil est perturbé, il est si perturbé que je n'ai pas eu de nuit entière de sommeil. Je somnole, me repose, dors quelques heures par-ci, par-la. La plupart du temps en journée, contre Callan, dans un canapé, sur le sol de l'auberge, sur la plage du lac, et même dans le cimetière une fois. Sa présence est un besoin vital, sans aucune exagération. De ce fait, il n'est pas étrange de me voir errer dans les rues du village la nuit. Mon époux n'étant pas mon seul besoin vital, je me rends à l'épicerie, ouverte vingt quatre heures sur vingt quatre, ce qui est fort pratique afin de trouver de quoi me rester. Je me nourris mal, s'il n'y avait que moi je mangerais des cochonneries à longueur de journée. Je n'ai pas de lacune en cuisine, je n'ai simplement pas envie de consacrer mon temps au repas. Je grignote plus que je ne mange. Je n'ai jamais eu de problèmes de poids alors j'en profite largement. Il n'est pas étonnant que mon panier ne contienne aucun fruit bien que je suis entrain de croquer dans une Granny Smith. Du gin, un peu de Ginger ale, des twizzlers, plusieurs paquets de marlboro, des light et des classiques, un peu de jus de fruit, du muesli et des barres chocolatés, sont en nombre dans ce panier. Je continue à parcourir les allées lorsque la cloche devant la porte d'entrée retenti. Je tourne la tête sur Branca qui vient d'y rentrer. Je lui souris. « Non vraiment, je t'assure que ça ne me dérange pas que Callan passe ses nuits avec une autre femme... » Je lui lance légèrement amusé sans qu'elle n'ait demandé quoi que ce soit.

Minuit. Autant dire que pour moi, il est encore tôt, c'est ce qui se passe quant on se lève en début d'après-midi et qu'on a, en plus, somnolé une petite heure après le dîner. Résultat, je pète la forme sauf que... ce n'est pas le cas de tout le monde. J'aurais bien embarqué Asmaa dans une virée nocturne je ne sais pas où ni comment mais elle dort, enfin tout du moins, il y a une heure, elle était déjà dans notre lit commun et je me sentais mal de l'en sortir. J'ai passé un bon moment dans la mairie à feuilleter un vieux bouquin tout en écoutant Elvis pour finir par griller au moins deux clopes à l'extérieur, armée d'un verre de rosé, seul truc que j'ai réussi à trouver dans le bâtiment même s'il n'est pas très frais. Et c'est triste. Du coup, autant récupérer quelque chose de buvable. Je jette donc le contenu de mon verre par terre et le pose sur la table à laquelle j'étais assise avant de me rendre à l'épicerie. Ce qui est pratique dans cette ville fantôme c'est que tout est tout le temps ouvert, non pas que ce ne soit pas le cas dans quelques petites épiceries en coin de rues mais ici, c'est plus calme et surtout, on a pas a payer. Dommage qu'ils n'aient pas penser à nous mettre des boutiques de fringues tiens... Je rentre, la petite cloche sonne, cassant le silence qui régnait alors dans le magasin. A cette heure ci, je pensais réellement m'y trouver seule alors vous imaginez ma surprise lorsque je me trouve face à Candace qui semble, elle aussi, être une habituée des courses nocturnes. Elle me lâche sa réponse, celle d'une question que je lui ai posé déjà à deux reprises mais qu'elle n'a jamais eu le temps de me donner, un événement l'en ayant empêché. Ça me fait sourire d'ailleurs qu'elle se souvienne de ça. Certainement parce que j'ai été un peu trop insistante mais ce n'est pas de ma faute, le mariage est un tel mystère pour moi que je ne pouvais m'empêcher d'en savoir plus. « Tant mieux alors. » Même si je m'en fous. Mais ça aurait été suicidaire de venir ici si elle était du genre possessive et jalouse. « Fringale nocturne donc ? Quoique... vu le contenu de ton panier, pas sûr qu'il s'agisse vraiment d'une fringale... » Bon et moi, je chope quoi dans tout ce bordel pour finir ma soirée... ?

