Filmer était sa passion. Pour lui, ça n'était pas qu'un hobby, qu'un loisir occasionnel qui l'occupait de temps à autres, mais bien ce de quoi il vivait, ce qu'il avait ni plus ni moins placé au centre de son existence. Mais il y avait plusieurs façons de filmer. Il y avait la sienne, et il y avait celle-ci, celle qui consistait à filmer les moindres faits et gestes des différents candidats, pour ensuite les exposer, ne serait-ce que dans cette salle à la fonction toute trouvée. Très honnêtement, Sully n'était pas des plus à l'aise avec cette façon de faire. Sans doute parce qu'il respectait la vie privée d'autrui et trouvait le coté intrusif d'un jeu comme celui-ci un peu limite, disons. Pourtant il était là, aujourd'hui, et il est vrai qu'il n'avait pu s'empêcher de laisser ses yeux se river sur les différents écrans qu'il avait face à lui. Il y en avait beaucoup, et l'on pouvait y voir un certain nombre de choses, un certain nombre de personnes. Le spectacle n'était pas censé être intéressant, mais il parvenait pourtant à le captiver. Au fond, il devait être comme les autres, curieux et avide de savoir ce que pouvaient bien faire les autres, quand ils étaient seuls - ou qu'ils ne l'étaient pas d'ailleurs - et qu'ils en oubliaient la présence des caméras. C'était assez vicieux, pourtant, d'être ici et de tout voir, de tout savoir, et même de pouvoir tout entendre, si on le désirait. C'était se donner un pouvoir prétentieux et c'est très probablement parce qu'il se fit cette réflexion que Sully finit par en conclure qu'il serait plus à l'aise à l'extérieur de cette pièce. Mais il n'eut même pas le temps de terminer son demi-tour sur lui-même pour affronter la porte que celle-ci s'ouvrit sur une silhouette qui le stoppa dans son élan. Il croisa les bras et lui sourit, probablement encore un peu plus gêné de se trouver ici. « Ce n'est pas ce que tu crois » qu'il souffla, sans trop savoir pourquoi. Pas nécessairement par désir de se justifier. Plutôt par correction. « Je ne me permettrais pas » ajouta-t-il alors, dans un sourire moins crispé. Et puis il soupira et se remit à fixer les écrans. Non, ça n'était décidément pas pour lui.

Il ne se sentait véritablement pas à l'aise au sein de cette pièce. Savoir qu'il pouvait avoir accès à l'intimité de ses camarades, qu'il pouvait les espionner jusque dans leurs moindres faits et gestes, ça ne le tranquillisait pas. Sans doute parce qu'il n'avait pas l'âme d'un big brother et qu'il estimait qu'il y avait d'autres manières de satisfaire sa curiosité que de scruter de vulgaires écrans pour s'informer d'autant de choses et avec tant de facilité. Alors oui, il pensait de plus en plus à quitter cet endroit et à en rejoindre un autre, là où il ne culpabiliserait pas de tout voir et de tout savoir, ce qu'il estimait être trop prétentieux pour qu'il s'en accommode. Il avait beau avoir détaillé ces écrans, leur avoir trouvé un certain intérêt pendant une minute ou deux, il ne pouvait que constater que tout ça n'était pas pour lui, qu'il respectait beaucoup trop l'intimité de chacun pour se complaire dans ce genre de rôle, et qu'il serait bien mieux ailleurs, loin de ces écrans. Ainsi donc, c'est dans l'optique de ne pas s'éterniser ici qu'il se tourna vers la porte. Mais il ne put l'emprunter car celle-ci s'ouvrit presque instantanément, laissant