Si Sully avait pu passer de nombreuses années à se questionner sur les choses pour lesquelles il pouvait avoir un certain talent – à l'époque où sa mère lui avait mis la pression quant à son avenir professionnel, avant qu'il ose suivre sa passion et se lancer dans le cinéma en somme – il n'avait jamais tellement eu de doutes au sujet de la musique. Car c'était un domaine qu'il ne maîtrisait absolument pas, malgré le fait qu'il ait pu s'essayer à la batterie pendant quelques années, sans tellement parvenir à y briller en soit. Car non, si la musique était définitivement le truc de son frère aîné, ça n'était clairement pas le sien, ainsi donc il en venait à se demander ce qu'il foutait au sein de cette pièce, où se tenaient bon nombre d'instruments dont il n'était pas certain de connaitre les noms, pour certains. Parmi ceux-ci s'en trouvait alors un qui avait pour le moins tendance à l'intriguer. Un majestueux piano à queue, comme on en voyait dans de nombreux films, à savoir le genre d'instruments qui l'avaient toujours fait rêver mais auxquels il n'avait jamais tellement eu envie d'apprendre à jouer, en soit. Pourtant, aujourd'hui, il est vrai qu'il avait quand même bien envie de s'y essayer, juste pour voir, ou plutôt juste pour entendre ce que cela pourrait donner. Rien qu'à l'idée d'oser, il trépignait pour ainsi dire d'impatience. Ainsi donc, c'est dans un moment de folie qu'il prit place en face de l'instrument, prenant l'air d'avoir fait ça toute sa vie, un peu comme s'il avait l'habitude, au fond, de jouer d'un instrument qu'il n'avait en fait jamais vu de près avant d'intégrer cette aventure. Un vrai rôle de composition, donc, pour le coup. Sully prit alors une forte inspiration, puis laissa ses doigts frapper très hasardeusement les touches du piano. Quelques sons se firent entendre, et aussi peu mélomane devait-il être, il était a priori capable de reconnaître un désastre instrumental quand il en entendait un. Et pour le coup, il n'y allait pas de main morte pour massacrer ce qui, au départ, était éventuellement censé être Au clair de la lune. Censé seulement, oui. Et tandis qu'il releva la tête, il aperçut Opaline, à quelques mètres de là, et s'il est vrai qu'il ne savait jamais tellement comment se comporter avec elle, il voulait continuer d'être là pour elle, à sa manière, et même si elle s'en passerait sans doute volontiers. « C'est drôle, j'étais persuadé d'être mauvais, mais au final je suis carrément nullissime » qu'il énonça alors, plus pour prendre la parole – et s'assurer qu'elle noterait bel et bien sa présence – que parce qu'il était utile de préciser ce qui, de toute manière, était pour le moins évident. « Tu sais jouer, toi ? » qu'il lui demanda ensuite, véritablement curieux, pour le coup, de savoir si elle savait jouer du piano. « Parce qu'il faudrait penser à sauver l'honneur, alors quelqu'un de plus doué que moi ferait bien de prendre le relais. » Car même si elle finissait par lui dire qu'elle n'avait jamais touché un piano de sa vie, elle resterait probablement meilleure que lui. Ce n'était pas dur, il faut dire.

