W/ MALIK

J'aime bien me rendre ici, à la tombée de la nuit, accompagnée ou non. Les lumières douces mais éblouissantes, les mouvements des attractions - qui suivent toujours une trajectoire bien précises, les odeurs de sucrerie, il y a quelque chose dans tout ça qui me rassure et me console à la fois. Ça me laisse rêveuse. Je n'ai même pas besoin de monter sur les manèges. Rien que le fait de me trouver ici m'apaise, inexplicablement. Cela doit bien faire une demi-heure que je suis là. À gribouiller des esquisses un peu vagues sur mon sempiternel carnet de dessins. Carnet de dessins qui se reconvertit peu à peu en carnet à tout faire : je finis par y noter tout ce qui me passe par la tête, et ça va de mes commentaires hallucinés habituels à des idées un peu invraisemblables et irréalistes, en passant par des observations plus ou moins pertinentes mais toujours formulées de façon un peu alambiquée et enfantine à la fois. Un curieux mélange, oui. D'humeur distraite, je délaisse mon carnet pour aller me servir une barbe-à-papa. Sauf que je ne sais pas si c'est moi le problème, ou si c'est la machine qui déconne, mais elle me sort trois fois trop de cette matière cotonneuse et sucrée et je galère à l'arrêter et finalement je parviens tant bien que mal, un peu haletante, à ne rien gâcher en garnissant à mort mon bâtonnet et en en faisant de même avec un second, mais je me demande comment je vais réussir à avaler tout ça. Un brin anxieuse, j'embrasse les environs du regard, à la recherche d'une âme charitable ; c'est alors que mes yeux se posent sur une silhouette que je reconnais sans mal. Malik. Ma bouche s'ouvre en grand et je lui fais signe comme je peux, un peu encombrée. « Oh, salut Malik ! je lance en commençant à trottiner vers lui. Comment tu vas ? » Je tends alors un des bâtonnets surchargés de barbe à papa dans sa direction. « Je t'en ai préparé un, tu en veux ? » j'ajoute, les yeux plein d'espoir. Il me sauverait un peu la vie sur le coup – je détesterais avoir à jeter ça, et je serais capable de tout manger rien que pour ne pas avoir à en gâcher une miette. Néanmoins, je n'étais pas sûre que Malik raffole de ces sucreries-là. Après tout, il ne buvait pas d'alcool, alors qui sait jusqu'à où pouvait aller la liste des aliments qu'il refusait de consommer ? Dans l'attente, je reste là à lui sourire gentiment. Nous ne nous sommes pas trop parlé depuis mon gros déballage, mais de mon côté je reste fidèle à ce que j'ai déclaré à ce moment là : je nous considère toujours comme amis. D'autant plus qu'avec toutes les histoires entre Asmaa, Nicole et Malik, je commençais à y voir plus clair et à me faire une raison - et il m'était beaucoup plus facile de jeter aux oubliettes mes sentiments pour Malik en songeant que ma grande pineco, Nicole, avait elle de sérieux sentiments pour lui, et pas juste un vague ersatz puéril de béguin à son égard. J'étais d'ailleurs peut-être la seule à qui tout ces petits évènements rendaient service, finalement. Même si, évidemment, j'aurais préféré que tout se passe d'une autre manière, d'une manière qui aurait fait que personne n'aurait eu à en souffrir.

