S'excuser. Voilà une chose que Raphaël était bien souvent amené à faire. Il trouvait effectivement le moyen de s'excuser pour mille et unes raisons, alors qu'il n'avait bien souvent pas tellement besoin de le faire. On le lui répétait d'ailleurs assez souvent : s'excuser n'était pas toujours utile. Pourtant, il en ressentait perpétuellement le besoin. Quand il rougissait, il s'excusait. Quand il pleurait, il s'excusait. Quand il disait "non", il s'excusait. Et à cet instant précis, et Dieu sait que c'était terriblement pathétique, Raphaël se trouvait face à une machine à laver, avec toujours cette irrésistible envie de s'excuser. Il fallait bien comprendre qu'il se sentait coupable. Coupable d'avoir agi avec une grande inconscience la semaine dernière. Il avait endommagé ce matériel, simplement par étourderie. Et son esprit étant du genre à faire de curieux parallèles, il en ressentait étrangement le besoin de s'excuser. Encore et toujours, hm. Pathétique donc, oui. Parce qu'il y avait tout de même relativement peu de chances que la présente machine à laver soit du genre à accepter les excuses, ou ne serait-ce qu'à en prendre connaissance. Mais vous savez, puisque Raphaël était du genre à discuter avec les chèvres, il pouvait tout à fait tenter un dialogue avec un meuble. Ce serait d'ailleurs une activité ô combien passionnante, et qui ne ferait que confirmer le fait qu'il se sentait profondément seul, que sa vie sociale était d'une misère incroyable, ce qui avait naturellement tendance à le rendre particulièrement pathétique, également. Mais que personne ne s'inquiète pour sa santé mentale, il n'en était pas attardé pour autant. Peut être un peu faible d'un point de vue psychologique, mais pas plus fou qu'un autre. Alors d'accord, il n'était pas particulièrement objectif non plus, mais disons qu'il n'avait pas tellement besoin de penser qu'il pouvait être atteint d'une pure folie. Ses problèmes étaient clairement mentaux, mais jamais il ne représenterait le moindre danger pour quelqu'un d'autre que pour lui même. Et ça, c'était clairement la preuve qu'il y avait pire que lui, non ? Hm, sans doute. Mais tandis qu'il se trouvait agenouillé face à l'appareil, voilà qu'il sentit comme une présence dans son dos. Se relevant précipitamment, il se retourna pour faire face à Asmaa. Un fin sourire naquit alors sur ses lèvres. Il était partagé entre l'envie de se taire et celle de lui dire ce qu'il avait envie de lui dire depuis quelques jours. Finalement, et parce que ce serait pas mal en fait, il se décida à prendre la parole. « Ça n'a aucune importance, cette histoire d'infiltration » lâcha-t-il alors, en se pinçant la lèvre. « Je veux dire, moi ça me soulage que tu connaisses mon secret. » Comme si cela pouvait le faire se sentir un peu moins seul. Quelqu'un savait ce qu'il cachait, et ça ne le dérangeait pas, bien au contraire. Bien sûr, il pouvait comprendre que d'autres ne vivent pas les choses comme lui. Après tout, il avait toujours été du genre ... particulier.

