C’est bizarre, cet endroit, je ne saurais pas dire si j’aime ou pas, être ici. C’est bizarre, et différent, voilà. Et puis, que je n’aime ou pas, peu importe, je crois, l’important, c’est que j’y reste, au moins un petit peu, pour Kat, voilà. C’est bien, ça. C’est une bonne idée. Je lève les yeux, parce que, je ne sais pas où je suis allée, je suis seule, et je crois que j’essayais de trouver quelqu’un, et j’ai marché, un peu, quand même, et voilà, je suis devant cette tour, c’est immense, vraiment immense, et beau, et je préfère ça aux chambres, ah, moi, je veux bien dormir là-haut, juré. Et puis, une fille arrive, je la reconnais, je l’ai vue, au prime, elle pleurait, et ça m’a rendue triste, et moi, je voulais aller la voir, cette fille, mais j’ai pas osé abandonner Oliver, ah ça non, alors, je l’ai juste regardée, et je crois que j’avais un peu mal au cœur, pour elle, je n’aime pas ça, les gens tristes comme ça. Elle me demande à quoi ça sert, ce qui est devant nous, et c’est drôle, parce que, d’habitude, c’est moi qui pose des questions comme ça, aux gens, d’habitude, c’est moi qui sait pas. Mais là, c’est elle. Et moi. Moi aussi, je ne sais pas à quoi ça sert. Je ne sais pas quoi lui répondre. Je ne voudrais pas lui dire des bêtises, moi, ah ça non. « Je ne sais pas trop, moi, je pense que Kat saurait te répondre, mais moi, je sais pas. » je la regarde, un peu désolée, je voudrais bien pouvoir lui dire, moi, mais je ne peux pas. Elle n’a pas l’air triste, comme lors du prime, enfin, elle ne pleure pas. J’avance un peu vers l’entrée, moi, j’y vais, je veux savoir. Elle ne me suit pas, je crois, alors je m’arrête, et je me retourne vers elle. « Tu viens ? » comme ça, elle saura, elle aussi.

Laquelle qui ? Laquelle quoi ? Je secoue la tête, elle n’a pas compris, je crois, c’est de ma faute, je n’ai pas précisé. « Elle est pas ici, Kat. » Une moue déçue sur mon visage, c’est vrai que j’aimerai beaucoup qu’elle soit là, Kat, ce serait plus facile, tellement plus facile. « Non, non. Elle a postulé, elle aussi, tu sais, mais ça n’a pas marché. » enfin, je crois qu’elle a postulé, c’est ce qu’elle m’a dit, ça doit être vrai. Et puis, ils sont bêtes, ils auraient dû prendre Kat à ma place, ils le savent bien, pourtant, je ne comprends pas, moi. « Elle est pas là. » je répète. Ça me semble important, voilà. Finalement, cette fille, elle me pose une autre question, et c’est vrai que je suis embêtée, encore, parce que, je ne sais pas, moi, je ne sais pas grand-chose. Je me mordille la lèvre, je réfléchis, un peu. « Je. Oui. Peut-être ? » je regarde à nouveau cette tour, cette fille, cette tour… « Non. Je ne sais pas trop, moi. » ça m’énerve, un peu, j’aimerais lui répondre correctement, une belle réponse, bien formulée, mais, je ne sais même pas, ouah. « On y va ? » Elle ne bouge pas, cette fille, alors, je lui attrape doucement la main, elle est douce et tiède, sa main, c’est agréable, et puis, je commence à monter les premières marches, en la tenant, mais, pas comme j’ai pu tenir la main d’Oliver, lors du prime, ah ça, non, je suis calme, maintenant, ça va, je ne panique pas, je vais bien, je crois, et je ne m’agite pas trop. « Je pense que c’est beau. Là-haut. C’est peut-être ça, qui est important. Je sais pas trop. »

Je ne pense pas une seule seconde que ça puisse déplaire à cette fille, que je lui agrippe la main, comme ça. C’est vrai, je crois que je ne réfléchis pas assez, avant de faire des choses. Mais moi, j’ai besoin de toucher les gens, tout le temps, de les sentir près de moi, physiquement, je ne sais pas trop pourquoi, alors, ça me semblait naturelle, de lui prendre la main, comme ça. Et c’est vrai que je ne remarque pas sa réaction, moi, non, je lui prends la main, et je gravis ces escaliers, sans faire attention, voilà, je ne suis pas attentive, c’est dommage. Elle est d’accord avec moi, pour dire que ça doit être très beau, là-haut. Je ne pense que tout est joli, dans un endroit pareil. Joli, mais faux, ça, c’est l’ennui, tout a été préparé, vraiment, pour nous, juste pour nous, il me semble, c’est vrai que ça aurait été mieux, que tout ne soit pas aussi artificiel. Mais tant pis. C’est beau aussi, les choses artificielles. Nous montons donc ces marches, toutes les deux, main dans la main, d’abord, sans rien dire, et c’est drôle, ça, parce que moi, je ne reste jamais bien longtemps sans rien dire. Et puis, elle reprend la parole, la fille. J’acquiesce, c’est vrai que ça a l’air haut, et je ne sais de marches il nous reste à monter, je ne sais pas combien il y en a, au total, mais, je n’avais pas pensé à ça, moi, au début, au nombre de marches. Enfin, moi, ça va, je ne suis pas fatiguée, mais, je ne sais pas, peut-être qu’elle, elle ne veut plus monter toutes ces marches. C’est pour ça, je m’arrête. « Tu veux aller tout en haut ? On peut redescendre, si tu veux ! » même si ce serait sans doute un peu bête, de redescendre, sans voir ce qu’il nous attend en haut, oh, ce serait même totalement stupide, je pense. Je la regarde, un petit peu. « C’est un bleu, que tu as ? » je demande, en regardant sa tâche bleue, sur sa peau. Je crois que c’est un bleu, j’en ai des pareils, parfois. Il doit m’en rester encore un à ma jambe droite. Ou gauche. L’une des deux. Ca m’avait embêtée, pendant le prime.

