Couchée dans mon lit en espérant trouver le sommeil tôt aujourd'hui, je regardais lamentablement le plafond depuis au moins quarante bonnes minutes et c'est impressionnant comme le temps a tendance à ralentir par moment. Surtout le soir quand le sommeil refuse de m'emmener. Dans ces cas-là, je maudis le temps parce que mon cerveau se met à cogiter. Réfléchir trop pour pas grand chose. Je me pose des questions existentielles qui n'ont pas lieues d'être et je me trouve carrément pathétique. Finalement, je cède, je ne dormirai pas tout de suite puisque je ne suis pas le bienvenue au pays des songes. Je me relève, attrape un gilet qui traîne sur le côté de mon lit et l'enfile pour aller faire un tour. Ca me fera le plus grand bien et peut-être, que le grand air m'aidera dans cette quête du sommeil. J'ai bon espoir en tout cas. Je décide donc de me rendre vers l'un des seuls endroits qui est réellement bien éclairé, même la nuit. La fête foraine. Je marche un instant, et je ne prête même pas attention au froid. Certes, il ne s'agit pas d'un climat tropicale, mais je le vis plutôt bien. J'arrive finalement à destination et me demande ce que je suis bien venue foutre ici toute seule. Ce n'est pas drôle une fête foraine toute seule. Ne sachant pas vraiment quoi faire, je décide de me rendre vers les chaises volantes. C'était le manège préféré de mon frère, il voulait toujours que l'on commence par cela. Bien entendu, elles ne sont pas allumées, mais ça n'est pas bien grave. Je m'assieds dans l'une d'elle et me balance légèrement, tout doucement. Juste pour trouver ce mouvement de balancier,de bercement que j'ai toujours tant aimé. Finalement, je ferme les yeux. Je me sens beaucoup mieux que dans mon lit. Puis un regard se pose sur moi, je ne le vois pas, mais je le sens. Automatiquement, mes paupières qui étaient clauses, s'ouvrent sur la silhouette de Raphaël. Je serai presque gênée qu'il m'ai vu somnoler ici alors je lui souris. « Hé, je m'attendais pas à croiser quelqu'un ici. » Sous entendu à une heure pareille.


FT RAPHAEL

A cette heure-ci, Raphaël ne dormait pas. Cela n'avait rien d'inhabituel, car malgré ses tendances casanières et sédentaires, il trouvait rarement le sommeil à des heures très raisonnables et était bien souvent amené à se balader pour cueillir celui-ci. Alors cette nuit, comme beaucoup d'autres, le suisse entreprit de se balader quelques peu, d'abord dans l'auberge, puis à l'extérieur, faisant finalement le tour du village jusqu'à arriver au niveau de la fête foraine. C'était toujours très particulier pour Raphaël de s'y rendre. Le jeune homme, étant petit, n'avait jamais eu l'occasion de visiter ce genre d'endroits. Son enfance n'avait malheureusement pas été source d'amusement, et il avait passé davantage de temps près de cercueils et de veuves éplorées, qu'au sein de ce genre de lieux en compagnie d'enfants de son âge. Tout cela avait assurément fait de lui l'adulte nostalgique et solitaire qu'il était aujourd'hui. Et il avait toujours grandement souffert du fait de n'avoir jamais tellement eu d'enfance. On l'en avait plus ou moins privé, à ses yeux. Sa mère avait voulu qu'il grandisse trop vite, parce qu'il avait été le seul homme de la famille après l'abandon de son père, et qu'il avait fallu qu'on puisse très vite compter sur lui. Surtout que sa mère était tombée malade, notamment en dépression, et qu'il avait été nécessaire qu'il veille sur elle, ayant supporté ses répliques blessantes et ses coups bas pendant des années. Et à ce jour, tandis qu'il se tenait tout près de ce manège un peu particulier dont il ne savait rien, Raphaël se posait toujours cette même question : aurait-il été réellement différent s'il avait pu fréquenter, ne serait-ce qu'une unique fois, une fête foraine telle que celle-ci étant enfant ? Peut être que oui, peut être que non. Il ne pouvait rien en savoir. Personne ne