~ opaline, dimanche, quatorze heures vingt
Lendemain de prime. Que dire, oui que dire si ce n'est que tout le monde semble marcher au radar, affichant leurs plus belles têtes déconfites tout comme moi, d'ailleurs, même s'il existe un truc génial qu'on appelle le fond de teint et qui me rend fraîche et disposée. C'est beau quand même l'industrie cosmétique de nos jours, on peut tout faire. Néanmoins, je suis crevée, la journée ayant été longue, la nuit mouvementée et le réveil difficile. J'ai assez peu mangé, j'ai essayé de découvrir les lieux mais finalement... non, le canapé m'ayant semblé bien plus agréable pour le moment, lieu dans lequel, donc, j'ai fini par me lover, un verre d'ice tea bien frais à proximité. Certains candidats passent mais trop éloignés et visiblement pas très tenté par l'idée de me rejoindre, je préfère les laisser continuer leur chemin tranquillement. D'autant plus que je n'ai retenu que très peu de prénoms la veille et ce matin, j'ai un peu eu cette sensation étrange d'être entourée d'inconnus. J'ai pourtant bien du parler à certains d'entre eux mais plus rien, sauf concernant mon partenaire, bien évidemment. Du coup, impossible d'appeler qui que ce soit et ne souhaitant pas vraiment affubler mes camarades de surnoms stupides, je m'abstiens, tout simplement. Jusqu'à ce que finalement, une des candidats s'approchent assez près du canapé pour que je puisse prendre la parole sans avoir à sortir un prénom ce qui m'arrange assez donc. En plus, cette candidate, je crois bien l'avoir vu la veille, pas forcément dans son assiette... « Salut ! Dis moi, tu vas mieux ? J'ai vu que ce n'était pas la grande forme hier... » Je lui souris, compatissante, histoire qu'elle comprenne que je ne lui veux pas de mal...

Je me sens un peu seule, ici. Je me sens tout le temps seule, c'est vrai. J'ai pas beaucoup d'amis. Ou pas du tout. Tout dépend de la notion qu'on donne à 'ami'. Je n'ai pas d'amis. Je le vis plutôt bien. Même sans être une grande solitaire. Les gens ne me comprennent pas. Il n'y a aucun intérêt à être en présence de gens qui ne me comprennent pas. Ou qui ne m'apprécient pas. Ça, ça arrive souvent. Parce que je suis bizarre. Et agaçante. Et que j'ai mauvaise réputation. C'est pas grave. Ici, loin de chez moi. Hors de mon pays pour la première fois. Dans cette immense propriété. Je me sens seule. Et toute petite. Et seule. Je ne connais personne. Les gens ne me connaissent pas. Je me méfie. C'est ce que je fais tout le temps. Là, encore plus. J'ai un peu peur de savoir ce que certains pourraient faire pour avoir la lumière sur eux. Pour participer à ce jeu, c'est qu'il faut avoir un sacré vide dans sa vie. Moi, j'ai pas eu le choix. Je me balade, j'essaye de découvrir un maximum de trucs, sans pour autant être dans les pattes de tout le monde. Ils ont l'air plutôt excités. Contents. D'être ici. De leurs découvertes. Comment ils font ? C'est pas ces choses-là qui me mettent dans cet état, moi. Un état que je suis la seule à pouvoir constater, puisque je suis pas la plus expressive de toutes. C'est pas un ballon ou deux billes qui vont me contenter. Je ne suis pas comme ça. Je préfère d'autres choses. Et j'suis pas une gamine. Les jouets, c'est plus de mon âge. Ça n'a jamais été de mon âge. Je suis toujours en train ''d'explorer'' lorsque j'entends une voix. Ah. Je tourne le regard. Ça m'est adressé. Apparemment. Alors je m'arrête. Faire la discussion. D'accord. Je la connais pas. Je ne l'avais jamais vue avant maintenant. Hier ? Hier. Pas la grande forme. Donc elle m'a vue. Je ne sais pas quand. Ah bah sûrement durant le prime. C'est quoi, ces gens. Quand je pleure, faut me laisser pleurer. Tout le monde l'a déjà compris ça. Enfin, là d'où je viens, tout le monde l'a compris. Ils vont bien finir par s'habituer. « Je vais bien. » que je me contente de dire. Si elle, ça va pas, elle peut le dire. Les gens aiment bien parler d'eux, en général. Bon. En général, personne ne me parle. Alors c'est un peu bizarre. Mon regard vagabonde, il papillonne dans la pièce, preuve que je ne sais pas tellement quoi faire. Ah si, je sais ! Mon prénom. Me présenter. Tout le monde fait ça. D'habitude, c'est pas utile. Parce que tout le monde me connaît. Mais bon. « Opaline. Mon prénom... c'est Opaline. » Je me force même à esquisser un sourire. Ça doit se voir que c'est forcé. Alors j'arrête de sourire. Au moins, je me suis présentée. Je pense que c'est déjà pas mal.

