PERCY

Mes lèvres passent à sa surface. Doucement, lentement. Je la tasse, les doigts en guise d’instruments malgré le fait qu’ils ne soient pas nécessairement les plus adaptés à la situation. Je la fais valser et rouler pour la reporter à ma bouche, mordillant un instant son extrémité pour la maintenir en place avant d’en venir à la suite des évènements. Je l’allume. Briquet en mains, le bout plastique coloré affichant un drapeau de la Jamaïque assez significatif quant au type de cigarettes que je suis habitué à fumer, pas subtile une seule seconde. Je ne suis pas un délicat. Un raffiné qui se trimballe avec son zippo gravé aux armoires de sa famille ou je ne sais quoi d’autres. Je n’aime pas les gosses privilégiés, ils m’agacent et m’excèdent. Ils sont là, avec leurs cheveux blonds et belle gueule parce que papa n’a pas fait fortune pour s’accoupler avec une Susan Boyle, ou leurs vêtements bien coupés qui frôlent le sur-mesure pour les petits bourgeois qui n’ont pas atteint ce stade de richesse. Parfois je suis jaloux. Comme là, quand je vois l’autre tronche d’anglais qui vient se pointer sur mon balcon. Percy a le mérite d’être plus amusant que les habituelles têtes de cons qui vont de paires avec le milieu d’où il vient. Ça ne veut pas dire qu’il n’en est pas une pour autant, mais chez-lui son nombrilisme se répercute au mien donc je suis obligé de me montrer plus tolérant. Nous sommes les deux cons du nid. Je me demande comment ça fonctionne un gamin issu d’une famille aisé. Est-ce qu’ils ont des limites ? Moins que les miennes parce que quand on a de l’argent, le monde s’ouvre à nous ou au contraire plus à cause de la pression sociale forcément engendrée par des parents qui vivent pour se montrer. Je zieute mon comparse en biais pendant quelques secondes, cherchant à savoir de quel côté il penche. Je grimpe sur la rambarde, paisiblement, le défi qui me démange. Mes mains s’agrippent, me tire, pour enfin me laisser m’installer tranquillement, dangereusement, les pieds flirtant avec le vide comme pour le narguer de mon perchoir. J’allume ma cigarette, tire dessus en prenant mon temps pour enfin daigner lui prêter mon attention. « Je ne sais pas s’il y a encore grand-chose pour toi ici… » je commence pensivement. Je fais mine d’analyser le terrain, le sens du vent ou tout ce genre de conneries. « L’angle est compliqué, tu risques de galérer sévère. » je poursuis sans essayer d’être plus explicite, m’amusant dans mon petit délire. Celui où Percy s’adonne au ball-trap avec son fusil personnel. Les candidates du nid ont remplacées les plateaux traditionnels qu’il faut abattre et si les tirs crachés par son arsenal sont allés en plein dans la cible les semaines précédentes, je me sens prêt à reprendre le dessus dans le nombre de points obtenus malgré mon retard. Il devient sentimental, le gueux, avec Eléa. Ce n’est pas en commençant à se prendre d’affection pour le pigeon qu’on parvient à nos fins. Donc cette fenêtre est mauvaise, il ferait mieux d’en chercher une nouvelle avant que je ne le dépasse.