pouvait rien en savoir. Et c'est justement au moment où il en vint à cette conclusion que son regard se posa sur une silhouette féminine, se balançant sur ce manège, comme si elle cherchait elle aussi un moyen de trouver le sommeil. Curieux, il resta planté là, à l'observer, s'imaginant bientôt qu'elle s'était endormie et qu'il lui faudrait la porter jusqu'à l'intérieur. Mais pour cela, il faudrait déjà l'identifier, pour la disposer dans la bonne chambre. Et là, justement, sa camarade sembla s'éveiller. Il s'agissait alors de Siana, beaucoup plus reconnaissable lorsque ses yeux bleus ressortaient malgré l'obscurité. Un petit sourire gagna alors les lèvres du suisse, qui haussa doucement les épaules. « Il en va de même pour moi » commenta-t-il, souriant, avant de regarder autour d'eux. Ils étaient seuls au sein de cette fête foraine. De quoi foutre un peu les jetons, honnêtement. « Tu permets que je m'assois près de toi ? » demanda-t-il finalement, un peu timidement, examinant le manège en question, dubitatif. « Enfin, s'il n'y a pas trop de risque à prendre place sur cet engin ... » Parce que doué comme il était, il aurait vite fait de se ramasser lamentablement. Remarquez, s'il s'assommait bien, il dormirait au moins.

Les balançoires font remonter à la surface beaucoup de choses. Les souvenirs, les images se bousculent dans ma tête tandis que je ferme les yeux. Les yeux de mon frère, son sourire lorsqu'il montait sur ce manège. Sa voix aussi. Son rire. La première fois que j'y suis allée moi aussi, il m'a soufflé à l'oreille que ça allait aller. Que ça n'était pas risqué et qu'il serait là quoi qu'il arrive. Il s'était assis et m'avait attrapé la main. A partir de ce moment, je n'avais plus douté de rien, je savais que tout se passerait bien puisqu'il était là. J'étais mélancolique et je ne pouvais rien faire contre cela. Je ne pleurerai pas, j'suis bien plus forte que cela. Je ne vais pas dégonfler juste parce que Tancrède me manque terriblement. Tancrède me manque depuis tellement longtemps et c'est le fait d'être habituée à ce manque qui me fait le plus de mal je pense. Lorsque j'ouvre les yeux, c'est la silhouette de Raphaël que je reconnais plutôt rapidement. Étonnant de le croiser ici à cette heure. Je pensais que tous les candidats étaient occupés à autre chose ce soir. Je m'étais donc trompée, tant mieux. J'ai pas encore eu l'occasion de prendre le temps de discuter avec le candidat. Je ne connais presque rien sur lui. Je ne le connais absolument pas et après tant de temps passés au sein du même jeu de télé-réalité, je trouve ça presque intolérable. Nous devons remédier à cela. « Il en va de même pour moi » Nous étions donc tout aussi étonné l'un que l'autre. Mes jambes étaient mises de façon à ce qu'elles ne touchaient pas le sol, laissant la balançoire allée d'avant en arrière au gré du vent, au gré de mes mouvements. « Tu permets que je m'assois près de toi ? » Je n'y voyais aucun inconvénient. Au contraire. Le voilà le moment qu'il nous fallait pour discuter calmement tous les deux. « Bien entendu, assieds-toi. » Un mouvement de la tête avait accompagné mes paroles tandis que je toisais la chaises qui se trouvait à côté de la mienne du regard « Enfin, s'il n'y a pas trop de risque à prendre place sur cet engin ... ». Il était mignon lui. J'avais l'impression d'être face à moi-même lorsque j'étais montée pour la première fois là-dessus. « Aucun danger, le manège est à l'arrêt. » Je le rassure comme je peux. Aucun risque à mes yeux. Ce ne sont que des balançoires à l'arrêt. Nous ne craignons rien ... A moins que la production nous fasse un sale coup et se décide à remettre le manège en route sans nous avertir à l'avance. « Tu n'as jamais été sur ce genre de manège ? » Lui demandais-je alors, plutôt étonnée. De mon côté, j'avais l'habitude de passer des journées en famille dans divers parcs d'attraction.