alors entrer une jeune femme. C'était Lena. Il ne fit guère un geste de plus et se contenta de rester assez statique, dans un premier temps. Le fait est qu'il n'était pas dans n'importe quelle pièce et qu'il craignait que la fonction bien connue de celle-ci ne créé un quiproquo. Alors il finit par s'adresser à sa camarade, préférant qu'elle ne s'imagine rien, qu'elle ne fasse pas de conclusion hâtive, ce qui serait navrant et bien inutile. Il ne récolta alors qu'une brève réponse, qui ne parvint ni à l'angoisser davantage, ni à le rassurer un tant soit peu. Sans doute devrait-il s'en contenter. Car sans doute était-elle du genre peu loquasse, elle aussi. Il connaissait ça et ne pouvait décemment pas l'en blâmer. Finalement, le jeune homme reprit la parole, précisant qu'il ne se permettrait pas. Peut être était-il le seul à se comprendre à cet instant précis. Ou peut être n'étaient-ils que deux. C'est ce qu'il préférait penser, car il ne voudrait vraiment pas qu'elle se méprenne. Elle disait ne pas juger. Bien. Elle éviterait sans doute de l'imaginer voyeur, et ce ne serait pas plus mal, assurément. Il hocha alors doucement la tête, sans doute assez rassuré, après avoir reporté son regard, et toute son attention, sur Lena. Elle poursuivit et Sully eut tendance à être d'accord avec elle, avec le point de vue qu'elle avança. Un point de vue sans doute un peu naïf, au fond. « Tout est outrance, tout est démesure. Tout est contraste, aussi, quand tout ça nous ramène à notre réalité et nous rappelle combien nous sommes étrangers, pour la majorité d'entre nous, à cet exorbitant inédit. » Par exemple, il est vrai que ce matériel de vidéo-surveillance devait couter un bras, et il fallait par exemple tenir compte du fait que même Sully, qui montait lui-même les films qu'il tournait et en faisait tout bonnement son métier, ne pouvait pas s'équiper d'un matériel électronique aussi pointilleux. Sa camarade l'interrogea alors sur le fait qu'il soit "dans le Cinéma", justement, ce qui le fit sourire, notamment la partie sur l'Oscar. « Je suis ce qu'on appelle communément un cinéaste, c'est à dire que je ne suis pas qu'un réalisateur, je suis aussi un scénariste, un cadreur et un monteur, entre autres fonctions qu'il m'arrive parfois d'exercer, plus occasionnellement. » Il s'entourait généralement d'amis ingénieurs du son, mais quand ces derniers n'étaient pas disponibles, il fallait bien qu'il magne la perche lui-même. « Et non, je n'ai pas remporté d'Oscar, et à vrai dire ça n'est même pas l'une de mes aspirations. J'estime qu'il y a d'autres manières de saluer le travail d'un cinéaste que de lui faire cadeau d'une statuette en britannium. » Ce n'était pas le genre de reconnaissance qu'il attendait, c'est vrai. Il n'attendait en soit rien de la grande industrie cinématographique, qu'il trouvait démesurée elle aussi. Son art à lui était plus modeste, plus personnel. Oui il avait moins de moyens, mais il apportait autre chose à ses films que du pognon sorti des poches de producteurs véreux. Mais assez parlé de lui, il allait se remettre à penser qu'il était ennuyant. « Et toi, dans quel domaine travailles-tu ? Tu parais bien jeune. Encore étudiante, peut être ? » Autant d'intéresser à l'activité de la jeune femme à son tour. L'idée était après tout d'apprendre à se connaitre. Il fallait bien.

