“ I'm in the foreign state,
My thoughts they've slipped away ”

feat. india

Si nombreuses pouvaient être les choses auxquelles pensait Freddie à ce moment précis, il est certain que son esprit se focalisait particulièrement sur le mal de chien que lui infligeaient ses escarpins à talons, aussi appelés chez elle 'chaussures de grande occasion', étant donné qu'elle passait plus de temps avec des campers aux pieds qu'autre chose, qu'ainsi donc elle regrettait de s'être laissée convaincre d'en porter, puisque manifestement ça n'était décidément pas fait pour elle. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'autant l'anglaise était disposée à résister à toute tentative d'influence extérieure, autant elle était toujours très vulnérable à celles de ses proches, qui en avaient parfaitement bien conscience, qui en jouaient même sans doute à chaque fois, et qui étaient peut être sa seule véritable faiblesse, la seule chose qui pourrait vraiment la perdre un jour. Le reste n'aurait jamais vraiment d'impact sur ce qu'elle était et sur ce qu'elle faisait. Mais tandis qu'elle empruntait un chemin qui la conduirait sans tarder jusqu'à sa délivrance, il lui fallut se promettre de ne plus se laisser attendrir par les caprices de ses pères. Elle payait trop cher leur obstination. Passant en tout cas la porte des toilettes pour dames, elle fit bien vite le constat qu'il ne devait plus y avoir grand monde pour attendre de passer l'entretien final. C'était pourtant son cas, à elle. Une histoire d'ordre alphabétique, pensait-elle. Ça expliquerait tout. Car les lieux étaient déserts - elle qui s'était attendue à y trouver moult demoiselles armées pour leur retouche maquillage - et bien que ce ne soit pas pour lui déplaire dans l'hypothèse où elle se laisserait choir aussitôt ses tatanes de l'horreur ôtées, c'était quand même pour le moins surprenant. On l'avait habituée à plus d'affluence, disons. Mais tandis qu'elle se libéra de ses bourreaux et qu'elle les jeta sans ménagement au sol, voilà que la porte s'ouvrit. Une brune entra, ornant une expression ambivalente, une expression qui lui conférait d'office suffisamment de mystère pour en faire la première énigme de sa journée. Parfois, oui, il lui en fallait peu. « On me l'avait dit, pourtant, d'éviter le thé vert. » Ce qui, a priori, était censé expliquer sa présence en ces lieux. Les chaussures sur le sol, par contre, n'allaient pas nécessairement dans le sens de son excuse. Quoi qu'elle pourrait trouver mieux. Ou se résoudre à dire la vérité. « Oui bon, elles m'ont fait du mal, je le leur ai bien rendu. Nous sommes quittes, maintenant, elles et moi. » Quoi qu'à bien y réfléchir, il y avait peut être plus explicite pour témoigner de la situation. Mais c'est qu'elle en oubliait souvent que tout le monde n'était pas dans sa tête.

Je me demande encore ce que je fais là. Peut être parce que c'est être ici ou être seule à l'hôtel. L'un dans l'autre c'est presque pareil. Errer dans les rues de Dublin ? Pas possible. Je prendrais la navette pour retrouver à l'hôtel et il semblerait qu'il faille encore attendre un peu. Je crois que je connais mieux le serveur de la cafétéria que les autres. J'évite un minimum les autres, je ne suis pas particulièrement à l'aise avec tous ces gens qui grouillent partout. Les gens qui se donnent en spectacle c'est assez ennuyeux à la longue. Je ne suis pas obligée de faire un effort pour le moment, ce n'est pas eux que je dois séduire mais les jury, je ferais des efforts si je suis sélectionné, pour le moment je reste dans mon coin. Et surtout je bois beaucoup de thé pour faire passer le temps, j'ai terminé la lecture de mon livre aussi malgré le boucan d'enfer. Le problème avec le thé c'est qu'il faut faire plusieurs haltes aux toilettes. Et je n'aime pas tellement aller aux toilettes pour entendre les cancans, c'est fatiguant ça aussi. Décidément, j'ai plus de mal avec les gens que je le croyais, ou peut être avec une certaine catégorie de personnes peut être. Bref, lorsque j'entre dans le toilettes ce qui me surprend assez c'est original dirons-nous. Je remarque pas immédiatement la demoiselle qui les a jeté parce que je m'attarde sur la très jolie paire de chaussure, j'aime beaucoup les chaussures. « On me l'avait dit, pourtant, d'éviter le thé vert. » Je souris timidement et relève les yeux vers une petite brune, plus vieille que moi je pense mais pas énormément, qui m'a l'air sympathique au premier abord. « C'est ce qui me conduit ici, il est fourbe ce thé.  » Moi qui pensait qu'il était bon pour la santé. Du thé vert c'est tout de même fourbe qui l'aurait cru. Et du bon, du coup je me demande si elle retire ses chaussures à chaque fois qu'elle vient aux toilettes mais je ne demande rien, je n'en ai pas besoin de toute façon. « Oui bon, elles m'ont fait du mal, je le leur ai bien rendu. Nous sommes quittes, maintenant, elles et moi. » Oh. Donc elle personnifie ses chaussures, oui non mais pourquoi pas. Je parle bien à mon ordinateur. « Elles ont dû vouloir se venger de passer trop de temps dans le placard.  » Je déduis que si elle a mal, elle ne doit pas les porter très souvent. Mais peut être que je me trompe, c'est probable, j'ai normalement un bon esprit de déduction mais il n'est pas infaillible. « Je crois que plus elles sont jolies et plus elles nous le font payer, elles ne sont pas croyables ces petites bêtes.  » Je rétorque timidement. Je ne sais pas trop si je n'aurais pas dû m'arrêter à la première phrase. Peut être que ça aurait été mieux finalement. Je ne sais pas, c'est trop tard. J'avance un peu parce que j'étais venue aux toilettes à la base mais je ne sais pas c'est bizarre de parler et d'aller faire ce que j'ai à faire. C'est quelque peu gênant.

