Je ne vais pas souvent dans cette chambre. Parfois, j'y fais un tour, pour voir si elle est libre. Totalement libre. Dans ce cas, je peux peut-être me laisser tenter par le sommeil. Pas quand il y a quelqu'un, non. J'ai du mal à m'imaginer débarquer dans cette pièce, m'allonger et dormir, comme ça, avec des gens à côté. Je ne sais pas pourquoi, je préfère juste éviter. Là, je ne suis pas spécialement fatiguée. Un petit peu. Mon cycle de sommeil est un vrai bordel, il n'y a pas deux jours de suite durant lesquels je dors à la même heure. Je dors quand je suis fatiguée. C'est bien aussi, je suppose. On n'a pas grand chose à faire, ici. Rien de très important, alors je peux dormir à l'heure que je veux sans me faire taper sur les doigts. J'entre quand même dans cette chambre dans laquelle je devrais loger. Elle fait peur, cette chambre, faut l'avouer. J'ai toujours peur que la lumière s'éteigne soudainement et que je me retrouve là, coincée entre deux lits. J'entre dans la pièce, en faisant bien attention à activer la lumière et je croise un regard. Merde. Sigvard. Je pose aussitôt ma main sur la poignée de la porte, sans savoir si je vais oser l'actionner. C'est comme pour m'agripper à quelque chose, je ne sais pas. J'espère naïvement qu'il ne m'a pas vraiment vue, qu'il est dans les vapes. Mais non. Puisqu'il ne perd pas de temps pour m'appeler. Et m'ordonner de rester. D'accord. Qu'est-ce qu'il me veut, encore. Je ne sais que c'est mon partenaire, tout ça mais notre relation est loin de se résumer par une alchimie parfaite. Avec lui ou avec un autre, c'est pareil. Je le regarde sans vraiment le regarder, les iris hésitantes. Il balance ensuite que, si je veux, je peux dormir. C'est quoi cette manie de vouloir me faire dormir ? La semaine dernière, c'était Valeri qui voulait absolument que je dorme. Maintenant lui. C'est comme s'ils avaient fait un pari, je ne sais pas. Ils ne sont pas les premiers à parier sur lequel pourra mettre Opaline dans son lit en premier, ils manquent d'originalité. Oui, c'est à ça que je pense. Parce que c'est vrai. Au lycée, il y a eu un concours comme ça. Alors ça ne m'étonnerait pas qu'il y en ait un, là aussi. Je balance mon poids d'une jambe à l'autre. Je n'ai pas sommeil. Pas si ça veut dire dormir avec lui. Parce qu'il a l'air de vouloir me faire une place et ça, non merci. « Je n'ai pas sommeil. » que je souffle simplement, le visage inexpressif. Toutes ces envies de me faire dormir dans un lit me rendent encore plus méfiantes. Je ne sais pas s'il s'en rend compte.

Si je n'ai pas dormi avec lui jusque-là, ça ne risque pas de changer avant un bon moment. Façon de parler. Ça ne changera pas. Je préfère dormir ailleurs. Peu importe où, tant que c'est ailleurs, que je peux me mettre au chaud dans une couverture. Je considère que je peux dormir un peu n'importe où, tant que je suis assez fatiguée pour ça. Je lui ai déjà dit que je ne dormirai pas avec lui. Je l'ai dit à ma manière mais le fait est là. Je ne vais pas me mettre sous les mêmes couvertures que lui. Outre le fait que je ne suis pas spécialement la nana la plus détendue du monde, je ne suis pas à l'aise à l'idée de dormir avec un inconnu. D'être dans le même lit qu'un inconnu. Éventuellement en petite tenue près d'un homme en petite tenue aussi. Donc non. Juste non. Il commence à papoter, à s'expliquer. Ça ne change rien. Je ne vais pas risquer la chose. M'assoupir dans ce lit pour me réveiller avec sa tronche comme première image. Non merci. Il finit par conclure d'un ''laisse tomber''. D'accord. Je ne vais pas me faire prier pour oublier tout ça. C'est tout aussi bien s'il est résigné à l'idée de m'obliger à faire ça. Quand on m'ordonne un truc, je suis un peu obligée d'obéir. Je me pince les lèvres, je regarde le sol. S'il ne parle plus et qu'il a abandonné cette idée que je dorme, ça veut dire que je peux partir ? Je ne sais pas. Je n'ose pas. Ni demander. Ni m'exécuter. Je reste sagement debout, à attendre. Je ne sais pas ce que j'attends. Qu'il parle. Qu'il se lève. Qu'il fasse un truc. Peu importe quoi. J'ai toujours ces pensées en tête, celles qui m'affirment que j'ai forcément fait une connerie et qu'il va forcément me la faire payer. Alors j'attends. J'attends qu'il se décide. Qu'il agisse. Tout ce qu'il fait, c'est me poser une question. Une question dérangeante. Une question à laquelle je n'ose jamais répondre. Bien sûr que je préfère être seule. Évidemment. Je ne peux pas me résoudre à lui avouer, à l'affirmer. Je baisse la tête, tout en la secouant légèrement et en soufflant discrètement. « Pourquoi est-ce que vous me demandez tous ça... » Ce n'est même pas vraiment une question. Je m'interroge pourtant. Ce n'est pas une question qui lui est adressée. Tout le monde n'arrête pas de me demander s'ils ne me dérangent pas, s'ils peuvent rester. Je m'en fiche, de ce qu'ils font. Ce n'est pas mon opinion qui compte. Alors ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent. Ça serait mieux si ça fonctionnait comme ça. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de questions, vraiment pas. C'est perturbant. J'ai juste l'impression que c'est pour me pousser au faux pas, je ne sais pas.

