Valeri se trouvait en face de cette porte. Il ne savait pas ce qu’il s’y trouvait derrière, et s’il pouvait bien il y avoir quelqu’un d’autre à l’intérieur. Il était comme un ignorant face à un intellectuel. Après une brève hésitation, il appuya d’un geste ferme sur la poignée de la porte et la poussa. Il y découvrit alors une frêle silhouette de dos. Une jeune femme, une brune. Contemplant avec un émerveillement crédule les écrans qui se trouvaient face à elle. Valeri ferma la porte derrière lui, ou plutôt il la laissa se refermer seule, toute seule. Se fermant bien trop bruyamment derrière lui. Il se racla la gorge, juste pour marquer sa présence. Si avec tout ce tintamarre sonore, elle ne l’avait pas remarqué, il se poserait des sérieux problèmes sur l’audition de cette camarade de jeu. Avant même de prendre la peine de se retourner et de lui lancer un bref regard, elle venait de prendre la parole. Elle n’avait rien fait, lui avait-elle marmonnait. Un petit rictus se dessina alors sur les lèvres de Valeri. Elle fit finalement volte-face, permettant ainsi de dévoiler son identité à Valeri. C’était elle. Elle, Opaline. A vrai dire, il l’avait reconnu à sa frêle voix et à son physique fragile. Son sourire s’élargit d’autant plus, découvrant alors ses dents blanches. « Faux, Princesse ! » souffla-t-il alors. Ce n’était pas vrai, elle ne faisait pas rien. Elle regardait les écrans avec beaucoup d’intérêt. Peut-être avait-elle envie d’espionner quelques-uns de ces camarades qui lui avaient tapé à l’œil. Elle avait le droit, après tout. Il fit alors quelques pas en sa direction et s’approcha à son tour de ses écrans. « T’as vu quelque-chose d’intéressant ? Quelqu’un qui te plait ? » lui demanda-t-il alors, à tout hasard. Il prit appui contre l’un des sièges, et observa la jeune fille qui se trouvait à ses côtés, toujours aussi timorée. Ce détail le fit sourire d’autant plus. Il la détailla longuement du regard, sans un mot, en silence. Il allait certainement passer pour un voyeuriste, et elle allait prendre peur, un peu plus. Ce n’était pas spécialement ce dont il avait envie. Non. Il n’avait pas envie qu’elle prenne peur, et surtout qu’elle s’enfuit. Pourquoi partirait-elle de toute façon ?

C’était faux. On ne pouvait pas ne rien faire. Ne rien faire, ce n’était pas possible. Tout simplement parce que c’est dans l’incapacité de l’être humain, et de n’importe quelle espèce de vie sur Terre. On respirait, on mangeait, on vivait, on existait. A cela s’ajoutèrent quelques fonctions : l’ouïe, la vue, l’odorat, le gout. Alors, on entendait, on écoutait, on regardait et on observait, on goutait et on sentait. Oui, on faisait toujours quelque chose. Il était faux de dire que l’on faisait rien, puisque l’on faisait tous pertinemment quelque chose. Il l’avait bien remarqué en train de regarder avec une certaine fixation les écrans qui se trouvaient face à elle. Alors, il lui demanda tout simplement si elle n’avait pas vu quelque-chose d’intéressant par hasard à l’écran, après tout. Peut-être y avait-il des tensions dans l’air entre certains ou certaines. Enfin, il semblerait que ce soit plus le monde des bisounours ce nid. Alors, il formula une seconde hypothèse. Peut-être y avait-il quelqu’un qui l’intéressait et qu’elle avait envie de suivre chacun de ses faits et gestes. Bien que cette dernière hypothèse ne soit peu probable. Il était évident qu’elle n’avait pas l’air d’être ce genre de vie qui s’intéressait aux garçons. A quoi s’intéressait-elle, à vrai dire ? Il n’en savait rien. Il ne savait pas, et sûrement devrait-il rester dans l’ignorance. Au fond, il ne savait rien de cette fille. Elle s’appelait Opaline, et était jolie. Voilà ce qu’il savait d’elle. Il l’avait embrassé. Deux fois. Deux fois, il l’avait embrassé et sûrement sans son consentement. Deux baisers volés. Alors, elle prit la parole, alors que son regard s’échoua sur les écrans diffusants quelques images. Non, avait-elle dit. Non, pas du tout. Il reporta alors son attention sur elle, sourcillant légèrement. Elle voulut prendre la parole une première fois, mais se rétracta, avant finalement de changer d’avis. Un sourire amusé se dessina alors sur les lèvres de Valeri. Etait-il venu là pour observer quelqu’un qui lui plaisait ? Clairement non ? Déjà, y avait-il quelqu’un qui l’intéressait, ici ? Il agita alors doucement la tête de gauche à droite. « Non, pas vraiment… » souffla-t-il, avant de marquer une brève pause. « Peut-être que celle qui me plait se trouve dans la même pièce que nous. » reprit-il, alors qu’un petit rictus se glissa en coin de ses lèvres.