En fait, on dirait un peu comme si c'était la rentrée. On se fait beau, pour faire bonne impression, on a droit au petit goûter d’accueil, on essaie de parler avec les gens, de faire connaissance, de se souvenir de leur prénom tout en restant collé à son voisin parce que c'est la seule personne avec laquelle on a un semblant de lien, tout en espérant que ce dernier ne devienne pas votre pire ennemi. C'est excitant, effrayant, un peu gênant mais on survit, on s'en sort et on espère ne pas devenir le weirdo, le reclus, celui qu'on met de côté parce qu'il est bizarre... Moi, ma scolarité, je n'en ai pas forcément un bon souvenir. Qu'on se le dise, je n'avais pas cette tête là. On m'appelait Poil de Carotte, Fifi Brindacier, je ne connaissais pas les robes, les talons, le maquillage, les crèmes de jour et de nuit et je portais un appareil dentaire. Donc la rentrée, c'était horrible, stressant et horrible et donc, je n'avais pas tellement envie de réitérer tout ça et d'avoir de nouveaux mauvais souvenirs. Du coup, je suis assez rassurée par la soirée précédente enfin... la matinée plutôt et la journée qui avait suivi. Mon partenaire a l'air cool, malgré qu'il ait du réceptionner mon fessier musclé dans la soirée et les autres candidats n'ont pas l'air trop méchants non plus. Pour autant, j'avais cru voir, rapidement, que toutes ces émotions n'avaient pas eu le même effet sur moi que sur d'autres candidats et principalement une petite brune assez mignonne que j'avais eu envie de prendre dans mes bras avant de passer à autre chose. J'ai un peu honte, oui, en effet et c'est pourquoi je compte me rattraper aujourd'hui en essayant de m'informer sur son état. Elle va mieux, c'est bien, je suis rassurée, ça serait triste quand même qu'elle se sente si mal que ça ici... Puis elle me donne son prénom et je lui souris. « C'est super joli, ça vient d'où ? Moi c'est Odessa ! Jsuis contente que ça aille mieux et si tu veux en parler, n'hésite pas ! Tu veux t’asseoir ? Tu veux un verre d'ice tea ? » J'ai envie qu'elle se sente à l'aise mais bon, espérons que je n'en fasse pas trop...

J'espère qu'elle est la seule à avoir remarqué mon élan d'émotivité, la veille. Je veux pas être cataloguée comme la fille qui pleure tout le temps. Ou comme la fille fragile. Je refuse d'être vue comme la nana fragile, qu'on peut casser rien qu'en la regardant. Je suis pas comme ça. Je suis pas fragile. Je refuse de l'être. Par contre, c'est vrai que je pleure souvent. J'espère quand même que personne d'autre n'a remarqué que j'ai pleuré. C'est pas de ma faute. J'avais demandé une partenaire, pas un partenaire. Je suis pas une fille pourrie-gâtée qui pleure quand elle n'a pas ce qu'elle veut. C'est comme les gens qui ont peur des clowns. Cette personne n'apprécierait pas d'avoir un clown comme partenaire. Pas du tout. J'ai le droit de ne pas avoir envie de l'avoir comme partenaire. Je m'en fiche, de qui il est, de comment il s'appelle et d'où il vit. C'est pareil. Et je veux pas. J'ose espérer que plus personne ne me reparlera de cette soirée. Personne ne m'en reparlera. Oui. Je viens de me présenter en tout cas. C'est déjà une bonne chose. Un beau prénom ? Le mien ? Ah oui. Je pense que ma mère l'a juste choisi au hasard. C'était une gamine, elle a pris le premier qui lui