WITH RAPHAËL
ASMAA
NIVEAU I

L'avantage d'avoir pris beaucoup de vêtement, c'est de ne jamais tomber en rade. Je n'avais pas besoin de faire quarante mille lessive pour pouvoir continuer à m'habiller. J'pouvais même me permettre d'habiller quelqu'un d'autre ici, mais mis à part moi, je ne savais qui porterait mes vêtements. J'avais pour le moins ma façon à moi de m'habiller, provocante parfois, haute en couleur quasiment tout le temps. Ce qui tranchait à merveille avec ma façon d'être, lorsque comme aujourd'hui, j'agissais consciemment. Je mis dans un panier tout mes vêtements d'à peu près la même couleur, la même matière, le même mode de lavage. J'suis une pro de la lessive, vivant seule, il le fallait bien. Justement ce panier sous le bras, j'arrivais à la laverie, où un jeune homme se trouvait déjà. Peu de temps, il lui fallut, pour se relever et me faire face. Raphaël. Je répondais à son sourire, par un sourire également et d'un léger acquiescement de tête. J'étais prête à aller vers une machine, qu'il m'arrêta. « Ça n'a aucune importance, cette histoire d'infiltration » Je restais, pour le moins, abasourdie. Finalement, la seconde d'après, je ne l'étais déjà plus tellement. Raphaël était spécial oui, mais il était gentil et il était peut-être le plus à même de me comprendre. Nous n'étions pas si différent, je m'en étais bien rendu compte la dernière fois. J'étais prête à lui demander si c'était vraiment tout de même, mais je me retenais. Je me contentais simplement de sourire. Un large sourire tout de même, lui montrant ma gratitude. « Je veux dire, moi ça me soulage que tu connaisses mon secret. » Je secouais un peu la tête de haut en bas. Je comprenait totalement ce qu'il voulait dire. Je croyais pouvoir être dans le même cas. Pourtant c'était loin d'être la même chose. « Je pensais que ça me soulagerait aussi, après cette confrontation, mais c'est tout le contraire... » Je regardais la pointe de mes pieds. Oui, j'ai cru que, lorsque tout le monde allait le savoir et puisque tous avaient bien remarqué que je n'avais pas la moindre once de méchanceté en moi, ils comprendraient mon secret, ma position. Que tout serait plus facile, car je n'avais plus à cacher ça pour moi. Pourtant, j'avais l'impression de les avoir déçu, qu'ils croient que j'ai joué un rôle et Branca, par exemple, qui ne m'adresse plus la parole. J'ai peur aussi d'une chose : que les plus « joueurs » profitent de ma gentillesse pour venir me décrocher des indices sur les secrets des autres. Jamais je ne me remettrais de les aider ainsi malgré moi, car je n'avais pas envie d'en lâcher des indices. J'suis pas une joueuse, je le dis et je le répète, la preuve, je n'avais déjà plus ce secret. « Mais ça me fait vraiment, vraiment, vraiment plaisir d'entendre ça ! » J'crois que j'étais à la limite de pleurer. Malik dans son sens m'avait assuré qu'il s'en fichait, d'autres aussi. D'autres par contre m'enfonçaient dans cette idée que je n'avais pas ma place ici finalement, même Daphné qui pourtant n'étais plus là. Alors, alors que dans mon esprit, tout le monde devait me maudire de connaître à tous, leur secret, Raphaël m'apporta un peu de réconfort. « J'pensais que tout le monde me... Me prendrait pour une malhonnête. J'ai même l'impression que tout le monde pourrait presque faire gaffe à ce que je dis, pour déceler le moindre indice dans mes paroles. » Des indices sur les secrets des autres évidemment, comme si j'étais assez douée pour ça. « J'en suis même pas capable... » J'esquissais un sourire en coin, gênée, mais il fallait que ça sorte.