C'était délicat. Délicat parce qu'ils se rencontraient ici, dans cette régie, et donc pas n'importe où. Ailleurs, ça l'aurait moins embarrassé. Mais ici, ça le gênait beaucoup. Il ne voudrait pas que Lena s'imagine qu'il passait son temps à scruter les écrans pour se renseigner sur tous leurs petits camarades. Il ne voudrait pas que Lena s'imagine qu'il passait son temps à se renseigner sur elle, surtout. Il ne voulait véritablement pas qu'elle se mette ce genre de choses en tête, car ce serait bien mal le connaitre, et qu'il ne voulait pas donner l'image d'une fouine. Il n'était pas comme ça. Et il lui faisait confiance. Ainsi, il se sentit obligé de se justifier, parce que ça lui sembla nécessaire, sur le moment, et qu'il voulait être certain qu'il n'y aurait aucun malentendu, ni aujourd'hui, ni à l'avenir. Sa camarade se montra alors compréhensive, allant même jusqu'à souffler qu'elle ne le jugeait pas, de toute manière. Ça, il s'en doutait bien. Elle ne donnait pas l'impression de juger ses semblables. Il ne savait rien d'elle, vraiment rien, mais percevait chez elle une droiture nette et flagrante. Sans doute était-elle une fille bien. Sans doute cela expliquait-il certaines choses. La jeune femme se laissa alors aller à un commentaire auquel l'américain se montra très réceptif. Il n'aimait pas nécessairement critiquer à tout va, mais il est vrai qu'il avait l'esprit d'un insurgé, de quelqu'un qui s’accommodait difficilement d'une société qu'il jugeait blâmable sur bien des points. Alors oui, il se laissa bientôt aller à un discours qui le surprit lui-même, un discours où il exprima l'indignation qui était la sienne face à tant d'outrance, face à l'idée qu'on puisse investir tant d'argent dans des programmes comme celui-ci - qui avaient leur intérêt, il ne disait pas le contraire - quand d'autres structures en manquaient cruellement. Et puis il y avait aussi l'idée selon laquelle ils étaient quasiment tous profondément étrangers à cet univers inédit et démesuré. Alors oui, il ne se sentait définitivement pas à l'aise, que ce soit au sein de cette pièce bien précise, ou de cette aventure en général. Peut être parce que ça ne faisait pas écho aux valeurs qu'on lui avait inculqué. Peut être parce qu'il avait un peu honte, dans un sens, de s'y trouver. La répartie de Lena ne manqua alors pas de l'amuser. Il suffirait qu'elle soit apte à développer un esprit un peu critique, d'aller plus loin que son point de vue de tout à l'heure, et elle pourrait comprendre ce qu'il avançait. Quand à savoir si Sully avait raison, c'était autre chose. Il ne pouvait pas penser que oui, car ce serait prétentieux, mais il ne pouvait pas non plus se donner tort, car il croyait véritablement à ce qu'il disait, à savoir que l'argent était mal réparti. Il se contenta alors de sourire, tandis qu'elle le questionna bientôt sur son métier. Il lui fit alors savoir qu'il était cinéaste, qu'il n'avait pas que la casquette du réalisateur en somme, et Lena sembla assez enthousiaste à cette idée. « C'est une passion, et je ne la vois pas comme une labeur » souffla-t-il alors. Il aimait ce qu'il faisait et ne s'exploitait pas. « Il y a beaucoup de professions plus harassantes que la mienne. » Certaines étaient même relativement dangereuses. Toujours plus curieuse, Lena reprit avec une autre question. « Non, j'ai préféré la jouer autodidacte, parce que le Cinéma tel qu'il est enseigné dans les facultés est trop théorique, et parce que ma famille n'avait pas les moyens de me payer une école privée. » Mais il estimait préférable de ne pas compter sur des professeurs pour ce genre d'enseignement. Non pas qu'il ait toujours eu la prétention de penser qu'il pouvait largement s'en passer, mais il est vrai qu'il avait préféré apprendre par lui-même, progressivement. Quant à cette histoire d'oscar, elle l'amusait quelques peu. Sans doute n'en gagnerait-il jamais - ça n'était pas prévu, en tout cas - mais il prit tout de même la peine de sourire et de hocher la tête aux propos de sa camarade. C'était plutôt mignon. Mais Sully estimait avoir lui aussi le droit d'être curieux, c'est pourquoi il se permit de demander à Lena ce qu'elle pouvait bien faire dans la vie. La voyant jeune, il pensa à des études. Mais il semblerait que ce ne soit pas le cas. « Qu'étudiais-tu ? » fut alors la seule chose qu'il lui demanda. Il avait compris qu'elle avait cessé d'étudier par amour - ou par religion, si c'est Dieu qu'elle avait rencontré - mais ça ne le regardait pas. Finalement, il apprit qu'elle était baby-sitter. « Des gens bien touchent des salaires médiocres quand des pourris s'en mettent plein les poches ... Ça ne date pas d'hier, hélas. » Et à cette pensée, un soupire lui échappa. « Je vais arrêter ce genre de discours, sinon tu vas finir par penser que je prépare une révolution » reprit-il alors, en riant quelques peu. Quant à savoir s'il aimait les enfants ... « Oui, le feeling passe généralement bien avec eux. Toi, je suppose que tu ne fais pas ce métier par hasard ... » Autrement dit, il supposait qu'elle aimait s'entourer d'enfants et que c'était notamment pour ça qu'elle en gardait. Ça semblerait logique. « Tout se passe bien pour toi, ici ? » qu'il finit par demander. Sans doute parce qu'il se sentait un peu concerné.