faisait envie. Je sais pas d'où ça vient. Ça vient de nulle part, je pense. Pas le temps de lui répondre qu'elle continue. Odessa. Elle, elle s'appelle Odessa. D'accord. Je vais essayer de m'en souvenir. Je vais peut-être pas y arriver mais tant pis. Mon regard est posé sur elle tandis qu'elle continue. Décidément. Elle parle beaucoup. Je l'écoute, je regarde ses lèvres bouger, la tête légèrement penchée sur le côté. Elle finit sur deux questions. Une place et de l'ice tea. Je patiente un petit peu, juste pour être sûre qu'elle a bien terminé et que c'est à mon tour de parler. Comme première réponse, je me contente de m'asseoir. C'est plus simple que de répondre puis de m'exécuter. « Non, j'en veux pas. » je déclare ensuite en mouvant la tête de gauche à droite pour accentuer mon choix. Je glisse mes mains sur mes jambes, je les laisse là, ne sachant pas où les mettre. Ah oui, c'est vrai. « Et je sais pas d'où ça vient. Je pense qu'elle a choisi au hasard. Ma mère. Elle a fait au pif. » C'est même certain. Si elle n'avait pas été aussi jeune à ma naissance, elle aurait peut-être fait un effort pour me donner un prénom avec une signification intéressante. Je suis même pas sûre que mon prénom soit un vrai prénom. Je sais pas. « Le tien, il vient d'où ? » Je lui retourne la question. C'est plus simple. Et puisqu'elle m'a interrogée sur le sujet, je suppose que je peux faire pareil.

Je ne sais pas si c'est moi mais en fait, j'ai l'impression de soûler les gens. Ou de leur faire peur, un peu en tout cas et c'est un peu gênant. Comme avec cette petite brune avec qui, pourtant, j'essaie d'être gentille, plus gentille que d'habitude d'ailleurs. J'imagine qu'elle n'a pas envie de ça mais elle m'a fait un peu de peine, la veille, à l'entrée dans le nid. Pleurer dans un moment normalement aussi euphorique, c'est étrange et il doit bien y avoir une raison. Une raison qui, je l'espère, n'est pas si grave et pour laquelle j'aimerais bien l'aider, si elle le veut bien mais je sens dès les premières secondes de notre conversation que la tâche ne sera pas aisée. Et puis, peut-être que je devrais m'occuper de mes affaires, c'est fortement possible, en effet, je ne sais pas, bref. Je la complimente sur son prénom que je trouve très sincèrement très joli, doux, comme elle, comme son visage. Il lui va bien en plus et c'est assez rare pour être noté alors autant lui dire même si sur le moment, elle ne réagit pas vraiment, refusant mon offre de boisson mais s'asseyant cependant à mes côtés. « Et bien, elle a eu de la chance avec le hasard, c'est joli et ça te va bien ! » Je lui souris, pour détendre l’atmosphère, la voyant tendue ce qui ne me met pas à l'aise non plus. Le pire, ce serait qu'elle se braque ou prenne mal que je m'intéresse à elle, ce que je veux éviter à tout prix alors dans le doute, autant être naturelle, ça me parait de toute façon être la solution la plus adéquat. « Et bien... Je ne sais pas non plus, ma mère lit beaucoup alors elle a certainement du voir ça dans un livre, ça me semble être l'explication la plus logique en fait. » Et pour être tout à fait honnête, je n'ai jamais vraiment cherché à savoir. « T'es avec qui toi, en partenaire je veux dire ? » Autant commencer par quelque chose et comme ça, ce sera certainement plus simple.

