J'ai pas encore tout compris, je crois. Pourquoi on est dans des décors de films. Je ne sais pas. Ça coûte peut-être moins cher de prendre des trucs déjà faits plutôt que de tout construire. Je ne vais même pas essayer de savoir combien ils ont déboursé pour tout ça. Moi, au-dessus des billets de cinq euros, j'connais pas. Je suis plus familière avec les pièces de deux centimes que les billets de deux cents. Évidemment. Je m'en fiche un peu, dans le fond, de combien ils ont payé ça. Des sommes astronomiques pour rien. C'est pas grave. J'ai pas eu le temps de tout voir. Je prends mon temps. Et dans cet hangar, il y a des centaines de choses. J'en regarderai jamais plus de la moitié avec insistance. Ça ne me paraît pas utile de m'arrêter sur toutes ces choses qui sont entassées là. Si ça avait vraiment de la valeur, je suppose que ça ne serait pas là. À la portée de n'importe qui. Il y a beaucoup de trucs, en tout cas. Beaucoup trop à mon goût. Je regarde vaguement, je laisse mon regard se balader là où il le souhaite. Oui. Bon. Je vais peut-être sortir de là. Sauf qu'en cherchant la sortie, je tombe sur autre chose. Une personne. Une femme, en fait. Ah. Elle a l'air de faire quelque chose avec une épée. Je penche la tête sur le côté tout en observant ce qu'elle fait. Elle se retourne. Et son jouet évite de peu mon visage. Mes yeux s'écarquillent légèrement. Pourquoi elle fait ça. Elle... elle veut peut-être me faire mal, je ne sais pas. Ça ne m'étonnerait qu'à moitié. Les femmes sont comme les hommes alors. Je les savais juste méchantes avant. Je ne sais pas. Parce qu'elle a l'air confuse. Ah. Je ne sais pas trop quoi penser, du coup. Je vais quand même me reculer de quelques pas, par mesure de sécurité. Je recule doucement. Si elle pouvait poser son épée, ça me rassurerait un peu, je l'avoue. Elle me fait un peu peur, quand même. En tout cas, elle connaît mon prénom. Ah. Je ne sais pas si c'est bon signe, ça. « Je, oui, Opaline. » J'ajoute un mouvement de la tête en guise de confirmation. Je sais pas qui elle est. C'est un souci. Je peux toujours essayer de balancer un prénom au hasard. Ou pas. Je ne sais pas. Bon. Que dire, que dire, que dire. J'ai un peu peur que si je parle de l'épée, elle soit tentée de me faire du mal avec. Il y a des objets dangereux par ici. Ça ne me rassure pas. Mon regard s'égare. Je me mordille l'intérieur de la joue. « T'aimes les épées ? » C'est la première question qui me vient. C'est pas grave. J'ai l'habitude d'avoir l'air conne. Je le suis un peu, faut dire. Quelle conne va poser ce genre de questions, franchement. Moi, bien sûr. À défaut de trouver mieux, je balance ce qui me passe par la tête en premier. J'aurais peut-être mieux fait de lui demander son prénom. Tant pis. Au moins, je saurai si je suis susceptible de la voir souvent avec un objet dangereux dans la main. Donc de savoir si elle est dangereuse. Plus que la moyenne, je veux dire.

