/w Opaline.

Opaline, fille du vent ; alias, celle que je ne connaissais en rien, dans ce jeu. Légère comme une brise marine. Voilà ce que sa présence au sein du nid évoquait, à mes yeux. Elle avait eu autant d'impact qu'une plume se posant sur terre ou une goutte d'eau tombant dans l'océan ... C'était dommage, d'ailleurs. Elle devait faire partie des rares avec qui je n'avais jamais discuté, pas même une fois. Il était donc naturel que lorsque je la vis, comme ça, dans la bibliothèque, le visage enfoui dans un bouquin, l'idée de m’assoir à sa table m'avait frappé, comme une évidence et même, peut être, un devoir.

J'étais venu reposer le livre que j'avais pris, la dernière fois. "Moby Dick". Je ne me lassais jamais de mes classiques, moi. Néanmoins, je cherchais autre chose ... Un best seller, pour me divertir, en fait. C'est alors que mes doigts parcourant les étagères s'étaient arrêtés sur un ouvrage de Stephen King : "Bag of Bones". Rien que le titre, ça m'avait attiré. Et voici que je me retrouvais à lire l'auteur qu'un ami littéraire haïssait par dessus tout. Il aurait honte de moi, s'il voyait ça, je crois.

Je m'assois donc à la table d'Opaline, silencieusement, avant de lever rapidement mes yeux vers elle.

- Salut.

Autant commencer doucement, après tout.

Je ne suis pas très portée sur les bouquins, moi. Vraiment. Même les bouquins pour l'école, je les lisais jamais. Je devrais peut-être m'y intéresser davantage, je ne sais pas. La nature a fait que, déjà, je suis un peu flemmarde parfois et que dans ma famille, on n'est pas de grands intellectuels. Mais en plus de ça, justement, je ne suis pas très futée, je ne suis pas un rat de bibliothèque non plus donc oui, les bouquins, c'est un peu un concept abstrait pour moi. Quelque chose comme ça, en fait. Pourtant, oui, j'ai décidé d'aller à la bibliothèque. Et de prendre un bouquin. Totalement au hasard. J'espère juste que c'est pas un livre d'un vieux chiant, là. Ceux qu'on lit à l'école. Parce que c'est nul, ça. C'est pour ça que j'en ai jamais lu. Disons que j'ai dû en lire vingt pages une fois avant de me dire que je n'en lirai plus jamais. Ce que j'ai fait. Jusqu'à maintenant. D'après que c'est l'histoire du taré, là. Docteur Jekyll ou j'sais pas quoi. J'ai jamais rien compris à ce truc-là, moi. Je lis. J'en fronce même les sourcils parfois, c'est dire. Je continue à lire, encore et encore. Je ne sais pas si j'aime bien ou si j'ai juste envie de dormir. Je suppose que ne pas savoir en dit assez. Ce n'est que quand j'entends une voix que je relève les yeux. Cosmas. Je ne le connais pas trop, lui. Et comme à chaque fois que je ne connais pas trop quelqu'un (un homme surtout), j'ai tendance à être assez nerveuse. Je joue avec un coin d'une page du livre. Je vais essayer de ne pas déchirer quoi que ce soit, promis. Il me salue, Cosmas. Bah, salut. Qu'est-ce qu'il me veut, lui. C'est vrai, on ne s'est jamais tellement fréquenté alors je  ne vois pas pourquoi il s'installe ici. Il n'y a pas assez de place dans cette bibliothèque peut-être. « Salut. » je souffle, sans savoir quoi ajouter. Si, en fait, je sais. « Qu'est-ce qu'il y a ? » j'ajoute, toujours de ma voix basse et douce. Ça, c'est pour lui demander ce qu'il fout là mais d'une façon plus jolie. Et puis, bon, je ne veux pas non plus qu'il m'en veuille si j'ose mal lui parler ou quoi que ce soit. Donc je lui demande gentiment. Peut-être qu'il est là pour quelque chose en particulier. Ou peut-être juste pour lire, j'en sais rien.

