Argh, je bad. J'ai le seum, comme dirait l'autre. L'autre, c'est mon ex. Il parlait tout le temps comme ça. Enfin, il le fait toujours, je devrais pas utiliser l'imparfait, il est pas mort, on a juste rompu, c'est tout, c'est rien, c'est pas grave au fond. Même que parfois il disait des trucs genre "wesh" et "bien ou quoi ?" et concrètement je ne sais pas trop ce que je faisais avec un mec comme ça, certes je l'aimais (imparfait ou non ? Je me tâte.) mais ça n'excuse rien. Non ? Arf. Enfin bref. Je sais pas ce que j'ai. Depuis qu'on a rompu, soit la veille de la première émission, j'ai le bourdon (quand j'étais petite, je disais tout le temps "j'ai le goudron", c'est mignon, nan ? Enfin j'étais pas bien fut-fut sans doute, mais reconnaissez que le goudron c'est plus triste qu'un bourdon quand même.) et y'a rien à faire, ça passe pas. Ça irait mieux si j'avais accès à une salle de sport, où si y'avait des cours de Muay Thaï quelque part dans le coin, mais je doute que ça soit le cas. Et comme je peux pas trop me défouler, je fais l'inverse. Je mange trop, et mal, et je culpabilise parce que j'ai une sainte horreur de la malbouffe en vrai. Et là, heureusement que je suis seule dans la chambre parce que je dois faire pitié (ou "tiep", comme dirait l'autre), je respire trop fort, c'est parce que y'a des sanglots coincés dans ma gorge qui gênent tout mon système respiratoire, et je racle le pot de glace mais y'a plus rien à faire, j'crois bien qu'il est fini. Désespérée, je me relève à demi sur mon lit pour en faire le constat. Ouais, je touche le fond, du pot, comme en général, dans la vie, globalement. Et je sens toute cette graisse qui s'installe pernicieusement le long de mes artères et arrrrrgh j'ai horreur de ça et je me déteste et je voudrais juste que mon homme soit là avec moi, pourquoi est-ce qu'il me manque déjà ? Rageuse et dégoûtée d'avoir vidé le pot de glace (à la fois par rapport à mes artères encombrées et parce que du coup j'ai plus rien à bouffer) je ne peux me retenir de pleurer un bon coup, les sanglots remontant brusquement à la surface de la façon sonore la moins esthétique possible, et je dois être en train de foutre en l'air mon mascara mais tant pis, c'est la vie, et ça fera un petit effet dramatique (non ?).

Une chose était d'ors et déjà certaine, la production ne faisait décidément pas les choses à moitié. Car quand elle partait dans un délire, elle allait apparemment jusqu'au bout. C'est en tout cas ce qu'on était en droit de penser en voyant cette chambre. Elle avait beau être décorée avec goût et offrir une touche d'exotisme plutôt bienvenue, elle frôlait tout de même le 'too much'. Disons qu'il n'aurait pas fallu rajouter quoi que ce soit, au risque d'aller définitivement trop loin. Mais en l'état, les choses restaient relativement raisonnables, alors disons que Freddie allait essayer de ne pas s'en lasser trop vite. Pour preuve de sa bonne volonté, elle n'y avait pas passé beaucoup de temps depuis son arrivée dans le nid. Elle y avait dormi, mais n'y avait pas fait grand chose d'autre chose. Ainsi donc, estimant qu'elle ne risquait pas d'être prise d'un ras le bol irrépressible, la jeune femme décida d'y faire un petit tour, histoire de ne pas non plus éviter cet endroit, ce qui serait idiot. Mais voilà qu'alors qu'elle arriva sur place, elle eut à faire à une vision qui la surprit quelques peu. Disons qu'elle ne s'attendit pas nécessairement à voir une jeune femme pleurer et donner l'impression d'avoir appris le décès de toute sa famille. C'est qu'elle semblait avoir un gros chagrin, et que Freddie n'était pas franchement la personne la mieux disposée à affronter ce genre de situations. Les larmes, elle n'aimait pas ça. C'est pour ça qu'elle gardait toujours tout pour elle et qu'elle évitait ceux qui, au contraire, extériorisaient beaucoup trop. Voir pleurer quelqu'un, ça lui rappelait en quelques sortes qu'elle ne portait pas grand intérêt à la détresse des autres. Ni par cruauté, ni par médisance, simplement parce qu'elle estimait toujours qu'il y avait plus grave que ce qu'ils pouvaient tous vivre, en pleurant sur leur sort et en croyant avoir vécu le pire. Elle ne parvenait pour ainsi dire jamais à faire preuve de beaucoup de compassion, à se mettre à leur place, et estimant qu'il y avait peu de chances que ça change subitement, disons qu'elle allait repartir d'où elle venait et revenir quand personne ne sera plus entrain de sangloter, hein. Mais tandis qu'elle tenta un demi-tour des moins précis, elle trouva le moyen de se prendre le mur, hm. Certes pas assez fort pour avoir mal, mais assez bruyamment pour qu'on note sa présence. Évidemment. « Ça devait vraiment être un sacré pot de glace » fut alors la seule chose qu'elle trouva bon d'articuler. Et dire qu'elle était à son maximum, là.