Je ne suis pas très branchée musique. Je veux dire, j'aime bien en écouter parfois, comme tout le monde, je crois. Mais en jouer, ça, par contre, c'est autre chose. J'ai jamais pu me payer le moindre instrument, encore moins le moindre cours. Et franchement, ça ne m'a jamais titillée d'économiser afin d'apprendre ou quoi que ce soit. Je préfère le dessin. Oui, mon truc, c'est le dessin. La musique, c'est bien quand c'est les autres qui en font. Enfin, à peu près. Parce que j'approche de la salle de détente et j'entends des notes disgracieuses depuis la pièce. Je les entends pas beaucoup mais je les entends quand même. Ça me rassure de voir qu'il y en a d'autres qui ne sont pas doués, parce que je commençais à me sentir un peu nulle. C'est vrai, ils ont tous une passion, un centre d'intérêt, et moi, je suis juste là, avec mes pauvres dessins. C'est pas très important, c'est vrai. J'ouvre la porte malgré tout et j'aperçois Sully. Qui a conscience d'être nul, c'est déjà ça. Ça aurait été dommage d'avoir à lui mentir pour lui cacher l'horrible vérité. Pas que ça me dérange tant que ça de mentir, c'est vrai. Je ne vais pas pour autant lui confirmer qu'il est nul. Il ne faudrait pas qu'il le prenne mal. Je le regarde, je regarde le piano. Je regarde même le mur derrière eux. Mon regard, il aime bien se promener. Sully me demande si je sais jouer. Ah. J'espère qu'il ne va pas me forcer à jouer, parce que je suis sûrement aussi nulle que lui. Ou pire, j'en sais rien. Pire, c'est possible. Je finis par secouer la tête de gauche à droite. « Non, j'sais pas jouer. » Vraiment pas. J'hésite deux secondes avant de me déplacer puis finalement, je vais jusqu'au canapé qui se trouve là. Je m'installe en tailleur, je lance quelques coups d’œil dans sa direction. J'hésite. J'ai tendance à beaucoup hésiter, je sais. C'est pas grave, ça va bien finir par passer. C'est qu'une question, de toute façon. J'en pose, parfois, moi, des questions. Au pire, il me dira juste de me taire comme certains le font. « Tu l'aimes bien, Ismène ? » je souffle en relevant le regard quelques secondes vers lui. Parce qu'ils ont l'air de s'apprécier, eux aussi. Beaucoup ont l'air de s'apprécier. Et moi, ça me perturbe un peu. Je ne sais pas comment ils font. Parce que, moi, la plupart des gens ne m'aiment pas. Ici ou ailleurs. Ils ne m'aiment jamais, moi, les gens. C'est vrai. Et c'est nul. J'aimerais bien qu'on m'apprécie. Je ne sais juste pas comment c'est possible. Au pire, c'est pas grave. Parce que je suis habituée à ce qu'on ne m'aime pas trop alors ça va.

Une chose était maintenant certaine, Sully n'était pas passé à coté de sa vocation, hm. La musique, ça n'était définitivement pas son truc, ça c'était pour le moins officiel depuis quelques instants. Et certes, ne pas savoir jouer ne serait-ce qu'une note de piano juste, c'était pour le moins frustrant, mais il était peu probable qu'il le vive comme le plus gros échec de sa vie, à vrai dire. Ça l'embêtait simplement quelques peu de s'être foiré à ce point, d'avoir obtenu un rendu aussi médiocre disons, mais ça n'était en soit pas particulièrement dramatique, du moins à ses yeux. Et il parierait cher sur le fait que ça ne le soit pas non plus aux yeux d'Opaline, qui avait du trouver ça horrible à entendre, mais qui s'en remettrait sans doute relativement vite. Opaline qui se trouvait donc non loin de lui, et à laquelle Sully se risqua à s'adresser, tout simplement parce qu'il n'avait jamais fait comme si elle n'était pas là simplement parce qu'il n'était jamais bien simple de converser avec elle, et qu'il est certain qu'il ne commencerait pas aujourd'hui. La question était alors de savoir si Opaline savait