Parfois, Percy repensait à ses premières fois. A la première bagnole qu'il avait conduite, une Austin Healey d'un rouge vif, qu'il avait récupéré par un type qu'il avait longtemps fréquenté, le genre pas très recommandable. A la première fille qu'il avait sautée, la fille d'un investisseur bien connu de son père, qui à l'époque devait avoir deux voire trois ans de plus que lui. Mais également à sa première clope, qu'il avait piquée à sa mère pour essayer, et qui ne l'avait pas particulièrement emballée de prime abord, ayant pourtant sonné le début d'une dépendance on ne peut plus assumée, qui s'était développée au fil des années, quand il avait commencé à bosser, et à aller très loin pour à s'assurer sa propre réussite. A ce jour, il ne fumait même plus tellement par envie, et ne se délectait plus comme avant de la saveur d'une bonne clope, parce qu'au bout d'un moment ça n'était plus qu'un automatisme comme un autre, que de monter sur le balcon pour s'en griller une. C'est ce qu'il avait entrepris de faire, d'ailleurs, loin d'imaginer qu'il devrait compter sur la compagnie d'Isaac, qui attira plus particulièrement son attention au moment où il le vit grimper sur la rambarde, sans trop savoir si c'était sa venue qui, subitement, lui donnait envie d'en finir, ou bien s'il comptait simplement le rendre témoin d'un de ses élans intrépides, comme s'il n'en avait pas vu d'autres. L'anglais s'approcha alors d'un pas lambin, tandis qu'au même instant la voix d'Isaac s'éleva dans un commentaire qui le laissa méditatif pendant une poignée de secondes, parce qu'autant il n'avait pas grand mal à saisir ce genre de métaphores, autant il avait plus de difficultés à en comprendre le sens précis, étant donné que s'il y avait bien quelqu'un qui n'avait a priori pas de quoi se vanter ces temps-ci, c'était Isaac. « Je croyais que galérer, c'était plus ton truc que le mien ? » qu'il lui fit alors remarquer, l'air de rien, histoire qu'il n'oublie pas que c'était maintenant douze points qui séparaient leurs deux scores. A bien y réfléchir, il trouvait décidément curieux que ça lui prenne comme ça, ce genre de remarques. Et cet air fier qu'il avait bien du mal à dissimuler, si toutefois il en avait seulement envie, l'intrigua d'autant plus. A cet instant, l'anglais ne pouvait alors en conclure qu'une chose : Isaac tentait un coup de bluff avec l'espoir qu'il goberait facilement qu'il l'avait rattrapé, alors qu'a priori il y aurait toujours une rubrique pour faire la lumière sur les faits. S'il croyait avoir à faire à un bleu, il se gourait, Percy avait déjà eu l'occasion de constater qu'il ne reculerait devant rien pour gagner, alors ce genre d'allusions ne devraient même pas l'étonner. « A ce propos, je conçois que ça commence à te peser, mais de là à le prendre autant à cœur ... » poursuivit-il en tout cas, en se rapprochant de quelques pas. Lui aussi pouvait le prendre pour un idiot, en outre s'amuser du fait qu'il se mette connement en danger. « Allez, descends de là, sois un peu raisonnable. » Sa voix se faisait ridiculement bienveillante, si bien que ça sonnait on ne peut plus faux. Mais l'important, ça n'était pas d'être crédible, mais plutôt de le provoquer gentiment, histoire qu'il ne se fasse pas du mal inutilement, d'une manière ou d'une autre.

Je grimpe sur la barrière, dicté par mon esprit plus enclin que la moyenne aux actes de rébellion et surtout à la connerie. La vraie, la tenace. Ma jambe passe sans difficulté par-dessus l'obstacle, comme si c'était ce que j'avais fait toute ma vie que d'escalader des clôtures. Percy essaye de me rappeler le grand retard que je cumule, mais ça ne marche plus. Ouais mon gars, j'ai chopé, enfin, et depuis je me sens léger. Mes burnes ainsi délestées pourraient presque me faire m'envoler tant j'ai plané. C'était bien, sans doute même plus que tous les vagins qu’il a enchaîné, mais je ne dis rien. Ou du moins pas tout à fait, je sous-entends plus qu'autre chose, espérant voir la gueule que l'anglais tirera quand les images seront diffusées sur l'écran plasma du prochain prime. Je jubile d'avance avec mon air de petit con supérieur. J’amène le sujet, c’est plus fort que moi, le préparant en quelque sorte sans non plus en faire des tonnes afin que le doute persiste. Je me marre tout seul. Ou plutôt je ris quand le candidat reprend la parole, mais dans les faits je me fous de sa gueule en restant le seul à savoir pourquoi. Avec sûrement les téléspectateurs, mais je crois être le seul à prendre cette compétition vraiment au sérieux. « Je ne tombe jamais. » J'affirme, sur de moi. Si on retrouve mon cadavre abandonné six mètres plus bas, on devrait plus miser sur Percy essayant d'éliminer la concurrence trop dure pour sa petite queue novice plutôt que sur mon manque d'équilibre. « Papa ne te laissait pas escalader les barreaux de ta cage dorée quand tu étais gosse ? » je rétorque quand il s’approche. Moi si. Tout le temps, mais j'imagine que cette information est bien loin de placer ma mère comme un exemple en terme d'éducation. Je suis persuadé que Percy, c’est une Paloma qui s’ignore. Je les déteste ces mômes qui ont grandi avec tout, mais qui se persuadent que leurs vies est merdique parce qu’on leur a toujours demandé de faire semblant et de feinter des relations familiales cordiales quand leurs existences frôlait le zéro absolu. Il se fout de ma gueule, le gueux. La voix paternaliste à souhait, comme si j’étais un gamin ou encore un dépressif en régression dont il faut prendre soin. J’essaye d’attiser encore une fois son sens du défi, mais j’imagine que Percy est bien plus intéressé par asseoir sa stature de mâle dominant en marquant les femelles du nid plutôt qu’en essayant de grimper sur le plus haut point afin de commander le paysage. « Mais c’est pas grave, ne t’en fais pas, vous êtes toujours un peu précieux. » je conclue en décrétant que l’anglais appartient définitivement à la meute des fils de. Je prononce le dernier mot du bout des lèvres comme si c’était une chose bien plus négative que la réalité. Je le vois bien avec les autres spécimens de son pensionnat pour garçon, lissant les plis imaginaires de leurs polos et posant leurs cravates sur l’épaule quand ils déjeunent pour ne pas les salir. Rien d’étonnant à ce que Paloma se soit orientée vers moi quand elle a eu besoin d’un vrai homme. Parce que c’est ça le plus beau et le plus jouissif au final. Bien qu’il ait été assis à côté de l’espagnole tout au long du prime cette nuit-là, c’est quand même ce bon vieux Isaac qu’elle est venu chercher, ayant flairé le bon coup.

