Ce n’est pas ça, ce qu’il fallait faire. J’ai dû comprendre de travers. Le mauvais sens. Ce n’était pas la bonne manière. J’aurais peut-être dû le lui demander, avant. Pour être sûre. Je me suis trompée, ça c’est vrai. Il me dit aussi qu’on perd 1000 euros, si on ne le fait pas. Je ne sais pas ce que c’est, moi, 1000 euros. Je ne sais pas ce que ça représente. Je ne sais pas si c’est beaucoup, ou pas. Mais, puisqu’il me dit ça, je pense que ça doit tout de même représenter quelque chose. Pour lui, en tout cas. Quelque chose à ne pas perdre. Vrai, que ça ne me dérange pas, moi, de perdre ça. Mais je n’ai pas le temps de le lui dire, que ce n’est pas si important, sa main est déjà contre ma joue, et inévitablement, ses lèvres contre les miennes. Et ça devient très vite le bazar, dans ma tête, juré, y’a Kat, dans ma tête, un peu Jamie aussi, et c’est vraiment stupide, qu’on doive faire ça, et je suis presque sûre que ce n’est pas une bonne chose, et je suis convaincue que ça ne devrait pas se passer comme ça, un baiser, un vrai baiser, et ça ne me va pas, je crois, je ne voulais même pas, moi, d’abord, et je pense à tout ce qui ne va pas, là, et mes mains se précipitent sur son torse, pour le pousser, fort, le plus fort possible, je veux pas, voilà. Pas comme ça. Mais même maintenant, le bazar, il est toujours dans ma tête, et je le sais bien, que je n’aurais pas dû réagir comme ça, et je regrette, je crois, je n’aurais pas dû, vraiment pas. « pardon, je suis désolée, pardon » je lui souffle, parce que, c’est vrai, je suis désolée, j’espère qu’il ne va pas perdre son argent, quand même, je ne sais pas si ça compte, maintenant, mais il n’a pas l’air de vouloir le perdre, c’est dommage s’il en perd à cause de moi, je m’en veux, maintenant, j’aurais pas dû le pousser, pas comme ça, et puis, j’aurais pas dû le pousser aussi fort, il était doux, lui, il mérite pas ça, je suis sûre.

En soit, t’en avais rien à faire de l’embrasser ou non, Louise. T’en avais déjà embrassé pleins, des femmes. Et puis, si ça te permettait de ne rien perdre, tant mieux. Mais dès que tes lèvres touchent les siennes, elle te repousse violemment. Ah ouais. C’est sûrement la première fois qu’on te repousse comme ça. Et faut avouer que ça ne te plaît pas. Pas du tout. Même si tu n’y portais aucune importance à ce baiser, ça ne te plaît pas. Tes sourcils se sont automatiquement froncés. Tu ne la regardes plus, tu regardes un autre coin de la pièce. Elle s’excuse. T’as plus envie de lui parler. Tu ne prends même pas la peine de lui parler. Pourquoi lui avais-tu même adressé la parole au début ? Pff. « Hm. » que tu te contentes de dire. Enfin, ce n’était même pas un mot, ce pff. Ouais, voilà, t'étais pas d'humeur au début, mais tu l'es encore moins maintenant. La faute à Louise.

Il regarde autre part, c’est plus moi, qu’il regarde, et je ne sais pas trop si ça me plait, ça. Non. Je crois que je préférais tout à l’heure, finalement, parce qu’il ne m’en voulait pas. J’ai tout gâché, je crois, et je regrette, vrai. Il ne me répond à peine. Je ne sais pas si ça compte, ça, comme réponse. Il aurait pu tout aussi bien grogner. Ça ne me plait pas, moi, je ne voulais pas ça. J’attends un peu, une dizaine de secondes, ou peut-être plus, je ne sais pas, mais, rien ne change. Il ne me regarde toujours pas. Je prononce son prénom, je l’appelle, mais, rien, rien de rien. Je pose ma main sur son bras, mes doigts qui resserrent un peu son pull, nerveusement, ça va pas, il ne m’apprécie pas, je le sais, et je ne sais pas ce qu’il faut faire, avec lui, pour que ça aille mieux, pour se faire pardonner, mais je ne voulais pas ça, moi, juré, je n’ai pas fait exprès pour le fâcher moi. « tu sais, peut-être que si on demande, tu ne perdras pas 1000 euros. » je me mordille la lèvre, je ne sais même pas quoi dire, moi. « Peut-être que tu peux me prendre 1000 euros, à moi, pour compenser ? » je demande, je ne sais pas, ça me dérange pas, de lui donner ça, pour qu’il ne perde rien, c’est vrai, c’est pas grave.