Ainsi, elle n’avait rien vu d’intéressant et elle n’observait personne qui lui plaisait. Bien. Alors que faisait-elle ici ? Elle avait certainement dû errer dans les couloirs avant de finir s’échouer dans cet endroit. Elle avait peut-être été intriguée par la porte, comme Valeri l’avait été. Oui, voilà, elle avait été curieuse de savoir ce qu’il se cachait derrière tout cela. Désireuse de rassasier sa curieuse. Ces hypothèses étaient peut-être fausses, il ne savait pas vraiment à vrai dire. Alors, elle finit par lui retourner la question. Etait-il venu là pour observer et détailler une personne qui lui plaisait, qui l’intéressait ? Non. Et sa réponse se fut sans appel. Non. Non, il n’y avait personne qui l’intéressait. Ou tout du moins, pas vraiment. Il y ajouta alors quelques précisions. Que celle qui l’intéressait se trouvait ici, dans la même pièce qu’eux. C’était l’un de ces discours revus et corrigés, l’une de ces disquettes qu’il lançait n’importe où, n’importe quand. Un léger sourire se dessina alors sur ses lèvres lorsqu’Opaline prit la parole. Elle disait qu’elles étaient toutes un peu là, sur les écrans. Cette réflexion ne manqua pas de le faire rire, tout doucement, silencieusement. « Tu joues sur les mots là, Princesse » souffla-t-il. Il finit par se laisser tomber sur l’une des chaises, s’asseyant et prenant appui sur les accoudoirs. De là, il l’observa silencieusement, sans un mot. Son regard fuyant, son allure frêle et délicate. Ce mélange de félin et de fragilité. Un léger silence s’installa dans la pièce. Le calme. Seuls les écrans s’agitèrent dans la pièce, plongée à présent dans un léger malaise. Valeri se racla distinctement la gorge, comme pour s’éclaircir la voix. « Tu n’as pas l’air de m’apprécier… pas vrai ? » reprit-il alors, en reportant son attention sur la jeune fille. Oui. Elle n’avait pas l’air de l’apprécier, pas du tout. Il est certain qu’elle n’avait pas l’air d’être la fille la plus joviale, la plus sociale qu’il soit, mais quand même. Il ne la quitta pas du regard. Il ne la quitta plus, observant alors chacun de ces traits facials s’esquisser sous ses yeux avides de curiosité. Elle était là, devant lui. Silencieuse. Allez, parle Opaline…

Il la regardait non sans trop de discrétion. Il l’observait, il l’examinait, il la regardait, il la contemplait, silencieusement. Sans un mot. Après quelques secondes, Valeri reprit la parole. Elle ne semblait pas l’apprécier, et ça, il ne manqua pas à lui en faire la remarque. Il est certain qu’il avait bien remarqué qu’elle était du genre distante, transparente, à vouloir se faire oublier. Il l’avait bien remarqué cela, lors du prime, au moment où il était venu l’embrasser dans le cadre d’un défi lancé par Cupidon. Opaline était seule, dans son coin, alors que tout le monde accourait de droite à gauche pour embrasser ces fameuses trois personnes. Opaline n’était pas comme les autres, il l’avait remarqué. Mais pourquoi ? Pourquoi était-elle si distante avec lui ? Il n’avait jamais dit un mot de travers, il s’était toujours montré agréable et gentil. La preuve : il lui avait proposé de rester dormir dans son lit, lorsqu’il l’a trouvé allongé et endormi dessus. C’était suffisant comme argument, n’est-ce