Pas sûr qu'Isaac prenne des risques devant la bonne personne, celle qui s'empresserait d'essayer de le rattraper s'il tombait de là où il avait grimpé. Percy avait beau le trouver intéressant, entre eux c'était plus particulier qu'une simple entente, c'était un peu comme un rapport de force perpétuel en somme. Donc non, a priori, l'anglais n'aurait pas les bons réflexes s'il s'avérait qu'Isaac s'était un poil surestimé sur ce coup-là, mais le brun n'avait pas l'air de franchement le considérer, lui qui était plus occupé à y aller d'allusions qui l'intriguèrent légèrement. Les métaphores, ça le connaissait, tout comme il n'était pas né de la dernière pluie et savait reconnaitre la mine d'un mec fier de lui. Pourtant, il choisit de prendre tout ça pour un coup de bluff à la Isaac, parce que ce ne serait pas la première fois qu'il essaierait de truquer leur petite compétition. Ainsi lui répondit-il que galérer, c'était a priori davantage son truc que le sien, puisqu'il fallait bien avouer que pour un mec qu'il imaginait se prêter de fulgurants talents de séducteur, il avait jusqu'ici eu un peu de mal à convaincre les filles de les vérifier par elles-mêmes. Alors il pouvait s'amuser autant qu'il le voulait de son intervention, ça n'était pas ça qui risquait de changer les faits. Lui, c'est en tout cas un fin sourire qu'il afficha à sa réplique, parce qu'il était plutôt divertissant quand il se surestimait, que ce soit quant à ce qu'il valait à l'échelle de leur compétition, ou en tant qu'équilibriste. Percy eut par contre un peu de mal à s'expliquer qu'il lui parle de son père, sur ce ton un tout petit peu critique qui semblait témoigner du regard qu'il portait sur les types comme lui, qui n'avaient jamais manqué de rien. « Il m'a jamais rien interdit » qu'il fit alors, pour faire le mentir d'entrée de jeu, histoire qu'il n'aille pas l'imaginer comme un fils à papa obéissant qu'on avait pas lâché d'une seule semelle. « C'était tout le problème, d'ailleurs, quand j'y pense. » Parce que la seule raison pour laquelle il n'avait jamais tellement été strict avec son fils, c'est parce qu'il ne s'y était jamais vraiment intéressé. Parfois, Percy se faisait la réflexion qu'à l'époque où il s'était rebellé contre son père, il aurait tout aussi bien pu se pendre au lustre du salon, parce que ça n'aurait rien changé, rien du tout. Il pouvait bien le voir comme un cliché ambulant, c'était très bon pour ses affaires après tout, d'ailleurs il trouvait plutôt amusant qu'un mec comme lui, a priori loin d'être le plus con, lui facilite à ce point la tâche. Car il remit ça, sans plus tarder, et le qualifia de 'précieux' comme il aurait certainement pu le qualifier de 'sous-merde', au vu de la façon dont il insista sur ce mot. C'est donc un Percy définitivement amusé qui hocha vivement la tête, comme pour le convaincre que oui, c'était forcément aussi simple que ça de cerner celui qu'il était, quand lui-même arrivait encore parfois à se le demander. « Tu regardes trop la télé, Isaac, les gosses de riches sont pas tous élevés à la dure pour intégrer les grandes écoles, comme ils ne lèvent pas tous le petit doigt quand ils boivent un verre de vin, en lui trouvant systématiquement un petit goût fruité. » Pour le coup, il avait presque envie de s'excuser de sa condition, parce qu'apparemment c'est ça qu'il avait tant plaisir à décrier. Il avait compris qu'Isaac était le bad boy du coin, celui qui avait fait de la taule, qui jouait les intrépides en grimpant sur les barrières, cela dit il ne ressentait pas le besoin de le réduire à ça, lui. « Tu constateras qu'on se ressemble plus que tu le crois. » Ça, il s'en rendrait compte à un moment donné. D'ici là, il pouvait bien l'imaginer comme une sorte de Gatbsy superficiel et aux préoccupations bien moindres. Tant qu'il parvenait à rendre ça drôle.

