Elle me regarde bizarrement. Je sais qu'elle me regarde bizarrement. J'ai l'habitude, d'être regardée comme ça. Ou d'être regardée méchamment. Deux choses que je connais très bien. Deux choses que je n'apprécie pas tellement. Tout le monde me répète que je suis bizarre mais je n'aime pas ça pour autant. Et la façon dont elle me regarde me met presque mal à l'aise. Je suis comme je suis. Pourquoi c'est si difficile à comprendre. Je ne sais pas. Je suis à la limite de faire attention à tout ce que je dis pour ne pas qu'elle continue à me voir comme un drôle de spécimen, comme une bizarrerie sans nom. Pourtant, quand elle me demande si j'ai beaucoup d'amis, je ne tarde pas à lui répondre. À ma façon. C'est la vérité. Je les déteste. Donc non, je ne suis pas leur amie. C'est que les gens pourraient s'y méprendre, on est souvent ensemble. ''Souvent''... Tout est relatif. Assez souvent quand même. C'est pas pour ça qu'ils m'aiment ou ou que je les aime bien. Je les déteste, eux aussi. Les gens ne m'aiment pas, de toute façon. C'est comme ça. Parce que je suis agaçante, que je pleure tout le temps, que je suis trop naïve, que je suis une mauvaise influence. C'est comme ça. Alors non, je n'ai pas beaucoup d'amis. Tout le monde sait qu'il ne faut pas venir me parler. Dans ce jeu, c'est totalement différent. Les gens viennent vers moi, quand la plupart du temps, je n'en ai pas la moindre envie. C'est bizarre. C'est eux qui sont bizarres. Oui, ils le sont, ils n'agissent pas comme tout le monde, ce n'est pas normal. Je vous assure que c'est vrai, ils se comportent étrangement, c'est encore plus inquiétant, ça me donne encore moins envie de penser à leur accorder une quelconque confiance. Ça serait inutile que je leur accorde, de toute façon. Parce qu'après le jeu, je ne vais pas les revoir donc ça sert à rien. Bref. Mes amis donc. Je n'en ai pas beaucoup. Ou pas du tout. Je ne sais pas. Je suis seule. En général. Parfois. Je ne veux pas être entourée de gens qui ne me comprennent pas. Ou qui me regardent bizarrement, vous voyez. Ça sert à rien d'être avec des gens comme ça, à rien du tout. Si ce n'est me faire sentir encore plus mal à l'aise qu'il ne m'arrive de l'être. Elle me pose encore une question, la Lena. Elle a l'air aussi à l'aise que moi. C'est bien, on n'a pas l'air de deux connes, là. Pourquoi je les déteste donc. La réponse devrait me sauter aux yeux. La raison, je la connais. Je crois. Pourtant, je ne peux pas me résoudre à lui répondre ça. Parce que, je ne sais pas, je m'attends à trouver une autre raison, quelque chose d'autre qui prouverait que je fais bien de les détester. Il n'y a rien qui vient. Je les déteste, c'est tout. C'est comme ça. Peut-être que je n'ai pas le droit de les haïr, dans le fond. Peut-être que tout ce qu'ils me font subir n'est pas une raison suffisante pour que je ressente toute cette haine à leur égard. Je ne sais pas. Je cligne des yeux, je cherche toujours quoi lui répondre, lui donner une réponse qui pourrait lui convenir, la satisfaire. Mais non. Rien ne vient. « Parce que je les déteste. » je souffle simplement. C'est une bonne raison, ça. D'accord, ça n'en est pas vraiment une. Je ne pourrais pas expliquer pourquoi. Je ne veux pas en parler. Il n'y a rien à dire, de toute façon. J'observe encore un peu les objets, ce hangar, avant de l'observer, elle. Ça me perturbe, cette histoire. J'ai l'impression qu'elle pense que cette histoire de non-amis que je déteste est bizarre. Ça ne l'est pas pourtant. Ça a beaucoup de sens pour moi. « T'as beaucoup d'amis, toi ? » je lui demande. Il faut définir ''beaucoup'', de toute façon. Ça veut dire quoi, ça ? Dix ? Cinquante ? Deux cents ? Des amis réels ? Des amis facebook ? Juste des potes qu'on voit une fois par mois ? Il faut plus de précisions, je pense. Je ne sais pas. De toute façon, ouais, moi, c'est sûr, je n'ai pas beaucoup d'amis. Ou même pas du tout. Personne ne veut être ami avec moi. Pourquoi qui que ce soit voudrait ça ? Je ne suis pas vraiment le genre de personnes que tout le monde adore. Dah.