Il était certes un peu tôt pour passer à table, mais Mado avait toujours eu l'étrange habitude de ne rien faire comme tout le monde. Plus par esprit de contradiction qu'autre chose, il est vrai. Disons qu'elle était simplement désireuse de faire les choses à son rythme, quand elle le souhaitait, et en ne se basant sur aucun horaire précis. Par exemple, elle avait présentement envie d'une bonne plâtrée de nouilles et n'allait certainement pas attendre les coups de vingt-heures pour y goûter. Alors la française avait pris la direction de la cuisine, bien décidée à cuisiner, ce qui lui éviterait d'ailleurs de se retrouver ici en même temps que la plupart de ses camarades. Mais une mauvaise surprise l'attendait : plus de nouilles. Genre, plus de nouilles dans les placards ou près des plans de travail. Plus de nouilles du tout ? Non, pas nécessairement. Car elle n'en oubliait pas pour autant le cellier, où il était plus que probable que soient entreposés quelques paquets de pâtes, et où elle pourrait alors tout à fait - du moins logiquement - trouver son bonheur. La jeune femme pénétra alors dans la petite pièce, sans tout de suite noter la présence de l'un de ses camarades. Ce n'est finalement que lorsque celui-ci prit la parole qu'elle ne manqua pas de sursauter et de poser un regard intrigué sur ce qui lui semblait être un grand rouquin, peut être un peu snob sur les bords. Alors comme ça, il trouvait le moyen de critiquer le vin mis à la disposition des candidats ? Il venait d’aiguiser la curiosité de Mado, c'était certain. Alors la jeune femme fit quelques pas jusqu'à lui et se posa devant son camarade. « Tu permets ? » Question plus rhétorique qu'autre chose, puisqu'elle n'attendit pas une réponse de sa part pour lui prendre son verre des mains et le porter à sa bouche. Elle goûta alors le vin en question et, étrangement, ne le trouva pas aussi mauvais qu'elle l'avait pensé à attendre le commentaire du grand roux. Clairement, un truc clochait, et ça ne venait pas nécessairement du vin. « Ça ne vaut pas le coup de s'en relever la nuit, mais ce vin a bon goût » commenta-t-elle alors, suffisamment distraite pour en reprendre une gorgée, avant de rendre son verre à son camarade. Fixant celui-ci avec suspicion, elle hésita à reprendre la parole. « Mais toi, tu pues le pognon à cent mètres, alors je me vois obligée de tirer une conclusion, peut être un peu hâtive, mais qui me parait présentement plutôt juste : le fric rend difficile, et possiblement con aussi. » L'insulter n'avait jamais été prévu au programme, mais ça allait disons dans le sens de son raisonnement. Oh et puis, il était roux, il en avait vu d'autres, non ? « Moi, c'est Mado. Et je doute que l'un de nos camarades te fournisse l'adresse d'un grand sommelier via son blog, mais ça ne coûte effectivement rien de s'en assurer. » Là, elle tentait sans doute de détendre un tantinet l'atmosphère, des fois qu'elle aurait pu le vexer, ce qui n'avait étrangement jamais été dans ses intentions.

Certes, Mado ne s'y connaissait pas en vin, même pas du tout. Mais elle s'y connaissait en mecs chiants et difficiles à contenter, ça c'était certain. Et ce mec là lui semblait un peu trop regardant au niveau de ce qu'il pouvait boire, un peu comme s'il se considérait supérieur à ce qu'on mettait à sa disposition. Probablement qu'on pourrait lui servir le meilleur vin du monde mais que ça ne le contenterait pas pour autant. Un vrai chieur, en somme. Mado, en tout cas, s'était permise de goûter ledit vin, préférant se faire une idée de ce que son camarade décriait de la sorte, histoire d'être apte à en juger elle aussi. Et ses papilles avaient beau ne pas être expertes en ce genre de dégustation, elles n'en étaient pas moins disposées à considérer que ce vin-là, sans être une grande bouteille, n'était pas détestable pour autant. Donc, clairement, puisqu'elle était capable de s'en satisfaire et qu'elle pariait cher sur le fait que beaucoup seraient dans le même cas, Mado partait désormais du principe que le seul soucis qu'il y avait là était que son camarade devait être un peu trop habitué aux vins de grandes tables, aux restaurants quatre étoiles et à tout le bordel qu'elle associait mentalement à la haute société. Donc oui, il puait le fric, mais surtout le snob, et sans aller jusqu'à dire que cela la dérangeait, disons qu'elle trouvait dommage que les personnes des classes supérieures se sentent ainsi obligées de se montrer aussi difficiles. Ce mec, il n'avait probablement pas bu du Richebourg toute sa vie, alors qu'il ne fasse pas la fine bouche, hm. « Je préfère en juger par moi-même, si ça ne te dérange pas » commenta-t-elle, lorsqu'il insinua que l'argent n'avait fait de lui qu'un difficile, et pas un con. Au fond, elle voulait bien le croire, mais il valait sans doute mieux qu'elle s'en fasse sa propre opinion. Il disait maintenant savoir qui elle était, et sa précision ne manqua pas d'amuser la française. « J'ai toujours su que le fait de ne pas chercher à jouer un rôle, à apparaitre sous les traits de quelqu'un de plus sympathique que ce que je suis réellement, me vaudrait ce genre de réputation. Si c'est quelque chose que j'ai tendance à déplorer, c'est aussi ce qui me rend fière de ce que je suis. Je préfère rester moi-même et déplaire, qu'être aussi fausse que certains dans le simple but de gagner l'affection des plus naïfs. » Sans dire qu'elle n'avait pas quelques noms en tête, Mado se fiait surtout à ce qu'elle avait pu voir des saisons précédentes. Des comportements aberrants et d'une faussement sans égal, bien souvent. « Toi, tu dois être Nadan. Je suppose qu'il n'y a pas deux rouquins, donc qu'il y a peu de risque que je me trompe. » Il était plus blond vénitien qu'autre chose sous cet éclairage, mais il n'en était pas moins vrai qu'elle avait retenu son nom en se fiant à ses cheveux. Mnémotechnique.