Il est vrai que Sully avait parfois un petit coté insoumis. Certaines choses lui déplaisaient dans la société d'aujourd'hui, et lorsqu'on lui donnait l'occasion de s'en plaindre, il est certain qu'il passait rarement à coté, pas par plaisir de protestation, mais parce qu'il estimait qu'il y avait véritablement un problème quelque part. Pour autant, il ne se considérait pas comme un révolutionnaire, vu qu'il ne prétendait pas pouvoir changer quoi que ce soit au monde qui l'entourait, que ça n'était pas son but. Il déplorait simplement certaines mentalités, certaines façons de faire, certains fonctionnements, et tenait parfois des discours un peu "engagés", sans qu'il ne soit jamais question de mener qui que ce soit à la révolte. De toute façon, la société se complaisait dans bon nombre d'inégalités, d'injustices, contre lesquelles plus personne ne pouvait probablement rien faire, tant tout était question de pouvoir et d'argent. Car c'était l'argent qui lui posait probablement le plus gros problème. L'argent et la façon dont celui-ci avait tendance à être réparti, géré et dépensé. De manière outrageuse, donc, ce qui n'avait évidemment rien de nouveau, et qui ne cesserait probablement pas de si tôt. Alors oui, il était désormais assez désolé vis à vis de Lena de s'être laissé aller à ce genre de prises de parole, elle qui devait probablement le prendre pour un rebelle qu'il n'était pas. Il était simplement assez mal à l'aise d'évoluer dans ce nouvel environnement, dans ce qui d'après lui constituait la preuve que beaucoup d'argent était mis dans certaines structures, quand très peu était mis dans d'autres. Mais il n’ennuierait heureusement pas sa camarade plus longtemps, estimant préférable de ne pas en rajouter, histoire de ne pas avoir l'air d'un type qui se plaignait de tout. La suite ne tarda alors pas, et elle concerna son métier. Sa camarade, visiblement au courant du fait qu'il soit cinéaste, lui demanda alors s'il avait déjà gagné un Oscar, ce qui le fit alors rire, lui qui n'avait pas la prétention - ni l'envie, d'ailleurs - d'en remporter un à l'avenir. Non, il estimait que se récompenser était prétentieux, et que tout ce cirque restait de toute façon subjectif. Ce n'était, d'après lui, pas les récompenses qui déterminaient le talent. Lena sembla en tout cas assez impressionnée par le fait qu'il ait en fait plusieurs casquettes - pas que celle du réalisateur, en somme - puis chercha à savoir s'il avait étudié le Cinéma quelque part, ce qui n'était pas le cas. En effet, il avait d'office refusé d'étudier dans une faculté, où tout aurait été beaucoup trop théorique pour lui, et n'avait jamais eu les moyens d'entrer dans une École des Métiers du Cinéma. C'est alors que les paroles de Lena le surprirent quelques peu, elle qui disait le trouver déterminé et travailleur. Elle qui disait l'admirer. Sur le moment, il resta silencieux, véritablement étonné de l'entendre lui dire ça, lui qui n'avait jamais tellement eu le sentiment d'impressionner qui que ce soit, et encore moins de susciter une quelconque admiration. Mais cette jeune femme, qu'il connaissait à peine, disait l'admirer. Alors un sourire finit par gagner ses lèvres, et étira nettement celles-ci. « Ce n'est pas une chose que j'entends tous les jours » commenta-t-il alors, spontanément et sincèrement. « En tout