C'était une approche comme une autre, après tout. Oui, l'endroit ne se prêtait pas à des débuts de conversations plus solennels, alors disons que Freddie n'avait pas franchement trouvé mieux que de mettre sa présence en ces lieux sur le compte de son addiction au thé vert. En soi, dans d'autres circonstances, il est certain que ça n'y aurait pas été étranger, effectivement, pourtant ici elle avait surtout vu l'occasion de se débarrasser de ce qui lui causait bien du malheur depuis déjà un moment, et il va de soi qu'elle y aurait peut être réfléchi à deux fois avant de balancer vulgairement ses pompes si elle s'était doutée qu'une demoiselle l'y rejoindrait. Souriant aux propos de la brune, qui elle ne devait pas mentir, l'anglaise ressentit bientôt le besoin de clarifier la situation. Car oui, elle avait bel et bien balancé sa paire de chaussures au sol pour leur faire payer d'être aussi douloureuses à porter. Elle ne doutait pas du fait que bien des femmes s’accommodaient de talons aussi hauts, mais ça n'était définitivement pas dans ce genre de modèles qu'elle trouverait officiellement chaussure à son pied, si on peut dire. « Elles ont pourtant une place de choix entre mon sarouel tricolore, vestige d'une adolescence expérimentale, aussi appelé « vêtement de la honte », et restant à ce jour profondément importable; et la robe que je garde pour les mariages mais que je ne risque pas de porter un jour vu qu'on ne m'y invite jamais ... Il leur en faut bien peu pour devenir rancunières. » Oui, parfois il lui arrivait de confier quelques insignifiants détails de sa vie à des personnes qu'elle ne connaissait pas, tout simplement parce que ça faisait partie des choses qu'elle pouvait dire et qui ne la compromettraient pas. « Si elles te plaisent, prends-les. Je prétexterai un vol et je n'aurai plus à sortir avec ça aux pieds. » Pas sûr que ses pères jettent si facilement l'éponge, mais ça valait la peine d'essayer, ne serait-ce que pour gagner du temps. Bon, il y avait bien l'hypothétique problème de la pointure, mais ça lui semblait surmontable. « Au fait, je suis Freddie. » Puisqu'il lui semblait tout indiqué d'en venir à se présenter, oui, quand même. « Et comme mon nom ne l'indique sans doute pas des masses, non, je ne me suis pas trompée de porte. » Il était probable qu'aussi peu féminisée soit-elle, elle puisse quand même difficilement passer pour un jeune-homme. Mais sait-on jamais, hein. Parce qu'elle-même jouait parfois sur cette ambiguïté, oui, c'est vrai.