J'ai l'impression que les autres se rappellent plus facilement de mon prénom que je n'arrive à mémoriser les leurs. Là, encore une fois, la candidate vise juste. Je suis Opaline. Oui, Opaline, c'est mon prénom. Je sais pas s'il est plus simple à mémoriser que les autres. Mais elle s'en souvient. Je ne sais pas pourquoi. Je ne vais pas m'interroger sur le sujet, oh que non. C'est peut-être mieux de ne pas savoir. Si ça se trouve, il se dit des choses dans mon dos, je ne sais pas. Peut-être que tout le monde pense que je suis bizarre. C'est toujours ce qui se passe. Alors c'est pas grave. Je lui ai pas retourné la question. Elle y répond quand même. Tant mieux. Comme ça, je le sais. Lena. Je vais essayer de m'en souvenir. Je n'y arriverai peut-être pas du premier coup. C'est pas si grave que ça. Je vais bien finir par les intégrer, tous ces prénoms. J'acquiesce, ma tête bouge quelques secondes puis s'arrête. Je lui pose une question. Sur les épées. C'est peut-être bête. C'est la première qui me vient. Je me renseigne. Peut-être qu'elle est dangereuse. Peut-être que je dois la craindre autant que d'autres. Je ne sais pas. Autant poser la question. Les épées ou autre chose, en fait. Si elle aime les couteaux, les briquets ou les armes à feu, je ne vais peut-être pas être très copine avec elle. Je n'aime pas la douleur physique. Comme tout le monde, sûrement. Mais moi, j'aime vraiment pas ça. Si je peux l'éviter, je l'évite. J'écoute sa réponse. Je l'écoute vraiment. Je ne fais pas semblant de m'intéresser, pour une fois. Je veux savoir si je dois avoir peur d'elle ou pas. En fait, je crois qu'elle me fait déjà un peu peur. Elle, avec son épée, elle me fait un peu peur, oui. Pas beaucoup. Juste un peu. J'acquiesce, je respire plus sereinement lorsqu'elle se retrouve sans l'objet du crime dans les mains. Pas que ça la rend moins dangereuse, après tout. Elle dit que ça ne se reproduira plus. Oui. D'accord. C'est pas sûr non plus. Et peut-être que la prochaine fois, l'épée ne fera pas que passer à quelques centimètres de mon visage. Je ne sais pas. Silencieuse, j'acquiesce une nouvelle fois. Je vois pas ce que je peux lui dire. Elle n'a pas l'air méchante. Qu'est-ce que j'en sais moi, si elle est méchante ou non. J'en sais rien. Je continue de détailler son visage de mon regard. Une nouvelle question. Elle parle beaucoup. Beaucoup plus que moi. Ce que je dis le plus dans une journée, c'est ''oui'', ''non'' ou ''je sais pas''. C'est à peu près tout. Ici, je crois que ça va changer. Avec toutes ces questions, là. Je bouge une nouvelle fois la tête. Mais de gauche à droite cette fois. « Je suis irlandaise. Je vis à Dublin. » Ouais, je dois être la seule. Je crois. Je ne sais pas. Je connais pas encore les autres. J'ai pas encore beaucoup entendu parler de l'Irlande, jusque-là. Dublin me manque, c'est vrai. Tout est différent ici. Et je ne suis pas certaine de savoir si c'est mieux ou non. Au moins, dans ma ville natale, je connais les limites. Je sais ce que je dois faire. Ce que je ne dois pas faire. « T'es américaine, toi ? Tu habites où ? » J'essaye de faire la conversation. Un petit peu. Je suis pas très bavarde, moi. Mais si je peux la garder occupée en parlant, je vais le faire. Autant éviter qu'elle s'empare encore une fois d'un objet dangereux, je veux pas être blessée.

Les mensonges, c'est facile. Même moi, je mens. Tout le monde ment. Les enfants mentent aussi. On dit toujours que la vérité sort de la bouche des enfants mais c'est pas vrai. Tout le monde ment. Même si certains disent que ce n'est pas le cas, c'est juste un mensonge de plus. Alors peut-être que c'est son cas, à elle aussi. À Lena. Peut-être qu'elle ne dit pas la vérité. Peut-être qu'en vrai, elle aime bien les épées, qu'elle a l'habitude d'en manier. Je ne sais pas, moi. Je dois la croire ? Qu'est-ce qui me dit que je dois la croire. Si elle a failli me blesser une fois, elle peut très bien recommencer. Et ne pas passer à côté de mon visage. Il a déjà été amoché, mon minois. Je préfère éviter que ça recommence. Je sais, je n'ai pas tellement mon mot à dire sur le sujet. Comme je la connais pas, elle, je vais faire attention. À quand je la croise. Et si jamais je lui parle, je vérifierai avant qu'elle