J'entends presque la voix de ma mère d'ici. Elle doit se dire que je suis ingrate, pas reconnaissante. Qu'elle a tout sacrifié pour moi, tout donné et blablabla. Et après, elle m'accuse de lui avoir tout pris. Je la connais, la chanson. C'est toujours la même chose qu'elle me répète. Alors si elle entend ce que je dis sur mon prénom, elle va probablement inventer une histoire sur cette longue recherche de prénoms entre deux devoirs pour l'école. Je suis la méchante. J'ai compris. On ne m’enlèvera pas de l'idée qu'elle a choisi au hasard. Je la vois mal chercher avec amour comment appeler cette gamine dont elle n'a jamais voulu. Ça ne colle pas au personnage. C'est pas grave. Que je m'appelle Opaline, Juliet ou Duconne, ça ne change pas grand chose, au final. C'est pas mon prénom qui détermine qui je suis. On apprend rien avec mon prénom. Juste ce qui est marqué sur ma carte d'identité. Et ça, c'est pas essentiel. Odessa reprend. Joli. Ça me va bien. Si elle le dit. D'accord. Je dois répondre quelque chose à ça ? Merci ? Boh, disons que non. Je reste silencieuse. J'acquiesce juste un peu de la tête. Juste pour montrer que je comprends, que j'entends. Que j'ai rien de plus à dire sur le sujet. Elle répond à ma question. Celle sur son prénom. La même que celle qu'elle m'a posée. Je prends pas trop de risques. D'un livre, apparemment. Ah. C'est bien aussi, je suppose. C'est toujours mieux que le hasard. Et ça fait plus cultivé. Ma mère est stupide donc bon, le coup du livre, je peux toujours en rêver. Je bouge la tête une nouvelle fois avant de parler. « Tu lis beaucoup, toi ? » Peut-être que oui. Alors peut-être qu'elle est cultivée. Ou intelligente. Je pense que c'est les gens intelligents qui lisent. Peut-être qu'elle fait comme sa mère et qu'elle aime lire. Je ne sais pas, d'où tout l'intérêt de poser la question. Et à son tour, elle m'interroge. Je crois que les conversations, ça fonctionne comme ça. Les dialogues, tout ça. Je suis plus habituée aux monologues des autres. Quand je suis pas supposée ouvrir la bouche. Mon partenaire donc. Je cherche deux secondes dans ma mémoire, pour retrouver son prénom. « Avec Seymour. » Je crois. C'est ça son prénom ? J'sais plus. Je me souviens pas. Je crois que je ne le sais juste pas, en fait. Tant pis. J'esquisse un bref haussement des épaules. C'est pas très intéressant de parler des partenaires. Autant parler d'autre chose, je pense. Si on peut éviter des parler des constellations et de géographie, ça serait bien aussi, j'avoue.

Le moins qu'on puisse dire c'est qu'Opaline n'est pas bavarde. Au fond, ce n'est pas si grave que ça car je suis tout à fait capable de faire la conversation pour deux mais le truc, c'est que je n'aimerais pas la soûler ou l'ennuyer, enfin la mettre mal à l'aise quoi ce qui est déjà arrivé de façon. C'est l'impression que j'ai, en tout cas et je ne sais plus tellement comment me comporter avec Opaline. Du coup, j'opte pour le naturel comme ça et bien, si elle décide de me détester, ce sera pour ce que je suis vraiment et j'aurais au moins la certitude de ne pas avoir mal fait les choses, c'est mon point de vue en tout cas. On parle donc de nos prénoms et je dois dire que j'adore le sien. Il est doux, comme son visage et certainement sa personnalité. C'est pourquoi j'essaie de me renseigner sur son origine mais bien rapidement, Opaline me fait comprendre qu'elle est aussi ignorante que moi sur ce point. Tant pis, ce n'est pas grave et d'ailleurs, je dois dire que lorsqu'elle me renvoie la question, je n'ai pas plus d'informations à lui donner non plus. J'imagine qu'il vient d'un livre, étant donné que ma mère lit beaucoup mais ça... c'est quand même une question à creuser. Quant à moi, si je lis ? Hum, je fais la moue. « Pas vraiment. Enfin, je lis mais pas des classiques. Je préfère les trucs pour filles, la chick lit comme on dit... Et les magazines. Et toi ? » Elle ne pourra pas faire pire que moi alors elle peut se lancer sans peur du ridicule vu que... je dois déjà l'être. Oui, je ne lis pas Hemingway ou Victor Hugo, mais bon, je connais leurs noms, c'est déjà ça je pense. Puis je la questionne sur son partenaire, comme ça et le prénom qu'elle me donne ne me dit rien. « Seymour ? Je ne vois pas qui c'est, il est comment ? Tu t'entends bien avec lui ? » C'est important quand même et de mon côté, je suis bien contente d'être tombée sur Charles. Pour le moment tout du moins.

