Nombreuses étaient assurément les choses qui n'étaient pas faites pour Raphaël. Et parmi ces choses, l'on trouvait logiquement l'alcool. Il n'était évidemment pas de ceux qui se plaisaient à boire un verre de vin rouge à tous les repas, ou qui débouchaient une bouteille à la première peine de cœur. Ses problèmes, il avait toujours tâché de les vivre, de les gérer, sans la moindre goûte d'alcool. Pour avoir vu sa mère se tourner vers la bouteille après le départ de son mari, de l'homme de la famille, du père de Raphaël, ce dernier n'avait pas franchement envie de finir dans le même état psychologique que celle qui n'était plus de ce monde depuis quelques années maintenant. Puis il y avait eu sa sœur, que l'alcool avait semble-t-il beaucoup "aidée" après le décès de son fils et l'attitude navrante de son époux. Raphaël avait assisté à ces diverses tentatives d'auto-médication, et tout ce qu'il en avait personnellement conclu, c'est que ça n'était pas fait pour lui. Non, il n'avait clairement pas besoin d'empirer son cas en tombant dans une dépendance qui ne ferait que lui rajouter des problèmes. Sa peine, il voulait continuer de la gérer seul. Car tant qu'il gardait un certain contrôle là dessus, il avait encore une chance de s'en sortir. Sa mère ne s'en était jamais sortie. Elle en était morte. Sa sœur n'avait jamais tourné la page. Elle faisait mine d'aller bien, mais elle ne trompait personne. Et tandis qu'il avait face à lui ces différentes bouteilles qui semblaient l'inciter à les goûter, mais qu'il résistait encore et toujours, il eut bientôt à faire à une autre tentation. Lulu, qui se trouvait assis à une table non loin de lui, et qu'il n'avait pas vu, tant il avait passé du temps à penser à ce qu'il aurait été s'il s'était mis à boire la première fois qu'il avait commencé à aller mal. Doucement, Raphaël se redressa donc du comptoir sur lequel il se tenait accouder depuis une bonne demie-heure, s'approchant alors de son camarade. « Est-ce qu'il y a de la place pour moi à ta table ? » Ce qui aurait pu également donner : Est-ce qu'il y a de la place pour moi dans ton cœur ?

Je n'étais pas un grand buveur, non. Pour tout vous dire, je ne buvais que dans d'importantes occasions, vous savez. Non pas que j'avais peur de tomber dans une quelconque dépendance, puisqu'au fond, toutes personnes ayant déjà goutté un minimum à l'alcool se voulait dépendant. Non, clairement, ce n'était pas l'attachement à la boisson qui m'effrayait, après tout, j'étais déjà bel et bien dépendant de la cigarette pour avoir peur de ce genre de choses. Non, j'avais simplement peur des effets que l'abus pouvait provoquer. Alors, je buvais, une à deux fois, par ci par là, dépendant oui, mais pas abusif. J'étais un buveur modeste, si cela était possible. C'est donc face à une bierre, une des boissons imbibées des plus inoffensives en soit que je faisais maintenant face, à moitié renversée dans un verre à moutarde. Je n'attachais pas réellement d'importance au récipient, après tout, boire, c'était boire, que ce soit dans un verre classique comme dans une bouteille, comme dans une flute ou un verre à pied. Rien à foutre. On buvait pour savourer le contenu et non pas au conteneur. Pourtant celui ci à mes lèvres, je tournais la page de mon petit carnet de croquis. C'était très certainement le seul objet qui avait pu me suivre tout au long de ma vie. Il était vieux, quelques pages étaient pliées, déchirées. Dessiner son passé, son futur, voilà ce dont j'avais pu parler à Malik, voilà ce que je faisais à longueur de journées, dans l'ombre, toujours dans l'ombre. Grattant de mon bic noir la feuille, je ne vis cependant pas Raphaël s'approcher, très certainement trop absorber par les courbes de cet hérisson encore