Huit. C'est le nombre de candidats qui ont quitté l'aventure, hier soir. Et parmi eux, Sven. Malgré notre dispute de la semaine passée- que l'une des chroniqueuse n'a, par ailleurs, pas manqué de rappeler, lors du dernier prime-, mon compagnon avait tenu à m'informer de son départ si précipité. "Magouilles" est sûrement le terme qui est le plus revenu dans notre conversation. J'aurais pu faire comme lui, prétendre à des tricheries de la part de la production puis m'en aller. Mais j'en ai décidé autrement. D'une part, parce que je ne suis pas dupe. Les trucages dans les émissions de télé-réalité, ça ne date pas d'hier. Et puis, d'autre part, parce que je suis venu avec un secret. Un secret que je compte défendre jusqu'au bout. Ainsi, le cœur lourd, je me réveille seul dans mon lit. La place de Lulu est encore un peu chaude, ce qui me laisse finalement penser qu'il n'est pas debout depuis très longtemps non plus. Dommage, j'aurais bien profiter de la présence de quelqu'un, qui que ce soit, pour me consoler un petit peu des départs de Sia, Sven, et pourquoi pas Ismay aussi avec qui j'avais commencé à sympathiser. Mine de rien, ça commence à en faire du monde qui s'en va. Je quitte donc mon nid douillet pour passer par la case "toilettes", puis "toilette" sans s et finit par revenir à la chambre. La vessie soulagée et l'haleine fraîche, je rejoins la seule personne que j'aperçois encore en train de pioncer. La rouquine. Dagga, si mes souvenirs sont bons. Je ne la connais ni d'Adam, ni d'Eve, ne lui ai même jamais adressé la parole, mais prends tout de même la peine de venir me glisser sous ses draps, à côté d'elle. Une présence humaine. C'est tout ce qu'il me faut. Au moins le temps de quelques minutes.

Au cours du prime, j’avais eu l’espoir fugitif que cette semaine-ci serait différente. Que je redeviendrai la Dagga radieuse et rayonnante des deux premières semaines. Mais quelque chose s’était brisé en moi, une espèce de candeur qui était vouée à crever sitôt qu’elle en viendrait à être confrontée au monde réel, et je n’arrivais pas à la réparer. Je n’étais pas sûre de le désirer. À quoi bon recouvrer mon innocence, si c’était de toute manière pour finir par la perdre à nouveau. J’étais rentrée aux côtés d’Elliot, elle pouvait pleurer sur mon épaule, littéralement, et ça avait fini de me détruire ; je détestais la voir dans cet état. Je n’avais pas pu dormir de la nuit. Je m’étais levée tôt, avait erré par-ci par-là, m’étais occupée de mon linge et, quand le nid avait commencé à fourmiller d’activité, j’étais retournée me coucher. Mon lit était mon refuge. J’avais l’impression d’agir comme une gamine, en allant chercher le réconfort de ma couette, mais il était peut-être temps que je l’admette : j’étais une gamine, point barre. La tête sous la couette, dans le noir, je peux m’imaginer tout ce que je veux. Globalement, j’aime bien m’imaginer que je suis un ours, et la couette dessine une caverne autour de moi, et j’ai toute ma famille ours avec moi. Mais en réalité je suis seule. Oh, peut-être que j’ai parlé trop vite ? Je sens qu’une personne se faufile à mes côtés, et, naïvement, ou plutôt en toute logique, j’imagine que cela doit être Elliot. Peut-être qu’elle aimerait être une ours elle aussi – et si je lui proposais ? Ça ne peut pas lui faire de mal. Je me retourne pour lui faire face, les yeux à demi-clos, ne distinguant pas grand-chose dans la pénombre. « Elliot… Est-ce que tu… » Ma voix, faible et légèrement rauque, se stop net alors que je tends la main vers elle, quand je réalise que je ne suis pas sûre que ça soit réellement elle. Toujours allongée, j’ouvre un peu plus les yeux. « Tu n’es pas Elliot. » j’annonce, la voix ensommeillée, comme si je lui apprenais quelque chose. C’est Joshua, je crois. Il me semble que j’avais décidé à un moment donné que je l’avais à la bonne, mais je ne sais plus vraiment pourquoi – enfin, si la Dagga du passé a déterminé qu’il s’agissait d’un chic type, qui suis-je pour la contredire…