Je ne m'étais pas rendu dans cette fête foraine depuis un moment. La dernière fois j'avais parlé adolescence, vie de famille et progéniture avec Elliot. Des sujets qui n'étaient franchement plus d'actualité pour l'heure, me concernant. Mais cette fête foraine restait un endroit au sein duquel j'aimais vagabonder. Mais ma venue ici ce soir n'était pas fortuite à vrai dire... Non, quelques instants plus tôt tandis que je dévorais un Stephen King à la bibliothèque, j'avais été pris d'une terrible envie de barbe à papa. Je m'étais dit que peut-être je pourrais faire passer celle-ci en mangeant autre chose, plus à ma portée sur le moment, mais non rien à faire, il m'en fallait une, j'en avais l'eau à la bouche rien que d'y penser. Je délaissai donc mon bouquin, enfilai un gros manteau et me rendis à la dite fête foraine. Arrivant près du stand de barbes à papa, quelle ne fut pas ma surprise en tombant sur Dagga. Celle-ci semblait étrangement ravie de me voir, comme si ma venue était des plus attendues et mon arrivée des plus appréciées. « Oh, salut Malik ! Comment tu vas ? » Ah, cette éternelle question à laquelle il m'était toujours difficile de répondre. Surtout en ce moment. Avant je pouvais me contenter d'un vif "bah écoute ça va impec' !", maintenant c'était légèrement différent puisqu'il fallait prendre en compte les récents évènements auxquels je m'étais retrouvé confronté. Nicole, Asmaa, les départs de dimanche soir... Beaucoup de choses faisant que mon moral était au plus bas. Néanmoins j'avais décidé de ne pas me laisser abattre. Le sort n'aurait pas raison de moi. Pas totalement. « Je crois que ça va. » fis-je dans un haussement d'épaules. Compte tenu des circonstances. Bah, j'arborais certainement une petite mine mais vraiment, j'aurais pu aller plus mal. J'essayais de me dire que je prenais vraiment les choses trop à cœur, ce qui était dans ma nature par ailleurs. « Et toi, tu vas bien ? » repris-je, dans un sourire. Nous nous étions peu vus elle et moi dernièrement, et c'était bien dommage. Je gardais bien évidemment en mémoire ce qu'il y avait eu entre nous, la déclaration et les sentiments de Dagga à mon égard, puis les explications qui s'en étaient suivies. J'osais espérer qu'à l'heure d'aujourd'hui elle avait tourné la page. Vraiment c'était préférable, pour elle. C'est alors qu'elle me tendit un bâtonnet de barbe à papa. « Je t'en ai préparé un, tu en veux ? » J'ouvris de grands yeux pétillants. Han incroyable, elle avait lu dans mes pensées ou bien ? « Avec grand plaisir ! En fait je venais justement ici dans l'idée d'en manger une. J'en ai eu subitement envie, et nous savons toi et moi que c'est le genre d'envies contre lesquelles on ne peut lutter... » Pour sûr, semblable à une terrible envie de cornichons par exemple. Ou de chocolat pour d'autres. Chacun son truc. Je vins alors me saisir du bâtonnet en question, lâchant un rictus par la même occasion. Ma parole, cette barbe à papa était gi-gan-tesque, et celle de Dagga également. « C'était quoi le but, attirer l'attention du Guinness et détenir le record de la plus grosse barbe à papa du monde ? » demandais-je, amusé, reportant le regard sur la jolie rouquine. Franchement j'avais si faim que j'allais l’engloutir sans peine cette barbe à papa, seulement nous nous exposions à un risque certain : celui d'avoir les doigts tous collants d'ici quelques minutes. Et encore, moi ça va je ne me plaignais pas ! Dagga, avec sa chevelure longue et frisée, allait avoir un mal fou à retirer la barbe qui allait - inévitablement - venir se nicher dans ses cheveux d'un instant à l'autre. Parce que oui, ce genre de choses adoraient venir se fourrer dans les cheveux des demoiselles. Et vu la quantité de barbe, je nous voyais déjà bien galérer pour en attaquer la dégustation.

