On est vendredi et le vendredi rime chez-moi avec lessive. J’engouffre tout un tas de vêtements m’appartenant, étalés négligemment dans mon coin personnel du dressing, à l’intérieur d’un sac que je jette sur mon dos, avant d’aller m’enquérir auprès de Maddie en partenaire exemplaire de si certains de ses habits ont besoin de passer par la case nettoyage. Alourdit de quelques paires de chaussettes et d’un pull épais, je descends les escaliers de l’école des filles avant de me retrouver à l’extérieur du bâtiment. Je n’ai qu’à parcourir quelques mètres pour me retrouver face à la laverie automatique. Je passe la tête par l’embrasure de la porte et vérifie que toutes les machines ne sont pas d’ores et déjà occupées. Mon regard s’arrête sur un hublot ouvert, ce qui est largement suffisant pour que mon cerveau décrète que la place est visiblement libre. Je passe le seuil de la porte sans avoir remarqué la candidate perchée un peu plus loin en hauteur. « Corto ! Et Corto ! » Je sursaute presque, avant de tourner la tête vers Ismay qui m’adresse un grand sourire. Je pointe mon index dans ma direction en l’interrogeant du regard, l’air de lui demander si c’est bien à moi qu’elle s’adresse comme le grand nigaud que je suis. Ayant décrété que je me trouvais être l’unique Corto dans les parages -même l’unique personne tout court, en réalité - je concentre toute mon attention sur la jeune femme sans attendre la moindre confirmation, qui me fait remarquer qu’on fréquente les mêmes habitants au sein du nid. Je me suis fait la même réflexion pas plus tard qu’au prime, sans doute tout comme elle. Je secoue vivement la tête pour lui donner raison, tandis qu’elle poursuit : « Ce serait plus cool si on apprenait à se connaître un peu, plutôt que de rester de parfaits inconnus, non ? » J’acquiesce une nouvelle fois ses paroles, avant d’avancer jusqu’à l’un des bancs qui longe les murs de la pièce pour m’assoir en face d’elle. Je place mes jambes en tailleur et dépose mon menton au creux des paumes de mes mains en digne reflet de la candidate. « Bien. Fais-moi un petit topo sur qui est Ismay. Je ne sais jamais poser les bonnes questions dans ces cas-là, donc ça évite de longues minutes de silence où je me creuserais désespérément la tête pour trouver autre chose à te demander que si tu aimes les baleines… » j’annonce avec un léger sourire aux bords des lèvres. Mon visage prend un air pensif pendant une demi-seconde, tandis que je ne peux m’empêcher de lui lancer une interrogation d’ordre primordial. « D’ailleurs, tu aimes les baleines ?... Euh, non oublie. On va s’en tenir à ce que j’ai dit, je te promets d’en faire de même après toi. »

Ismay se présente et je l’écoute attentivement. Elle ponctue même la liste d’informations la concernant par une confession sur la perception que les autres candidats ont d’elles et qui peut différer de ce qu’elle est dans la vraie vie. J’hausse les épaules et lui demande sérieusement : « Comment est-ce que tu souhaites que je te voie ? » Ca me parait important comme question. Je n’ai pas encore eu le temps de me fonder une impression très aboutie la concernant, à l’exception qu’elle aime sourire et j’ai déduis très latéralement qu’elle devait apprécier s’amuser. Ceci dit, il n’est pas trop tard pour m’aiguiller vers une toute autre direction à laquelle je tâcherais de me référer docilement si elle le désire. Comme convenu, c’est à mon tour de me présenter. Tout comme Ismay, je me prends quelques secondes de réflexion afin de rassembler mes idées avant de me lancer. « Corto, vingt-cinq ans. Comme tu peux t’en douter, j’aime beaucoup les baleines. Et les animaux et la nature en règle générale en fait. Je ne sais pas si ça en est une conséquence, mais je suis propriétaire d’un bar à céréales. En général ça intrigue énormément, mais ce n’est rien de plus qu’un bar où on sert des céréales. Ce qui est très drôle, c’est que j’ai l’impression qu’on ne me perçoit pas tout à fait de la même manière que le font les personnes que je croise à l’extérieur, mais ça ne me dérange pas. » Une histoire de recul peut-être. Et comme l’a dit la jeune femme, il parait évident qu’on mesure notre façon de nous comporter, sans doute à cause du secret que nous devons tous cacher ou tout simplement la présence de caméras tout autour de nous. « Qu’est-ce qui te ferait plaisir pour ton anniversaire ? » je m’enquiers, avec intérêt. Ca me parait très important comme évènement et ça mérite d’être fêté, d’autant plus quand on est privé de nos proches. Je ne sais pas si je serais toujours là dans deux semaines. Ni si elle sera toujours là, mais ça reste une question d’ordre primordial à mes yeux.

Ismay décrète qu’elle souhaite que je la regarde de la même façon que je le ferais instinctivement. Ca s’annonce assez simple, mais j’imagine que c’est la meilleure réponse qu’elle aurait pu me donner. Mieux vaut préférer le naturel aux artifices et hypocrisie. J’hoche sensiblement la tête avec un léger sourire pour lui témoigner mon approbation. A propos de ma question concernant le cadeau rêvé pour son anniversaire, elle me répond avec spontanéité souhaiter un petit pain au chocolat et à la crème. J’arque l’un de mes sourcils face à cette demande incongrue. Une viennoiserie pour ses vingt-quatre ans, vraiment ? Je l’interroge du regard, mais elle a l’air de camper sur ses positions et semble plus que sérieuse. Bien. « C’est noté. » j’annonce à voix haute, un léger sourire en coin dessiné sur mon visage. Je me promets de me rappeler de cette requête d’ici deux semaines, tandis que la jeune femme commence à me bombarder de questions. Je ne comprends pas pourquoi mon bar suscite tant d’interrogations, ça me semble pourtant si simple. Il n’y a rien de plus simple qu’une sorte de bistrot qui sert des corn-flakes. Et les bars à vin, alors ? On ne leur demande pas s’ils servent réellement du blanc ou du rouge. « Le concept existé déjà, on peut en trouver plusieurs aux Etats-Unis. C’est de là-bas que je viens. J’imagine qu’on peut peut-être l’expliquer par notre façon de vivre. J’hausse les épaules. Il est vrai qu’étant américain, il m’a fallu compter de nombreux jours pour m’adapter au rythme européen. Normalement, je suis habitué à me lever tôt, avaler un petit-déjeuner monstrueux, pour grignoter un petit quelque chose au milieu de la journée. Rien de mieux qu’un bol de céréales accompagnées de fruits rouges pour se faire. « Les gens qui bossent dans les bureaux environnant ou les étudiants un peu bobos descendent souvent jusqu’au bar à l’heure du déjeuner. » je conclue, avant d’embrayer de nouveau. « Je viens de Savannah, tu viens d’où toi ? Et ca consiste en coin au juste infirmière dans le secteur psychiatrique ? Tu bosses dans un hôpital ? » je dis d’une traite, enchaînant à mon tour les questions. On a bien parlé de faire connaissance, non ?