Je ne suis, habituellement, pas le genre de garçon qui s'en va chercher du réconfort auprès de qui que ce soit. J'ai toujours tout fait tout seul, j'ai toujours su tout encaisser tout seul. Pourtant, je suis loin d'être une âme solitaire. Je n'ai jamais manqué d'amis ou bien même du soutien de mes proches. Seulement le fait de me retrouver de temps à autres avec mon seul reflet en guise de compagnon est devenu un rituel auquel je m'adonne régulièrement maintenant. C'est une cure, ma cure. Mais, il m'arrive aussi- quelques rares fois, cependant- d'avoir besoin de réconfort, d'avoir besoin d'affection. C'est l'hôpital qui se fout de la charité, me direz-vous, de la part d'un mec qui n'a même pas été capable de montrer un quelconque geste d'affection à son propre compagnon en un mois de jeu. Mais cela peut m'arriver. Oui, à moi aussi. Ainsi, lorsque je me faufile sous la couette, près de Dagga, c'est dans l'unique but de recevoir un peu de réconfort. Elle n'aura pas besoin de parler, pas besoin de me prendre dans ses bras. Sa seule présence me suffit déjà. « Elliot… Est-ce que tu… » Sa voix me coupe dans mes pensées. Je la pensais endormie, à vrai dire. Tandis qu'elle se tourne vers moi, les yeux mi-clos, pour me tendre la main, cette dernière se rend finalement compte qu'elle a fait erreur sur la personne. « Tu n’es pas Elliot. » Je suis partagé entre l'envie de rire ou.. l'envie de rire, mais je ne fais finalement rien de tout cela. Je saisis sa main et me contente de simplement hausser les épaules. « A moins qu'Elliot se soit laissé pousser la barbe, je ne suis pas Elliot, non. » Je m'approche d'elle, tout doucement. J'ai juste besoin d'un peu de chaleur humaine. « S'il te plait, ne me vire pas de là. », dis-je avec des yeux de merlan frit, comme si j'étais un gamin qui suppliait sa maman de bien vouloir le prendre dans ses bras. Acte désespéré. Je me fais honte, parfois.