A une heure comme celle-ci, où bon nombre de candidats étaient assurément profondément endormis, il était possible d'en trouver deux au niveau de la fête foraine, visiblement peu désireux d'attendre patiemment dans leur lit que le sommeil vienne à eux, et pensant probablement qu'il serait plus aisé de partir eux même à la recherche de celui-ci. Pas sûr, cependant, que le marchant de sable se cache dans le coin. Mais soit, c'était un endroit plutôt joli et agréable pour passer un début de nuit, hm. Le genre d'endroits auxquels le suisse n'était évidemment pas habitué, lui qui avait passé davantage de temps au milieu de cadavres qu'en compagnie de jeunes enfants dans ce genre d'endroits que n'importe qui avait du régulièrement fréquenter durant son enfance. N'importe qui sauf lui, évidemment. Quoi qu'il en soit, il était pour le moins plaisant de rencontrer Sïana dans un tel endroit. Il connaissait très peu - voire quasiment pas du tout - cette demoiselle, et ne serait pas contre le fait de faire quelques peu connaissance avec elle cette nuit, ne serait-ce que pour qu'ils s'occupent en attendant de voir si le sommeil voulait bien venir à eux, puisqu'il supposa sans tarder que la jeune femme avait le même problème que lui, hm. Tous deux étaient alors assez surpris de se trouver ensemble dans un tel endroit et à une pareille heure, mais l'on pouvait dire que le hasard faisait plutôt bien les choses, dans la mesure où ils pourraient se tenir l'un et l'autre compagnie et ainsi aviser en attendant de voir ce qu'il adviendrait de leur impossibilité de dormir. Le jeune homme demanda alors à sa camarade si celle-ci voulait bien qu'il prenne place à ses cotés, ce qu'elle accepta rapidement, et ce à quoi le jeune homme répondit par un sourire affirmé. Pour autant, il avait subitement peur qu'une telle machine se mette subitement en marche et qu'il en vienne ainsi à regretter de s'être assis aux cotés de sa camarade. Il en faudrait bien peu pour le traumatiser, c'est certain. Mais aux paroles de sa camarade, il ne manqua pas d'être rassuré. Alors, timidement, et en souriant toujours quelques peu, il gagna la chaise voisine de celle de la jeune femme. Aucun danger ... Bien, il voulait volontiers la croire. Restait simplement à espérer qu'elle disait vrai. A la question de Sïana, Raphaël passa une main dans sa nuque. « Jamais, non. Pour tout te dire, je n'avais jamais fréquenté ce genre d'endroits avant d'arriver ici. Mais si j'avais du choisir, j'aurais de toute manière préféré le Carrousel, que j'ai eu l'occasion d'essayer depuis mon arrivée dans ce village, à ce genre de manèges à sensations fortes. Je ... je suis assez craintif de nature, et je me laisse trop facilement impressionner. » Il lui adressa un sourire, un peu gêné de lui dire tout ça. Mais au moins, elle avait eu une réponse à sa question. « Je présume qu'a contrario, tu es pour le moins habituée à ce genre de choses, non ? » demanda-t-il légitimement. Peut être avait-elle eu la chance de passer relativement beaucoup de temps dans ce genre de lieux, et donc sur ce genre de manèges. « Après tout, je dois être l'un des seuls à avoir été privés de fêtes foraines par le passé, et à avoir peur d'un malheureux manège à sensations. » Il fit alors preuve d'auto-dérision, préférant en rire aujourd'hui, lui qui avait trop souvent pleuré pour s'être toujours senti différent et rejeté.