Difficile, surement. Con, elle n'en savait encore rien et tâcherait de s'en faire une opinion à la suite de cette entrevue. Après tout, et contrairement à ce que beaucoup devaient penser, Mado était tout à fait disposée à laisser sa chance aux gens et à faire en sorte de véritablement les connaitre avant de s'en faire une véritable opinion. Ce mec là la laissait pour le moment perplexe. Il lui apparaissait comme un mec friqué et un peu trop difficile à contenter à son goût. Pour autant, peut être avait-il bon nombre de qualités qui faisaient de lui quelqu'un gagnant en fait à être connu, alors elle tâcherait de ne pas prêter autant d'importance que cela à ce détail, somme toute plutôt insignifiant au final. Difficile, tout de même, pour quelqu'un qui avait tendance à faire toutes sortes de fixettes, mais faisable si elle y mettait une réelle bonne volonté. En tout cas, il semblait bel et bien se nommer Nadan, puisqu'il ne prit pas la peine de lui donner tort. Comme quoi, aussi douteuse soit la manière dont elle s'était arrangée pour retenir son nom, celle-ci s'était révélée plutôt efficace, hm. Son camarade l'intéressa en tout cas grandement lorsqu'il laissa entendre que beaucoup d'autres habitants auraient mérité la distinction reçue par Mado lors du prime, celle faisant référence à la mauvaise impression qu'elle avait fait aux candidats et aux téléspectateurs. Et honnêtement, Mado était on ne peut plus disposée à lui donner raison, étant donné qu'elle avait elle même fait la connaissance de quelques cas qu'elle jugeait critiques. « Ah, toi aussi tu te sens assez mal à l'aise au milieu de tous ces gus ridiculement excessifs ? Parce qu'entre ceux qui braillent, ceux qui chialent, ceux qui ne sont pas loin d'être déjà amoureux et ceux qui étalent leur pseudo-science sur les blogs en passant plus pour des abrutis mégalo qu'autre chose, ouais, je crois qu'on peut dire qu'il y a pire que d'avoir un sale caractère. » Autrement dit, aussi disposée soit-elle à assumer son titre, elle ne pouvait s'empêcher de déplorer quelques erreurs de casting. Quelques étant, naturellement, un doux euphémisme.