Je suis complètement dans le cirage. Pas suffisamment, ceci dit, pour passer à côté du fait qu’il y avait un type dans mon lit. Mon regard brumeux navigue de ma main, qu’il retient captive dans la sienne, à son visage. J’ai besoin de quelques secondes pour émerger. Je suis encore en mode ours, j’ai du mal à raisonner comme une humaine. Je frotte mon front contre mon oreiller, pousse un petit soupir en inspirant l’odeur de la taie, un mix entre le parfum d’Elliot et le mien. Mes paupières se closent, puis se rouvrent, mon regard encore un peu voilé vient atterrir avec douceur sur le visage de Joshua. « Elliot ne ferait jamais une chose pareille, elle sait très bien qu’elle n’a pas le type de visage pour. » j’énonce le plus sérieusement du monde, avant de me racler la gorge le plus délicatement possible histoire de me débarrasser de cette voix un peu cassée qui me colle aux cordes vocales. Je libère ma main qu’il gardait prisonnière jusque-là, et l’approche doucement de sa joue, pour effleurer du bout des doigts sa barbe de quelques jours. « Non, toi tu es Joshua. » Comme quoi j’émerge peu à peu, mine de rien. Je ne sais pas ce que la Dagga bien réveillée ferait en constatant qu’un type se tapait l’incruste dans son lit, envahissant son espace vital sans permission. Je ne sais pas ce qu’elle penserait de tout ça. Elle le chasserait, sans doute ? Elle aurait peur, elle serait inquiète, nerveuse ? Elle se poserait probablement mille questions. Mais je suis trop fatiguée pour tergiverser. Et quand il me regarde avec son regard de chien battu, je fonds. N’oublions pas que mon cœur était fait en guimauve, hein. « Je ne vais pas te virer. » je chuchote en retour. Je ne le vois pas comme une menace ou une intrusion. Je le vois juste comme un être aussi perdu que moi, une âme un peu en détresse tout comme moi, et après le prime d’hier, la chronique, le départ de ‘son’ Sven, je me dis que je serais vraiment une sans-cœur si je le chassais. C'est pas lui qui en est à son troisième partenaire, aussi ? Je crois que si. Il doit être à moitié maudit, en fait. Avec une lenteur un peu cotonneuse, je saisis un pan de la couette, et je le fais passer par-dessus sa tête, pour que nous soyons tous les deux dans ma caverne. Je me pelotonne contre lui, mes bras croisés contre ma poitrine dans une position que j’aime appeler ‘la position de la mouche morte’ et love ma tête contre son torse, avant de lever les yeux vers lui, pour lui expliquer pourquoi j’ai rabattu la couette sur nous : « On est protégés comme ça. » je souffle dans un murmure, discernant très mal son visage puisque la lumière est filtrée par le tissu et ne parvient pas complètement jusqu’à nous. On est protégés. De tout. Des Autres, de la vie, de l'extérieur, des impressions, des caméras, des émotions, des faux-semblants. On est protégés de tout dans ce refuge, mon refuge que j'accepte de partager avec lui - parce qu'un ours bien léché se doit de faire preuve d'hospitalité.

Cette sensation d'être une petite chose futile, sans importance. Je l'exècre. Et pourtant, elle me prend bien plus souvent que je ne l'aurais désiré. Depuis ma plus tendre enfance, à vrai dire. Lorsque j'ai compris d'où je venais, qui j'étais. Et pourquoi j'existais. Pour combler un vide. Le prime d'hier soir n'a fait que renforcer cette idée que je me suis faite de moi-même. Je ne suis rien sans les autres. Ici, en l'occurrence, j'existais à travers Sven. J'avais pris l'habitude qu'on me demande où en était mon couple. A vrai dire, je pense qu'on ne m'a jamais demandé comment j'allais, moi. Pas le Joshua en couple. Moi, tout simplement. "Comment vas-tu ?" La question est pourtant simple. Et, pas une seule fois, je ne pense l'avoir entendue, depuis le début de ce jeu. Jamais. Pris d'une envie soudaine d'affection, j'ai donc rejoint Dagga dans son lit. « Elliot ne ferait jamais une chose pareille, elle sait très bien qu’elle n’a pas le type de visage pour. » Elle est totalement sérieuse. Je ne bronche pas, n'affiche même pas un semblant de sourire. Oui, elle est sérieuse.« Non, toi tu es Joshua. » Perspicace. J'acquiesce de la tête, puis, viens finalement la supplier de bien vouloir me garder encore un peu auprès d'elle. Moi aussi je suis sérieux. J'ai réellement besoin d'une présence humaine, en cet instant. Le hasard a fait que ce soit tombé sur elle. « Je ne vais pas te virer. » Et le hasard a bien fait les choses. Ses chuchotements m'apaisent. Sa voix à elle seule m'apaise, en fait. Accepte-t-elle ma présence par pitié pour ma personne? Ou parce qu'elle est en manque affectif aussi? Peut-être un peu des deux, peut-être pour aucune de ces deux raisons. Mais, peu importe. Elle remonte la couverture jusqu'à ma tête, avant de venir se blottir près de moi. Sa tête lovée contre mon torse, elle relève doucement les yeux vers moi. « On est protégés comme ça. » Je glousse doucement avant de la serrer délicatement dans mes bras. Elle a raison. Nous sommes protégés. Ma couverture a toujours été mon bouclier. Et je suis heureux de voir que mon cas est en fait moins atypique que ce que je ne pensais. « Raconte-moi quelque chose. Un truc, n'importe quoi. » Mon menton vient se poser sur le sommet de son crâne. « Ta voix m'apaise. », continué-je de murmurer comme si quelqu'un pouvait nous entendre, avant de clore les paupières.