jouer du piano, elle. Parce qu'autant tout le monde avait eu l'occasion d'être fixé en ce qui concerne Sully, autant le jeune homme se demandait si sa camarade était disposée à relever un peu le niveau, ce qui ne serait pas bien difficile, tant celui-ci était bas pour le coup. Sauf que non, manifestement, Opaline ne savait pas jouer. Il va de soi que ça n'était pas bien grave, que Sully ne lui en tiendrait assurément pas rigueur, étant donné qu'il serait mal placé pour en vouloir à quiconque de ne pas savoir jouer du piano, hm. « Comme ça, on est deux » qu'il souffla, peut être pour se sentir un peu moins seul, oui, c'est assez vrai. Mais Opaline, au moins, ne se risquerait pas à exposer son inexpérience, contrairement à Sully, qui regrettait à vrai dire de plus en plus de s'être risqué à l’exercice. Opaline gagna alors le canapé et son regard la suivit, tandis que la jeune femme lui posa bientôt une question à laquelle il ne s'était, disons, pas tellement attendu. Elle demandait alors il s'aimait bien Ismène, et il est vrai que ça le surprit quelques peu, étant donné que tout le monde avait du le remarquer, mais qu'Opaline n'avait peut être pas la même manière d'observer que les autres, et qu'elle avait ainsi peut être besoin que Sully le lui dise pour le comprendre. « Je l'aime plus que bien » qu'il souffla alors. A ce jour, Ismène était plus qu'une amie qu'il aimait bien, et ça il préférait le signifier, car si Opaline avait posé la question, ça n'est certainement pas pour qu'il se prive de préciser ce qui rendrait sa réponse plus exacte. « Je l'aime beaucoup » qu'il reprit, pensant que c'était déjà un peu plus proche de la vérité. C'était peut être encore un peu plus que ça, mais il ne se voyait pas aller plus loin, de peur peut être de trop s'avancer. Sully se risqua alors à pianoter à nouveau, d'un seul doigt, hasardeusement et un peu moins mal que précédemment peut être. Son regard, lui, alternait entre les touches et sa camarade. « Pourquoi cette question ? » Car oui, il valait mieux qu'il sache ce qu'elle pouvait ne pas comprendre, ou sur quoi elle s'interrogeait précisément. Lui, ça ne l'embêtait pas de répondre à ses questions, mais ce serait quand même mieux qu'il soit certain de les assimiler.

Non, je ne sais pas jouer du piano, moi. Et je le vis bien. J'ai jamais su en jouer, je n'en jouerai jamais. C'est pas grave, j'ai autre chose à faire qu'apprendre à manier cet instrument de musique. Si je voulais vraiment apprendre des trucs, j'aurais été beaucoup plus attentive à l'école. Je ne l'ai pas été. Du tout. Donc apprendre, ça me passe un peu au-dessus. Surtout les savoirs d'école. Ça sert à rien. Je n'aime pas savoir ce genre de trucs, moi. Il y a d'autres choses plus intéressantes à connaître, je trouve. Plein, plein d'autres choses. Si je dois apprendre des trucs, ça sera ça. Et pas quelques dates d'histoire ou comment calculer une formule mathématique que je n'utiliserai jamais dans ma vie. Clairement. Mais bon, je suppose que tout le monde peut avoir un point de vue différent sur la chose. Comme ma mère. Quoique, elle pense la même chose que moi, elle. Si elle avait été une élève plus sérieuse, elle ne se serait pas faite engrosser. Et je ne serais pas là. Elle aimerait bien cette façon de voir les choses, je suis sûre. C'est pas ça l'important. Le fait est qu'elle s'en fout de l'école. Elle adore juste me blâmer - une fois de plus – pour mes résultats médiocres. C'est pas grave. Moi, je m'en fiche. De mes notes, pas du fait qu'elle me déteste, évidemment. Donc non, le piano, ce n'est pas pour moi. Et je n'ai même pas la curiosité d'essayer, contrairement à Sully. Il dit alors qu'on est deux. Oui, c'est