Dickens était l'un des classiques les plus lus de son ère, et, possiblement, l'un des plus grands écrivains britanniques ayant posé pied sur cette Terre de l'histoire de la littérature. Moi, je lisais tout le temps. On m'avait recommandé une liste de classiques, et ce Dickens-ci était environ à la moitié de cette liste là. Je comptais finir tous les ouvrages dessus ... Avant 2014, avec de la chance. J'en avais emmené trois-quatre avec moi, dans l'espoir d'avoir le temps de les finir, même si j'étais presque persuadé qu'il me serait à peine réalisable d'achever ma lecture du Dickens. Évidemment, face au savoir qu'il était possible que certaines personnes ne lisent pas assez (voire, même, jamais), je ne pouvais pas rester impassible. C'était, en quelque sorte, comme si on crachait sur une de mes reliques sacrées, et clarification étaient nécessaires pour m'aider à comprendre, exactement, le pourquoi du comment. Elle me confirma cependant, après, qu'elle savait lire. Bon, tant mieux, le problème ne venait donc pas de là ... Quoi que ... C'était peut être même pire, étant donné qu'elle avait les moyens de poursuivre d'ambitieuses épopées rocambolesques mais ne le faisait simplement pas, par manque de temps ou - aussi étrange que cela pouvait me sembler - même d'envie. Elle continua alors en me disant que lorsqu'elle s'ennuyait, elle s'occupait autrement. C'était ... Surprenant. Je ne sais pas. Moi, elle avait une tête de grande lectrice, avide de savoir et d'aventure. Mais non , il n'en était rien. Aller jusqu'à dire que j'étais déçu serait une trop grande hyperbole ; néanmoins, il était inutile de nier que ce morceau de savoir ne m'enchantait guère. Ma mission serait donc celle-ci : de la convertir au goût de la lecture. J'étais sérieux, hein : j'allais tenter de la convertir, coûte que coûte, et ce, pendant des années à venir. Néanmoins, elle semblait avoir une certaine qualité prometteuse en elle ... En effet, sa phrase suivante eut comme un effet relaxant sur mon organisme, qui se décrispa lorsqu'elle me demanda si, à mon avis, elle manquait quelque chose de grave. Ainsi, je serais capable de lui exposer mon point de vue, et ce, sans avoir à tenter de la convaincre entièrement que j'avais raison. (Bien que j'avais raison).

- Malheureusement, je pense que oui ... Pas extrêmement grave non plus, hein, mais ... Enfin, je sais pas. C'est de la culture, quoi. J'étais grec, électricien, et je n'avais pas fait d'études après le lycée. Et pourtant, même moi, je voyais la valeur de la culture générale. Je priais pour ne pas être le seul, sinon le monde allait droit à sa propre perte.

- Après, je ne peux pas te forcer à aimer la lecture, malheureusement ... elle était assez grande pour vivre sa vie comme bon lui semblait, après tout ... Non ? Si. À mes yeux, si. Ce serait donc dommage. Une jolie femme qui ne lit jamais ... De quoi en écrire un roman, ça.

Je ne jugeai pas Lena sur son intelligence ni sa culture, ce n'était pas mon genre. Néanmoins, je trouvais que la lecture était essentielle, primordiale et recommandée à ceux qui voulaient découvrir le monde d'une façon nouvelle et plus poussée. C'était la découverte d'un univers tout entier, peint et dépeint uniquement de lettres, dont les constellations et nébuleuses étaient composées de points, de virgules et de points virgules. La richesse de certaines histoires et images décrites étaient comparables à des galaxies ... Oui, il s'agissait vraiment là d'un Univers tout entier. Ma mère écrivait. Elle chantait, aussi, mais ça, c'est une autre histoire - elle chantait très bien, même, d'ailleurs. Elle écrivait depuis son adolescence, elle avait rédigé deux-trois nouvelles pour la presse locale, et avait même fait un petit recueil de poèmes. Rien de bien extravagant, ni d'ambitieux, mais elle-même avait compris, tôt, à quel point les mots étaient un outil essentiel pour façonner des mondes qui nous appartiendraient. Moi, par contre, je n'écrivais pas. Je n'étais pas assez ambitieux, pour ça. Je me contentais de réparer des courts-circuits électriques dans les maisons des uns et des autres, et de lire du Dickens entre deux clients. Mais ce que je manquais en ne pas écrivant, je pense que je le rattrapais en lisant. Plutôt que de créer mes propres univers, à moi, des univers qui m'appartiendraient, je me plaisais à découvrir ceux d'autres, plus intelligents que moi, sans doute.

Néanmoins, si je respectais ceux qui disaient que la lecture n'était pas pour eux - sans pour autant les comprendre, hein - je me devais de vérifier qu'ils avaient tous essayé, au moins une fois. C'était important, en fait, d'essayer ... Essentiel, même, je dirais. Il ne fallait jamais baisser les bras ... Jamais abandonner. Et je me rendis immédiatement compte à quel point j'étais hypocrite de dire ça alors que j'avais fait exactement la même chose avec ma famille. Je n'acceptais cependant pas ce que Lena disait. Sotte, à mes yeux, elle ne l'était pas. En même temps, moi aussi, certains pouvaient me trouver sot. J'avais arrêté l'école à seize ans, après tout. Ou dix-huit, je ne m'en rappelle plus, déjà.

- Moi je ne te trouve pas sotte. J'avais prononcé les mots un peu surpris de moi-même, et également persuadé par ce que je disais. Tout le monde serait de toutes façons saut aux yeux d'une autre personne sur Terre, même Einstein, qui l'avait été, aux yeux de ses professeurs, d'après ce que j'ai entendu. Ça rejoignait la loi du "il y aura toujours des supérieurs", et jamais personne n'aura la place du mieux gradé. Allez savoir comment ça fonctionne, moi, je ne sais pas. Mais c'était vrai, et ça, c'était indéniablement vrai. Elle me demanda, cependant, quelles auteurs je lui conseillerais, si elle se mettait à lire.

- Oh ... Il y en a pas mal. Je dois avoir une liste, quelque part, si tu veux. Shakespeare, Hardy ... Brontë. Shelley, évidemment ... Oui, y'en a beaucoup trop pour pouvoir tous les citer. Et là, en plus, je ne parlais que de littérature anglaise.

- Mais là, déjà, on parle des "classiques", des incontournables plus exigeants à la lecture ... Les bestsellers aussi sont bien, pour les plupart. Tant qu'ils ne viennent pas du rayon jeunesse, en fait. Parce que moi, Twilight, j'aimais pas du tout. Je m'étais endormi après le premier chapitre, et Anna n'avait plus jamais réussi à me faire reprendre ma lecture, malgré elle.