Je ne crois pas me faire des idées sur le monde de privilèges dont est issue Percy. Dans les faits, la catégorie généralisée à laquelle il appartient se subdivise en deux genres différents. Il y a ceux dont il me parle. Ils sont élevés comme une descendance prête à porter le blason familial, régner sur une entreprise acquise à l’avance par un système dynastique basé sur la propriété. Le patron cède son royaume à son héritier désigné par les liens du sang comme un monarque cède son royaume à son premier fils. Ces gosses-là sont entraînés, malmenés, brusqués pour garder secrète la royauté qui régit ces institutions privées au travers d’une qualification que les diplômes des grandes écoles offrent. Je ne peux pas les piffrer ceux-là. Sauf qu’il y en a des pires. Des qui aguichent encore davantage mon agacement face à la loterie du patrimoine génétique qui veut que je sois né dans les bas-fonds de la société, alors qu’il la domine déjà en n’étant qu’à l’état embryonnaire. Ils se plaignent. Leurs parents se sont pliés à ce qui est coutume de faire, parce que la normalité même quand on a du pognon, on y tient. Tout se fait selon les apparences, le regard des autres, même si ça reste de la surface et guère plus. Ils sont livrés à eux-mêmes, uniquement recadrés quand leurs comportements menacent d’ébranler toute la structure familiale qui tient avec des jointures uniquement faites d’hypocrisie et de sourires feints à l’égard de l’extérieur. Ce sont des Clémentine, des Paloma, peut-être même bien des Percy. Ils fantasment presque sur nos vies, s’adonnent à des travaux passe-temps en se convainquant que peindre c’est bosser. Quelle bande de crétins. J’ai toujours eu une dent contre eux, parce qu’ils croient pouvoir s’échapper des apparences en rejoignant notre monde de pauvres, alors que c’est des conneries monumentales de penser la sorte. Ils descendent l’échelle de la société, parce qu’ils peuvent se le permettre. Il y a toujours un fil accroché à leur taille qui les relie aux hautes sphères par leurs noms et réputations. Moi je m’évertue de l’escalader tant bien que mal. J’aspire au pouvoir, à l’argent. Je me laisse placarder entant qu’affiche sur le mur, je m’enferme dans la propriété d’un angelot qui en réalité doit ressembler à une multitude de stagiaires engagés par la production pour bouffer des images du nid en continue et notes sur un coin de feuille chaque fellation échangée. « Tu veux dire que je suis une version de toi en démunis ? » Les chemises repassées en moins. J’esquisse un rictus amusé. Presque amer, mais ça il n’a pas besoin de le voir. C’est amusant de constater les ressemblances superficielles qui demeurent entre nous, malgré nos éducations que j’imagine opposées. Il a eu des parents absents, je n’en ai pas eu du tout et son pensionnat d’anglais aisés se rejoint à mon foyer d’accueil de jeunes en détresse. Il y a ça, à priori opposées, mais il doit exister une notion qui me dépasse qui nous a rendu cons et paresseux. « Pourquoi tu es là ? » je demande en fixant l’embout de mes baskets qui devient flou quand mes iris s’arrêtent sur des détails sept mètres plus bas. Percy doit participer à Fake Lover dans une sorte d’acte désespéré de sabotage pour rappeler à quel point il a décidé d’être libre vis-à-vis de sa famille. Il marche à reculons, alors que je tente d’avancer vers le pouvoir et la notoriété. C’est ça ou alors il défend sa bombe. Sa tare, son secret. Elle va nous exploser à la gueule comme une réponse à toutes nos interrogations, alors que de mon côté j’ai toujours été autant Isaac le petit branleur de son état avec ou sans condamnations connues de tous.