Honnêtement, le fait d'avoir appris qu'Asmaa était l'infiltrée de Cupidon n'avait pas particulièrement dérangé Raphaël. Naturellement, comme tout le monde, il avait été pour le moins surpris par une telle révélation, ne s'étant pas imaginé une seule seconde que des candidats pouvaient détenir de tels pouvoirs au sein du jeu. Mais il ne voyait évidemment aucune raison d'en vouloir à la jeune femme, qui n'avait probablement rien cherché, rien demandé. On avait du lui donner ce secret bien malgré elle, puisqu'elle ne semblait pas tellement à l'aise avec celui-ci. Alors vraiment, il ne se voyait pas lui en vouloir simplement pour quelque chose qui n'était pas de sa faute, pas de son ressort. Il avait bien vu que certains candidats avaient été offusqués d'apprendre le secret de la petite brune, comme s'ils étaient véritablement prêts à lui en vouloir, à lui tenir rigueur de celui-ci. Aux yeux de Raphaël, c'était à la fois inutile et ridicule. Encore une fois, ça n'était pas de la faute d'Asmaa, et puis, en soit, ça n'importait pas tant que cela qu'elle ait connaissance des secrets des candidats. Oui évidemment, cela lui donnait un statut un peu supérieur, mais dans la mesure où elle ne pouvait rien dire et rien buzzer, et qu'en plus on lui avait volé sa cagnotte et l'avait nominée d'office, le suisse estimait qu'il était bien inutile, oui, de prendre les choses avec autant de cœur. Certains regards n'avaient trompés personne lors de la révélation du sujet d'Asmaa, et il regrettait simplement que certaines personnes - souvent les mêmes, étrangement - en fassent encore toute une montagne. A croire que tout prétexte était bon pour réagir, pour s'offusquer bien inutilement. Raphaël, lui, ne comprenait pas cette façon de faire, cette façon d'agir. Le jeune homme tâcha en tout cas de faire savoir à la jeune femme qu'il n'était absolument pas de ceux qui prenaient cette histoire tant à cœur et qui estimaient visiblement avoir le droit de lui en vouloir. Non, vraiment, il voulait qu'Asmaa sache que cette révélation ne l'avait pas dérangé, et que cela n'avait absolument rien changé à la manière dont il la voyait. Elle n'en était pas plus dangereuse pour autant. Pas plus que quelqu'un d'autre ici, en tout cas. Bizarrement, elle faisait encore et toujours partie de ceux à qui il faisait confiance ici. Comme quoi, à ses yeux, cette révélation n'avait véritablement rien changé. Sa camarade semblait alors dans un état de malaise assez profond. Il pouvait la comprendre. Certains candidats n'avaient pas du réagir très aimablement, et le fait d'avoir perdu un tel secret devait la perturber un tantinet. Il lui adressa un sourire compréhensif, juste histoire de montrer qu'il était là, au cas où. Elle disait aussi que les paroles du suisse lui faisaient plaisir. Il continua de sourire, n'ajoutant rien. Il était sincère, voilà tout. Finalement, et assez spontanément, il passa une main sur sa joue. Elle semblait si vulnérable que lui s'en sentait presque sûr de lui. C'était troublant. « Ce secret ne doit pas définir ton aventure. Comme les candidats ne doivent pas changer de regard à cause de ce secret. Il t'a été attribué, il a été démasqué. Bien, voilà, c'est terminé. Mais ton aventure, elle, continue. Nominée d'office ou pas, jugée ou pas ... » Et clairement, il se trouvait mal placé pour parler. Mais soit, il essayait d'être présent pour elle, à cet instant précis. « Je trouverais ça malvenu de la part de quiconque d'essayer de te soutirer la moindre information. Que tu sois capable ou non d'en dire trop, ce ne serait pas correct. » Non, vraiment pas. Mais bon, peut être était-ce aussi parce qu'il se rangeait clairement contre ceux qui se la jouaient déçus, dans cette histoire. La déception n'avait rien à faire là, d'après lui.