Je ne parle pas souvent de mon prénom. On ne m'en demande jamais l'origine ou la signification. C'est juste un prénom, tout le monde s'en fiche. La façon dont on m'appelle peut différer selon les gens, de toute façon. Donc mon prénom, c'est optionnel. C'est plus important de savoir qui je suis. Les gens s'attardent plus sur ça, en général. Je préférerais qu'ils s'attardent sur mon prénom. Ça serait peut-être mieux. Je veux bien avoir des discussions sur mon prénom. Je veux bien même faire l'effort d'en chercher la signification ou l'histoire entière si ça peut en distraire certains. Pour l'instant, tout ce que je peux dire, c'est qu'elle l'a pris au hasard, ce prénom. Mais apparemment, Odessa n'en sait pas plus sur le sien, de prénom donc c'est un peu rassurant quand même. J'ai pas envie d'avoir l'air bizarre parce que je ne sais pas d'où il vient, ce prénom, ça serait quand même dommage. Lire donc. Je lui demande si elle lit beaucoup ou pas. C'est peut-être un truc qui se passe génération après génération, je ne sais pas. Le goût pour la lecture, c'est peut-être héréditaire et personne le sait. Faut pas que ça soit moi qui le découvre, ça, parce que personne ne me croirait, de toute façon. Elle me répond. Simplement. Ou presque. La ''chick lit'', c'est un terme que j'ai jamais entendu avant. Je ne sais pas ce que je sais. Je ne sais pas grand chose dans le domaine littéraire. Je connais Roméo et Juliette. Mais c'est tout. Et je sais que l'auteur, c'est un shakequelquechose. L'école, ça ne m'a jamais intéressée, juste ennuyée. Oui. Je suis toujours en train de m'interroger sur le truc de chick quand elle me retourne la question. Je pense que ma réponse est facile à deviner. « Non. Du tout. J'suis pas très intéressée par les bouquins. » Vraiment pas. Je préfère être dehors, dans Dublin. C'est plus intéressant. Je crois. Je n'ai jamais porté la moindre attention aux livres. Même pour l'école, je ne les lisais pas. Mon partenaire, on parle de lui ensuite. Je ne me rappelle pas de son prénom. Je ne lui ai pas demandé. Ça doit être Seymour. Ou quelque chose comme ça. Je ne sais plus. Au pire, c'est pas ça, c'est pas grave. Comment il est ? Bah, je sais pas. Il est comme tout le monde. Comment je m'entends avec lui ? Pareil qu'avec tout le monde. Je ne le connais même pas, je lui ai pas encore parlé alors je sais pas vraiment. Et c'est comme ça avec tout le monde. J'ai pas encore parlé à grand monde. « Il a les cheveux... Et puis, les yeux aussi... » Ma description est très détaillée, je sais. Je ne peux pas en dire plus, je me rappelle juste ses cheveux. Et puis, ses yeux mais c'est parce qu'ils me font peur, ses yeux, comme ceux de tous les autres. Je ne les ai pas regardés plus longtemps que ça, non. Ses yeux ou les autres, en fait. « Je lui ai pas encore parlé. » Je peux dire la vérité, parfois. Oui. Et là, c'est vrai, je ne lui ai pas encore parlé. Même si je sais bien que ça ne va pas coller. Je voulais une femme, moi, en partenaire. Pas un homme. Mais on ne m'a pas écoutée. Alors c'est de leur faute, à la production, si je ne m'entends pas avec mon partenaire.