cas, ça me touche. » Car savoir que quelqu'un trouvait courageux qu'il se soit formé seul avait tendance à le toucher, oui. Il avait beau très peu connaitre Lena, ça restait une chose agréable à entendre, non pas parce qu'il aimait être flatté - il savait qu'elle n'avait pas dit ça pour qu'il le soit - mais parce que c'était symbolique. Quant à Lena, et alors qu'il avait pensé - en se fiant à l'âge qu'elle devait avoir - qu'elle était encore étudiante, il semblerait qu'elle ait au contraire arrêté ses études il y a quelques années. Par réflexe, Sully lui demanda ce qu'elle étudiait avant d'y mettre fin. Et c'est au moment où il lui posa la question qu'il se trouva bête de le faire, en déduisant de par l'âge qu'elle avait cité qu'il s'agissait tout simplement du lycée, à savoir d'un programme divers et varié, ce qu'elle lui confirma bientôt. « Peut être que le système éducatif ne t'était pas adapté et qu'ainsi tu t'es facilement démotivée. » Et si elle ne s'y sentait pas à sa place, rien n'aurait sans doute servi d'insister. Il ne cherchait pas à lui trouver des excuses, simplement à exprimer ce qui lui semblait être une théorie plausible dans son cas. De toute façon, ça n'était pas bien dramatique. Et puis, ça ne l'avait pas empêché de trouver du travail, et c'était assurément le plus important. Même si bon, comme d'habitude, ce genre de postes souffraient de salaires dérisoires. Ça ne l'étonnait même pas, et pour le coup, il passerait vraiment pour un râleur professionnel, ce qui sembla amuser sa camarade. Finalement, ils en vinrent à parler d'enfants, et Sully ne fut pas étonné d'apprendre que sa camarade les aimait. Si elle s'en occupait, c'était sans doute surtout par envie. « Si ton travail t'épanouit et que tu aimes ce que tu fais, c'est le principal » souffla-t-il, étant bien placé pour savoir que faire ce qu'on aime reste le mieux. Il en vint ensuite à la questionner sur ses premiers jours d'aventure, désireux de savoir si tout s'y passait bien pour elle. Désireux d'être rassuré, aussi, peut être. « Tant mieux. Et de toute façon, si quelque chose n'allait pas, tu sais que tu pourrais m'en parler. » Il marqua un silence et l'observa avec bienveillance. Il ne voulait pas s'improviser ange gardien, simplement lui faire comprendre qu'il n'était pas son ennemi, loin de là. Bien sûr qu'il espérait que les choses restent simples à vivre, mais si ça n'était pas le cas, il serait là pour l'aider. C'est alors qu'elle parla de nominations et le renvoya à la réalité, au fait qu'elles soient effectivement annoncées le lendemain. La naïveté de la jeune femme le fit alors sourire, avec une certaine tendresse. Il lui trouvait une candeur assez touchante. « Effectivement, c'est demain. Mais tu sais, ici, c'est un peu un univers impitoyable où tout le monde n'aura pas nécessairement autant de scrupules que toi à éliminer la concurrence. Alors n'accorde pas ta confiance trop facilement, Lena. Et surtout, ne te culpabilise pas. » Lui même n'était pas tranquille en cette veille d'annonce des premières nominations, mais il savait que certains pouvaient avoir meilleure conscience qu'eux d'avoir du nominer. Ce qu'il attendait d'elle, en fait, c'est qu'elle ne s'en veuille pas pour des choses qui constituaient simplement le jeu. D'autres ne s'encombreraient d'aucune culpabilité, c'était certain.