Mado était presque émue de converser avec quelqu'un qui semblait disposé à reconnaitre qu'il y avait franchement quelques erreurs de casting. Parce que bon, c'était presque Bisounoursland ce bordel, et clairement, Mado ne s'était pas attendue à trouver qui que ce soit de disposé à la rejoindre sur ce genre de pensées. Pourtant, Nadan avait laissé entendre que, selon lui, bien des candidats auraient pu mériter la distinction reçue par la jeune femme dimanche soir. Et naturellement, celle-ci n'avait pu s'empêcher de rebondir sur de pareils propos, saisissant cette occasion inespérée pour décrier la plupart des énergumènes dont ils étaient hélas entourés. Et pour le coup, il est vrai qu'il y avait du monde à moquer : ceux qui étaient assurément venus ici pour se caser - chose que Mado ne comprenait décidément pas - mais aussi tous ces excessifs qui trouvaient le moyen de brailler à tout va - genre la blonde, à l'annonce des nominations de la première semaine - ou qu'elle savait susceptibles de chialer à la moindre occasion ... Mais il est vrai, et tous deux semblaient également s'entendre sur ce point là, que les pires restaient ceux qui pensaient détenir la science infuse et ne se privaient pas de le crier sur tous les toits, ou en tout cas sur tous les blogs. Des noms ? Oh, elle en avait bien un ou deux en tête, notamment. Et bizarrement, en un regard, Mado était à même de supposer que Nadan pensait aux mêmes individus qu'elle. Et, dans un sens, cela la rassurait. Parce qu'elle avait cru constater que, mine de rien, ce genre de gus étaient forts appréciés par ici. Incompréhensible, à ses yeux. Car Mado aimait le naturel, l'humilité, et certainement pas la vantardise. Surtout que bon, à agir de la sorte, ce genre de personnes passaient généralement pour des imbéciles, qu'on se le dise. Paradoxalement, mais plutôt logiquement dans un sens, elles se ridiculisaient en se prenant pour des références culturelles infaillibles. Ouais, bah c'était surtout de grosses blagues hein. « Ravie de constater que je ne suis pas la seule à être exaspérée par ces spécimens » confessa-t-elle alors, en un sourire partiellement amusé. Oh oui, elle préférait finalement rire de ce genre d'attitudes plutôt que d'en pleurer, c'est certain. Et lorsque Nadan laissa entendre que la Production n'avait pas manqué de caster suffisamment de pédants du genre pour que l'on frôle l'overdose, la française ne put qu'cquiescer. « J'avoue que tout ça m'échappe. Que l'on caste des charmeuses et des mecs à embrouilles pour faire de l'audience, okay, je peux le comprendre. Mais que l'on sélectionne autant de cérébraux suffisants et juste bon à se la péter, hm, je ne comprends pas trop l'idée ... Est-ce que c'est sensé plaire ? » Ah non mais elle ne jugeait personne, hein, soyons clairs. Elle se posait simplement des questions, voilà tout. Parce qu'elle aimait comprendre et que pour le coup, elle ne comprenait pas. Son camarade lui tendit alors un verre de vin, geste auquel elle répondit par un fin sourire. Un divertissement ? Au fond, peut être que c'en était un, en effet. Et donc que l'idée était là : permettre au public et à la plupart des candidats de railler ces individus. Oui, sans nul doute, Nadan venait d'éclairer sa lanterne là. « Ils devraient monter un spectacle, ça reviendrait au même » suggéra-t-elle, décidément mauvaise et critique. Au final, peut être bien qu'à l'instar de l'argent, et aussi paradoxal cela puisse-il être, le savoir rendait con lui aussi.

Bon attendez, si tous ces pseudo-intellectuels manquant d'humilité avaient été castés, c'est qu'il devait bien y avoir une raison à cela. Est-ce que la Production avait tout misé sur un étonnant "choc des cultures" ? Est-ce que c'était censé être innovant ? Ou bien est-ce qu'ils n'étaient tous que des comédiens, ce qui en soi soulagerait la jeune femme ? Elle était un peu perdue, en fait. Perplexe, disons. Parce qu'elle ne comprenait pas toujours les décisions de la Production. Comme elle n'avait pas compris pourquoi on l'avait foutue avec Bob - qui était assurément la personne avec qui une entente était tout bonnement la moins possible ici - la française ne parvenait pas à saisir les critères de sélection, pourquoi certains candidats - a priori peu aptes à faire l'audience du programme - avaient été castés, et en plusieurs exemplaires en plus. Non, vraiment, tout cela lui échappait. Nadan, lui, laissa entendre que ça pouvait en soi plaire à certaines personnes. Oui, il était sûr que les personnes les moins difficiles à satisfaire se contenteraient de ce qu'on leur servait là. Et puis, l'on disait bien que tous les goûts étaient dans la nature, qu'ils ne se discutaient pas, et tant d'autres choses à ce sujet. Hochant simplement la tête à sa réponse, elle l'écouta plus attentivement encore lorsqu'il développa, qu'il se mit à supposer que ces individus devaient tout de même cacher leur jeu, ou une partie du moins, ce qu'elle était à même de supposer également, du moins en partie. Parce qu'effectivement, et comme il le disait très justement, il en allait là de la logique, de leur logique en fait, celle qu'ils prétendaient tant détenir. « De toute manière, il faut la jouer stratège pour perdurer. Et ça, des gars aussi brillants qu'eux ont du le saisir » Okay, elle avait un tantinet ironisé la fin de sa phrase. Parce qu'autant elle était effectivement persuadée que les stratégies permettaient aux meilleurs d'aller loin, autant elle se permettait tout de même de douter du degré de malice de certains de ses camarades. Surtout de ceux qui se croyaient, justement, les plus malins. Son camarade se leva alors, lui posant une question qui la fit sourciller. Et là, elle laissa apparaitre un sourire partiellement amusé. « Rien du tout. Parce que je garde justement en tête que tu peux être l'un d'eux. Simplement, pour le moment, je ne vous trouve pas tellement de points en commun. Tu es suffisant, mais pour d'autres raisons d'après moi. » Elle ne critiquait pas, soyons clairs. Mado se contentait d'observer. Et donc, à ses yeux, Nadan puait le fric, pas la grosse tête. Mais elle pouvait naturellement se tromper.