n'a pas d'objet dangereux dans les mains. Qu'il n'y en a pas autour. Question de sécurité. Je ne sais pas si elle est plus forte que moi ou pas, mais puisque je suis pas très épaisse, on sait jamais, je préfère éviter de la provoquer. Surtout que là, j'ai rien fait. Mais ça tombe toujours sur moi, ces histoires-là. Toujours. Parce que je suis Opaline. Je sais. Malgré sa réponse, je vais quand même me méfier. On sait jamais. Peut-être que les femmes sont violentes aussi, après tout. Être méfiante, ça ne peut pas être une mauvaise chose. Juste au cas où. Je préférerais qu'elle soit juste méchante, quand même. C'est plus habituel, plus familier. C'est pas grave. Donc, oui, je suis irlandaise. Dublin, c'est ma ville. J'y vis depuis toujours. Je connais les endroits sympas. Les endroits à éviter. J'ai des endroits préférés. C'est ma ville, je m'y sens bien. Je l'aime, ma ville. Et heureusement. Lena ne perd pas de temps pour s'engouffrer dans une tirade qui me paraît interminable. Oui, elle parle beaucoup. Tellement, tellement plus que moi. C'est vraiment beaucoup de mots pour une simple réponse. Elle aurait pu ne rien répliquer, ne rien dire du tout. Mais non. Elle fait tout l'inverse. Elle parle, elle parle, elle parle. Je regarde plus le mouvement de ses lèvres que je ne l'écoute vraiment. Je décroche un petit peu, oui. J'humidifie mes lèvres rapidement, toujours en la regardant. Je dois répondre quelque chose, peut-être. Je ne sais pas quoi. Je ne vais pas lui raconter les moindres recoins de Dublin, quand même. Je ne suis pas très douée pour parler, en plus. « J'aime bien Dublin. » que j'essaye, pour montrer que je suis d'accord avec ses paroles. Oui, je le suis. Je traîne pas dans les beaux quartiers mais je trouve de la beauté aussi où je vis. C'est vrai, j'aime ma ville. Je ne voudrais pas changer, oh que non. Et je crois que j'ai fait une bêtise en lui retournant la question parce qu'elle recommence à papoter. Beaucoup. Vraiment beaucoup. Pour me parler d'où elle vit. Et que le nom de sa ville ne désigne pas que sa ville. Mais beaucoup d'autres. Ah, peut-être. J'en sais rien, moi. Je connais pas de Rosedale, de toute façon. C'est lequel Rosedale, elle, déjà ? Je ne sais plus. De toute façon, même si je situe les États-Unis, le reste, je ne sais pas où ça se trouve. En tout cas, elle vit en Amérique, elle aussi. Donc je suppose que ouais, il y a plein d'américains, cette saison. À croire que comme l'émission se fait une place dans le pays, il faut prendre un maximum de gens venant de là. Peut-être que ça coûte moins cher. Par rapport aux frais de transports jusqu'ici. Parce que l'avion de Dublin à... je ne me rappelle plus où on est mais ouais, ça doit coûter cher. Beaucoup plus que je ne pourrais jamais me payer dans ma vie. Finalement, elle s'excuse de parler autant. Ah, au moins, elle sait qu'elle papote beaucoup. C'est déjà bien de le savoir. Elle n'est pas obligée de se taire. Dans le fond, ça ne me dérange pas tant que ça, qu'elle parle. Je secoue la tête de gauche à droite. « Tu peux parler, si tu veux. » Comme moi, je ne parle pas beaucoup, je suppose que ça fait un certain équilibre. Je lui demanderais bien comment elle fait pour parler autant, mais j'ai pas envie de passer pour une imbécile. Je me débrouille assez bien comme ça le reste du temps. Et encore une fois, je ne sais pas quoi dire. Je n'ai rien à dire, moi. Pas comme elle. Qui parle tout le temps. Qui part dans une tirade pour une simple question. « J'suis pas très bavarde. » je lui explique. Elle a dû s'en rendre compte, de ça. Mais au moins, maintenant, je suppose qu'elle le sait. Qu'elle en est sûre. Je hausse les épaules, je glisse mes mains dans les poches de mon jean. Non, je ne suis vraiment pas bavarde.