J'avais livré de façon totalement sincère ce que j'avais sur le cœur, sans pour autant lui avoir fait la liste de toute mes craintes, face à la révélation de mon secret, car elles étaient nombreuses. Ce que je venais de lui dire était déjà assez explicite sur ma façon de penser tout ça. La main de Raphaël vint s'échouer sur ma joue. Mon sourire gêné, s'éteignit peu à peu sur mes lèvres. « Ce secret ne doit pas définir ton aventure. Comme les candidats ne doivent pas changer de regard à cause de ce secret. Il t'a été attribué, il a été démasqué. Bien, voilà, c'est terminé. Mais ton aventure, elle, continue. Nominée d'office ou pas, jugée ou pas ... » Je baissais les yeux, ainsi que toute ma tête. Nominée d'office, je ne pensais plus à ça. En fait, je n'y pensais pas à ce moment-là. Je sentais que cette semaine serait la dernière pour moi. Je partais du principe que je n'aurais aucune chance face à mes concurrents, même s'ils nous étaient encore inconnu. Ma place tenait à quoi maintenant ? Plus à mon secret ni à ma cagnotte et encore moins à mon envie utopique de trouver chaussure à mon pied ici. Je reposais mes yeux sur lui. « J'en suis pas si sûre... » Avouais-je d'une toute petite voix presque inaudible. Est-ce que mon aventure allait continuer, je ne le pensais vraiment pas, tout comme j'étais certaine que les plus mal intentionné des candidats iraient jusqu'à profiter de ma timidité et de ma faiblesse qui consiste à ne pas savoir dire non. « Je trouverais ça malvenu de la part de quiconque d'essayer de te soutirer la moindre information. Que tu sois capable ou non d'en dire trop, ce ne serait pas correct. » Ce ne serait pas correct, mais c'est le jeu, ma pauvre Lucette. Ca ne m'étonnerais pas d'en voir roder autour de moi, ceux qui même, ne connaissait même pas mon existence jusqu'ici. Je me posais même parfois la question de savoir pourquoi moi et non un autre ? Je n'étais pas dans le jeu pour l'argent, j'avais l'impression que ça avait été leur motivation pour me choisir, la production, mais ce fut un vrai mauvais choix pour eux. Finalement je quittais sa présence, pour aller un peu plus loin, pour poser mon panier de linges sales. Non, je ne le congédiais pas de ma présence, simplement... Cette proximité soudaine avec Raphaël me gêna. « Ne parlons plus de ça, veux tu... Si, si mon aventure ne tient pas à ça... J'ai envie de, de passer une journée sans penser à ça... » Compliqué, puisque tout le monde n'avait de cesse de remettre ça sur le tapis, mais je comptais passer un peu de temps avec lui, sans avoir à me torturer l'esprit. Je passais mes mains dans le ligne, extirpant de celui-ci mon carnet de croquis, de pensées, d'écrits. Je finissais pas m'asseoir à terre, tournant les pages de celui-ci. Je n'ignorais pas le jeune homme, au contraire. « J'ai écris un poème... » Mon doigt rattrapa la page précédente, avant de lui présenter cette feuille. Je ne pouvais pas le lire moi-même, honteuse, mais je voulais le laissais lire, je ne savais pas pourquoi.

« l'eau était bien calme quand elle le rencontra,
au lever du soleil, au long chant des oiseaux,
silencieux, concentré, restant tout près de l'eau,
qu'il semblait redouter, tout comme un petit chat.

Elle s'approcha de lui, le sortant de son monde,
sa longue robe en soie ondulant autour d'elle,
trop grande la fit choir, dans un silence mortel
réveillant l'eau calme et lui fit faire une onde. »

Il n'était clairement pas évident pour Raphaël d'essayer d'être présent pour Asmaa. Cela n'avait rien à voir avec son affection pour elle - oui, il l'affectionnait d'une manière toute particulière, parce que la vulnérabilité de la jeune femme l'avait profondément touché - mais bien avec le fait qu'il n'avait lui même pas suffisamment confiance en lui pour inciter sa camarade à se battre contre les jugements. Il voulait lui faire comprendre que son secret n'avait pas à changer l'opinion de qui que ce soit, que ça n'était en tout cas pas le cas de la sienne. Il voulait qu'Asmaa comprenne que puisqu'elle n'avait rien demandé à personne, que puisque son secret lui avait été attribué, voire presque imposé - il supposait - personne n'était normalement en droit de lui en tenir rigueur. Et puis bon, soyons sérieux, ça n'était pas si dramatique que cela. D'accord, connaitre l'entièreté des secrets des candidats faisaient d'elle quelqu'un de possiblement dangereux, mais encore faudrait-il qu'elle puisse utiliser ses connaissances contre autrui, ce qui n'était pas le cas. Déjà, elle ne le pouvait pas réellement - même s'il se doutait que la Production avait voulu mettre en danger les candidats via ce secret des plus surprenants - mais il la savait également trop pure pour se permettre ce genre de choses. Il alla même jusqu'à penser - sans oser toutefois l'exprimer oralement - que sa camarade n'était