Je suis un peu rassurée, moi, quand elle me dit qu’elle veut voir ce qu’il y a en haut, parce que, moi aussi, je suis curieuse. Peut-être qu’il y a quelque chose, là-haut, quelque chose de vraiment exceptionnel. Peut-être qu’il y a une récompense, pour les premiers candidats qui montent tout là-haut, parce que, c’est vrai que c’est vraiment haut, et je ne sais pas si tous les candidats seraient prêt à monter tout ça, moi. Ou peut-être qu’il n’y a rien, rien de beau, vraiment rien. C’est possible, aussi, mais, tant pis. Elle est d’accord avec moi. Elle veut continuer de monter. C’est bien. Je serais un petit peu déçue, je pense, si elle laissait tomber tout ça, pour quelques marches un peu trop nombreuses. Quand je lui demande si c’est bien un bleu, qu’elle a sur sa peau, elle me confirme ça, mais je n’ai pas le temps de lui dire autre chose, moi, parce qu’elle me demande si on continue, alors, j’acquiesce, silencieusement, et nous recommençons à monter les marches de cet escalier. Je regarde un peu partout, les murs de verre, les marches, même en l’air, et en bas, pour m’assurer de notre progression. Je me rends compte que je n’aime pas ça. Ces escaliers, là, ils sont trop longs, ça ne me donne pas l’impression d’avancer. Mais je continue, quand même, je ne veux pas la décevoir, cette fille. « Tu sais, moi aussi, je me fais des bleus, souvent. » c’est vrai. C’est parce que je ne suis pas tenable, ça. Je bouge trop. Je grimpe partout. Je tombe, je me cogne. Et parfois, je fais des crises, mais ce n’est pas bien, ça. Je crois que je veux la rassurer. Enfin. C’est vrai, ce n’est pas joli, d’avoir des bleus, je le sais bien, moi, j’avais honte, avec mon bleu, pendant le prime. Mais ce n’est pas grave, enfin, moi, c’est vrai que je ne pense pas une seule seconde au fait que ces bleus ne sont peut-être pas causés par elle-même, mais par quelqu’un d’autre. J’y pense pas, à ça. Je ne pense pas à beaucoup de choses, de toute façon. « je crois qu’on y est presque ! » il me semble, je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression qu’on est bien haut, maintenant.

Elle ne répond pas, la fille. Ca me gêne un peu, je crois, le silence comme ça, j’ai pas l’habitude, et je pense trop, après, quand il y a des silences pareils, et je me demande si elle a vraiment honte, de son bleu, peut-être pas, elle le cacherait, sinon, je ne sais pas trop. Je me demande comment elle se l’est fait. Cognée, oui, mais comment. Contre quoi. Je me pose trop de questions, maintenant, ça ne va pas, ça. Elle s’appelle Opaline. J’ai encore oublié de lui demander son prénom. Je n’y pense jamais. C’est bizarre. « C’est joli, Opaline. » c’est vrai que c’est joli, je trouve. C’est plus joli que Thelma, je crois. Enfin, je ne sais pas trop. Je me trompe peut-être, c’est possible. « Je m’appelle Thelma, moi. » c’est mieux, je pense, si elle sait mon prénom, elle aussi. On continue de monter, et ça devient fatiguant, ouah, juré, mais je continue quand même, même si je supporte presque plus ces escaliers, moi, c’est tout le temps pareil, c’est frustrant, je trouve, une marche, une autre, mais rien ne change. J’aime pas l’impression que ça me fait, c’est tout. Et puis, quelques minutes supplémentaires, et on arrive en haut, pour de vrai. On est sur un toit, c’est beau, c’est grand, pas le toit, mais le reste, à l’extérieur, la vue. Je lâche la main d’Opaline, un peu rapidement, et je me précipite vers le bord, pour voir mieux. Je m’assois, mes jambes qui se balancent un peu dans le vide, je regarde en bas, on est haut, ça s’voit, ça, et puis, je regarde Opaline. « T’as vu ? C’est vrai que c’est joli, ils ont raison, de dire que c’est joli ! » vrai, que je suis un peu émerveillée. J’ai l’impression de dominer tout, d’ici, d’être en quelques sortes une reine, et ça me fait rire, un peu. On voit beaucoup de choses, et j’arrête pas de tourner la tête, pour essayer de tout voir, de tout imprimer.