Elle avait osé te repousser comme ça. Toi. Elle avait osé, la Louise. Et ça ne te plaisait pas du tout. T'étais pas content, autant le dire. Et ça se voyait. Personne ne t'avait quelque chose comme ça. Jamais. Jamais, jamais. Tu ne la regardes plus, tu ne lui réponds pas quand elle t'appelle. T'as pas envie de lui parler, toi. T'as plus envie de la voir. Qu'elle parte. Oui, qu'elle parte, t'étais pas content, là. Tu pourrais te mettre en colère et lui crier dessus, mais il est trop tôt et tu es trop fatigué, là. Alors tu te contentes de l'ignorer, de faire comme si elle était pas là. Et puis, elle parle de l'argent. Tu ne l'écoutes que d'une seule oreille, tu t'en fous. T'es plus fâché que vexé. Fâché qu'on t'ait fait ça, à toi. « Arrête ça, Louise. » répliques-tu, encore plus séchement que d'habitude. Oui, qu'elle arrête. Qu'elle arrête de te parler, qu'elle arrête ça. Tu ne voulais pas d'elle. L'ours était pas content, voilà.

Il me demande d’arrêter, c’est tout ce qu’il fait, vraiment. Il ne me regarde toujours pas, et je le sens bien, qu’il m’en veut, il me regarderait peut-être, si ce n’était pas le cas, je ne sais pas. Je me mords la langue, fort, fort. Je ne veux pas faire l’enfant, je ne veux pas me mettre à pleurer, quelque chose comme ça. Alors, je me mords la langue. Je crois que ça évite que mes yeux me piquent un peu. Je crois même que ça marche, vrai. C’est la façon dont il parle, qui me rend comme ça, je n’ai pas l’habitude, et je ne veux pas, moi. Je ne lâche pas ma main, sur son bras, ni mon regard. J’aime pas ça, la situation, là, ça me gêne, je veux pas qu’il m’en veuille à moi, je veux pas. Je bouge un peu, je passe l’une de mes jambes de l’autre côté de son corps pour m’asseoir sur lui. Et puis, je pose mes deux mains sur ses joues, pour tourner doucement son visage vers le mien, pour l’obliger, un petit peu, à me regarder. « m’en veux pas, s’il-te-plait, m’en veux pas. » je lui demande, pas fort. C’est vrai qu’il va peut-être grogner, l’ours, ou me pousser, comme je l’ai poussé, moi, et il aurait sans doute raison de faire ça, il a peut-être même raison de m’en vouloir, je ne sais pas.

Elle n'a pas l'air de comprendre, Louise, que t'es encore moins d'humeur à supporter quelqu'un, là. Non, elle ne comprend pas, et elle s'obstine sur toi. Ça te plaît encore moins. T'es quelqu'un qui a pour habitude d'être seul, alors quand on t'obligeait à supporter quelqu'un, ça ne le faisait pas vraiment. Pourquoi ne partait-elle pas, tout simplement ? Qu'elle aille dormir, qu'elle retourne dans sa chambre. Qu'elle te laisse tranquille, un peu. T'avais pas envie de parler. De lui parler. T'étais pas content, maintenant. De mauvaise humeur. Mais non, elle ne fait rien de tout ça, parce qu'elle monte sur toi, s'asseyant sur tes genoux. Mais quel toupet. Elle pose même ses mains sur tes joues, et tu tournes la tête pour la fusiller du regard. Enfin, de gentilles fusillades, parce que ton regard pouvait être bien pire que ça, vous savez. « C'est quoi ton problème, à toi ? » que tu demandes froidement. T'es bien tenté de la repousser, mais tu ne peux pas faire ça. T'es quelqu'un qui n'arrive pas à contrôler ta force, et t'as trop peur qu'elle se blesse ou quoi.

Vrai, que j’essaye de tenir son regard, comme tout à l’heure. J’essaie vraiment, de mon mieux, juré, pour être un peu plus forte. Kat, elle y arriverait, à ça. Kat, je suis sûre qu’elle arriverait à le faire flancher lui, elle gagnerait, ça, c’est sûr. Mais pas moi. Je n’arrive pas à être forte comme elle. Surtout pas avec un regard comme celui de Sandro, ça non. Et pire, lorsqu’il me répond. Je sens mes yeux qui commencent à me brûler, et je tourne le visage, un instant, autre part, ça va pas, ça, si mes yeux me brûlent. Il faut pas. Et pas devant lui. Déjà qu’il ne m’apprécie pas. Je le sais bien, que ce sera pire, si je pleure, il faut pas, c’est tout. Je prends une grande respiration, pour pas penser à ses yeux à lui, ni à sa façon de me parler. Et je retourne la tête vers lui, mais je regarde plus ses yeux, je veux plus, finalement, je baisse le visage, je me concentre sur mes doigts, qui ont quitté son visage pour se poser sur son torse, et qui tordent un peu nerveusement le vêtement. « C’est pas vrai, j’ai pas de problème. » je veux pas en avoir un. Il ment. Il ment encore. Il aime bien mentir, je me dis. Il faudrait le lui dire, un jour, que ce n’est pas si bien, de mentir. « Et toi. C’est quoi ton problème à toi. » c’est lui qui en a un. Je suis sûre. C’est un ours. Il en a un, forcément. Il est triste. Il en a un.

