ARES

J'avais choisi de m'évader, une fois n'est pas coutume, histoire de prendre l'air. Délicat, frais, agréable. J'avais ce lourd manteau en laine, et son écharpe recouvrant mon corps jusqu'à isolé mon nez de toute fraicheur intemporelle. J'étais de ceux que l'on qualifiait de fragile. Puisqu'en effet, au moindre courant d'air, il m'était possible d'attraper froid. Mais je n'étais pas là pour vous parler de la pluie et du beau temps, et je suppose que vous n'aviez pas grand chose à faire de mes problèmes immunitaires. Non, si j'avais choisi de m'isoler, foulant ce sol terreux, passant un pallier qui entre-coupait fraicheur et bouffée de chaleur, c'était pour une autre raison. J'avais besoin de jouer un morceau. Ou même plusieurs. De m'évader, loin de tout bruit, de tout mouvement, de tout regard. C'est ainsi que guitare sur le dos, j'étais parti à la rencontre de l'inconnu, parcourant champs et marées pour trouver un coin peinard, un coin où seul cette brise fraiche pourrait venir à la rencontre de ma peau sans oser en dégrader mon corps. Un endroit coupé du monde où chaque note pourrait s'évader librement, où je pourrais m'évader sans contrainte. Où je pourrais laisser parler mon imagination. Et c'est sur quelques notes que ma main gratta les cordes de cet instrument. Je ne me prétendais pas comme un grand musicien. Seulement comme quelqu'un qui avait besoin de créer.

Mon esprit divague, je perds pieds, petit à petit. Je ne sais pas où je vais mais avec je m'y dirige avec force. Mes pas se font pressants. Mes bras se balancent et fendent le vent. J'ai l'impression de voler, d'être en apesanteur. Le vent fouette mon visage rosi. Il me fait un mal de chien et pourtant, j'adore cette sensation. J'ai enfilé rapidement un jean, un tee-shirt et un gros pull en laine grise. Une écharpe, aussi. Le froid est transcendant et pourtant, je ne ressens rien. Comme incapable de ressentir la moindre douleur. Comme insensible. Mes pas finissent par me guider jusqu'aux champs dans lesquels je pénètre sans aucune résistance. Je vagabonde sans vie. Je n'ai envie de rien, ni de personne. Juste celle d'être seul. Ou pas d'ailleurs. Mes envies sont un fouillis dans lequel je ne réussis pas à remettre de l'ordre. Au loin, j'ai l'impression d'entendre quelques notes grattées avec force et maîtrise sur une guitare. Est-ce mon esprit ou est-ce réel ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne me fie pas à cette douce mélodie pour le moment et mes pas se succèdent. Inconsciemment, ils se dirigent là où provient le son. Comme un serpent attiré par une flûte. Comme une âme en peine attirée par la lumière du paradis. Mes yeux fixent un point à l'horizon. Et finalement, j'arrive auprès de Lulu tout aussi songeur que moi. Je lui souris chaleureusement. Emmitouflé dans son manteau en laine, il me donne chaud. Et me rappelle les longues soirée d'hiver avec mon frère. Mon visage s'adoucit bien qu'il soit toujours transit par le froid. Je m'assieds à ses côtés et ne dit rien le temps d'un instant. Je laisse parler le maître, le musicien. Les notes sont des mots et il est interdit de les interrompre. Lorsque Lulu donne le coup final, je pose mon regard sombre sur son visage empourpré lui aussi. « C'est joli.. de toi ? » je lui demande d'une voix aussi douce et mélodieuse que les quelques notes qui résonnent encore joyeusement dans mon esprit. Je me serre un peu contre lui, pour me tenir chaud. Lorsque je m'immobilise, le froid finit par s'emparer de moi et me faire frissonner. « Qu'est-ce que tu fiches au froid ? » je demande, tandis qu'une énième bourrasque de vent nous fait vaciller.