quelque peu chaotique. « Est-ce qu'il y a de la place pour moi à ta table ? » mes yeux se relevèrent un instant, mon stylo quant à lui, s'abaissant avant de finalement balayer le reste de la table d'un coup d'oeil, revenant rapidement à son regard. Finalement un léger sourire en coin s'esquissa furtivement sur mes lèvres. « Je ne sais pas, demande à ce que Roger, l'homme de l'ombre se décale. » dis-je en désignant d'un hochement de tête une des chaises vides. Je refermais alors lentement mon carnet, en cornant le coin de page pour pouvoir y revenir un peu plus tard, plaçant par la suite une main à plat sur celui ci. Mon crayon quant à lui vint se loger derrière mon oreille. « Tu fais quoi ici ? Je t'imagine mal boire quoi que ce soit. »

Au fond, il aurait assurément été préférable que Raphaël évite d'aller embêter Lulu. Parce que c'était bien ce qu'il faisait ces temps-ci, non ? Oui, il l'embêtait. A réclamer des leçons, des baisers, des câlins ... A force, Lulu allait avoir doucement envie de l'envoyer chier, et il en souffrirait énormément. Il aurait en fait mieux valu qu'il évite de s'attacher à ce point à son camarade. Oui, tout aurait été parfait si celui-ci n'avait pas commencé à lui apparaitre sous les traits d'un ange, d'une âme magnifique, de quelqu'un de profondément sécurisant. A le voir de la sorte, il était évidemment inévitable qu'il veuille perpétuellement de Lulu à ses cotés. Et vraiment, il commençait à se dire que ce dernier allait finir par en avoir profondément ras-le-bol. Après tout, sa sœur cadette en avait eu ras-le-bol, au point de lui avoir fait croire qu'elle déménageait, afin de ne plus avoir à se coltiner le Raphaël tous les dimanches midis, en devant au final avouer qu'elle n'avait jamais bougé de son immeuble, et se confondant en excuses plus misérables les unes que les autres. Oh, crédule comme il était, il les avait toutes gentiment avalées. Et bien oui, du moment que sa sœur était un tantinet revenue vers lui - et encore, franchement pas des masses - il avait préféré lui pardonner. De même, si Lulu se mettait à prétendre qu'il avait chopé une saloperie et qu'il était ainsi préférable que Raphaël se tienne raisonnablement loin de lui, vraiment, il tâcherait de bien le vivre, et irait même jusqu'à lui souhaiter un bon rétablissement. S'imposer, il n'aimait pas faire. Pas quand il se mettait à comprendre qu'on ne voulait tout simplement pas de lui. Et à ce propos, et tandis qu'il s'était approché de son camarade afin de se savoir s'il pouvait prendre place à sa table, il eut un petit doute. Cette histoire de Roger, n'était-ce pas justement pour le dissuader de rester dans les parages ? Peut être que si, hm. Bêtement, Raphaël posa alors son regard sur les chaises vides, avant de le reposer sur Lulu. Il avait assurément un air bien naïf sur le visage, ne sachant pas comment prendre les paroles du tatoué. Il s'assit alors face à son camarade, très hésitant, un peu comme s'il s'apprêtait à se relever au moindre signe de contrariété de Lulu. Il lui adressa finalement un timide sourire, avant de se pincer la lèvre suite à la question du jeune homme. « Non, effectivement, je ne suis pas du genre à boire » avoua-t-il spontanément, avant de poser momentanément son regard sur la main jeune homme. « Je ... j'étais simplement venu penser. Je ne sais pas tellement pourquoi j'ai choisi cet endroit. Je crois que ... que cette atmosphère me convient bien. » Il parlait évidemment du coté rétro des lieux. Ce coté décalé dans le temps lui allait plutôt bien. « Tu dessinais, n'est-ce pas ? » demanda-t-il à son tour, laissant son index venir caresser le dessus de la main de son camarade. Bien évidemment, il le retira aussitôt. Bon, il était décidément très gauche, hm.

