Il ne savait pas vraiment pourquoi. Pourquoi il s’entêtait à chercher une seule réponse à ses interrogations, il savait qu’il n’obtiendrait rien de la part d’Opaline, ou tout du moins pas grand-chose. De vastes réponses sans grande argumentation. Elle devait être la personne la moins bavarde, et la plus introvertie. A l’inverse de Valeri qui lui ne se gênait pas pour se moquer de ces camarades. Il n’y avait pas de honte à cela, tout le monde le faisait. Je veux dire, au moins une fois dans notre vie, nous nous sommes déjà moqués d’une tierce personne, d’un ami, d’un inconnu dans la rue. Des moqueries naïves ou piquantes, des moqueries douces ou cinglantes. Valeri ne s’était jamais caché de sa légère satire, et de son goût pour l’amusement. Il était à l’image de sa vie, insouciant et sans attache. Vouloir avoir un échange avec la jeune fille était comme se heurter à un mur. Comme un doux suicide. Un léger suicide. Elle lui avait dit qu’il se moquait d’elle, c’était donc pour ça. Il se moquait d’elle, alors il ne l’appréciait pas. Ce fut les conclusions que la jolie Opaline avait tiré. Ainsi, il eut voulu des explications. La seule fois où il s’était moqué d’elle était au cours de cette soirée, la première à laquelle il avait participé, en compagnie de Sigvard où il l’avait associé de pleurnicheuse. Il n’y avait pas d’autres termes pour la qualifier. Après tout, elle pleurait. Bien trop souvent, au goût du jeune homme. Si certains pouvaient être sensibles à ces larmes qui pouvaient perler sur la joue de cette poupée, ce n’était pas le cas de Valeri. Il était de ces personnes qui se disaient sans âme, sans cœur, insensible face à la comédie sociale. Oui, il faisait parti de ceux-là. Il parait qu’il fallait de tout pour faire un monde. C’était ce que disait l’expression. Il fallait des gentils et des méchants, mais en réalité, y avait-il vraiment des gentils, y avait-il vraiment des méchants ? Non. Tout cela n’était que des étiquettes que l’on voulait accoler à des personnes, on voulait caser les gens dans les cases, juste pour se rassurer. Oui, parce que savoir qu’un tel était comme ça ou comme-ci, ça rassurait bien plus. Après un instant, Opaline prit enfin la parole. Parce qu’il l’appelait « Princesse », donc il se moquait d’elle, et ainsi il ne l’appréciait pas. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, observant avec détail les traits de ce visage qui s’offrait à lui. « Je ne me moque pas de toi… » souffla-t-il alors d’une voix murmurante. Non. Il ne se moque pas d’elle. Tout du moins, pas dans le même sens qu’elle devait le concevoir. Il s’en amusait de ce surnom. Il faisait juste écho à cette fois où il l’avait embrassé juste pour l’embrasser, à l’image du prince dans la belle au bois dormant. « Que dois-je faire pour que tu cesses que tu penses que je me moque de toi, dis-moi ? » lui demanda-t-il alors.