Les gens sont bizarres. Totalement différents des gens que je connais. C'est pour ça que je ne me sens pas totalement à l'aise ici. C'est différent. Trop différent. Je préfère être chez moi. Dublin me manque. Même si tout n'est pas parfait dans ma vie, je l'accepte telle qu'elle est. Et elle me manque, c'est sûr. Tout est tellement plus simple, à Dublin. Je sais à qui parler, comment leur parler. Je sais tellement de choses sur les gens. J'y ai mes habitudes. Les gens me prennent comme je suis. La plupart me laisse tranquille, ce qui est plus simple pour tout le monde. Quant aux autres... ils trouvent toujours des avantages dans ma personnalité. C'est plus facile à la maison. Ici, avec les gens, c'est difficile. Parce qu'ils me demandent toujours mon avis, oui. Tout le temps. Comme si ça importait. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Je ne suis pas habituée à prendre les décisions. Et quand je me laisse aller à un ''laisse-moi tranquille'', mes interlocuteurs ont tendance à ne pas apprécier. Pas ici. Mais à Dublin. Ils peuvent tous faire ce qu'ils veulent, ici. Et je ferai avec. C'est comme ça que ça marche. Comme ça et pas autrement. Je ne compte pas prendre l'habitude de l'ouvrir, de dire ce que je pense vraiment ou d'agir comme je le veux. Parce que ce n'est pas ça qu'on veut de moi. Ici, si, peut-être. Mais pas à l'extérieur. Dans ma vie. Sigvard a l'air agacé. Par moi, je suppose. Il va même jusqu'à dire qu'on aurait pu s'entendre. Donc je suppose que ça veut dire qu'il ne m'aime pas, lui non plus. C'est pas grave, j'ai l'habitude. Je suis agaçante, les gens ne m'aiment pas. Je le sais, ça. Il finit par dire que si j'ai un problème avec lui, je peux lui dire. Ce n'est pas qu'avec lui que j'en ai un, de problème. Il n'a pas dû remarquer que je ne suis pas la fille sociable qui adore papoter avec des hommes. Ou qui ne les craint pas. Il n'a pas dû comprendre. Il doit croire que c'est qu'avec lui, je ne sais pas. À croire que tout tourne autour de lui, je ne sais pas. Je ne sais pas quoi lui dire. Je reste silencieuse. Pendant quelques secondes. Je ne vois pas ce que je pourrais lui dire. « Pardon. » je finis par souffler. Je suppose que je dois m'excuser. Être désolée de mon comportement qui ne lui plaît pas, de ma personnalité qui ne lui convient pas. Je ne comprends pas. On m'a programmée comme ça, exactement comme ça. Et maintenant, on me dit que ce n'est pas comme ça que je dois être. Alors non, je ne comprends pas.

C'est sûr que notre relation est loin d'être la petite relation parfaite entre deux partenaires. Je crois qu'il y a des partenaires qui s'entendent bien. Je crois. Nous, c'est pas comme ça. Il le dit lui-même, qu'on aurait pu s'entendre. Ça veut dire ce que ça veut dire. On ne s'entend pas tellement, c'est sûr. Ça se passerait peut-être mieux avec une femme. C'est pour ça que j'ai dit que je voulais une partenaire et non pas un partenaire. À croire que c'est plus drôle si les gens ne s'entendent pas, je ne sais pas. En tout cas, je vois bien que Sigvard, je l'agace. C'est pas le premier. Sûrement pas le dernier. On ne m'aime pas beaucoup, moi, en général. Parce que je suis agaçante, je le sais. Je m'excuse. Après tout ce qu'il a dit, je suppose que le mieux, c'est que je m'excuse. Je ne vois pas ce que je pourrais lui dire de plus. Et j'espère que mes excuses le calmeront. Ou qu'il décidera juste de me laisser tranquille. Mais non, rien de tout ça. Il se contente de me fixer. Je n'aime pas trop ça, qu'on me regarde. Mais il ne doit pas l'avoir compris, je ne sais pas. Il finit par reprendre la parole. Judith. Je lui fais penser à Judith. Judith qui ? J'en sais rien. Il me demande d'ailleurs si je connais l'histoire. L'histoire de cette fameuse Judith et d'une autre personne dont le prénom est trop compliqué à retenir. Beh non. Je crois même que je connais aucune histoire avec une Judith dedans. Je ne connais pas beaucoup d'histoires, j'avoue. Je secoue la tête, pour lui dire que non. J'ose même ajouter un : « Non. » Je la connais pas cette histoire. Il y a plein de trucs que je ne connais pas. Mais ça, je crois que tout le monde ne l'a pas compris. C'est pas grave. Peut-être que s'ils savaient, ils arrêteraient de me poser ce genre de questions, je ne sais pas.