Sïana

JEUDI 01 NOVEMBRE - 19H21
QUARTIER AUBANEL - CINÉMA

Cette salle de cinéma était assurément le lieu au sein duquel un type se trouvant interdit de parler était susceptible d'être le plus à l'aise. Parce qu'en général, devant la diffusion d'un film, on a pas nécessairement besoin de donner de la voix. Je m'accordai certains soirs une petite virée au cinéma, histoire de me déconnecter un peu de cette réalité parfois désolante. Mais, cette fois-ci, j'avais omis de me renseigner sur le film qui allait y être diffusé. Je me retrouvai donc dans la salle, un cornet de pop-corn à la main, sans pour autant savoir pourquoi, ou plutôt pour quel film j'avais fait le déplacement. En général la production choisissait bien les films qu'elle diffusait, mais après un tel sans faute depuis le début de l'aventure, j'allais bien finir par tomber sur un film qui ne me correspondrait pas du tout, tôt ou tard. J'eus tout juste le temps de prendre place sur un fauteuil avant que la porte ne s'ouvre à nouveau. Je tournai la tête et vit entrer Sïana, ou la candidate avec laquelle j'avais récemment fait le projet de passer à travers les épidémies hivernales. Je ne savais pas si elle avait eu vent du fait que je ne pouvais pas parler cette semaine, aussi, lorsqu'elle s'avança en ma direction, je plaçai ma main devant ma bouche et secouai la tête, comme pour lui dire "coucou ma belle, j'te préviens, je suis muet cette semaine." Sïana n'était pas idiote, aussi je supposais que cela lui suffirait pour le comprendre. Je me dis que de toute manière, mon interdiction de parler ne serait pas un problème au vu du film qui commencerait d'un instant à l'autre, mais c'était sans compter un coup du sort, et un message qui s'afficha bientôt sur l'immense écran noir face à nous : "nous rencontrons actuellement quelques problèmes techniques. aussi, exceptionnellement aucun film ne sera diffusé ce soir. la production s'excuse auprès de ses candidats" Ah bah ça ! Si je m'y attendais ! Je reportai le regard sur Sïana, qui n'avait d'ailleurs pas encore pris place à mes côtés. Bon... pas de film donc. Si elle était venue pour ça, elle allait certainement repartir... J'aurais vraiment aimé converser avec elle - surtout que j'avais certaines choses à lui dire, et pas des moindres -, mais sans parler je ne voyais pas trop comment entreprendre la discussion. Par ailleurs je ne maitrisais pas le langage des signes, et ne donnais pas non plus dans la ventriloquie. On était comme mal barrés, donc.

Au fil des semaines, une certaine routine s'installe au sein du jeu. Nous sommes habitués aux autres, nous sommes habitués à leur façon de vivre et nous sommes également habitués à chaque lieux dans lequel nous posons les pieds. C'est ainsi et cela ne changera plus désormais. N'ayant plus grand chose à découvrir, je décidais de me rendre au cinéma pour passer une soirée tranquille comme je pourrais aisément le faire cher moi. J'avais enfilé une tenue confortable, préférant être à mon aise pour regarder un film. Il faut savoir que j'ai tendance à caler mes pieds sur mon sièges, et à me plier un peu n'importe comment d'ailleurs. Alors ce n'est pas une tenue moulante qui me convient dans ce genre de moment. J'entre dans la salle, sans même penser à prendre du pop corn, des bonbons où une boisson. J'suis un peu tête en l'air et j'oublie toujours ce genre de truc là. Faisant mon entrée dans la pièce, je jette un rapide coup d'oeil pour voir qui serait déjà là. C'est Malik que j'aperçois seul. Je lui adresse un large sourire, bien décidée à le rejoindre. Puis je remarquais le geste de celui-ci. Il me fallut un peu de temps pour saisir son message, mais je pense que j'avais capté le plus important : il ne pouvait pas parler tout comme Rumer la semaine où j'avais été collée à elle. Ce n'était donc pas le silence de l'égyptien qui allait me gêner ce soir, je m'y étais en quelque sorte acclimatée avec la nana aux cheveux roses. Un message apparut sur l'écran. Manque de bol, pas de film ce soir pour nous. Tant pis. Ce n'est pas ça qui va m'empêcher de passer un petit moment avec un Malik muet. Je m'avançait donc pour aller me laisser tomber dans le siège qui se trouvait à côté du sien. Pas besoin de demander si je dérange, je sais que non. Au final, la routine fait également que nous savons qui nous pouvons déranger et qui nous ne connaissons pas suffisament pour cela. « Tu n'as pas pensé à prendre du papier et un stylo n'est-ce pas ? » Parce que ça aurait pu nous sauver et nous permettre de communiquer un peu. Malgré tout. Le temps que mes paroles franchissent le bord de mes lèvres, je me rappelle que je possède un style. J'ouvre la poche de mon jogging pour sortir celui-ci. « Tu n'auras qu'à écrire sur mes bras. » Que je lui dis en relevant les manches de mon sweet.