pas insatisfaite de n'avoir plus ce secret. Probablement que ça ne lui convenait pas, et qu'elle avait peut être été un tantinet libérée, au final. Du moins, c'était ainsi qu'il se permettait intérieurement d'analyser les choses. Il la voyait mal jubiler du fait de connaitre les secrets des candidats et être peinée de ne plus avoir la possible occasion de s'en servir contre eux, hm. Mais voilà qu'Asmaa disait ne pas être sûre que, malgré tout cela, son aventure continue. Elle avait beau avoir été démasquée, être nominée d'office, tout n'était pas joué pour autant. Même, il la pensait suffisamment populaire pour regagner le château dimanche soir. Il l'espérait, en tout cas. Le suisse ne renchérit pas, pensant qu'elle ne voudrait pas non plus s'étendre trop là-dessus. Et visiblement, il ne s'y trompa pas, puisque sa camarade laissa justement entendre qu'elle ne comptait plus en parler, que cela lui ferait du bien de ne plus penser à cela, tout en s'éloignant quelques peu de lui. Et il était assez d'accord avec elle. De plus, Raphaël était tout à fait disposé à respecter sa volonté. « D'accord » articula-t-il alors, dans l'esquisse d'un sourire un peu maladroit. Sa camarade se mit visiblement à fouiller dans le linge, pour en sortir ce qui lui semblait être un petit carnet. Elle s'assit par terre et Raphaël resta debout, à l'observer silencieusement. Finalement, et voyant qu'elle était désireuse de lui montrer quelque chose, il s'approcha, finissant par s'assoir près d'elle, hm, mais pas trop près non plus évidemment. Elle avait donc écrit un poème. Et elle attendait probablement de lui qu'il le lise. Alors, doucement, le suisse s'empara de la feuille et débuta la lecture dudit poème. Bien vite, il en fut ému. C'était bien écrit, mais surtout, c'était beau. Lui qui était très lecture, très poésie, ne pouvait qu'apprécier. Et vraiment, c'était très beau. « Il est magnifique ce poème, Asmaa » articula-t-il alors, dans un sourire plus prononcé que le précédent. Il observa un court instant sa camarade, avant de reporter son regard sur la feuille, relisant inlassablement ce qu'il y avait d'écrit. « Qui est cette "elle", qui est ce "il" ? » demanda-t-il subitement, avant de le regretter naturellement. « Tu n'es pas forcée de répondre. » Et pour cause, il était beaucoup trop curieux.

Je n'avais plus envie d'entendre parler de mon secret, de tout le tapage que cela avait pu causer. Prenant mon courage à deux mains je le lui avais dit, tout en sachant qu'il comprendrait. Il n'ai pas du genre à aimer avoir le feu des projecteurs sur lui et moi, en ce moment même, c'était exactement la même chose, alors il respecta ma décision. J'allais alors m'asseoir plus loin pour lui avouer l'une de mes passions. J'écris des poèmes, ce qui pouvait sembler totalement ringard, j'en avais terriblement conscience. Sauf que depuis le début de l'aventure, ma plume de poète était longtemps restée en berne, jusqu'à ce que je rencontre le jeune homme ici présent, devant moi. Oui, son aura, sa façon d'être se rapprochant de la mienne lorsque je suis clean, m'avait soudainement inspiré. Je voulais lui faire partager alors un poème écrit depuis deux semaines déjà, oui il le fallait. Raphaël vint s'asseoir tout comme moi, avant que je ne lui tende la feuille de mon poème. « Il est magnifique ce poème, Asmaa » Je ne pu pas m'empêcher d'esquisser un sourire, contente de moi. Ça pouvait paraître égoïste sur le moment, mais c'était bien à des lumières de l'être consciemment. J'étais simplement heureuse d'entendre dire ça, sur l'un de mes textes. Je baissais un peu les yeux, sans savoir quoi lui répondre. Je ne lui avais pas fait lire pour qu'il me fasse un compliment, mais bien parce qu'il était en lien avec ce poème. « Qui est cette "elle", qui est ce "il" ? » Je ne m’attendais pas à cette question, d'où mon regard qui se leva rapidement sur lui, mais c'était une très bonne question. Je mordillais ma lèvre inférieure, ne sachant comment le lui dire. « Tu n'es pas forcée de répondre. » Je souriais, amusé par son revirement rapide, mais je secouais lentement ma tête en guise de non. « Ce 'il' et cette 'elle'... C'est toi et moi... » Je détournais un peu mon regard de lui, rougissant un peu tout en continuant rapidement « Enfin, non pas tout à fait, je veux dire... Je me suis inspirée de notre rencontre pour l'écrire, mais ces personnages sont deux inconnus... » Je me perdais dans mes explications, avant d'arrêter. Oui, je m'étais inspirée de notre rencontre qui s'était faite prêt de l'eau, mais simplement inspirée du contexte et du fait qu'il ne savait pas nager. Je l'ai adapté et modifié pour ce poème. « Je voulais te le montrer, mais je n'ai jamais osé... Tu sais faire quelque chose, toi ? » Si tant est que j'étais vraiment douée pour l'écriture de poème pour mon cas.