vrai. Deux. On est deux à ne pas savoir en jouer. Je suppose que c'est toujours mieux que d'être seul. Quoique, ça dépend. Je ne réponds pas, je me contente de me rendre jusqu'à ce canapé que je fréquente peut-être un peu trop. Je dors souvent ici, je l'avoue. C'est parce qu'il est confortable, le canapé, faut dire. Moi, j'en profite, c'est tout. Sauf que c'est pas ça le sujet du moment. Non, du tout. Parce que je lui ai demandé s'il aime bien Ismène. Je crois que oui. Ça paraît même évident quand ils sont tous les deux. Il l'aime bien, c'est sûr. Il dit même qu'il l'aime plus que ça, plus que bien. Il l'aime beaucoup. Ah. Je suppose qu'il y a une grande différence entre les deux façons de le dire. Je ne sais pas. Mes lèvres s'étirent en une ligne fine, sans vie, sans joie. Tant mieux pour lui s'il l'aime bien. Je vous jure, je ne vais pas pleurer. C'est vrai. Je me contente de m'allonger sur le canapé, légèrement recroquevillée, tout en glissant une main sous mon visage enfantin. Il me demande pourquoi, Sully. Pourquoi je lui ai posé la question. Ah. Je me perds dans la contemplation du piano pendant un instant. Je ne sais pas trop si j'ai envie de lui répondre. Je ne sais pas trop quoi lui répondre non plus, j'avoue. Peut-être que j'aurais pas dû l'interroger. C'est vrai, ça me regarde pas, qu'il l'aime bien ou pas, Ismène. Tant mieux pour lui s'il l'aime bien. Oui, tant mieux pour lui. Je le regarde du coin de l’œil, toujours à la recherche d'une réponse. Bon. « Il y a plein de gens qui s'aiment bien ici. » je souffle simplement, en guise d'explication. C'est vrai. Même que durant le prime dernier, il y a eu plein d'images de gens qui s'aiment bien. Ils s'aiment tous bien. Tous ou presque. Mais je crois que personne n'est resté sur la touche. Enfin... Personne. C'est vite dit, ça. Mais bon, moi, c'est pas grave. Pas trop disons. Non, c'est pas grave. C'est plus simple comme ça, je suis sûre. C'est plus simple si personne ne m'aime bien, moi. Je comprends pas comment ils font, tous, pour s'apprécier. Je comprends pas.

Qu'importe qu'Opaline ne sache pas jouer du piano, ça n'était certainement pas Sully qui irait se moquer d'elle, car tout le monde avait pu constater qu'il aurait mieux fait de s'abstenir d'en jouer, lui. Clairement, ça n'avait pas d'importance et ça n'était même pas plus mal, en soit, qu'elle ne soit pas experte en la matière, car s'il avait laissé entendre qu'il aurait fallu relever le niveau en passant après lui, il aurait tout de même été confronté à une sacrée humiliation s'il s'était avéré qu'Opaline excellait en piano et qu'elle avait joué une irréprochable mélodie après la tentative foireuse de l'américain. Donc oui, il valait peut être mieux qu'ils s'y connaissent aussi peu en piano l'un que l'autre, en fait. En tous les cas, il n'était pas désagréable de voir Opaline relativement calme, à cet instant. Il ne prétendait pas savoir si elle était sereine, mais elle semblait tranquille, et il est vrai qu'il préférait la voir comme ça qu'aussi fébrile que sur le pont, dans la chambre ou sous l'arrosage automatique du jardin botanique. Aujourd'hui, il avait le sentiment qu'elle était plutôt paisible, et ça n'était pas désagréable pour lui qui aspirait à ce qu'elle aille bien, ou mieux tout du moins. Il n'osa alors pas quitter sa place et approcher, de peur peut être de la rendre fébrile à nouveau, de tout gâcher en se rapprochant d'elle. D'ici, il la voyait de toute façon suffisamment bien, et il n'avait véritablement pas envie de prendre le risque de la stresser. Il est en tout cas certain qu'il ne s'attendit pas tellement à ce que la jeune femme l'interroge sur la nature de sa relation avec Ismène. Bon