J'allais donc devoir me passer de film ce soir. Mais ça n'avait rien de terrible, puisque Sïana venait de me rejoindre dans cette salle de cinéma. J'en déduisis alors que si la production ne diffuserait aucun film, cela ne l'empêcherait pas de rester à mes côtés, histoire de me tenir compagnie. Aussi, elle prit place sur le siège voisin, tandis que j'esquissai un sourire. Je n'avais que trop peu l'occasion de me retrouver avec Sïana, comme si nos chemins ne se croisaient que très rarement, et je trouvais cela fortement regrettable car elle était une jeune femme dont j'appréciais grandement la compagnie. D'ailleurs, nous n'en étions pas à notre premier 'échange', puisque nous avions déjà eu l'occasion de petit-déjeuner ensemble... enfin, avec Rumer, mais tous les deux quand même. Une expérience que j'étais prêt à réitérer quand elle le souhaiterait d'ailleurs. Je tentais de lui faire comprendre que cette semaine, j'étais muet, mais je crois qu'elle l'avait saisi par elle-même. « Tu n'as pas pensé à prendre du papier et un stylo n'est-ce pas ? » Ah, non, hélas... Je n'avais jamais ça sur moi en plus, et pourtant cela aurait résolu mon problème ! Cette semaine, la logique aurait voulu que je me déplace toujours avec une feuille de papier et un stylo, seulement je ne savais pas où trouver ça ici. Et bonjour pour en quémander auprès des autres candidats sans même émettre le moindre son. La production aurait quand même pu me donner une ardoise, j'sais pas moi. J'effectuai un mouvement de tête à la négative, grimaçant au passage, et c'est alors que Sïana sortit de l'une de ses poches un stylo. Mes yeux s'ouvrirent, mon regard s'illumina. Oh, nickel ! « Tu n'auras qu'à écrire sur mes bras. » À ses mots, la demoiselle retroussa ses manches. Hm, je n'étais quand même pas trop rassuré par le fait d'écrire sur sa peau - parait que ça peut donner des cancers sérieux... Néanmoins j'osais espérer que je faisais encore preuve d'un grand pessimisme et que rien de tel ne lui tomberait dessus. Je me saisis donc du stylo qu'elle me tendait, en retirai le capuchon et commençai à écrire sur son bras. Une fois que j'eus terminé, je la laissai lire ce qui s'y trouvait inscrit - j'avais pris soin d'écrire relativement petit et dans un coin, ainsi que de ne pas trop appuyer afin que cela puisse partir en un coup d'eau. Les mots que pouvait maintenant lire Sïana étaient les suivants :

"JE SUIS DÉSOLÉ POUR TON PARTENAIRE. IL N'AVAIT PAS LE DROIT DE VOUS ABANDONNER. MAIS MOI JE SUIS LÀ. TU PEUX COMPTER SUR MOI."

Le "vous" faisait bien entendu référence à Joshua et elle. C'était en quelque sorte ma façon à moi de lui faire savoir que si Sven avait déserté, nous autres étions là pour elle. Et que ses véritables amis ne la délaisseraient pas. Parce que oui, j'étais son ami. En tout cas je me considérais comme tel. L'occasion aussi de souligner le fait que je ne tolérais pas certaines choses... le départ de Sven, réellement inattendu à mes yeux, en faisant partie. Un départ qui, contrairement aux autres advenus le même soir, ne me touchait aucunement.