Je laissais mes doigts gratter cet instrument que j'avais trop longtemps abandonné. Il fut une période, pas des plus lumineuses, où je passais mon temps sur un skate, guitare dans le dos, fuyant ce monde qui ne me paraissait que trop surfait. Je fuyais tout, me réfugiant derrière un instrument que je ne maitrisais qu'à moitié. Bien entendu, au fil des années, j'avais fini par l'adopter, par le dompter de moi même. Aujourd'hui je ne regrettais pas ces quelques poignées de jours passés à gratter le temps, créer des notes, esquisser des sourires sur mon visage. Parce que c'était une chose qui m'avait aidé à regagner espoir. Parce qu'elle m'avait aidé à aller mieux. Une sorte de médicament auditif, si je puis dire. Aujourd'hui, elle me servait encore parfois d'échappatoire, comme à ce moment précis. Je ne me prétendais pas un grand musicien, seulement quelqu'un qui aimait écouler son temps en des choses plus douces, plus agréables que le sport. Je n'étais de toute façon pas un grand sportif. Arès ne tarde pas à arriver près de moi. Je me demande quelques secondes comment il a fait pour me trouver avant qu'il ne chasse cette question d'un flamboyant sourire. Alors, il prit place à mes côtés, et je me permettais de coller mon épaule à la sienne, comme pour me réchauffer un peu plus, chose totalement stupide puisque recouvrir une épaule n'allait pas m'empêcher de mourir de froid. A moins que mon palpitant se tienne dans celle ci, ce qui n'était pas des plus préférables, n'est ce pas ? « C'est joli.. de toi ? » j'hocher la tête en un signe affirmatif, une légère fumée retraçant un filet de ma respiration s'échappant de mes lèvres. « Qu'est-ce que tu fiches au froid ? » « Disons que j'avais besoin d'un bol d'air frais. Au sens propre comme figuré. » un léger rire s'échappe alors de mes lèvres « Et toi ? Tu supportes ta nomination ? »

Je me laisse délicatement bercé par les quelques notes grattées par Lulu. Je m'évade et je l'emporte avec moi dans ma course folle. Nos épaules se frôlent puis, finalement, Lulu les scellent, elles se touchent et je sens la chaleur de son corps se faufiler jusqu'au mien. Nous risquons le rhume, la mort même mais ce simple contact tend à me réchauffer et me redonner du baume au coeur. Je ne connais pas très bien Lulu. Je pense que je le qualifie comme à peu près tous les candidats, ici. Il est solitaire, un poil renfrogné. Il donne envie de s'intéresser et c'est ce que je fais d'ailleurs. Je m'intéresse à lui. Seulement, le tatoué est intimidant, je trouve. Je n'ose pas parler d'avantage, lui poser un tas de question. Il m'apaise sans qu'aucun mot ne passe la barrière de ses lèvres. Et je m'en contente avec délice. Il gratte avec passion sur cet instrument et je me prends à rêver, à l'admirer le temps d'un instant. Les notes se font plus las, leur échos s'envolent dans la plaine. Mon visage est doux, serein, tourné vers Lulu que je détaille. Ses mots m'atteignent et finalement, mon sourire s'envolent aussi vite que les notes précédentes. « J'ai peur de partir.. » voilà comment je supporte ma nomination. Voilà le pourquoi de ma présence dans les champs, par un froid si grisant. Je ne veux pas partir. J'ai l'impression de ne pas avoir fait mon jeu. Et j'ai également cette impression désagréable que les candidats ne m'aiment pas. Qu'ils me voient tel un égoïste et ce, depuis le prime. Alors, mon coeur est constamment serré, certain que le prime de dimanche sera mon dernier et que Paris m'appelle. Mais je n'ai pas envie de retrouver Paris. Moi, le voyageur insatisfait, j'ai trouvé mon point d'ancrage. Je veux rester ici. « Qu'est-ce qui te donne ce besoin de bol d'air frais ? » je demande alors, cherchant comme je le peux à changer de sujet. Les nominations me stress. Et en parler d'autant plus.