pas ? Certes, il l’avait traité de pleurnicheuse, mais… elle ne l’avait pas entendu ça. Le seul qui ait prêté attention à ce détail était Sigvard, tout simplement parce qu’il s’adressait à lui. Alors, pourquoi ne semblait-elle pas l’apprécier ? Ca l’agaçait Valeri de ne pas savoir. Il n’aimait pas être dans l’ignorance. Alors, il continua de la regarder longuement, très longuement, jusqu’à ce qu’elle ose enfin ouvrir la bouche. Il ne s’attendait pas à une telle réponse, et ne put d’ailleurs s’empêcher de sourire. Lui non plus ne l’appréciait pas, lui dit-elle alors. Il baissa quelques secondes la tête, avant de reporter rapidement son regard sur l’objet de toutes ses attentions à ce moment précis : Opaline. « Et… souffla-t-il, avant de marquer une très brève pause. Pourquoi penses-tu que je ne t’apprécie pas, dis-moi ? » lui demanda-t-il alors. Oui, pourquoi disait-elle qu’il ne l’appréciait pas ? « Tu peux tout me dire, je t’écoute. » ajouta-t-il alors, comme pour l’encourager à parler. Oui, voilà. Qu’elle parle, qu’elle argumente ses dires. Ca l’intéressait lui de savoir pourquoi elle n’appréciait pas.

Valeri en était venu à la conclusion qu’elle ne l’appréciait pas. Il ne savait pas vraiment si elle se comportait de la même façon avec les autres ou si c’était une sorte de traitement privilégié. Il avait eu vent de ce non-baiser quémandé par Cupidon entre son partenaire, Sigvard, et elle, au cours du prime, mais c’est tout. Il ne savait rien d’autre au sujet de son intégration au sein de ce nid. Peut-être qu’elle s’entendait bien avec d’autres. Oui, avec ces filles avec qui elle était lors de la première soirée, par exemple. Elle avait l’air de les apprécier. Alors pourquoi pas Valeri ? Il lui avait demandé alors si elle ne l’appréciait pas, de façon indirecte certes. Pour ne pas se heurter à un mur. Elle ne lui avait pas répondu directement. Elle s’était contentée de lui faire remarquer, que selon elle, lui non plus ne l’appréciait pas. Valeri voulut alors des explications. Après tout, si elle le pensait, c’est qu’elle devait avoir des arguments, n’est-ce pas ? Tout du moins, c’était ce que Valeri en avait conclu. Alors après un long silence, et un léger malaise palpable. Il observa alors ses mains. Ces mains qui laissaient transparaitre une anxiété ou une gêne palpable. Ca se voyait ce genre de signe, ce genre de mal-être. De manque de confiance. Son regard se leva quelques secondes, et trouva refuge sur le joli visage d’Opaline. Elle avait prononcé quelques mots. Tu te moques de moi… lui avait-elle dit alors. Valeri ne bougea pas, restant insensible à ses paroles. Il cligna des yeux, une fois, deux fois… puis ouvrit légèrement la bouche. « Pourquoi tu penses que je me moque de toi ? » lui demanda-t-il alors. Elle n’avait pas de raison à le penser. Après quelques secondes de léger silence anxieux, il reprit la parole. « Tu sais, si je t’ai embrassé dimanche, ce n’était pas pour me moquer de toi, si c’est de ça dont tu parles. Non, ce n’était pas pour ça… ». Il laissa sa voix en suspens, avant de se redresser sur ses deux jambes. Il s’approcha alors de la jeune fille, avant de s’arrêter devant elle. De là, il ne bougea plus. Il resta pétrifié un frêle instant, sur place.