Je me retrouve dans ce cinéma et j'ai la chance de ne pas être la seule à avoir eu cette idée. Malik est déjà là, tranquillement assis, incroyablement silencieux. Faut dire qu'il a pas le choix le bonhomme, la parole lui a été interdite lors du dernier prime. En tout cas, c'est ce que j'ai cru comprendre avec les gestes qu'il m'a fait à mon arrivée. Tant pis, je suis prête à me montrer astucieuse pour passer un petit moment avec Malik. Surtout que très rapidement, notre petite idée de divertissement tombe à l'eau. Il n'y aura pas de films ce soir suite à des problèmes techniques qu'ils disent. A croire qu'on manque de chance. C'est rare pourtant que je vienne ici ... Et el seul soir où je me ramène, y a pas moyen que je matte un film. Bon, je ne vais pas râler pour autant. Je me dirige vers Malik, si il est d'accord, nous pouvons malgré tout passer un petit moment ensemble. D'ailleurs, j'ai une solution pour qu'il retrouve un peu la parole. Un stylo, mon bras. Pas besoin de faire de dessin pour comprendre qu'il peut écrire librement sur celui-ci, ça ne me gêne pas tant que cela. J'irai bien entendu tout faire partir sous l'eau une fois que nous aurions finis de converser. Mais sur le moment, ça me gêne pas du tout. Malik saisit le stylo et dépose la mine de celui-ci sur ma peau. Je vois bien qu'il s'applique pour que ça soit lisible. Puis il écrit petit. Mais je sais lire, malgré tout. "JE SUIS DÉSOLÉ POUR TON PARTENAIRE. IL N'AVAIT PAS LE DROIT DE VOUS ABANDONNER. MAIS MOI JE SUIS LÀ. TU COMPTER SUR MOI." Son message était très clair et je le comprenais. Moi aussi, je trouvais cela injuste de voir Sven m'abandonner de la sorte. Il m'avait quitté sans me donner la moindre raison ... Puis j'avais réfléchis et je m'étais rendu compte que c'était dans ses droits justement. Si ce jeu ne parvenait plus à le captiver comme il nous captivait pour la plupart, il n'y avait aucune raison pour qu'il se force à rester pas vrai ? Je ne lui en voulais plus tant que ça et son absence causait un certain manque mais je m'y habituais peu à peu. Je m'attardais un peu plus longtemps sur la fin de son message qui me fit réellement plaisir. Je dirais même qu'il me touchait droit au coeur. Je savais bien que le courant passait bien avec Malik, mais qu'il me le dise de cette façon, c'est très plaisant. Je lui souris. « Merci Malik» Que je prononce doucement tout en me penchant vers lui pour le prendre dans mes bras. Je le serre un instant contre moi. « ça me touche beaucoup » dis-je dans un murmure tandis que je dépose mes lèvres sur ses joues. Quelques secondes à peine. Je reprends ensuite ma place dans mon siège.

Il était question de faire savoir à Sïana qu'elle pouvait compter sur moi, que même si je n'étais certainement pas le candidat dont elle se trouvait la plus proche dans ce nid, je ne la laisserais pas tomber. En quelque sorte je lui apportais mon soutien. Parce que j'avais bien vu que le départ de son partenaire, il y a de ça deux semaines, l'avait profondément touchée et attristée. Elle tenait beaucoup à Sven, je me souviens que lors de notre premier échange, Sïana l'avait défendu lorsque j'avais souligné la tendance du jeune homme à se montrer cru, et parfois franchement vulgaire. Tous deux s'entendaient vraiment bien, alors je pouvais aisément comprendre qu'elle se soit sentie délaissée, abandonnée ou que sais-je encore. Maintenant Sven n'était plus là, mais elle pouvait compter sur nous autres, notamment Joshua qui, lui aussi, avait je crois eu du mal à accepter le départ de Sven. Aussi, histoire que l'on puisse communiquer tous les deux ce soir, et parce que nous allions de toute manière nous passer de film, Sïana me proposa d'écrire sur son bras. Je m'employais donc à lui faire part de mon ressenti, du fait qu'elle avait encore bon nombre d'alliés dans ce jeu. Et je crois que mon message venait de lui faire plaisir. « Merci Malik » fit-elle avant de ne me prendre dans ses bras. « ça me touche beaucoup » qu'elle poursuivit, tandis que j'eus droit l'instant d'après à un baiser sur la joue. J'esquissai un sourire. Il était plaisant de voir que cette "petite intention" l'avait émue. Je lui demandai ensuite, de par mon regard plongé dans le sien, la permission de me saisir à nouveau de son bras. Une fois celle-ci obtenue, je pris à nouveau en main le stylo et me remis à écrire. Une fois que j'eus terminé, je la laissai une nouvelle fois lire ce qui se trouvait inscrit sur son bras.

"TU CROIS QU'IL EST POSSIBLE QU'ILS REGRETTENT AUJOURD'HUI
LEUR DÉCISION ?"

Le "ils" ici désignait la huitaine de candidats qui avait décidé de quitter l'aventure ensemble et en une soirée. Pas besoin de les nommer, beaucoup avaient d'ors et déjà fait le choix de les oublier ici. J'aurais aimé le pouvoir, moi aussi, néanmoins j'avais perdu des amis, notamment une candidate avec qui j'avais fait le projet cet hiver de courir pieds nus sous la neige. J'aurais aimé passer à autre chose, depuis le temps, mais je parvenais encore difficilement à accepter ce qu'ils avaient fait. Aussi, il n'était peut-être pas nécessaire de continuer à parler d'eux, de leur offrir une sorte de publicité dont ils étaient susceptibles d'amplement se passer à l'heure actuelle... mais dites donc ça à mon petit cœur.