Passons sur le sujet des prénoms, je pense que ça vaut mieux d’autant plus que l’une comme l’autre sommes d’accord sur le fait qu’ils sont jolis mais sans avoir ne serait-ce qu’une once d’idée sur leur provenance. Opaline. Je ne sais pas pourquoi mais ça me fait penser à une pierre précieuse, une pierre que je verrais bleue claire, douce, légèrement opaque mais discrète. C’est certainement une idée idiote et je ne sais même pas si elle est fondée mais c’est ce à quoi il me fait penser et sans réelle information plus précise sur l’origine de ce prénom, mon esprit ne met pas longtemps avant de divaguer. Quant au mien, aucune idée même si assez spontanément je pense aux livres, ceux que ma mère lit, tout le temps. Je me dis que peut-être, un jour, un prénom l’aura marqué et que mes parents auront décidés de me nommer ainsi. Là encore, j’ai peut-être tout faux mais disons que ça ne me traumatise pas. En tout cas, cette supposition lance alors une nouvelle discussion et même si je ne suis pas une grande lectrice, pas du tout même, je suis contente de pouvoir converser avec la candidate. Elle me dit cependant ne pas être intéressée par la lecture, ce qui je peux comprendre, après tout, il y a bien d’autres passe-temps et je ne manque pas de lui demander pour en savoir plus. « Qu’est ce qui t’intéresses dans la vie en fait ? Tu fais quoi ? » Oh ce n’est pas un reproche, j’ai juste envie d’en apprendre plus, comme ça. Comme quand je lui parle de son partenaire d’ailleurs dont elle n’a pas grand-chose à me dire en réalité à part qu’il a… des cheveux et des yeux. « Hum, pour les yeux, c’est une bonne chose et les cheveux, je préfère avec mais certains n’en ont pas, c’est vrai… » Puis elle me dit ne pas lui avoir parlé et je fronce les sourcils. « Même pas hier soir, dans le lit ? » Peut-être qu’il dormait déjà, c’est possible, hum.

Je ne lis pas beaucoup. Pas du tout. Les romans, la poésie, le journal. Peu importe quel type de lecture, ce n'est pas mon truc. Je ne sais pas pourquoi. Ça ne m'a juste jamais vraiment intéressée. Peut-être que c'est un truc que je tiens de ma mère. Ou de mon éducation. Peut-être que si elle avait fait l'effort, une fois dans sa vie, de me lire une histoire ou de m'acheter un bouquin, peut-être que j'aurais pris l'habitude de bouquiner, peut-être que j'aimerais ça. Je ne sais pas. Je n'aime pas trop ça, c'est tout ce qu'il y a à savoir. De toute façon, je ne vois pas vraiment où je prendrais le temps de lire. En fait, déjà, je ne vois pas avec quel argent je pourrais me payer un bouquin. Quitte à choisir, je préfère encore m'acheter un paquet de clopes. Quoique, en général, ce n'est pas moi qui les achète mais c'est pas grave, c'est pareil. Du coup, comme je ne lis pas, Odessa me pose une question. Ce qui m'intéresse. Ce que je fais. Dans la vie, je suppose. J'existe quand on a besoin de moi que j'existe. C'est surtout ça, que je fais. J'obéis. Ce n'est pas ça qu'elle attend comme réponse, je crois. Je vais faire plus classique, pour ma réponse. Oui. « Je suis étudiante. Mais j'aime pas l'université, j'n'y vais presque jamais. Je préfère dessiner. » C'est mieux, de dessiner. C'est plus intéressant, plus enrichissant. Je préfère passer ma journée dans des rues, à ne rien faire si ce n'est regarder les gens, dessiner, penser. C'est un bon programme, ça. Oui. Elle me parle ensuite de mon partenaire. Je n'ai rien à dire sur lui. Je ne le connais pas. C'est aussi simple que ça. Je le décris vaguement, espérant que citer ses cheveux et ses yeux sera suffisant à lui faire comprendre. Là, elle me répond un truc bizarre donc je suppose qu'elle n'a pas tout compris à ma description. C'est pas grave. Je ferai mieux la prochaine fois. Elle m'interroge encore une fois. Oui, elle pose beaucoup de questions. Et apparemment, ça la trouble un peu. Que je n'ai pas parlé à mon partenaire. Ah. C'est grave ? De ne pas lui avoir parlé, tout ça. Elle mentionne le lit aussi. Comme si j'allais dormir avec lui. Je secoue la tête. « Je dors pas avec lui. » j'affirme simplement. J'ai le droit, de pas dormir avec lui. Hein que j'ai le droit. Je ne veux pas partager mon lit avec lui. Je préfère dormir là où je peux. Je ne suis pas compliquée, même par terre, ça me convient. « T'as parlé avec ton partenaire, toi ? » je lui demande tout de même. Juste pour savoir si ça se fait, de se parler et si je suis encore une fois en dehors du moule. Ça ne m'étonnerait pas. Je ne fais jamais ce qu'il faut. Jamais. Je commence à avoir l'habitude, à force. Oui, c'est peut-être une bêtise de ne pas avoir parlé avec lui. Tant pis, je suppose.