Faire du Cinéma, pour quelqu'un comme Sully, ce n'était pas aspirer à la gloire et aux paillettes. Ce n'était pas non plus vouloir devenir milliardaire et se payer autant de villas que de voitures. Et ce n'était pas davantage faire des films en espérant être nominé lors d'une prestigieuse remise de prix pour peut être en ressortir lauréat. Non, tout ça n'avait jamais fait partie de ses aspirations. S'il avait voulu en faire son métier, s'il s'était mis en tête de devenir cinéaste, ça n'était absolument pas pour se la jouer à l'hollywoodienne et ne plus faire de films que pour faire parler de lui et s'enrichir un maximum. Ce n'était absolument pas la vision qu'il avait de son art, de sa profession. Pourtant, Dieu sait qu'on lui avait proposé de rejoindre bon nombre de studios, par le passé, lui qui n'avait pourtant jamais eu l'intention d'en intégrer un. La liberté de faire ses propres films, sans dépendre du fric de producteurs véreux, il y tenait beaucoup. En tous les cas, il fut particulièrement agréable d'entendre Lena dire qu'elle l'admirait. Clairement, ce n'était pas tous les jours qu'on lui adressait des propos aussi plaisants, alors ça n'avait pas manqué de le toucher, sincèrement. C'est d'ailleurs ce qu'il adressa à sa camarade, elle qui lui paraissait décidément si pure, si charmante. Il ne manqua alors pas de manifester de l'intérêt pour la suite, où ils en virent à évoquer les études de la jeune femme, qu'elle avait apparemment arrêté au stade du lycée. En soit, ce n'était pas bien grave, car ça ne déterminait pas nécessairement la suite - Sully lui même avait simplement terminé le lycée et ne s'était pas lancé dans des études supérieures - et la seule chose peut être un peu dommage n'était alors que le fait que le système éducatif n'ait pas du correspondre à la jeune femme. Alors oui, ça pourrait expliquer le fait qu'elle ait manqué de motivation et qu'elle se soit ensuite découragée. Lena disait alors qu'elle ne s'était pas démotivée, dans la mesure où elle n'avait jamais tellement été pourvue de motivation. A l'écoute de ces paroles, Sully afficha un sourire bienfaisant, trouvant plutôt amusant qu'elle insiste sur ce fait, peut être parce qu'aujourd'hui elle avait tendance à se ficher de ce qu'on pouvait bien en dire, et il est certain qu'elle aurait bien raison. Le jeune homme, en tout cas, ne se permettrait jamais de la juger. Autant parce qu'il la trouvait adorable que parce qu'il n'était pas du genre à porter des jugements sur la vie des autres, estimant que la sienne était également loin d'être parfaite. Il ne répondit alors rien, pensant que ça n'était pas nécessairement un sujet sur lequel il faisait bon s'éterniser. De toute façon, savoir qu'elle avait arrêté ses études au lycée n'avait aucune chance de changer ce qu'il pensait d'elle. Ce n'était pas les études qui faisaient les gens, d'après lui. La preuve, cela n'avait pas empêché Lena de trouver du travail. Certes, baby-sitter n'était pas le genre de boulots qui devaient beaucoup rapporter - Lena l'en informa d'ailleurs elle-même - mais le principal était tout de même qu'elle fasse ce qu'elle aime, à savoir s'occuper d'enfants. Sully était alors bien placé pour savoir qu'il était plus important de s'épanouir dans son travail que de s'enrichir grâce à lui. Du moins, c'était sa conception des choses. Finalement, le jeune homme se permit de la questionner sur ses premiers jours d'aventure, préférant être certain que tout allait bien, qu'il n'y avait aucun problème, à aucun niveau. De ce qu'il savait désormais de la jeune femme, elle lui semblait être quelqu'un d'incroyablement innocent, d'un peu naïf aussi, sans doute. Alors oui, il préférait s'assurer du fait que personne ici ne puisse vouloir en profiter. Il ne