Tu ne savais dès le début que c'était une mauvaise idée de rester ici, dans ce salon. T'aurais dû partir de l'endroit dès que tu avais vu qu'il y avait une personne. Ça t'aurait évité qu'elle te rende d'une humeur massacrante. Elle reste sur toi, tu comprends pas trop ce qu'elle fait, t'as juste envie qu'elle te laisse tranquille. Tu veux seulement être seul. Elle s'obstine, elle s'obstine beaucoup trop. Tu ne vois pas quel est son but en faisant ça, en t'obligeant à la regarder, en se mettant sur toi. Ça t'énerve, de pas savoir. « Si,t 'as un sérieux problème. Qu'est-ce que tu me veux, bon sang ? » que tu dis, sur un ton presque agressif. Oh oui, t'étais doué pour être quelqu'un d'agressif. Tu l'étais. T'es toujours aussi froid. Et puis elle te demande quel est ton problème à toi. La blague. Tu lèves les yeux aux ciels, et serre la mâchoire. « Pour le moment, mon seul problème, c'est toi. » que tu lui fais comprendre. Elle s'accroche bêtement à ton t-shirt. Tu ne comprends pas ce qu'elle a. C'était elle qui avait un problème, pas toi.

J’ai un problème, un problème sérieux, c’est ce qu’il dit, je veux pas le croire, j’aime pas les problèmes, encore moins les problèmes sérieux, et puis, c’est pas vrai, d’abord, je suis sûre qu’il ment, moi, ça j’en suis sûre. Je reste muette, les yeux rivés sur son t-shirt. Je crois que je ne veux plus l’écouter, maintenant, il ment, c’est tout ce qu’il fait, lui, il ment. Il ment, et il est méchant, voilà. Je ne sais pas ce que ça lui apporte, moi, d’être comme ça. Il me demande ce que je lui veux. J’aime plus sa voix. J’aime plus ses yeux. Je l’aime plus. Comme si je lui voulais quelque chose. Je ne sais pas, moi, ce que je lui veux. Rien, je crois. Je suis son problème. Il le dit. S’il le dit, c’est que ça doit être vrai. Même s’il aime bien mentir. Il doit le penser, ça, ça doit être la vérité. Je ne voulais pas être son problème. Vrai, je ne voulais pas le fâcher. Mes doigts qui s’énervent sur son t-shirt. Il m’énerve, maintenant. Ou c’est moi, qui m’énerve. Je m’en veux à moi. A cause de lui. Je ne sais pas trop. Mais ça va plus, plus du tout, ça, c’est sûr. Et c’est de ma faute, surtout. J’aimerai bien m’excuser, parce que je ne voulais pas être un problème. Mais les mots, ils restent coincés, là, bien coincés. Ça m’énerve, vrai, que ça m’énerve. Je bouge encore un peu, pour m’enlever, je ne sais plus quoi faire, moi. Ça ne fait pas comme ça, avec Jamie. Même quand je le fâche. Il n’est pas comme ça. Jamais. Ça me bloque, c’est vrai ça. Je passe la porte. Peut-être que ça ira mieux, si je trouve Oliver. J’attendrai qu’il se réveille, s’il dort encore, je suis sûre que ça ira un peu mieux.

Les gens ne t'aiment pas, c'est comme ça. Ils font un efforts au début en essayant de se convaincre qu'on peut faire quelque chose de toi, avec toi, mais ils sont vite déçus, et ils abandonnent aussitôt. T'as un caractère de merde, et personne ne te supporte. C'est la vie, c'est toi. Ta destiné, entre autre. Tu restes seul parce que t'aimes ça, mais aussi parce que personne d'autre ne pourrait te supporter, ou ne serait assez gentil pour rester avec toi. T'es méchant. T'es colérique. T'es désillusioné. Tu n'es pas heureux. Tu ne souris pas, et tu ne parles pas beaucoup. T'es comme ça. Elle a dû s'en rendre compte. Ca doit être pour ça qu'elle se lève et qu'elle commence à partir. Tu n'es pas quelqu'un de fréquentable. Tu n'es pas quelqu'un de bien. Tu la regardes un instant sans rien dire, et tu finis par t'allonger sur le canapé, un bras sous ta tête, et tu soupires. Tu soupires parce que t'es irattrapable et insupportable. Elle a sûrement raison, t'es un ours triste.