W/ CANDACE

J'ai allumé le jukebox, parce que je me connaissais, et je savais que je trouverais le silence rapidement pesant. Et puis, je ne sais pas combien de temps je vais passer là. Pour commencer, j'aimerais retrouver la recette du cocktail que Jared m'a préparé la semaine dernière. D'après ses dires, ça n'avait pas eu l'air d'être compliqué. Mais pour une novice comme moi, qui n'avais pas prêté une grande attention à ses gestes sur le moment, ça se corsait pas mal. Il avait parlé d'un truc avec du citron ? Limonade ? Gin ou vodka ? C'était le flou total dans mon esprit. Alors, je sors plusieurs verres, et entreprend d'improviser un petit peu. Au fond, j'avais toujours été incapable de m'en tenir à une recette, de toute façon - il fallait toujours que je fasse ma petite tambouille personnelle. Et j'y prenais systématiquement un plaisir fou ; la preuve, je me prenais déjà au jeu. J'avais sorti toutes les bouteilles que j'avais trouvées, et plusieurs mélanges un peu hasardeux avaient déjà pris place dans différents verres. Je les gouttais au fur et à mesure, ne prenant aucune note ou quoi que ce soit, parce que c'était pas mon genre de faire les choses de façon organisée et intelligente, et je me contentais de profiter, ou de souffrir plus ou moins en silence – pastis et liqueur de fraise ne font pas bon ménage, je venais de l'apprendre à mes dépends.

Je viens de me rendre compte que, la plupart du temps je rentre dans le bistrot puisque de la musique m'y a attiré. C'est assez drôle quand on y pense, j'y vais rarement pour autre chose que pour la musique. Elle est désuet, rarement à mon goût mais c'est la fascination, oui parce que je suis fasciné que de la musique d'une autre époque réussisse à plaire à un bon nombre de candidats. Quoi que les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Aujourd'hui encore, si j'ai poussé la porte du bistrot c'est parce que des notes de musiques m'ont comme happé jusqu'ici. Je n'ai aucun rapport avec la musique, aucun lien particulier, la mélodie me plait puisque bruyante, le silence a tendance à me lasser. Lorsque j'entre, je découvre Dagga, elle est assise au bar et semble avoir vidé le bar de ses bouteilles qu'elle a étalé sur le comptoir. Devant elle, des verres certains vides, beaucoup sont pleins, ils sont colorés pour la plupart. Intriguée, je m'approche d'elle. Une question me brûle les lèvres, mais elle ne concerne pas tout cet étalage, ce que j'ai en tête est bien différent, ça ne me regarde pas vraiment d'ailleurs. Mais je suis curieuse, j'ai toujours été curieuse. « Est-ce que tu es aveugle ou il ne t'intéresse tout simplement pas ? » Bon, tant pis, ça c'est fait, ce n'est donc plus à faire. Je ne suis pas particulièrement explicite, et d'ailleurs si elle ne voit pas où je veux en venir, je classerais le sujet à tout jamais. Je pose mon regard sur ces verres. C'est bizarre tout ces trucs là. « Tu fais quoi ? » Oui, on voit le sens de mes priorités n'est-ce pas ? Les indiscrétions d'abord, le reste ensuite.