Voir Raphaël dans cet endroit me faisait étrange. Tout simplement parce que ô grand jamais je n'aurais pensé le voir fréquenter ces lieux. Peut-être parce que justement, il était bien trop timide, bien trop sage pour tenter de s'aventurer dans un endroit aussi dangereux. Pourtant, le danger, c'est ce qu'il apprenait à dompter chaque jour, comme la dernière fois, dans les souterrains, ou même plus récemment aux thermes. Notre relation m'était encore bien trop floue, compliquée pour que je ne puisse y mettre un quelconque qualificatif sur celle ci. La seule chose dont j'étais sûr, était qu'il était un battant. Alors, son regard avait jonglé entre les chaises à sa disposition, très certainement pour chasser le fameux homme invisible du regard, avant de finalement prendre place à moi. « Non, effectivement, je ne suis pas du genre à boire » après Malik, Raphaël était le second candidat que je savais résistant à l'alcool. Très certainement qu'ils devaient être les seuls, tout en sachant que la plupart des autres ne devaient pas en être en restes niveau sobriété passée. « Je ... j'étais simplement venu penser. Je ne sais pas tellement pourquoi j'ai choisi cet endroit. Je crois que ... que cette atmosphère me convient bien. » venir penser dans ce genre d'endroit. C'est ce que la plupart des gens font. Ils se posent là, au bar, broient du noir, commandent un verre, voire deux, puis trois. Les enchaine sans vraiment penser, sans en évaluer les risques, les conséquences et dégâts. Puis, ils repartent en titubant, traversant la salle, parfois pour aller s'encastrer derrière leur volant, sur l'arbre le plus proche. D'un joyeux à s'en fendre les veines, n'est ce pas ? « Tu dessinais, n'est-ce pas ? » dit-il alors que je sens sa main caresser la mienne avant de se retirer lorsque mon regard se dépose finalement sur celle ci. Alors, j'écarte celles ci, dévoilant un petit carnet à la couverture brune, en cuir, plutôt customisée, quelques bribes de tissus cousus par dessus. « Oui. » alors, mes mains se rabattent, comme pour le cacher à nouveau. « Tu sais, l'alcool n'est pas mauvais, si tu arrives à le doser. Il ne doit pas t'être effrayant. »

Il va de soi qu'effectivement, Raphaël n'était pas du genre à consommer de l'alcool. L'on pouvait même dire qu'il ne s'était laissé aller à la consommation de la moindre bière, du moindre verre de champagne, du moindre verre de vin rouge. Vraiment, jamais il n'avait goûté à la moindre goûte d'alcool. Tout simplement parce qu'il n'avait clairement pas besoin de cela pour essayer d'aller mieux. Il avait même tendance à penser que l'alcool ne l'aiderait aucunement à avancer, et que cela serait même potentiellement un frein à sa guérison. Des personnes qui lui étaient chères avaient fait l'erreur de se jeter à corps perdu dans cette dépendance destructrice et il avait assisté impuissant à leur descente aux enfers. Lui, il vivait justement au sein de ces enfers. Il ne les quittait que le temps de quelques lectures, de quelques rêveries. Mais la plupart du temps, il s'y trouvait bel et bien, en nourrissant toujours cet espoir un peu fou d'en sortir un jour. Alors boire n'était clairement pas ce qu'il lui fallait. Non, vraiment pas. Raphaël avait besoin de soutien, de compagnie, de quelqu'un ou quelque chose pour le motiver, et certainement pas d'un liquide qui, il en était certain, finirait par lui causer plus de mal que de bien. La dépendance qu'il gérait à cet instant très précis le mettait dans un état suffisamment dérangeant pour qu'il ne se laisse pas en plus tenter par la première bouteille que ses yeux trouveraient. Il se demandait alors présentement si Lulu était quant à lui du genre à boire beaucoup. Boire, oui, puisqu'il buvait justement. Mais la question était de savoir si cela restait raisonnable ou s'il était de ceux qui buvaient régulièrement, comme si l'alcool pouvait être considérer comme un ami, alors qu'il n'était qu'une plaie, comme Raphaël lui même en était une. Il n'avait clairement pas besoin de s'handicaper avec ce genre de choses, mais si Lulu se sentait bien grâce à un peu d'alcool, il ne pouvait assurément que s'en réjouir pour lui. Par la suite, et bien maladroitement, Raphaël chercha à savoir si son camarade était en train de dessiner au moment où il s'était approché. Il lui avait semblé que oui, mais dans le doute ... Sauf qu'il ne trouva rien de mieux à faire que de caresser la main de Lulu, geste qu'il regretta alors aussitôt. Il ne reçut aucun commentaire, et c'était assurément très bien ainsi. La seule parole qui franchit les lèvres de Lulu, à cet instant précis, fut pour lui confirmer qu'il dessinait. Raphaël observa le carnet que son camarade semblait garder jalousement, se rendant à l'évidence qu'il ne pourrait jamais espérer y jeter un coup d’œil. Un maigre sourire, probablement frustré, apparut alors sur les lèvres de Raphaël, tandis que Lulu lui reparla de l'alcool. Décidément. « L'alcool ne m'intéresse tout simplement pas » lâcha-t-il, dans un soupire, avant de baisser la tête. Il ne voulait pas boire, c'est tout. Et pour une fois, ça n'était pas qu'une question de peur. Il releva un regard confus vers Lulu, avant de le poser sur le juke-box, non loin de là. « J'aimerais danser. Danser avec toi. Je ne sais pas danser, soyons clairs, mais je ... j'ai envie d'essayer. » Il le supplia presque du regard, attendant de lui qu'il accepte de se rendre près de la machine, avec lui. Et secrètement, Raphaël espérait réellement pouvoir découvrir le carnet de Lulu. Un jour, peut être ...