Ce poème était magnifique. Vraiment, il l'était. Mélodieux et bien écrit, il n'avait pas tardé à apparaitre aux yeux de Raphaël comme un travail fort bien accompli, comme une création des plus plaisantes. Car Raphaël avait véritablement eu du plaisir à lire le présent poème. Plusieurs fois d'ailleurs. Il le trouvait beau, il le trouvait également touchant. De tels vers, si plaisants à lire, si joliment écrits, lui avaient donné envie de procéder à une lecture plurielle, de profiter de l'occasion qui lui était donné de lire quelque chose de beau, sans que cela ait nécessairement été écrit par un Jaccottet, un Verlaine ou un Rimbaud. Cette poésie était simple, belle et pure. Sans chichi, sans superflu, sans dentelles. Et c'en était justement d'autant plus plaisant. Raphaël n'avait alors pu s'empêcher de faire savoir à sa camarade qu'il trouvait son poème magnifique, car telle était la manière dont il le voyait réellement. Sa camarade esquissa alors un sourire. Peut être appréciait-elle ce compliment, qui avait davantage eu pour fonction de lui faire part de ses ressentis que de la flatter. Mais si cela lui plaisait, c'était évidemment une bonne chose, hm. Mais voilà que bien vite, il ne put empêcher une certaine curiosité de s'exprimer. En effet, il osa demander à sa camarade qui pouvaient bien être les protagonistes évoqués à travers son poème. Au fond, il était tout à fait possible qu'ils ne soient que des personnages inventés de toutes pièces et pour les besoins de cette création poétique. En tout cas, il se sentait un peu culotté de poser une question à laquelle elle ne désirerait pas nécessairement répondre. Mais celle-ci ne sembla pas déranger sa camarade, dans la mesure où celle-ci ne tarda pas à lui faire savoir qu'il s'agissait d'elle et de lui. Autrement dit, ce poème évoquait indirectement Asmaa et Raphaël. Selon les dires de la jeune femme, c'était plus précisément de leur rencontre près du lac dont il était ici question. Elle s'en était visiblement inspirée, ce qui ne manqua pas de faire sourire le suisse. En fait, il trouvait ça d'autant plus beau. Qu'elle se soit inspirée d'une rencontre, de quelque chose qu'elle avait vécu ... mais également qu'il ait pu, indirectement, lui inspirer quelque chose. Il n'avait pas pour habitude de faire fleurir ce genre de choses dans l'esprit de ses semblables. Généralement, on lui reprochait d'être terriblement ennuyeux et il en concluait qu'il était simplement dénué de tout intérêt. En voyant sa camarade rougir, il ne put que sentir ses joues s'empourprer à leur tour. C'était toujours assez contagieux, le concernant. Dans un sens comme dans l'autre, d'ailleurs. « J'y repense moi aussi, quelques fois. Malheureusement, je n'ai jamais été capable d'en faire un poème. » Un sourire rassurant - limite fraternel - gagna alors ses lèvres, tandis qu'il ne put s'empêcher de grimacer lorsque sa camarade lui demanda ce que lui savait faire. Elle voulait dire, à part pleurer ? Euh ... « M'occuper des morts, c'est encore ce que je sais faire de mieux » lâcha-t-il spontanément, dans un soupire. Mais cette réponse laissait entendre qu'il n'avait pas de vie. Et même si c'était à peu de choses près véridique - on va pas se mentir, c'était limite-limite - il se devait de trouver autre chose. N'importe quoi. Même un talent pour le changement de