J'ai tendance à ne jamais dormir à la même heure que tout le monde. Je dors souvent très tard et me réveille très tôt. Si bien que je passe souvent mes nuits seules. Je ne souhaite pas troubler le sommeil de Raphael qui peine déjà à le trouver avec sérénité alors j'erre. Il m'arrive souvent de finir ma nuit dans l'auberge ou la mairie avec un fond sonore et une bonne bouteille. Je ne suis pas alcoolique je bois pour combler l'ennui. Et l'ennui est particulièrement fréquent par ici. J'ai besoin de faire des courses pour affronter la nuit qui débute. Mais à ma grande surprise, je ne suis pas la seule noctambule ce soir. Branca entre. Elle est là sans doute en quête de victuailles. Je l'accueille à ma façon, au moins on pourra laisser cette question de côté à notre prochaine rencontre. Pas que ça me dérange de parler de mon mari et de sa partenaire mais je ne suis pas sûre qu'elle puisse comprendre. Personne ne semble le pouvoir. Elle m'interroge quant à ma venue en ses lieux. « En quelque sorte, je me nourris essentiellement de clope et d'alcool quand Callan n'est pas là. » J'hausse les épaules. C'est lui qui cuisine, et il le fait plutôt bien. Je sais aussi, mais ça ne m'intéresse pas. Alors je le laisse faire. De toute façon ça ne me dérange pas de me nourrir de façon étrange. « T'as faim, t'as soif, tu ne sais peut être pas encore remarque ? » Je demande amusé tandis que je jette mon trognon de pomme dans la corbeille derrière le comptoir. Je m'installe sur ce dernier tandis que je pose mon panier et que je commence à entamer ma bouteille à même le goulot. Pour le cocktail on repassera. Je croise les jambes avec élégance, quoi qu'il arrive je suis toujours élégante.

C'est amusant comme ici, on ne rencontre les gens que lorsqu'on s'y attend le moins. Jamais personne au bistrot, jamais personne sur les canapés de la mairie mais par contre, dans les endroits les plus inattendus et aux heures les plus étranges, il y a toujours du monde. Je n'ai pas sommeil, ni même envie de me mettre à faire quoique ce soit, juste envie de boire un truc et peut-être, trouver une bricole à grignoter. L'épicerie est donc mon but et c'est avec surprise que j'y trouve Candace qui semble ici pour les mêmes raisons que moi vu son panier de courses. Elle m'intrigue, elle mais aussi son mariage. Il faut dire que je n'ai jamais vraiment connu de gens mariés, de gens mariés et amoureux. Ma mère était seule, mes amis étaient seuls, je suis seule. Pas de gens mariés ou alors, le genre à se taper dessus tous les soirs pour des conneries sans importance. Autant dire que tout ça ne donne pas envie. Et puis, je préfère être seule. Personne pour m'emmerder, personne pour me supporter, personne pour essayer de comprendre. C'est plus simple comme ça. « Toujours plus intéressant que d'amour et d'eau fraîche j'imagine. » Même si pour le coup, ça doit être ça son plan quand Callan est là. Ou un truc dans le genre. J'avance près des rayons, m'approchant des bouteilles alors que Candace me questionne sur les raisons de ma venue ici. J'attrape une bouteille de tequila et me retourne, faisant alors face à la jeune femme assise sur le comptoir, déjà en pleine dégustation de sa bouteille à elle. « A boire pour commencer. On verra ensuite. » Et je fais comme elle sauf que j'attrape un verre. La tequila, c'est par shots, par autrement voyons. Je m'en sers un, puis deux, et déjà j'ai les idées plus claires. « On va vraiment nous prendre pour des alcooliques si jamais ils montrent ça à l'antenne. » Je ris. Jme fous de tout en général mais je n'ai pas envie de passer pour une alcoolique. Mais ce n'est pas de ma faute si je tiens l'alcool et que donc, j'ai la descente facile...

J'ai bien l'impression d'arriver d'une planète étrange, à croire que le mariage reste un mystère pour tous. Ils sont plus jeune que nous, mais est-ce une raison pour nous trouver étrange ? On est constamment associés l'un à l'autre, comme si Callan et Candace étaient qu'une seule et même entité. Comme si Callan ne pouvait pas vivre indépendamment de Candace et inversement. C'est faux et à bien des échelles qui plus est. Mais peu importe, de toute façon ces questions m'indiffèrent, elles sont posés, je réponds. On suscite l'intérêt. Tant mieux. D'amour et d'eau fraîche ? Hum, évidemment, et si c'était le cas je serais morte depuis des lustres. « Non l'amour et l'eau fraîche c'est ce qu'on te fait gober quand t'es une petite fille pour te faire croire que le sexe et l'alcool c'est mal. Mais la triste vérité c'est qu'une fois mariée t'es bien obligé de te mettre à l'alcool puisque tu viens de te rendre compte que tu vas devoir te taper le même mec jusqu'à la fin de tes jours. » Ce n'est sans doute pas le discours auquel elle s'attendait. Parce que je suppose qu'on représente l'image du couple parfait, le petit couple, heureux et amoureux. On l'est. D'ailleurs, mon sourire prouve bien que je plaisante là non ? Ou peut être que je suis sérieuse, allez savoir. Quoi qu'il en soit, je suis assise sur le comptoir, les jambes croisées à m'hydrater à coup de Gin, sans le tonic d'ailleurs. Elle m'informe qu'elle va tout d'abord boire, on est ici pour les même raisons visiblement. Elle est face à moi, puis sort des shots de je-ne-sais-où. Sa réplique me fait relever la tête. Je pense à ce que Callan me dit sans cesse concernant l'Irlande et l'alcool. « Dans une émission irlandaise où on peut trouver de l'alcool dans chaque pièce ou presque ? J'en doute. » Nouvelle gorgée. Il m'en faut encore pour plus pour parvenir à ressentir l'effet salvateur. « Si tu veux mon avis, ils attendent tous qu'on finisse par être bourrée toutes les deux et qu'on s'ennuie tellement qu'on décide de s'embrasser, voir plus si affinitée. » Il parait que que ça manque d'action par ici, l'alcool aide les langues à se délier, l'alcool abat toutes les barrières, l'alcool nous fait faire des choses plus folles.