d'accord, pas exactement. Disons qu'elle chercha uniquement à savoir si Sully aimait bien Ismène, peut être parce qu'elle avait cru le remarquer mais qu'elle estimait ne pas en être suffisamment sûre pour éviter de le lui demander directement. Il va de soi qu'il ne vit aucune raison de ne pas lui répondre, parce que ça n'était pas comme si son affection pour Ismène n'était pas relativement flagrante, car relativement exposée depuis deux semaines. Tout le monde avait du remarquer qu'ils s'appréciaient, du moins le supposait-il. Alors oui, il ressentit le besoin de préciser à Opaline qu'il aimait plus que bien Ismène, qu'en soit il l'aimait même beaucoup. Parce que c'était vrai, ou que ça se rapprochait en tout cas davantage de ce qu'il estimait ressentir pour la jeune femme. En soit, il ne le savait peut être pas assez précisément, et était peut être encore loin de la vérité, mais il tâchait là de lui donner la réponse la plus juste possible, n'étant pas disposé à lui communiquer des informations qu'il n'avait pas lui même. Le jeune homme observa alors sa camarade s'allonger, ne sachant pas si elle avait prévu de s'endormir ici ou si elle ressentait simplement le besoin de se détendre, d'un seul coup. Ce qui était certain, c'est que sa question l'avait surpris, et qu'il se demandait maintenant pourquoi elle avait ressenti le besoin de la lui poser. Il ne l'en blâmait pas, mais ça l'avait étonné, oui. Ainsi donc, il chercha à savoir d'où cette question avait bien pu sortir, et ne tarda pas à obtenir une réponse pour le moins intrigante. Ainsi donc, elle lui avait demandé s'il aimait bien Ismène simplement parce qu'elle avait remarqué que pas mal de gens s'aimaient bien ici ? Admettons. « C'est vrai. Après ces quelques semaines de jeu, des liens se sont créés et des affinités sont nées » qu'il fit alors, en un fin sourire. Lui, il aimait le fait que les candidats s'apprécient, car ça redonnait à ce jeu un aspect 'humain', contrastant avec toute cette histoire autour des traitres, qu'il jugeait de plus en plus malsaine. Clairement, il n'aurait jamais pu rester ici s'il ne s'était pas attaché à ses camarades. « Je suppose qu'il y a des gens que toi-même tu apprécies ici, non ? » qu'il chercha à savoir, pas tant par curiosité que parce qu'il apprécierait de l'entendre dire qu'elle avait sympathisé avec certains candidats. Il l'imaginait assez seule, au sein de ce jeu, et cette pensée lui faisait mal au cœur. Il avait conscience qu'Opaline avait un tempérament singulier, mais il ne voulait pas l'imaginer solitaire pour autant. Non, ça lui serait vraiment pénible.

C'est vrai, il y en a plein qui s'apprécient. Qui s'apprécient beaucoup. Qui s'aiment beaucoup. Ils se sont tous rapprochés rapidement, ils se sont créés des affinités. C'est un vrai petit groupe. Je trouve ça bizarre. Pas bizarre bizarre mais j'en suis un peu curieuse quand même. Comment ils peuvent accorder leur confiance si facilement. Surtout dans un jeu comme celui-ci. Et comment ils peuvent savoir qui ils apprécient, qui ils aiment bien. Moi, ça me perturbe. Parce que, moi, je ne sais pas. Par exemple, je dis tout le temps que je les déteste, ce petit groupe à l'extérieur. Mon petit groupe, ceux à qui j'appartiens. Pourtant, là, ils ne sont pas là et je me sens toute seule sans eux. Alors je ne comprends pas trop. Comment ils font, c'est vrai ça. Et comment il est sûr, Sully, qu'il aime beaucoup Ismène. Pourquoi il l'aime beaucoup aussi. Je ne devrais pas me poser autant de questions, je crois. C'est vrai, je ne devrais pas. Mais ça m'intrigue de les voir faire. Je ne suis pas comme eux. Je veux dire, c'est rien de très étonnant, je crois que tout le monde l'a