Ça me faisait bizarre, de voir quelqu'un qui lisait vraiment. Et pas une bande-dessinée ni un magazine, mais un véritable bouquin. Il fallait avouer qu'ici, personne ne semblait avoir le temps de ne rien faire ... Ce qui me semblait assez curieux, étant donné que j'avais plus de temps à revendre que je n'en avais jamais eu dans ma vie. Elle a l'air concentrée, la fille, l'air de rien, comme si elle essayait de trouver un sens au bouquin qu'elle avait entre ses mains. La pauvre. J'espère qu'elle était pas tombée sur l'un de ces livres particulièrement difficiles à déchiffrer. Qu'est-ce-que j'aimais pas ça, lorsque ça m'arrivait, aussi. J'avais l'impression d'être un âne en lisant cela, ne fait. Sa paire d'yeux se relève quand je lui parle, et je crois que je la dérange. J'hésite d'ailleurs presque à en faire demi-tour ... Mais je me retiens, quand même, parce que je ne veux pas passer pour un couard, en fait. Je n'ai pas peur de la déranger, après tout. Je n'ai peur de rien. Elle joue un peu avec le coin de son bouquin, mais ça, je ne le voit que du coin de l'oeil, parce qu'en fait, je me concentre surtout sur son visage. Elle me salue, elle aussi, une fois que je me suis assis. Puis, elle me demande ce qu'il y a. J'reste muet, parce que je ne sais pas trop quoi lui répondre. Je me demande ce qu'elle attendait, comme réponse, en fait.

- Euh ... rien, rien. Je suis juste ici pour ... Lire.

Je brandis un peu fièrement l'ouvrage devant moi, souriant légèrement. Une preuve que je savais lire, voyez-vous. Et elle était témoin, maintenant. Je ne peux cependant pas m'empêcher d'essayer de faire causette avec elle, parce que c'est bien dommage, de voir une fille tous les jours sans savoir autre chose que son nom, vous ne trouvez pas ? Moi je trouve que si.

- Opaline, si je ne me trompe pas. Ça se passe bien, ton aventure au sein du nid ? lui demandais-je alors.

Il me fixe. Je le sens, je sens son regard sur mon visage. Il me fixe. Pourquoi, c'est la question que je me pose. C'est toujours un peu flippant quand les gens me regardent comme ça, sans se détacher de la vue. Qu'il me laisse tranquille, je lui demande rien, moi. Enfin, si, je lui ai posé une question. Pour savoir ce qu'il fait là, en fait. Au cas où il chercherait quelque chose en particulier, qu'il voudrait quelque chose en particulier, j'en sais rien. C'est pour ça que je lui pose la question. Je préfère être fixée, savoir exactement ce qu'il veut. Oui, c'est mieux. Il finit par me dire qu'il n'y a rien, qu'il est juste là pour lire. Ah. Beh, tant mieux alors. Il peut arrêter de me regarder et il peut juste se plonger dans son bouquin, lui aussi. Non ? J'aimerais bien que si. En tout cas, moi, je baisse à nouveau mon regard sur les pages du livre. Non, je ne lis pas. Je suis un peu trop perturbée pour ça, là. Même si je lisais, je crois que les mots ne feraient que passer dans mon esprit sans s'y arrêter. Donc je ne m'embête pas, je ne me plonge pas dans la lecture, je fais juste semblant. Du coup, j'espère qu'il va me laisser tranquille, j'en sais rien. J'aime pas trop ça, moi. Qu'on se retrouve, comme ça, tous les deux. Non, j'aime pas ça. Je recommence à me mordiller l'intérieur de la joue. Comme je le fais si souvent. Puis il me pose une question. Il me demande si ça se passe bien, mon aventure. Ah. Je ne sais pas trop quoi lui répondre, sur le coup. Je le regarde vaguement, déboussolée. Ma bouche s'entrouvre mais je suis toujours autant silencieuse. Lui répondre. Qu'est-ce que je pourrais lui répondre, moi.  À part que ça se passe bien. Je vais faire simple et court, oui, bonne idée. « Oui, ça va. C'est pas trop mal. » Je hausse les épaules. Pas trop mal, oui. C'est pas parfait non plus, faut rester réaliste. Dans mon genre, je suis quand même bien nulle. Mais bon. C'est pas grave, je suppose. Si, je sais que ça l'est. J'y peux rien, je fais de mon mieux. Je sais aussi que je ne suis proche de personne ici, à une exception près, Thelma. Mais sinon, je me sens toujours, ou presque, seule dans le nid. C'est bizarre, comme sensation. « Et de ton côté ? » Je lui retourne juste la question pour dire que je lui ai retourné, en fait. C'est pas que la réponse m'intéresse pas. Ou peut-être un petit peu. Faut dire que je le connais pas, moi, Cosmas. Alors c'est perturbant.