Au fond de moi, je me rends bien compte du ridicule de la situation. Bien au fond, je saisis parfaitement que je n'ai aucun droit de pleurer cette rupture que j'ai moi-même provoquée en décidant d'intégrer ce jeu de télé-réalité. Je savais à quoi m'en tenir, j'étais parfaitement consciente des tenants et des aboutissants d'un tel choix, et je l'ai pris en connaissance de cause. Je ne suis pas une victime de la fatalité, je n'ai aucun droit d'être malheureuse car j'ai maîtrisé ma trajectoire du début jusqu'à la fin, mais voilà, je m'en fous, je le prends ce droit, je me l'autorise, et légitime mon malheur en me voilant la face. Je ne suis plus une aventurière en quête de sensationnel qui se serait débarrassé de son petit ami pour pouvoir profiter à fond d'une expérience télévisuelle, je suis une pauvre amoureuse éplorée qui souffre de l'absence de l'homme qu'elle aime et qui lui manque. C'est à moitié vrai. Il me manque vraiment. Ses bras me manquent, son odeur me manque, le torse contre lequel je pouvais blottir ma tête quand tout allait mal me manque, et je regrette de ne pas l'avoir à mes côtés pour me tourner vers lui chaque fois que j'en ai envie. Faisant fi de toute rationalité, j'éclate donc en sanglots, peut-être pour moi-même (ça fait toujours du bien de se lâcher), peut-être pour les autres candidats potentiels qui passeraient par-là (mais quelle serait alors leur réaction ?), peut-être pour faire grimper l'audimat et provoquer la compassion ou l'intérêt des téléspectateurs, j'en sais rien ; j'ai envie de chialer un bon coup, alors je le fais. Jusqu'au moment où une présence se fait sentir, et je m'interromps aussitôt, à moitié surprise, entre deux hoquets ; je passe aussitôt mes mains sur les yeux, y essuyant le flot de larme qui s'en était échappé, et me tourne à demi vers la jeune femme qui venait vraisemblablement de se cogner à quelque chose ou qui avait dû laisser tomber quelque chose par terre – allez savoir. Surprise par sa réflexion concernant mon pot de glace (je m'attendais à tout mais pas à ça), je mets deux-trois secondes à retrouver pleinement mes facultés de parole. Je m'humecte les lèvres et renifle discrètement en tentant de recouvrer ma contenance et lui adresse un timide sourire poli. « Euh, hum, oui… » est tout ce que je parviens à dire. Perplexe, mais calmée, je pose mon regard sur le pot de glace à présent vide, avant de le relever vers la jeune femme. « Je suis, hum, désolée que tu ais dû  à assister à ça, c'est pas mon moment le plus glorieux. Mais si tu as quelque chose à faire ici, faut pas que ma présence te dérange ni rien, j'ai pas envie d'être ce genre de nana qui embarrasse les gens. » j'ajoute avec un demi-sourire, en passant un doigt dans mon pot de glace histoire racler les bords, puisque c'est tout ce qui me reste.

Entre nous, Freddie ne croyait pas sérieusement qu'un simple pot de glace, aussi savoureux soit-il, puisse être à l'origine de l'état de sa camarade. Disons plutôt qu'elle espérait surtout qu'il lui en fallait plus, à cette demoiselle, pour finir ainsi. Non parce qu'elle aurait tendance à s'inquiéter du contraire, clairement. C'est qu'autant elle pouvait elle-même être gourmande à ses heures, autant il ne lui viendrait jamais à l'idée de fondre en larmes simplement parce qu'elle aurait fini un pot de glace. Alors oui, supposons plutôt que cette jeune femme pleurait pour une toute autre raison, ou à la rigueur qu'elle pleurait d'autant plus maintenant qu'elle ne pouvait plus se goinfrer. Oui, ça Freddie pouvait éventuellement le concevoir. Mais attention, il faudrait quand même que la raison initiale soit à la hauteur de ce qu'elle avait présentement sous les yeux, à savoir un spectacle carrément déstabilisant. Parce qu'encore une fois, les larmes et Freddie n'étaient pas franchement potes. Elle était bien peu compréhensive quant à la détresse d'autrui, ainsi donc il relevait pour elle d'un effort surhumain d'intervenir dans ce genre de situations. Comme à l'instant, avec sa réplique vaseuse. Ouais bah, elle aurait tout aussi bien pu se foutre du fait que sa présence ait été notée - merci, saloperie de mur contre lequel son coude s'était gentiment précipité - et se tirer comme si de rien était. A la place, elle avait fait l'effort de rester, et avait pris la parole. Pour dire une grosse connerie, certes, mais tout de même. Hm. Le pire étant en fait que sa camarade semble lui donner raison, sur le coup. Peut être simplement parce qu'elle était prise de court, ou pas franchement en état de lui pondre un argumentaire démontant sympathiquement sa petite théorie bien vaseuse, mais tout de même, elle s'était attendue à ce qu'indignée, cette demoiselle lui reproche son second degré. Mais même pas. La jeune femme s'excusa alors et Freddie se crispa légèrement. « A vrai dire, je ne venais rien faire de spécial. Simplement m'imprégner des lieux. » Ce qui, pour elle, n'était effectivement rien de spécial. « Mais je songe à remettre mes projets à plus tard, parce que si je t'entends renifler dans mon dos, je risque d'à nouveau rencontrer le mur, mais consciemment et toute entière cette fois. » Disons que ça pourrait suffisamment la perturber pour qu'elle pète un petit câble, oui, c'est vrai. « Peu de choses méritent en tout cas qu'on se mette dans cet état. » C'était en quelques sortes la pensée philosophique du jour, oui. « Alors, à quoi doit-on tant d'affliction ? » La mort de son hamster ? La perte de son collier favori ? Qu'on s'entende bien, ni l'un ni l'autre ne constituerait une raison valable à ses yeux.