compris. Mais je ne peux pas faire comment ils font, tous. À papoter, à s'apprécier alors que ça fait un mois qu'ils se connaissent. C'est bizarre. Oui, c'est bizarre. Et différent. C'est pour ça que je lui ai posé la question, en quelque sorte. Parce qu'il y a plein de gens qui s'aiment bien ici. Et surtout parce que je me demande comment ils font. Oui, c'est surtout pour ça. Je ne sais pas comment il fait pour bien l'aimer, Ismène. C'est vrai, après tout, pourquoi elle. Qu'est-ce qu'elle peut avoir de si spécial pour qu'il l'apprécie. Et ce que je me dis aussi, c'est qu'il a dit qu'il m'apprécie, moi aussi, mais dans ce cas, c'est dans quelle mesure. Raah, je ne sais pas. Faut que j'arrête d'y penser. Sully confirme que des affinités sont nées. Oui. Entre tout le monde. Ou presque. Même Sandro, il a Monroe. Pourtant, il n'a pas la réputation du type le plus agréable du monde. C'est lui-même qui m'a dit qu'il était méchant, j'invente rien. Et là, Sully me demande s'il y a des gens que j'apprécie, moi aussi. Ah. Tout dépend de sa définition d'apprécier, là. J'aime bien Thelma, moi. C'est vrai, je l'aime bien. Mais au final, on passe moins de temps toutes les deux. C'est nul. Mais j'y peux rien, moi. J'essaye vraiment d'aller vers elle mais je sais que je suis collante et je voudrais pas qu'elle me déteste, elle aussi. Je ne sais pas. Non, c'est vrai, je ne sais pas si j'ai des ''affinités'' avec d'autres. Je crois que cette conversation ne devrait pas me donner autant envie de pleurer, en fait. Pourtant, c'est le cas. Je suis obligée de me mordiller la lèvre pour m'empêcher d'avoir l'air plus pathétique que c'est déjà le cas. « J'sais pas. » je souffle ensuite, le regard dans le vide. Non, je ne sais pas. Moi, c'est sûr que j'ai personne qui m'apprécie comme les autres le font entre eux. C'est pas grave, je suppose. C'est vrai, j'ai l'habitude. Être seule, au final, je m'y habitue. Un petit peu. C'est juste différent de chez moi ici. Et c'est perturbant. Je ne vais pas pour autant chercher absolument de la compagnie, non, non. C'est pas grave si je suis toute seule, c'est vrai, ça. Je ne sais pas faire comme eux, de toute façon. Parce que je ne peux pas m'empêcher de me méfier. Et je refuse d'accorder ma confiance. Peut-être que je suis faite pour être seule, au final. J'en sais rien, moi.

C'était indéniable, Sully aimait beaucoup Ismène. Peut être encore un peu plus que ça en soit, mais il se donnait le temps d'en être certain et estimait de toute façon que s'il en venait à être sûr de l'aimer d'une autre façon, d'une façon d'autant plus forte et d'autant plus concrète, c'est à la principale intéressée qu'il se devrait de le formuler, et non à Opaline, qui de toute façon n'avait du poser la question que d'une façon pour le moins générale, vu qu'elle en vint ensuite à se questionner au sujet des affinités de l'ensemble des candidats, qui effectivement avaient noué des liens en ces cinq semaines d'aventure. A force de passer du temps ensemble, de partager des repas, de rester ensemble lors de primes ou soirées, inévitablement, des rapprochements avaient opéré. Sully, par exemple, avait eu l'occasion de sympathiser avec bon nombre de ses camarades. Il ne les appréciait pas nécessairement de la même manière, était plus proche de certains, c'est clair, mais il avait tendance à affectionner la plupart de ses camarades, exception faite à ceux qu'il n'avait tout simplement pas eu le temps de connaitre, ainsi qu'à ceux qui n'avait pas une mentalité qu'il jugeait compatible à la sienne, mais globalement, ça représentait un nombre minime de candidats. Car oui, sans prétention aucune, il pourrait dire qu'il s'entendait bien avec la plupart