Oui Percy jouissait depuis toujours d'une condition enviable et n'avait jamais eu la moindre compassion pour ceux qui avaient eu moins de chance que lui. Mais il n'estimait pas correspondre pour autant au cliché du fils à papa qu'on cadre dès le départ et qu'on destine à réussir. Ses parents ne voulaient pas d'enfant, c'est uniquement à la foi de sa mère qu'il devait le fait d'être là, et il avait grandi avec cette idée dérangeante, mais aussi avec l'indifférence qu'on lui avait toujours témoigné. Son père, c'était le genre à toujours faire passer le boulot avant le reste, à beaucoup trop tenir à sa petite situation pour risquer de la fragiliser en faisant une trop grande place à son gamin dans sa vie. Et sa mère, il l'avait toujours vue se cacher derrière lui, le rejoindre sur chacun de ses points de vue, par amour ou par crainte de le perdre lui et leur si plaisant équilibre. C'était ses nourrisses qui l'avaient élevé, et il n'avait compris que bien plus tard que jamais il n’apparaîtrait à ses parents comme une cause suffisamment digne d'intérêt pour les détourner l'un et l'autre de leurs si précieuses affaires. A bien y réfléchir, c'était peut être autant cet amer constat que le fait d'avoir à tout prix voulu attirer l'attention de son père qui l'avait changé. Tout ça l'avait marqué au fer rouge et poussé à faire des choix discutables. Il ne cherchait pas à être plaint, simplement à laisser entendre que sa vie n'avait pas été qu'une succession de satisfactions, qu'il n'était pas un personnage de série que le désamour familial n'avait jamais affecté. Alors oui, il estimait ne pas être aussi différent d'Isaac que son camarade devait se l'imaginer. Il constaterait, oui, qu'il n'avait peut être pas suffisamment analysé les faits pour s'en faire une opinion concrètement véridique. L'anglais ne sut pas tellement comment interpréter son commentaire, en tout cas, mais il crut y lire un semblant de dérision, et ça ne l'étonna guère. « Oublie deux secondes notre condition respective » qu'il fit alors, pour qu'il fasse davantage abstraction du fait qu'ils ne soient pas issus du même milieu. Dans d'autres circonstances, l'anglais aurait été le premier à y prêter attention, mais ici ça ne lui apparaissait que comme un détail. « C'est pas l'argent que je possède qui me définit, comme c'est pas celui dont t'as manqué qui te résume. » Et c'était peut être bien la première fois qu'il énonçait clairement qu'il ne voulait pas être réduit à sa situation. Depuis le départ, il jouait beaucoup de ce que son attitude de petit friqué prétentieux inspirait aux autres, mais il savait qu'il lui fallait préparer le terrain pour la suite, progressivement. Isaac chercha à savoir pour quelle raison il était là, et il ne le sentait pas autant désireux de le savoir que ceux qui avaient pu le lui demander avant. Ça n'avait pas l'air d'être de la curiosité, il donnait plutôt l'impression de vouloir le piéger en l'amenant à confier les raisons superficielles pour lesquelles il avait tenté sa chance. « Pour me prouver certaines choses » qu'il énonça alors spontanément, car c'était la réponse qui se rapprochait le plus de toutes celles qu'il avait donné, même si elle était plus modeste, peut être, dans un sens. « Pour faire la paix avec moi-même, aussi. » Cette raison-ci, il ne l'avait jamais citée, peut être parce qu'il avait longtemps préféré regarder ailleurs. Chaque jour qui passait, il avait l'impression de plier un peu plus sous le poids de sa conscience. Elle lui laissait peu répit, parce qu'il s'était trop longtemps détourné d'elle. Aujourd'hui elle le plaçait face à ses choix et le condamnait à poser un regard introspectif sur son passé. « La télé-réalité, t'as misé dessus pour te faire connaître, ou le format importait peu tant que tu pouvais espérer jouer ? » Il posait la question de façon à savoir si comme lui il avait tenté l'aventure pour le fond et pas pour la forme. Percy n'avait pas besoin de se faire voir, ça n'était pas de cette façon qu'il souhaitait gagner en puissance, mais le brun pouvait aspirer à la gloire éphémère de tous ceux qui passaient par ce genre de programmes. Ceux qu'on adulait un jour, et oubliait le lendemain.