Elle semble un peu mal à l'aise, je crois. Du coup, je n'affronte pas son regard, parce que c'est quelque chose que je n'ose pas faire. Je n'aime pas mettre les autres mal à l'aise, en fait. Je crois que je la dérange, d'ailleurs, et je ne veux pas la déranger. Je n'aime pas déranger les autres, en fait. C'était pas quelque chose que je faisais volontairement, en temps normal. Mon regard se retourne cependant rapidement vers elle, comme si je n'arrivais pas à me défaire du sien. Je crois que quelque chose m'y retient, en fait. Ce n'est que lorsqu'elle baisse les yeux que je secoue de la tête, de gauche à droite, afin de chasser l'image de ses yeux de mes souvenirs. Elle semble concentrée, ceci dit, d'ici. Je ferais mieux d'en faire de même. Mes iris arpentent les pages, à la recherche de nouveauté ... D'autre chose. D'un mot que je ne connaissais pas, je ne sais pas. Quelque chose pour m'ôter l'envie de retourner mes yeux vers elle à nouveau, parce que je sentais bien, moi, qu'elle n'aimait pas ça. Finalement, le silence m'opprime, et je ne peux pas lui dire non. Je ne peux plus m'empêcher de lui poser une question, moi. Je lui demande si son aventure se passe bien, ici, et elle semble si bouche-bée qu'aucun son ne sort de sa bouche, pas un seul son. Peut être que j'aurais mieux fait de me taire, l'air de rien. Ou pas, finalement, puisqu'Opaline - c'est bien ça, son nom ? - se remet à parler. Elle me dit que les choses se passent bien, et je lui souris, légèrement. Tant mieux, tant mieux. Il valait mieux que son aventure ici soit plaisante. Elle me renvoie la question, et je réfléchis, un instant. Hadatt n'était plus là ... On ne pouvait pas dire que la situation était des plus idylliques. Mais j'avais fait de belles rencontres ; je m'accrochais donc à la beauté de la vie que je filais actuellement. Je lui réponds donc, un sourire aux lèvres.

- On va dire que oui. C'était complètement inutile, après tout, de lui dire que le départ de mon père m'avait grave refroidi. Bref. Je la regarde à nouveau. Ne m'en voulez pas, je vous avais déjà dit que je ne pouvais pas m'en empêcher. Puis, éventuellement, j'ose, à nouveau.

- Tu lis quoi ?

Oui, ça se passe bien. Je crois. Je ne sais pas. C'est quoi cette question aussi. Ça se passe comme pour n'importe qui d'autre. Mon aventure, je crois qu'elle est normale. Je crois. Même si j'ai déjà perdu mon secret et que c'est nul. Et que j'arrête pas d'être nominée aussi. Ça, ça craint. Si je suis déjà éliminée, ça va mal aller pour moi, je pense. C'est même sûr, ça. Ils vont se rappeler de chacune de mes erreurs, c'est certain. D'accord, c'est vrai, même si je leur rapporte de l'argent, je doute qu'ils soient plus calmes pour autant. Ils étaient déjà pas très contents que je parte alors bon. Je m'attends au pire. Avec eux, c'est tout ce que je peux faire. M'attendre au pire. Et même en faisant ça, ils arrivent encore à me surprendre. À faire encore pire que je l'imaginais. Je crois que c'est parce que j'espère toujours naïvement. Oui, c'est ça. Pas que c'est très important. Quoique, si je pense ça maintenant, c'est sûrement aussi parce que je ne suis pas très à l'aise à cause de la présence de Cosmas. Je le connais pas trop, lui. Et je ne sais pas, il a l'air... fort. Dangereux. C'est un mot que je déteste, ça,  oui. J'aime pas le danger, moi. Pas quand je sais ce qu'il représente. Pas quand j'en connais les conséquences. Les conséquences, c'est un autre truc que je n'aime pas trop. Je me concentre sur ma respiration. Il ne faut pas qu'elle m'échappe, que j'en perde le contrôle. J'inspire longuement pendant qu'il répond. Il dit que oui. En quelque sorte. Bah, tant mieux pour lui alors. Je regarde le livre une énième fois. Je sais bien qu'il me regarde, Cosmas. Je ne sais pas pourquoi et c'est encore plus perturbant. Je ne sais pas ce qu'il me veut. J'ai l'impression d'avoir fait une connerie, dit une connerie, j'en sais rien. C'est bizarre, vraiment. Je ne comprends pas pourquoi il me fixe. Il me pose une autre question. Ce que je lis. Ah. Je tourne le livre dans sa direction pour qu'il puisse voir la couverture et ainsi lire le titre, l'auteur et toutes ces conneries. Voilà. « Ça parle de Docteur Jekyll, là, t'sais. » je lui explique vaguement. Je ne sais pas s'il connaît ou pas. Je ne pourrais pas lui en dire plus parce que je ne suis pas très avancée dans l'histoire non plus. Je me pince les lèvres, je le regarde pendant quelques secondes. Je ne sais pas quoi lui dire, à lui. Je ne me tente même pas à trouver quelque chose. Mieux vaut que je me taise, je crois. C'est souvent ce qu'on veut de moi, ça. Que je la ferme. Que je n'émette pas le moindre bruit. Oui, c'est bien comme ça.