d'entre eux, autant parce qu'il estimait être quelqu'un de sociable et de tolérant que parce qu'il avait eu l'occasion de rencontrer des personnes formidables et attachantes. Il savait par exemple que s'il devait prochainement quitter ce jeu, et se séparer des candidats dont il était proche, il le vivrait incroyablement mal, car il n'était pas venu pour nécessairement se lier à eux, étant donné qu'il n'était venu ici que dans un but bien précis, un but que tout le monde connaissait maintenant, mais qu'il s'était comme tout le monde laissé piéger par ces rapprochements inévitables et qu'il ne regrettait évidemment pas. Qu'aurait été son aventure sans ces jeunes gens qu'il avait appris à apprécier ? Pas grand chose, il le savait. Alors oui, il aimait ce jeu pour son coté humain, qu'il jugeait finalement plus intéressant que son coté stratégique, que toute cette histoire de traitres, qui au contraire laissaient planer une ambiance qu'il n'affectionnait pas des masses. En tous les cas, il en venait maintenant à espérer que sa camarade ici présente avait elle aussi eu l'occasion de créer quelques liens, de sympathiser avec certains candidats, parce qu'il estimait qu'elle était attachante et qu'il trouverait étrange, en fait, que personne d'autre que lui ne l'ait noté. Car il se doutait bien qu'on la jugeait avant tout assez insociable, car souvent en retrait par rapport au reste du groupe, mais à passer du temps avec elle, Sully s'était pris d'affection pour la jeune femme, et il ne pouvait pas concevoir qu'il ait été le seul dans ce cas. Alors oui, il chercha à savoir si elle-même appréciait des candidats ici, à savoir si elle avait eu l'occasion de créer quelques amitiés, car il estimait ça possible, quoi qu'on puisse penser de son tempérament, il est vrai singulier, mais pas repoussant à ses yeux. Elle disait alors ne pas savoir et il est vrai que cette réponse ne le surprit pas tellement, car il commençait à bien la connaitre, à savoir comment elle appréhendait les questions qu'on lui posait. C'était évasif, donc c'était du Opaline tout craché. « Il doit bien y avoir des candidats avec qui tu aimes passer du temps, non ? » Il ne voulait pas nécessairement insister, mais l'aider à possiblement arriver à une réponse qu'elle connaissait peut être mais qu'elle ne pensait peut être pas à formuler. Elle devait bien s'être rapproché de certains candidats, elle avait eu du temps pour ça après tout. Il la fixa alors un court instant, avant de reporter brièvement son attention sur les touches du piano, qu'il ne touchait toutefois plus. « Ce que je t'ai dit la semaine dernière, ça n'a pas changé, tu t'en doutes » qu'il fit, en référence au fait qu'il ait l'apprécier. S'il l'avait dit, c'est parce qu'il le pensait, qu'il s'était véritablement attaché à elle, aussi étranges soient leurs rapports depuis le début du jeu. Disons que ça n'était ni franchement typique, ni franchement concret, que Sully n'avait jamais expérimenté ça avant, mais qu'il s'y était habitué. « Et ce que je me demande maintenant, c'est si toi tu m'apprécies » qu'il reprit, en se levant cette fois-ci pour aller s'adosser au mur le plus proche, les bras croisés et les yeux posés sur sa camarade. « J'ai tendance à penser que non, est-ce que je me trompe ? » Non, sans doute pas. Et il ne lui voudrait pas de ne pas l'apprécier, parce qu'il avait été pénible, à plus d'une occasion, à l'égard d'Opaline. Il était même préparé à ce qu'elle lui dise qu'elle ne l'affectionnait pas le moins du monde, car ça lui paraitrait logique, en un sens. Quoi que ce serait quand même un peu dur à entendre, parce qu'il aimait être apprécié et qu'il aimait moins ne pas l'être, naturellement.