Il ne se moquait pas d’elle. C’était ce qu’il avait osé lui dire. Il ne se moquait pas d’elle, il s’amusait juste. Il s’amusait à l’appeler Princesse, par exemple. Il jouait, comme toujours. Il lui demanda alors ce qu’il pouvait faire pour qu’elle cesse de penser qu’il se moque d’elle. Il était prêt à lui prouver le contraire de ses pensées. Il était prêt à y mettre du sien pour qu’elle cesse de penser ceci. Un léger blanc s’installa alors dans la pièce. Il l’observa toujours aussi minutieusement, sans ciller, avec toujours ce même sourire au bout des lèvres. Voyant un malaise s’installer, Valeri s’apprêtait à reprendre la parole, sûrement pour changer de sujet de conversations et ainsi clore cette parenthèse. Il fut presque soulagé de voir qu’il n’avait pas à le faire lorsque la jolie Opaline eut pris la parole. Il était évident que ce n’était pas ces mots prononcés qu’il eut voulu entendre. Il avait dit qu’elle était une pleurnicheuse, mais qu’il s’était moqué sur son blog, en postant un commentaire. Ce fut les faits que la jeune fille lui exposa donc. Il gratta la nuque, baissant un instant la tête. Elle n’avait pas tort, mais était-ce une raison suffisante pour prétendre qu’il se moquait d’elle ? « Je… oui, c’est vrai ce que j’ai dit à son sujet, ce n’était pas très malin de ma part, je te le confirme… je ne pensais que tu l’avais entendu… je suis désolé… » souffla-t-il, quelque peu déstabilisé par les propos tenus par Opaline. Comme désarçonné de son assurance qu’on lui prêtait tant. Il recula finalement d’un pas, plongeant son regard dans le bleu de ses yeux. Il était certain que finalement, il n’avait pas été très malin la fois où il l’avait surnommé de « pleurnicheuse ». Il avait fait cela pour s’amuser, même si… même s’il le pensait, après tout, qui ne le penserait pas ? « Tu peux me traiter de tous les noms d’oiseaux, si le cœur t’en dit. » souffla-t-il. C’était ce qu’elles faisaient toutes. Quand elles étaient blessées, vexées, il recevait toute une pluie de noms d’oiseaux. Il y était habitué, à force. Peut-être qu’elle n’osera pas, elle. Elle, Opaline. Elle n’était pas très expressive, comme gamine. Tout du moins, la seule expression que l’on pouvait déceler était un certain manque de confiance, de la crainte et de la peur.

Et en une fraction de secondes, sa monture nommée confiance avait fait un refus face à l’obstacle Opaline. Désarçonné, il tenta malgré tout de rattraper cette fâcheuse histoire, de gommer ces traits noirs que la jeune fille avait pu esquisser sur le portrait de Valeri. Il voulait lui montrer qu’elle se trompait, qu’il l’appréciait… à sa façon, certes. Enfin, il ne comprenait pas vraiment pourquoi cette volonté. Cette volonté de lui montrer qu’elle se trompait à son sujet. Il ne savait pas d’où lui venait cette étrange envie. C’était insensé. Ainsi, il lui avoua qu’il n’avait pas été très malin en la surnommant la pleurnicheuse. Surtout que cela avait eu le mérite de se mettre à dos le partenaire d’Opaline pendant un maigre temps. Il n’avait pas été malin sur ce coup, mais il n’avait pas eu tort. Elle était une pleurnicheuse. Il se disait alors désolé. Qui plus est, il lui fit remarquer qu’il ne pensait pas qu’elle l’ait entendu. Il faut dire qu’il ne l’avait pas chuchoté son « pleurnicheuse », ce soir-là. Il en était presque fier de l’avoir dit. Il lui proposa alors de l’insulter, si elle voulait extérioriser tous ces sentiments qu’elle avait pu accumuler contre lui. Contre Valeri. C’était un truc de filles, les insultes. Gros connard, salaud, pauvre con… au fond, ce n’était peut-être que des surnoms affectifs, en y réfléchissant. Il ne savait pas trop à vrai dire. Il avait reculé, ne quittant pas des yeux la jeune fille. Une, deux, trois, quatre… de longues minutes s’écoulèrent dans la pièce qui était plongée à présent dans un lourd silence. Il se gratta la nuque. Ce silence. Ce silence-là devenait un peu gênant quand même. « Je… enfin tu peux le faire quand tu veux. Je crois que c’est ce que je mérite, non ? » souffla-t-il, faisant finalement d’autres pas. Elle n’allait pas lui répondre de toute façon. Elle allait le laisser sans réponse, il le savait. Ses pas reculaient petit à petit, tout en l’observant du coin de l’œil. Elle ne parlait pas. Elle n’allait pas parler, de toute façon. Elle n’était pas comme ça Opaline, elle n’était pas ce genre de fille à extériorise. Oui, il l’avait bien remarqué. Peut-être se trompait-il à son sujet… peut-être qu’elle était comme toutes les autres filles et que dans les jours à venir, elle viendra l’insulter de tous les noms d’oiseaux possibles et inimaginables. Ce n’est pas grave. Il y était habitué à ces situations-là, de toute façon.