Ça ne me dérange pas quand les autres parlent. Au contraire. Ça m'évite d'avoir à papoter. À trouver des mots. À faire des phrases. Tout ça pour parler de choses qui me dépassent. Ou qui ne m'intéressent pas. Non, je ne suis pas très douée pour parler. Alors, oui, c'est mieux quand les autres se donnent cette peine. Je suis tranquille, je peux me contenter d'écouter. Ou pas. Parce que si ça m'emmerde, ce qu'on me dit, je décroche. J'abandonne le fil de la conversation et je pense à autre chose. Je rentre dans ma bulle. Dans ma petite carapace. Et c'est tout aussi bien. Mais si Lena – Lena, Le-na, L-e-n-a – veut bavarder, elle peut le faire. Tant qu'elle n'en attend pas trop de ma part. Donc pas plus que des « hmhm » et des réponses simples et possiblement composées de moins de cinq mots. Il ne faut pas qu'elle s'attende à plus. Et ce n'est pas contre elle. Pas du tout. J'essaye pourtant. Je ne trouve juste rien à dire. Rien d'intéressant. Je n'aime pas trop parler, je l'avoue. C'est épuisant, de ne pas savoir quoi dire. Parce que j'essaye, parfois. J'essaye de trouver, j'essaye de parler, de dire des choses intelligentes. Mais je ne trouve rien. Alors quand je cherche, oui, c'est épuisant. Et quand j'hésite, c'est épuisant. C'est bien, de ne pas parler. Moi, ça me plaît. Je ne force personne à ne pas parler, cela dit. Les gens autour de moi peuvent papoter, je m'en fiche. Et je lui dis, ça, d'ailleurs. Qu'elle peut parler, si elle veut. Parce que c'est vrai. Je sais que j'ai tendance à mentir parfois, mais pas tout le temps. De temps à autres. Quand c'est vraiment nécessaire. Quand le mensonge est plus beau que la vérité. Quand le mensonge est la seule option qui me reste. Là, oui, je mens. Ça n'arrive pas tout le temps. Et là, je dis vrai. J'ajoute aussi l'évidence même. Je ne suis pas bavarde. Je suppose qu'elle le sait. Qu'elle l'a deviné. Ou peut-être pas. Je ne sais pas. Dans le doute, je lui dis. Comme ça, c'est clair. Sauf que, elle, en plus d'être bavarde, elle doit être curieuse. Rien qu'un peu. Peut-être un peu plus que la moyenne. Elle recommence à parler. Oui, toujours autant. Pour me dire que je ne suis pas normale. C'est ça, qu'elle veut dire, dans le fond. Et je le sais, que je ne suis pas normale. Que je suis bizarre. On me le répète tout le temps. ''T'es vraiment bizarre, ma pauvre fille.'' ''Arrête d'être aussi étrange, Opaline.'' ''Putain, mais tu sors d'où, toi ?'' J'ai l'habitude de ça. Je ne suis pas normale. Apparemment. Je ne vois pas en quoi je suis si étrange. Je ne suis pas la seule à ne pas parler beaucoup. On est beaucoup, dans ce monde. Même sans compter les muets, je suis sûre. Elle se pose aussi une question. Si je suis juste comme ça avec elle. Sans vouloir être méchante, je ne vois pas pourquoi je me donnerais tout ce mal à agir comme ça, juste avec elle. Je ne vois pas ce qu'elle pourrait avoir de particulier pour que je fasse ça. Je suis comme ça, c'est tout. Et finalement, elle balance que je ne dois pas avoir peur de m'exprimer. Ah. C'est nouveau, ça. Parce qu'on m'a toujours dit le contraire, à moi. ''Arrête de sourire, Opaline.'' ''T'es vraiment chiante quand tu parles, Opaline.'' On me l'a répété. Encore et encore. Ne pas montrer ce que je ressens, tout garder pour moi, ne pas m'exprimer. C'est comme ça qu'on m'a programmée. Je ressens quand même beaucoup de trucs. Tout. Beaucoup trop. Je sais que je suis trop sensible, trop émotive. M'exprimer, me faire entendre, ça fait longtemps que j'ai fait une croix dessus. Je ne comprends pas ce qu'elle veut dire. Ce qu'elle veut me dire. On ne m'a jamais dit ça. On me laisse dans mon coin. On me laisse silencieuse. Et je connais plus d'une personne qui aime que je sois silencieuse. Pourquoi elle me dit ça. Mystère. Pourquoi elle le dit, aussi. Ça ne doit pas l'importer beaucoup, que je parle, que je ne parle pas. C'est pas très important. Je penche légèrement la tête sur le côté. Ça me donne l'air débile, je sais. Je reste comme ça, tout en la regardant, intriguée, déboussolée. Ça me rassure, je ne suis pas la seule à raconter des conneries. « Je suis pas douée pour parler. Et j'ai rien à dire. » que je réplique simplement. Donc, non, ça ne vient pas d'elle. Si ça peut la rassurer. Je suis tout le temps comme ça. Et c'est bien d'être comme ça. J'ai moins d'ennuis comme ça. Mon regard se perd au niveau des étagères, de la plus lointaine à la plus proche de moi. J'esquisse un pas en direction des objets. J'en effleure quelques-uns de mes doigts. Des contacts aériens, légers. Il y a beaucoup d'objets. Ça me rappelle les magasins de jouets auxquels je n'allais jamais quand j'étais gamine. C'est marrant. Je crois que ce hangar, c'est un magasin de jouets pour adultes.