C'est parce que je suis bizarre. Je suis sûre que c'est pour ça. La plupart des gens ici, ils doivent me trouver bizarre. C'est toujours ce qu'on dit de toi, c'est vrai. Sully, il ne le pense peut-être mais ça ne veut pas dire ce n'est pas le cas de d'autres. Pour beaucoup, je suis la fille bizarre. La gamine bizarre, qui est dans son coin. La fille étrange, dans son petit monde, dans sa petite bulle. J'y suis bien, moi, dans ma bulle. Je préfère. C'est tellement plus agréable d'y être. Le truc avec moi, c'est qu'on a besoin que j'existe uniquement quand on veut me demander des trucs. C'est vrai. C'est comme ça que ça marche. Si on a quelque chose à me faire faire, j'existe. Le reste du temps, tout le monde apprécie que je sois dans mon coin et dans ma bulle. Au moins, je ne suis sur le dos de personne et ça aussi, ils aiment bien. Parce que tout le monde a tendance à dire que je suis agaçante. C'est pas grave, je comprends. Je reste dans mon coin et en général, c'est mieux. Je crois.  Je ne suis pas très familière avec ces histoires d'affinités, d'amis ou de ''je l'aime plus que bien''. J'y connais rien. C'est pas à ça que je suis habituée alors je suis un peu perdue. Il y a un truc qui me perturbe. Parce que je ne vois pas pourquoi je devrais apprécier quelqu'un si ce n'est pas réciproque. C'est vrai, c'est inutile. Ça sert à rien. Et comme j'ai assez l'habitude qu'on ne m'aime pas, en fait, j'ai tendance à ne pas apprécier grand monde. Je crois. J'en sais rien, c'est bizarre. Je ne sais pas qui j'aime bien, qui je n'aime pas. Je ne sais pas. Sully, il me demande ensuite s'il n'y a pas quelques personnes avec qui j'aime passer du temps. Ah. Ça dépend de quand. Parce qu'il y a des fois où si et puis, il y a des fois où non. Elles sont difficiles, en même temps, ses questions. C'est vrai, je ne sais pas comment trouver la réponse, moi. Avec qui j'aime bien passer du temps... Il y a Thelma. Oui, voilà, je peux dire que j'aime bien passer du temps avec elle. Même si je ne suis pas certaine que la réciproque soit vraie. Je ne sais pas. Je reste silencieuse. Je préfère. C'est plus simple que d'avoir à répondre. Donc je me tais. Et c'est peut-être pas plus mal puisqu'il reprend la parole, de toute façon. Ils finissent toujours par reprendre la parole. C'est l'avantage d'être plus bavard que moi. Ça n'a pas changé donc. Ce qu'il m'a dit, l'autre jour. Qu'est-ce qu'il m'a dit déjà, l'autre jour. Je ne sais plus trop. Je m'en rappelle quand il se demande si moi, je l'apprécie. C'est vrai qu'il a dit ça. Qu'il m'apprécie. J'y crois toujours pas, à ça. M'apprécier, vraiment ? C'est étonnant, quand même. Je ne comprends pas comment il peut affirmer ça. Surtout avec nos rapports qui sont loin d'être les meilleurs de tous. Et même sans ça, je ne vois pas comment il peut m'apprécier, moi. Non, je ne comprends pas. Je n'ai pas l'habitude de ça. Déjà qu'il dit qu'il se soucie de moi alors qu'il m'apprécie en plus de ça... Il pense que non, que je ne l'aime pas. Ah. Je ne sais pas. Peut-être. J'aime pas tout ce qu'il peut me dire. Tous ces mensonges, toutes ces illusions. Ça me paraît insensé, illogique. Ça, non, je n'aime pas trop. Lui, je ne sais pas. De toute façon, je ne vais pas me risquer à lui dire que non, je l'aime pas. Il a l'air plus menaçant, là, comme ça. Quand on croise les bras quand je suis dans le coin, c'est jamais bon signe, je vous le dis, moi. Je lève mes grands yeux d'enfants vers lui, pour voir son visage, son humeur. Au cas où. Juste pour savoir. Bon. J'inspire, je reporte mon regard vers le piano. « Je sais pas. » je souffle, à défaut de mieux. Non, je ne sais pas. Parce que c'est compliqué. Parce que je ne me vois pas l'apprécier. Parce que je sais pas pour autant si ma réponse est un non. J'en sais rien. Il devrait arrêter de me poser des questions, je pense. C'est peut-être pas cette réponse qu'il voulait. Sûrement pas. J'espère juste qu'il ne va pas me crier dessus, en fait. Je suis sûre qu'il va finir par crier à force, j'en suis sûre. « Pourquoi tu m'apprécies, toi, de toute façon ? » j'ajoute ensuite. Parce que je ne comprends pas. Et que je ne vois pas pourquoi il m'apprécie mais alors vraiment pas. Je ne suis pas de très bonne compagnie, je suis bizarre, pas assez bavarde. Et je suis agaçante et collante. Et bête aussi. Alors je ne vois pas ce qu'il peut trouver à apprécier chez moi. Non, je ne vois vraiment pas.