rouleaux de papier toilette, s'il le faut. « Quelques fois, je dessine. Mais ça n'est jamais précis, jamais élaboré ... c'est toujours sombre, lugubre ... C'est simplement pour ... pour évacuer certaines choses. » Dessiner un démon, le diable ou les enfers pouvait l'aider, oui. Ce mec était assurément taré. « Hm, on m'a déjà dit que je cuisinais bien. » Ah, voilà qui était déjà beaucoup plus réjouissant. Et effectivement, même s'il ne mangeait pas grand chose, il savait relativement bien cuisiner. Personne n'en était jamais mort, en tout cas.

J'appréhendais sa réaction, je la craignais. Même si Raphaël était du genre tendre comme un agneau, je ne pouvais pas prévoir sa réaction. Il ne pourrait pas apprécié que ce poème ce soit basé de près ou de loin, sur lui. Je n'avais rien écris de mal, mais je n'étais pas à l'abri. « J'y repense moi aussi, quelques fois. Malheureusement, je n'ai jamais été capable d'en faire un poème. » Mon sourire s'élargissait en même temps que le sien. Apparemment, il n'avait alors rien contre, au contraire. Ca me faisait plaisir d'entendre ça, vraiment et sourire de l'entendre dire qu'il ne pourrait pas, lui, en faire un poème. À cet instant précis, je me serais bien ré-excusé pour mon comportement justement, avoir crus qu'il se foutait de moi... J'avais été imbécile, mais ma curiosité m'avait déjà poussé à lui poser une autre question. « M'occuper des morts, c'est encore ce que je sais faire de mieux » Je ne savais quoi lui répondre, ni comment réagir. Je crois que je venais de perdre mon sourire à l'instant, sans pour autant perdre de mon intérêt pour lui. Je me sentais d'ailleurs immédiatement confuse de lui avoir posé cette question. Il ne me semblait pas sûr de sa réponse, tout en parlant sincèrement. Je restais silencieuse. « Quelques fois, je dessine. Mais ça n'est jamais précis, jamais élaboré ... c'est toujours sombre, lugubre ... C'est simplement pour ... pour évacuer certaines choses. » J'ébauchais un sourire, tout en me sentant terriblement mal à l'aise. Raphaël paraissait vraiment être un garçon en marge des autres. Je connais son secret. J'aimerais l'aider, mais malgré mes bonnes intentions, je ne me sentais absolument inutile. Incapable de faire quoi que ce soit pour lui. J'étais moi même enchaînée à un boulet que je devais traîner constamment avec moi, la drogue, le rejet de soi; le sien, c'était la tristesse que l'on pouvait lire très souvent dans ses yeux. « Hm, on m'a déjà dit que je cuisinais bien. » Ah ! Voilà un sujet moins délicat, qui me parlait plus, qui ne me mettait pas mal à l'aise, bien que je ne sache pas cuisiner. Mon sourire s'élargissait un peu, alors que je lui avouais : « Je ne sais absolument pas cuisiner ! » Je lâchais un léger rire, gênée, toujours. Ô non, ma nourriture est en général, immangeable, malheureusement, car j'aurais adoré faire partager la cuisine de mes origines, mais impossible. « Je crois qu'on sait tous faire quelque chose. Des choses plus ou moins utile. J'ai l'impression que toi, tu te crois inutile... » J'étais rapidement arrivée à cette conclusion, qui me paraissait totalement absurde. J'aimais bien Raphaël et nous étions plusieurs, j'en étais certaine. « … Mais c'est pas vrai ! » Je parlais doucement, d'une petite voix, je voulais me montrer convaincante, sans avoir l'air d'être à côté de plaque.