Je ne suis pas bavarde. Fin de l'histoire. Pourquoi on s'attarde là-dessus ? Je ne suis pas bavarde, je n'y peux rien. J'essaye parfois de trouver quoi dire. Vraiment. Mais en général, tout ce qu'on attend de moi, c'est que je me taise. J'ai l'habitude maintenant. Alors je me tais. C'est plus simple, moins dangereux. C'est bien, de se taire. Moi, je vois les choses comme ça. Elle doit les voir autrement, Lena. Parce qu'elle est le contraire de moi. Elle parle. Beaucoup. Tout le temps. C'est tout ce que je n'arrive pas à faire. Je ne trouve rien à dire. Sur Dublin. Ou sur d'autres villes. Ou sur quoi que ce soit. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas. Il y a des choses qui m'intéressent. Mais même si on me parlait dessins, je trouverai rien à dire. Parfois, c'est vrai, on me dit des choses qui me passent au-dessus. Des choses dont je me fous complètement. Des choses sur lesquelles je ne perds pas de temps, je ne les écoute pas. C'est normal, de ne pas parler. Oui, pour moi, c'est normal. Mais elle, elle fait comme si c'était étrange, comme si c'était totalement bizarre et sorti d'une autre dimension. C'est pas le cas. Tout le monde a le droit de parler comme il veut. Il n'y pas un nombre de mots imposés à chaque personne sur cette planète. À chaque naissance, on ne choisit pas de noter que tel enfant devra se contenter de cent mots par jour tandis qu'un autre aura droit à dix milles. C'est stupide. J'ai le droit de ne pas parler. Je ne dois pas parler. C'est comme ça. On m'a dit toute ma vie que je devais arrêter de parler, être plus silencieuse. Je le suis. Et quand je parle, il y a toujours des trucs qui vont mal. Toujours. Ça ne fait qu'empirer les choses, de parler. Alors j'évite. J'évite tellement. J'évite tout le temps. C'est tout. Pourtant, à l'écouter, elle, j'ai l'impression que c'est mal. Que c'est un défaut. Ça n'en est pas un. C'est elle qui est bizarre. Elle ne fait que papoter. C'est bien de se taire et de réfléchir aussi. J'aime pas trop ça, la façon dont elle voit les choses. Elle me trouve étrange, j'en suis sûre. Et même si je sais que je le suis parce qu'on me le répète, ça aussi, je n'aime pas qu'elle me regarde comme ça. Ou qu'elle puisse agir comme si c'était mal de se taire. Parce que ça ne l'est pas. C'est bien de se taire, de la fermer. Oui, c'est bien. Je ne vais pas devenir bavarde parce qu'elle a besoin d'une pipelette en face d'elle. Il y en a plein, des bavards, ici, elle trouvera son bonheur. Pour moi, c'est pas elle qui importe. C'est pas elle qui est la plus menaçante pour moi. Et c'est pas elle que je vais devoir supporter une fois sortie de ce jeu. Elle n'est rien. Rien du tout. Alors non, je ne vais pas prendre en compte tout ce qu'elle peut dire. Je suis juste un peu perturbée par la façon qu'elle a de parler. Parler, parler, parler. Elle raconte n'importe quoi. Je la regarde quand elle prend la parole pour dire que je suis effacée. À l'entendre, j'ai l'impression de trop l'être. Effacée. Silencieuse. Invisible. Je ne vois aucun mal à ça, moi. C'est très bien comme ça. Je me laisse juste aller à un minuscule froncement de sourcils, puis je détends aussitôt le pli sur mon front. N'importe quoi. Vraiment. Je le sais, au moins. C'est presque rassurant de voir que je ne suis pas la seule à raconter des conneries. Je suis en train d'examiner rapidement quelques objets du regard, à les effleurer pour occuper mes doigts quand elle reprend la parole. Pour me parler de mes amis. Amis. J'ai quelques visages qui apparaissent dans ma tête. Des gens que je n'aime pas du tout. D'autres gens que je n'aime pas mais que je fréquente déjà plus. Amis. Je ne crois pas qu'on fait ce que des amis font. Et je les déteste, de toute façon. Tous. Tous autant qu'ils sont, je les déteste. Et ils me détestent aussi. Les gens me détestent, c'est comme ça. J'arrête le mouvement de ma main, je penche à nouveau la tête sur le côté, un tout petit peu, avant de me retourner vers elle. « Ils ne sont pas mes amis. Et je ne suis pas leur amie non plus. » j'affirme. C'était pas ça, la question ? « Je les déteste et ils me détestent, on est pas amis. » je continue, sans la moindre hésitation. Pourtant, j'espère que ça n'aura aucune conséquence que je dise ça. Ça provoque un vent de panique, un instant de doute. Ils ont peut-être pas envie de m'entendre dire ça. Il faut que je me taise. Oui, il faut que je me taise. « Donc non, je suppose. » je conclus avant de pincer mes lèvres l'une contre l'autre. Je ne veux pas être entourée de gens qui ne me comprennent pas. Et c'est toujours comme ça. Les gens ne me comprennent pas. Les gens ne m'aiment pas. Je ne fais rien pour ça, moi. Mais puisque ma mère ne m'aime pas, je suppose que je ne peux pas en attendre plus d'autres personnes. Je ne m'attends pas à ce que qui que ce soit m'apprécie. Ça va. C'est pas grave.