Concentrée sur mes décoctions particulières, je ne manque pourtant pas de lever la tête quand Candace entre dans la pièce, me désintéressant momentanément de mes breuvages en tous genres pour suivre la femme fatale du regard tandis qu'elle s'approche du comptoir où je me suis installée. Elle me pose une question, toute simple, mais qui requiert un certain temps d'analyse de mon côté. Mon premier réflexe est de croire qu'il y a un dougnut quelque part et que je ne l'ai pas vu – et que c'est la manière qu'a trouvé Candace de me demander si elle peut le manger. Mais, à bien y réfléchir, je crois qu'il s'agit d'autre chose. Car j'ai tourné la tête à droite et à gauche et je n'ai trouvé aucun doughnut dans les parages. Mon instinct me souffle qu'elle veut me parler de quelqu'un de bien précis. Seulement j'ai zéro empathie, j'en ai bien conscience, et en l'occurrence je sens que cette simple question de la part de la jeune femme suggère que pas mal de choses m'ont échappé. « Je suis aveugle, je crois. » je lâche finalement avec un petit soupir, en continuant de réfléchir à toute allure. Je procède par élimination. Le pronom personnel employé m'indique qu'elle pensait à un individu de sexe masculin – au moins, mon absence d'empathie et de clairvoyance est compensé par mes aptitudes à raisonner méthodologiquement. Il n'y a plus beaucoup de candidats masculins en lice, et elle ne doit pas parler de Arès, ou Malik, ou Lulu et Raphaël, ou Joshua – qui étaient tous épris de personnes plus ou moins ciblées. Il nous reste également Callan et William, et, si je m'attendais à tout de la part de Candace, il m'apparaissait néanmoins clair, à présent, qu'elle ne pouvait parler que de William. Et cela me semble d'autant plus évident quand je me prends à repenser à ce qu'il m'a confié, l'autre nuit. « Tu parles de William, c'est bien cela ? » j'ajoute, après deux ou trois secondes de blanc. J'étais assez fière d'avoir trouvé toute seule – et ma fierté n'était que vaguement amoindrie par le fait qu'il s'agissait d'une déduction assez facile. Et au final, je réalise que je ne réponds pas vraiment à sa question, question hautement pertinente, au demeurant. Je hausse les épaules. « Je n'ai jamais été très douée pour deviner les sentiments des autres. Je le suis encore moins quand il s'agit des miens. » Et c'était peu de le dire. Au début de l'aventure, il m'avait fallu plus de temps pour réaliser que j'avais le béguin pour Malik que pour me débarrasser dudit béguin en question. J'avais parfois l'impression de ne pas être faite pour ces choses-là. Mon regard, que je plante sur Candace, se fait soudainement malicieux. « Et toi, il t'intéresse ? » Si elle pouvait se permettre d'être indiscrète, je devais y avoir droit moi aussi. Je voulais comprendre un peu mieux le lien Callan/Candace/William. Comme toujours, j'étais bien plus intéressée par l'idée d'axer la conversation sur quelque chose qui ne me concernait pas directement. Tout en parlant, je continue mes mélanges, au sujet desquels Candace finit par m'interroger. « Hum, ce sont des tentatives de cocktail… ? » Mon ton prend une tournure interrogative, parce que clairement je maîtrise pas trop mon truc.

Je suis une fine observatrice, je le conçois, mais je n'arrive pas à croire être la seule à avoir vu que William en pinçait clairement pour la jolie rousse. Il me l'a plus ou moins confirmé lors du prime, néanmoins, c'est tellement évidemment que si elle ne l'a pas vue, elle doit être totalement aveugle. D'où ma question, mais après tout peut être qu'elle ne le voit pas de cette manière, peut être que leur relation n'a pas évolué de la même manière autant dire que ça ne me concerne pas. Elle me dit être aveugle, donc j'avais bien raison, elle n'avait pas remarqué. A-t-elle seulement conscience que je parle du musicien, rien n'est moins sûr lorsque je la vois regarder de part et d'autre du comptoir. Je fronce les sourcils, bon, est-ce que je remue le couteau dans la plaie ou dois-je me faire une raison que tout ceci ne me concerne en rien ? Mais finalement, c'est elle qui se décide à me poser une question, la réponse me semble assez évidente. « Oui, bien évidemment. » Qui d'autre, pas de Callan en tout cas, lui, il est à moi. J'ai tendance à croire que certains s'imagine que c'est également le cas de William, peut être que c'est pour cette raison que je m'intéresse aux sentiments que Dagga pourrait éprouver pour lui. Ou peut être pas. Qui sait. Elle me répond plus ou moins et je pense que je vais m'en contenter. « Quand tu es attiré par quelqu'un, quand tu ressens des choses pour lui, crois moi, tu le sais. » C'est mon ressenti, ce que j'ai aussi pu voir à force de côtoyer les gens. Je ne sous-entends rien, je ne tire pas de conclusions, je dis simplement ce que je pense. Elle me retourne la question. Qu'est-ce que je disais. Je soupire. « Je suis mariée. » Qu'il me plaise ou non ce n'est pas la question puisque je suis mariée à Callan. Alors finalement, ça n'a pas d'importance. J'agite mon alliance juste pour rappeler que cette bague n'est pas là simplement pour la décoration. Puis mon regard se pose sur ces verres alignés, je l'interroge et sa réponse me fait particulièrement sourire. Elle n'a pas tellement l'air sûre d'elle alors je me dévoue et attrape le première verre qui me tombe sous la main, je le vide d'une traite. Merde, c'est dégueulasse, je secoue la tête en grimaçant. « Infecte, infecte ! A jeter. » Je joins les gestes à la parole puisque je lance le verre qui s'éclate derrière moi. C'est tellement amère que j'en attrape un autre. Plus sucré. Je souris. « Celui là, il est buvable. » Je m'improvise testeur, les mélanges ne me dérangent pas le moins du monde.