prétendait pas savoir exactement ce qui se tramait dans ce genre de jeux, mais il n'était pas nécessairement tranquille à l'idée qu'une jeune femme comme Lena côtoie des gens aux intentions sans doute moins honorables que les siennes. Alors oui, il l'informa du fait qu'il ne verrait aucun inconvénient à ce qu'elle se confie à lui si elle en ressentait le besoin. Bien sûr, il lui souhaitait de vivre une aventure sans encombre ni difficulté, mais dans l'éventualité où tout ne serait pas aussi simple, il voulait qu'elle sache qu'il était là. « Je ne serai jamais bien loin » qu'il lui souffla, en lui souriant avec tendresse. Et c'était vrai. Car il aurait naturellement envie de passer du temps avec une jeune femme avec qui discuter était aussi agréable, et parce qu'il pourrait ainsi s'assurer du bon déroulé de son aventure plus directement. Il fut ensuite question des nominations qui seraient annoncées le lendemain. L'occasion pour Sully de rappeler à Lena que, par ici, trainaient peut être des gens beaucoup moins scrupuleux qu'elle pouvait l'être. Il ne faudrait pas qu'elle accorde sa confiance trop facilement, surtout avec cette histoire de traitres. Il commençait à la connaitre, à deviner ce qu'il ne savait pas encore de sa personne, alors il préférait qu'elle soit bien consciente qu'étant dans un jeu, elle serait peut être amenée à s'y méfier des autres. Sa réaction ne se fit alors pas attendre, et il est certain que Sully s'était attendu à ce genre de répartie. « Personne, et certainement pas moi, ne te demandera d'aller à l'encontre de tes principes. Ce que je te demande simplement, c'est de ne pas oublier où tu es et quel genre de personnes tu es susceptible d'y rencontrer. » Car lui non plus n'allait certainement pas s'improviser gros stratège et tenter d'éliminer la concurrence par tous les moyens. Ce n'était absolument pas comme ça qu'il fonctionnerait, c'est certain, mais il n'en serait pas moins méfiant pour autant. Car il se doutait bien que ceux qui étaient véritablement prêts à tout pour gagner n'auraient aucun scrupule à manipuler pour se donner les moyens de leurs ambitions. C'était peut être une vision pessimiste des choses, mais mieux valait s'attendre à tout. « Et je ne parle pas uniquement du point de vue du jeu. Je ne voudrais pas te compter parmi les victimes d'un tombeur, également. Il y en a toujours. » Le but de Sully n'était assurément pas de lui faire peur, simplement de s'assurer qu'elle était apte à envisager que tout ne soit pas aussi simple qu'elle l'aimerait sans doute. Toujours est-il que, subitement, une musique retentit. Cette même musique que Sully avait été amené à entendre, l'autre fois, avec Zola. Une musique qui était donc une nouvelle fois censée initier un baiser. Mais ici, c'était plus délicat encore. Car ici, il était avec Lena. Il n'y avait qu'eux deux, et cette fichue musique, qui semblait attendre que leurs lèvres s'unissent. Mais comment pourraient-ils seulement l'envisager ? Comment pouvait-on attendre d'eux qu'ils s'y risquent ? La question de Lena ne le surprit guère, car des questions il s'en posait lui même beaucoup. « Non, on ne peut pas faire ça » souffla-t-il alors. Ce n'était en soit pas tellement une question de "droit", mais de principe. En cela, non, il ne pouvait pas l'embrasser. « Ce ne serait pas correct. Et je ne veux pas qu'on ait à se le reprocher par la suite. » Parce qu'ils culpabiliserait tous les deux, c'était certain. De s'être embrassés. D'avoir préféré agir incorrectement plutôt que de sacrifier un peu de leur cagnotte. Oui, Sully s'en blâmerait infiniment. Embrasser Lena, décidément, il ne pouvait. « Je ne pleurerai pas sur ces mille euros. » Car il y avait des choses plus importantes que l'argent. Et il voyait d'ici lesquelles.