Je crois que je lui inspire une méfiance qui n'a pas lieu d'être. Cela me vexe, quelque peu, mais très légèrement. Elle doit bien avoir ses raisons, et je n'allais pas laisser un fait aussi anodin m'affecter, après tout. Elle semble néanmoins mal à l'aise, et l'idée de la laisser là me trotte dans l'esprit, un instant. Je l'abandonne cependant vite fait. Tant qu'elle ne partait pas où ne me demandait pas expressément de partir de mon propre gré, je me refusais à le faire. Il fallait que j'apprenne à connaitre les autres, voyez-vous, et elle faisait partie des rares seules qui m'échappaient encore. Néanmoins, le rythme allongé de sa respiration m'enchante guère. J'ai vraiment l'impression qu'elle cherche à se contrôler et à se tempérer, en ma présence ... Je me demande bien pourquoi, d'ailleurs. Elle me montre son livre, assez poliment, lorsque je lui demande duquel il s'agit. Jekyll, mon cher ami Jekyll ... Rahlala, que de bons souvenirs. Ça me rappelait la nuit où on avait fait l'amour, avec Anna, après avoir fini le chapitre trois, il me semble ... Hum. Parlons en une autre fois. Cela n'empêchait pas le fait que la vue de ce livre avait éveillé en moi une envie, voire, même, un besoin, de le tenir à nouveau entre mes mains, ne serait-ce qu'une fois.

- Je vois tout à fait. J'aime beaucoup cet oeuvre. Autant pour sa qualité littéraire que pour ce qu'elle m'évoquait, moi, personnellement, en tant qu'être humain. C'est là qu'elle me regarde, et je me demande vraiment, à nouveau, si je ne ferais pas mieux de partir. J'hésite, je craque, et je me retrouve à me surprendre moi même lorsque je constante, tout simplement, que :

- Tu ne sembles pas beaucoup aimer la conversation ... Je me trompais sans nul doute mais bon ...

J'espère quand même qu'il ne va pas me poser des questions sur le bouquin. Vous savez, comme à l'école. À chaque fois, les profs aimaient bien me questionner. Parce qu'ils savaient très bien que je n'avais pas la réponse. J'y peux rien, moi, si ça ne m'a jamais tentée, la lecture. Je suis sûre que dans quinze minutes de plus à avoir le regard posé sur ce livre, je vais en avoir marre et je vais abandonner l'idée de le terminer. Surtout que bon, c'est pas si passionnant que ça, au final. Cosmas, il connaît peut-être mieux que moi. C'est même sûr, il ne peut pas connaître moins que moi, c'est impossible. La preuve, il dit même qu'il aime beaucoup. C'est qu'il a déjà dû le lire alors, ce bouquin. Beh, tant mieux pour lui, je suppose. Je ne vois pas quoi ajouter de plus sur le sujet. Je ne suis pas très portée sur la littérature alors si ce sujet de conversation pouvait être évité, je crois que ça arrangerait tout le monde. Du coup, je me plonge dans le silence, avec une fausse envie de lire ces lignes, ces mots qui sont notés sur ces pages, qui font partie de cette histoire. Je fais juste semblant en espérant, peut-être naïvement, qu'il décidera de lire, lui aussi. Puisqu'il est là pour ça, à l'origine. C'est ce qu'il a dit, en tout cas. Je veux bien le croire s'il me prouve que c'est vrai. Il est là pour lire. Alors qu'il lise. Non ? Ça me perturbe, cette histoire. Mes dents vont attaquer l'intérieur de ma joue, comme je sais si bien le faire. Il faut que j'arrête de faire ça, il faut que j'arrête. Vraiment. Et là, Cosmas, il dit que je n'ai pas l'air d'aimer la conversation. J'avoue que cette façon de dire me surprend un peu. Parce que d'habitude, on me dit surtout que je ne suis pas bavarde. Et que c'est bizarre de parler si peu. Mais on me demande jamais si j'aime la conversation ou pas. Je ne sais pas quoi lui répondre, du coup. « Je... » J'essaye, je ne trouve rien. Si j'aime la discussion ou non. En général, on ne me demande pas d'aimer ça ou non. On me demande juste de la fermer. Je ne suis pas très habituée à parler beaucoup. Ou à extérioriser en général. Non, non, ça, on m'a toujours dit d'arrêter de le faire. Je fais ce qu'on me dit, c'est ça que je sais faire. « J'suis pas... habituée à la conversation. » J'ai que ça comme explication. Je n'y suis pas habituée. Ça ne veut pas dire que j'aime pas ça. Parfois, j'aime bien. Il y a d'autres fois où je m'en passerai. Ça dépend des fois, ça dépend de qui. Parfois, les mots, ce n'est pas nécessaire. Oui, parfois, je préfère le silence, parce qu'il est plus agréable. Et plus sincère.