Sa rencontre avec Asmaa avait été pour le moins particulière. Il faut dire que tout avait failli commencer sur une fausse note entre eux, vu qu'elle s'était méprise sur ses intentions lorsqu'il avait eu le malheur de lâcher un rictus. Elle s'était effectivement imaginé qu'il s'était moqué d'elle, alors que ça n'avait bien évidemment pas du tout été le cas. Ce rictus avait été malvenu, et il l'avait compris un peu tard. En tout cas, il fut tout à fait satisfaisant que les choses aient pu être arrangées, surtout maintenant qu'il avait pleinement conscience du fait qu'Asmaa était un petit bout de femme tout à fait fascinant, adorable et attachante. Voyez quel poème elle venait de lui faire lire. Une création poétique des plus belles, des plus touchantes, qui n'avait évidemment pu que lui plaire. Et le fait d'apprendre dans la foulée que leur rencontre l'avait inspiré pour rédiger ces vers si plaisants n'avait pu que lui faire d'autant plus plaisir. Quel dommage qu'il ne soit quant à lui pas le moins du monde capable d'écrire avec une telle sensibilité. Et d'ailleurs, qu'était-il de son coté capable de faire ? Question intéressante, mais quelques peu embarrassante surtout. Parce que très honnêtement, il n'avait pas de réponse toute faite, toute préparée à lui fournir. Il ne se voyait pas prétendre qu'il était particulièrement doué pour jouer du violon - il n'en avait jamais tenu un entre ses mains - pour chanter - cette grosse blague - ou pour se fringuer - vous l'avez bien regardé ? Non, il ne se voyait pas se prêter on ne sait combien de compétences farfelues qu'il ne maitriserait en fait pas le moins du monde. Il s'était alors, dans un premier temps, contenté de lui signifier qu'il était complètement probable qu'il ne soit jamais aussi compétent que lorsqu'il faisait ce qui constituait son métier : s'occuper des cadavres. Oui, la préparation qui se faisait pour certains cas avant des obsèques était étrangement quelque chose qu'il maitrisait bien. Bon, après, il était assez probable que le fait qu'il fasse ça depuis quelques temps, après avoir suivi une formation assez pointilleuse, y était pour beaucoup. Sa camarade sembla alors pour le moins mal à l'aise, et il se sentit coupable de l'avoir mise dans cet état. Au fond, il aurait du se taire. Heureusement alors qu'il rebondit sur le fait qu'il était relativement doué en matière de cuisine, hm. C'était plutôt vrai, disons. Il n'était pas un chef étoilé en devenir, mais il était un peu plus doué sur sa sœur Salomé, ce qui au passage n'était pas bien dur non plus. Sa camarade disait alors ne pas savoir cuisiner, ce qui le fit rire également. « Mais tu sais rédiger des poèmes » laissa-t-il entendre, dans un sourire rassurant. Il hocha ensuite doucement la tête aux paroles d'Asmaa, avant de rougir quelques peu et de passer une main dans sa nuque. « Et bien, tu sais, quelqu'un s'est employé à me le faire croire pendant des années ... » commença-t-il alors, en parlant bien évidemment de sa mère et en poursuivant « ... alors ça a fini par se faire une place de choix dans mon esprit, si bien qu’aujourd’hui, je pense effectivement être d'une inutilité remarquable. » Il en esquissa un sourire confus, avant de soupirer. Mais très vite, il saisit la main de sa camarade pour la mener jusqu'à ses lèvres, déposant alors un baiser sur celle-ci. « Je te remercie » fit-il doucement, dans un sourire plus prononcé. Parce qu'elle était sincère. Elle connaissait son secret, mais il avait tendance à ne pas la craindre. Ce qui, elle le savait probablement, était grandement paradoxal.