Je crois que c'est la première fois qu'une personne se justifie de la raison de sa présence aux toilettes, précisément dans les toilettes alors que j'y rentre. Mais je ne juge pas après tout puisque moi aussi je lui donne la raison de ma présence qui pourtant somme toute assez évidente. A vrai dire ce qui m'étonne le plus c'est surtout de la voir balancer ces pauvres chaussures sur le sol. Elle s'en justifie également et je dois dire que ça me fait sourire. Si bien que je joue le jeu à mon tour. Évidemment qu'elles se vengent, les chaussures n'aiment pas tellement qu'on les enferment dans un placard. « Elles ont pourtant une place de choix entre mon sarouel tricolore, vestige d'une adolescence expérimentale, aussi appelé « vêtement de la honte », et restant à ce jour profondément importable; et la robe que je garde pour les mariages mais que je ne risque pas de porter un jour vu qu'on ne m'y invite jamais ... Il leur en faut bien peu pour devenir rancunières. » Je souris une nouvelle fois face au flot d'information qu'elle vient tout juste de m'offrir. Et bien donc finalement peut être qu'elle vient de prendre la place du serveur dans ma liste des personnes présentes dont j'en sais plus. Il n'est pas très bavard ce serveur c'est clair. « Il ne se passe jamais vraiment rien d'intéressant dans les mariages de toute façon.  » Que je réponds d'un haussement d'épaule. Les invités prétendent qu'ils s'amusent sauf qu'en réalité ils viennent simplement pour manger, boire et ensuite critiquer le buffet, non vraiment elle a de la chance finalement. Même si ce n'était pas vraiment le sujet à vrai dire. Je suis d'accord sur le fait qu'elles soient bien trop rancunières par contre. Ce ne sont que des chaussures non ? « Si elles te plaisent, prends-les. Je prétexterai un vol et je n'aurai plus à sortir avec ça aux pieds. » Elle me fait sourire, une nouvelle fois tout un de ces petits sourires timides dont j'ai le secret mais ça reste un sourire. « Oh c'est gentil et c'est vrai qu'elles sont superbes mais je ne suis pas certaine de les faire sortir du placard plus souvent.  » Et puis je serais trop gênée pour accepter un tel cadeau, non ça ne se fait pas du tout. Je ne pourrais pas. Et puis peut être qu'on ne fait pas la même pointure de toute façon. « Mais tu peux toujours les laisser là je suis sûre qu'elles auront trouvé un nouveau propriétaire avant la fin de la journée.  » Je suis certaine qu'elles devraient plaire à quelqu'un sans le moindre soucis. Au contraire et il y aurai de quoi. Elles sont très jolies. Vraiment. « Au fait, je suis Freddie. » Ah oui c'est vrai, les prénoms.« Et comme mon nom ne l'indique sans doute pas des masses, non, je ne me suis pas trompée de porte. » Cette fois-ci je ris, mais je secoue la tête, oh non elle n'a pas l'air d'un jeune homme quand même. « Ça expliquerait pas mal le problème avec les chaussures...  » Que je murmure légèrement amusée, oui ça expliquerait beaucoup de choses. « Et je suis India au fait.  » Et non je n'ai rien à rajouter au sujet de mon prénom, enfin si je le lui avais donné en entier peut être mais pas là.

C'est sans grand mal que Freddie imaginait ce que cette jeune femme pouvait bien penser d'elle, du fait qu'elle soit ici, ses chaussures à un mètre d'elle, sur le sol, et sans se cacher de les y avoir spontanément jetées. Oh oui, sans doute se disait-elle que tous les fous n'étaient pas enfermés ou qu'au contraire Fake Lover bénéficiait d'une réputation inattendue du coté des asiles de la région. Pour autant, l'anglaise ne rougissait pas de la situation, parce qu'elle ne la jugeait pas bien dramatique en soi. Oui, elle en avait beaucoup dit à cette jeune femme sur ô combien pouvaient être importables certaines de ses fringues, mais qui n'avait pas ce genre d'armoires pleines à craquer de tenues plus douteuses les unes que les autres ? Quant au fait qu'elle ne soit jamais invitée aux mariages, ça ne constituait ni un fait traumatisant de son existence, ni une chose à laquelle elle aimerait à tout prix remédier. La réplique de son interlocutrice, en tout cas, la fit sourire. « J'ai effectivement le sentiment de ne jamais avoir loupé grand chose. Sauf peut être l'occasion de crier « je m'oppose à cette union ! » juste pour le plaisir de voir des tronches se décontenancer. Oui, c'est sans doute le seul rôle que j'aurais pu y tenir. » Autrement dit, c'était tout aussi bien pour elle que pour les autres qu'elle n'y soit jamais conviée, étant donné qu'on aurait tendance à sous-estimer son sens de l'improvisation. En tout cas, il est certain que la demoiselle pouvait partir avec les fameuses chaussures sous le bras si elle le souhaitait. Ce n'était pas Freddie qui les pleurerait. Mais semble-t-il que la brune n'était pas plus adepte de ce genre de chaussures qu'elle, pour le coup. Dommage. Elle lui soumit par ailleurs une idée plus que bien pensée. « Si l'on compte toutes les bécasses à talons aiguilles que j'ai croisé comme des propriétaires potentielles, alors oui, ces pompes ne devraient pas rester là bien longtemps. » Autrement dit, il était plus que probable qu'elle les laisse ici, oui. Non pas qu'elle n'ait pas la valeur de l'argent, mais là elle pensait surtout à ses pères et à leur obstination. Encore une fois, en prétextant un vol, elle serait tranquille pour un moment. « Et puis, comme ça, si tu changes d'avis, tu pourras toujours te débrouiller pour revenir ici en vitesse et mettre la main dessus avant une autre. » Elle serait sans doute toujours plus à l'aise que Freddie là-dedans, mais elle n'insisterait pas outre mesure. L'anglaise ressentit en tout cas le besoin de se présenter, ainsi que d'émettre une précision moins superflue qu'on pourrait le penser. « C'est vrai que mon aversion pour les chaussures hautes n'a jamais joué en ma faveur » glissa-t-elle en tout cas, riant à la répartie d'India, puisqu'il semblerait que ce soit son nom. « Un prénom raffiné pour un visage qui l'est tout autant. Ça ne m'étonne pas. » Il y avait disons des prénoms plus que bien portés. « Tu attends toi aussi de savoir à quelle sauce tu vas être mangée ? » A moins que l'entretien final appartienne pour elle déjà au passé. C'était le cas de beaucoup, semble-t-il.