Amusant cette façon que Candace a de m'expliquer les choses comme si j'étais encore novice dans le domaine sentimental et/ou sexuel. Certainement que ce n'est pas ce qu'elle voulait faire mais en un sens, je le perçois comme ça et ça me fait sourire. Il est vrai que je renvoie très certainement une image assez froide de ce côté là mais je préfère toujours ça qu'être le genre de filles prêtes à baisser sa culotte en toute occasion. Je prends mon temps, j'observe et je reste froide histoire de voir jusqu'où l'autre peut attendre et jouer sur la corde sensible. Mais de toute façon, tout ce qu'on peut avoir de moi reste et restera charnel, mon cœur est dur, trop dur pour pouvoir être percé à jour. Et je ne crois pas au cliché du prince charmant, de celui qui y arrivera alors que j'ai toujours réfuté le contraire. « A moins qu'il se révèle être un bon coup, non ? Callan est-il un bon coup ? » Qu'elle se rassure, il ne m’intéresse pas. Et de toute façon, je me doute bien qu'elle n'est pas l'idiote de base qui se laisserait emprisonner dans un mariage merdique. Elle boit, assise sur le comptoir et je la suis finalement, après tout, c'est pour ça que je suis ici également. Quelques shots de tequila plus tard, je m'amuse de la scène que nous devons être entre de donner et Candace émet alors une hypothèse qui se tient étonnement assez bien. Je souris avec espièglerie. « Je n'ai personnellement pas besoin d'alcool pour décider de faire ça. » Non mais la question est, en a t-elle besoin elle ? Je m'approche alors, prenant un nouveau shot de tequila et m'assoit sur le comptoir à ses côtés, la regardant de biais de façon assez explicite. Ne nous échauffons pas, ce n'est qu'un jeu, un jeu innocent et anodin. J'hésite et finalement, je viens déposer un léger baiser chaste sur la commissure de ses lèvres. J'imagine qu'elle sait que cela ne veut rien dire et j'espère surtout qu'elle ne va pas s'offusquer. Tout ça n'est qu'un jeu, pas le peine de sauter au plafond...

Je ne suis pas entrain de lui faire la leçon ni de la mettre en garde. Je me contente de répéter ce qu'on entend partout. Une vérité générale dit-on. Bizarrement sa question est loin d'être celle à laquelle je m'attendais. Mais elle a le don de me faire sourire. « On est mariés depuis six ans et demi. J'imagine que cette réponse te suffira. » Je porte la bouteille à mes lèvres et me délecte de l'alcool qui descends dans mon estomac. Je ne suis pas maso, heureusement que Callan est un bon. Un très bon coup d'ailleurs. Je ne suis pas sûr qu'elle m'a posé la question parce qu'elle s'intéresse à lui, de toute façon elle a sûrement bien compris que je n'étais pas jalouse et que par conséquent, je m'en fichais pas mal. Elle boit aussi, et à sa réplique sur l'alcoolisme je lui fournis une réponse pleine de sous-entendu. Pour jouer. Et sa réponse ne m'étonne d'ailleurs pas du tout. Elle me fait d'ailleurs sourire. Je reste silencieuse, je l'observe. Je prête attention à ce qu'elle est entrain de faire. Elle hésite. Puis, elle se rapproche de mes lèvres. Et en effleure à peine la commissure. Je reste impassible. Et m'avance à mon tour vers ses lèvres, sauf qu'au lieu de son baiser chaste à coin des lèvres, les miens embrasse les siennes avec plus d'ardeurs, un peu plus longuement aussi. Puis je me détache et souris. « Moi non plus visiblement. » Je réajuste les pans de ma jupe serré et attrape de nouveau la bouteille pour la porter à mes lèvres sans la quitter des yeux. Oui moi aussi je peux jouer. Ce n'est qu'un baiser après tout.