Mon regard atterrit avec douceur sur son visage ; il a une petite mine déconfite, mais avec tout ce qui vient de se passer, j'estime que c'est normal et qu'il aurait été étonnant qu'il soit d'humeur guillerette. Pourtant, il m'affirme que ça va, en nuançant toutefois son propos. J'esquisse un petit sourire compatissant. Je trouve ça chouette, qu'il se laisse pas abattre – alors que j'avais bien noté que le départ de Dani le touchait beaucoup, tout comme ces histoires avec Asmaa et Nicole. Il est pas défaitiste, il essaye de positiver – c'est une attitude que j'aime beaucoup, et que j'essaye d'adopter le plus souvent possible. Il me retourne la question, ce qui me surprend un peu dans un premier temps, et puis je me rappelle que c'est dans la suite logique des choses. « Oh, ça va je crois… Je me sens un peu perdue, j'imagine, mais je me suis habituée à cette sensation, et ça me semble plus trop dérangeant à présent. » je bredouille, un peu confuse et un peu vague, sans doute. Une réponse qui en valait une autre – ou pas. Je m'étais portée candidate pour Fake Lover en songeant qu'une expérience pareille m'apprendrait énormément sur la vie, et m'aiderait à rattraper mon retard en matière de rapports humains, mais cela n'avait pas du tout eu l'effet escompté. À ma sortie de l'émission, je serai probablement plus troublée par toutes ces choses-là que lorsque j'avais intégré le nid. C'était bien la peine. Je hausse les épaules avec insouciance, comme si tout ceci n'était pas bien grave, au fond. Je lui tends ensuite une barbe-à-papa, croisant mentalement les doigts pour qu'il l'accepte – prions pour qu'il ne soit pas au régime ou que sais-je. « Oh bah ça alors, ça tombe sacrément bien ! Moi je suis venue pour les manèges, mais le stand de barbe à papa me faisait sérieusement de l'œil, et comme tu le soulignes si bien, toute résistance était inutile. » je conclus avec un petit sourire. Ma main gauche libérée, j'en profite pour lui trouver un nouvel usage en cherchant à compacter un peu plus mon immense barbe-à-papa – mais je parviens surtout à me coller du sucre un peu partout sur les paumes. Tant pis. Résignée, j'arrache un petit bout tout sucré et le porte à mes lèvres en écoutant attentivement Malik. Mes yeux s'illuminent soudainement. « Tu crois que ça serait possible ? » je m'exclame ; il s'agissait tout à fait du genre d'idées susceptibles de me plaire. Je secoue ensuite doucement la tête en signe de dénégation. « Hum, non, en fait j'ai juste un peu craqué mon slip au niveau du dosage. Je crois que j'ai pas tout assimilé correctement le mécanisme de la machine à barbe-à-papa. D'ordinaire, je ne m'approcherai pas d'un truc pareil avant d'avoir lu trois fois le manuel d'utilisation. » je confie, on-ne-peut-plus sérieuse. J'étais très à cheval là-dessus. J'étais peut-être la seule d'ailleurs – qui d'autre, dans ce monde, prenaient réellement connaissance du mode d'emploi avant d'essayer de faire fonctionner quoi que ce soit ? Gourmande, j'arrache un nouveau bout de barbe-à-papa en priant pour que le vent ne choisisse pas ce moment-ci pour se lever.

Quel individu, ayant préservé une âme d'enfant comme c'était mon cas, n'aurait pas fait régulièrement un tour dans une fête foraine qui se voulait à sa portée, avec friandises à gogo et manèges en tous genres ? J'aimais passer du temps dans l'enceinte de la fête foraine installée par la production non loin du nid. Et m'y rendre ce soir me rappelait quelques souvenirs puisque jadis, j'y mangeai des barbes à papa avec Tris, ou évoquait mon adolescence bien tumultueuse avec Elliott. La première était partie, il y a pas mal de temps maintenant, seulement c'était toujours des moments que j'aimais me remémorer. Je n'oubliais pas les candidats sortis, même au tout début de l'aventure. Nous formions tous un joyeux petit groupe et chaque candidat en ayant fait parti restait gravé dans ma mémoire - et c'était aussi valable pour ceux à qui je n'avais quasiment jamais parlé. J'aurais aimé qu'il en soit autrement mais certains ne m'avaient même pas laissé le temps, ou donné l'occasion d'apprendre à les connaitre. Je le regrettais beaucoup. Je pensais me trouver seul dans cette fête foraine ce soir, au vu du froid et de l'heure qu'il était, mais c'était sans compter sur la présence de Dagga, postée près du stand de barbes-à-papa. Tout d'abord, la jolie rouquine vint s'enquérir de mon état. L'occasion pour moi de lui signifier que j'allais bien. Bien sûr j'avais quelque peu le moral dans les chaussettes dernièrement seulement ce soir, j'étais bien