Je ne le connais ni d’Eve ni d’Adam, mais je me sens bien dans ces bras. Je me recroqueville contre lui, je ferme les yeux, j’oublie tout. C’est comme avoir une gigantesque peluche à côté de soi, sauf que, si je prête attentivement l’oreille, je parviens à entendre les battements sourds de son cœur et la chaleur qui s’exhale de son corps est plus réconfortante que n’importe quel nounours en peluche. J’en avais besoin. J’avais besoin de ça, ce moment, cet instant. Ça ne voulait rien dire, ça ne rimait à rien, mais ça faisait du bien. Il me demande de lui raconter quelque chose ; il me dit que ma voix l’apaise. Alors, docile, je m’exécute, tandis que mes paupières se closent avec douceur. Je pense à plein de choses, plein de souvenirs, d’impressions fugitives ou tenaces, je pense à des envies, des rêves et des désirs. Il y a tant de choses, en vérité, que je pourrais lui confier. « J’adore les administrations, je débute, d’une voix encore un peu enrouée. Il y a des tas de gens, je crois, qui ont horreur de ça. Ils détestent se savoir traduits en données informatiques, et penser que partout où ils vont, ils sont obligés de laisser une trace. Pas moi. Moi j’adore ça. J’adore avoir des cartes de fidélité, et que mon nom soit entré dans des tas d’ordinateurs et de formulaires et j’adore être inscrite dans des registres, parce que même si ça ne veut rien dire, ça me donne l’impression d’exister, au moins un peu, au moins officiellement. » Je me tais ensuite, et j’esquisse une petite moue mais il ne peut rien en voir de là où il est, mais dans ma tête tout ce petit laïus sonnait mieux, et je suis un peu déçue et frustrée de ne pas avoir su formuler mon idée comme je voulais. « À ton tour. Parle-moi de quelque chose qui te rend heureux. » je lui demande, en insistant bien sur la fin de ma phrase. Les pensées négatives sont interdites sous la couette, c’est la règle d’or.

Tandis que je discute avec ma camarade, tendrement blottie contre moi, mes paupières viennent se clore doucement. Je n'ai pas l'intention de l'abandonner en pleine conversation- Ô Dieu sait que non-, seulement de reposer mes yeux qui commencent doucement à piquer. Sûrement un symptôme de fatigue. Ainsi, comme j'ai pu le lui avouer, sa voix m'apaise. Pire encore, elle me berce. Malgré l'effet matinal qui la rend un peu plus grasse que d'habitude, cette dernière est atrocement agréable. Tellement, que je me surprends doucement à l'abandonner. Contre mon gré, évidemment. Les derniers mots que je pense avoir perçus étaient "cartes de fidélité" ou "ordinateurs". A vrai dire, je ne m'en souviens plus très bien. La réalité et la fiction se mélangent dans mon esprit. J'ai beaucoup de mal à prêcher le vrai du faux. « À ton tour. Parle-moi de quelque chose qui te rend heureux. » Je n'arrive pas à savoir si je suis en plein rêve ou non, mais tout doucement j'acquiesce de la tête. Geste tout à fait inexplicable puisque cette question, qu'elle soit réelle ou non, n'attendait pas une telle réponse. Partagé entre un monde utopique et un monde tout à fait réaliste, je marmonne quelques mots. Des mots tout aussi incompréhensibles que ma réaction précédente. En fait, rien n'a de logique dans ce que je fais actuellement. Tout ce dont je suis conscient, c'est que je suis fort bien aisé dans cette position. Son corps recroquevillé contre le mien me tient au chaud, et la chaleur qui émane de ce dernier m'est rassurante. Je suis bien. Si seulement cette sensation pouvait durer éternellement.

FIN DU SUJET POUR JOSHUA.