décidé à positiver. Le lieu au sein duquel je me trouvais ne me permettait pas de me morfondre, et je ne souhaitais pas non plus offrir un spectacle des plus regrettables et pathétiques à Dagga. Mais assez parler de moi, il m'importait de savoir comment elle, se portait. « Oh, ça va je crois… Je me sens un peu perdue, j'imagine, mais je me suis habituée à cette sensation, et ça me semble plus trop dérangeant à présent. » Une réponse bien évasive qui m'intriguait assez, je dois dire. Elle disait se sentir perdue, mais à quel sujet ? Oh... non, tout de même pas. Quoi que... Non, il fallait définitivement que je cesse de tout rapporter à moi. Peut-être n'y avait-il aucun rapport avec son petit béguin passager pour ma personne. Il était peut-être question d'autre chose... ou... de quelqu'un d'autre. « Si tu veux en parler, hein, je... » ... bah j'étais là pour elle quoi, à l'écoute si besoin. Bien que connaissant Dagga, soit elle accepterait d'en parler et s'étendrait sur le sujet, soit elle n'en dirait rien de plus. C'était à elle de voir si elle avait suffisamment confiance en moi pour me faire part de ce qui lui donnait la sensation d'être perdue. Suite à quoi Dagga me tendit une barbe-à-papa absolument gigantesque, en gardant une autre pour elle tout aussi grosse. Et elle ne pouvait pas mieux tomber puisque justement, l'envie d'engloutir une délicieuse barbe-à-papa s'était fortement faite ressentir tout à l'heure, ayant ainsi motivé ma venue en ce lieu. « Oh bah ça alors, ça tombe sacrément bien ! Moi je suis venue pour les manèges, mais le stand de barbe à papa me faisait sérieusement de l'œil, et comme tu le soulignes si bien, toute résistance était inutile. » Absolument, cela ne servait à rien de lutter, la tentation était trop forte et le mieux, dans ces cas-là, était encore d'y céder à mon sens. Les manèges, dites voir, je n'en avais essayé que très peu depuis mon arrivée. En fait, je crois que je ne m'étais essayé qu'au carrousel, avec Nicole, et cela remontait à pas mal de semaines maintenant. J'avais beau être un grand enfant, entre les manèges et les barbes à papa, moi, j'avais fait mon choix. Je rendis son grand sourire à Dagga, avant de n'attaquer ma barbe-à-papa, non sans difficulté. La vache, ces trucs, c'était bourré de sucres et donc, bonjour les doigts collants ensuite. « Argh, je suis en train de m'en mettre partout. » fis-je tout en grimaçant. Partout, vraiment partout quoi. Je sentais poindre le lavage de cheveux express en regagnant le nid tout à l'heure. Sans parler de mon écharpe... le sucre dans les fibres de celle-ci, c'était juste fatal. Je ne pouvais néanmoins m'empêcher de taquiner Dagga sur la taille des barbes-à-papa qu'elle venait de confectionner. Les plus grosses que je n'avais jusque là jamais vues. Il fallait croire qu'elle souhaitait affoler le Guinness et nous décrocher un petit record. « Tu crois que ça serait possible ? » J’arquai un sourcil. Au vu de mes convictions et de tout ce qui pour moi était possible et ne l'était pas aux yeux d'autrui, la réponse semblait toute trouvée. « Voyons, rien n'est impossible. » Okay, réplique aussi pourrie que ma répartie là. Et c'était d'un cliché... Dagga poursuivit. « Hum, non, en fait j'ai juste un peu craqué mon slip au niveau du dosage. Je crois que j'ai pas tout assimilé correctement le mécanisme de la machine à barbe-à-papa. D'ordinaire, je ne m'approcherai pas d'un truc pareil avant d'avoir lu trois fois le manuel d'utilisation. » J'esquissais un sourire amusé. Pour ma part, je ne lisais jamais les notices fournies avec les biens que je venais à acquérir, que ce soit une chaise ikea ou un jouet kinder surprise. « J'ai essayé cette machine une fois, et j'ai obtenu l'effet inverse : rien ne tenait sur le bâton, et pourtant j'avais préalablement demandé conseil avant de l'utiliser. En fait de nous deux, t'es carrément celle qui s'en sort le mieux. » Parce que hein, mine de rien, ses barbes à papa à elle ressemblaient quand même à quelque chose. Bien qu'elles demeuraient excessivement garnies, je vous l'accorde. « Et puis je ne vois que le bon côté des choses : ça nous en fera plus ! Avec tout ça, on a pas fini de se régaler. » C'est dans de tels moments que j'en venais à me réjouir d'être en hiver. Car en été, tout aurait coulé, ou plutôt perlé sur nos doigts, ça aurait juste été atroce. Bon là, je luttais quand même contre la terrible envie de venir essuyer mes mains sur mon manteau, mais j'allais éviter, des fois que ça ne parte pas au lavage.

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