Je tournais comme un lion en cage depuis le début de l'après-midi. Ce n'était pas une expression, je marchais vraiment de long en large dans le salon, au point que si je continuais j'allais finir par creuser des tranchées dans la moquette. Je supportais pas de rester sans rien faire, et surtout de ne pas sortir ; Mais bon là, la pluie torrentielle me laissait le choix entre l'inactivité et attraper une pneumonie. Et j'avais aucune envie d'être malade, comme on pouvait aisément s'en douter. Du coup j'étais là, à marcher de long en large sans trop savoir ce que j'attendais ; J'avais déjà passé toute la matinée dans la piscine, je pouvais pas non plus la monopoliser. Alors je restais là, près de la fenêtre, à guetter la moindre éclaircie qui me permettrait enfin d'aller courir. J'avais essayé de lire, d'ailleurs mon bouquin, Blue Blood d'Edward Conlon, était toujours posé sur la table basse, une photo glissée à l'intérieur en guise de marque-page, mais je n'arrivais pas à me concentrer dessus. J'avais vraiment la bougeotte en fait, c'était pas faute qu'on me le reproche depuis que j'étais gamin, mais je m'en rendais véritablement compte maintenant. J'avais des circonstances atténuantes cela dit, dans un certain sens, mais bref. J'en étais presque à me dire que j'allais redescendre à la piscine, et tant pis si on me reprochait d'y passer ma vie, lorsque j'avais vu Betty passer dans le couloir, avec ce qui me semblait être une bouteille à la main. Mes prières avaient été entendues « Bettyyyyy, c'est toi que j'attendais. » Ouais enfin, presque quoi. Mais c'est vrai que ça faisait un peu du bien, d'avoir un visage connu dans le coin ; Même si ça remontait à y'a trois siècles et demi. « Et t'as à boire en plus, tu es la réponse à toutes mes prières. » Bon, on pouvait pas dire que je savais pas brosser les gens dans le sens du poil, quand il le fallait. J'avais pas non plus l'espoir véritable qu'elle ne capte rien au fait que j'en faisais des caisses, mais si elle avait un minimum de mémoire elle se souviendrait aussi que c'était moi tout craché, au fond.

J'en peux plus de ce temps de crotte de chien qui a la chiasse, sérieux, je crois qu'il faut que je boive un petit coup pour ne pas penser à Hawaï et son temps paradisiaque, parce que ça me manque vachement. Et puis, maintenant que je pense à ce temps de chien, ça me fait penser à Nasty. J'espère qu'il s'en occupe bien les gays du salon à qui je l'ai confiée. Ma chienne c'est tout ce que j'ai de vraiment précieux, après ma propre vie, donc s'il la traite pas comme il faut il vont m'entendre les homos ! Enfin, donc, comme je l'avais dis, le seul moyen d'oublier que la pluie ne faisait que tomber, encore et toujours, c'était de me prendre un petit verre, rien qu'un tout petit micro mini verre de rien du tout. Oui, bon, au final j'avais carrément pris la bouteille parce que je trouvais pas de verres, ou plutôt, je les ai pas cherché. J'avais la flemme. En m'en allant je ne sais pas trop où, j'entendis la douce voiX de l'autre hawaïen de la maison, Akela. Notre île était pas bien grande et puis à Honolulu il y a pas trente-six mille bahuts et puis en plus j'avais bien connu sa soeur, alors forcément, ça faisait un moment que je le connaissais. Je tombe à pic à ce que je vois. Que je dis en m'approchant de lui, un léger sourire aux lèvres. Je m'affale dans un fauteuil. Dis-moi que ça te fout le bourdon à toi aussi ce temps. Que je lui dis en débouchant la bouteille pour la première fois. Il ne me faudrait pas beaucoup de temps pour la finir entièrement et pour me retrouver saoule, sauf si monsieur en voulait un peu, je pourrais lui laisser le fond de la bouteille.

J'admettrais presque sans ciller le fait que d'entrée de jeu, et même si y'avait pas eu Keona pour faire un vague lien entre nous, j'aurais apprécié Betty pour la simple et unique raison qu'elle venait d'Hawaii, le paradis terrestre tel que je me l'imaginais. C'était purement nationaliste de ma part, certes, mais j'étais certainement pas le genre qui risquait d'en avoir honte, bien au contraire. Et là en plus elle avait à boire, franchement je sais pas ce que j'aurais pu demander de plus, si j'avais levé les bras vers le ciel pour demander l'aide divine j'aurais probablement demandé du soleil et de quoi noyer ma morosité ; Suffisait de considérer Betty comme un rayon de soleil, et je venais ni plus ni moins de gagner tout ce que j'aurais pu demander. « Je tombe à pic à ce que je vois. » Me laissant tomber sur un des canapés sans aucune grâce à côté de la jeune femme, les jambes croisées et les pieds reposant sur le bord de la table basse, j'avais croisé les bras avec lassitude avant de répondre « Tu n'imagines même pas à quel point. » Parce que oui, mon ennui venait peu avant son arrivée de passer au stade encore supérieur, si tenté que ce soit possible. Comme pouvait-il y avoir autant de pluie sur une si courte période de temps, c'était quoi ce continent de malheur ma parole ? « Dis-moi que ça te fout le bourdon à toi aussi ce temps. » Tournant la tête vers elle d'un air presque suspicieux, genre peut-être qu'elle lisait dans mes pensées, on sait jamais, j'avais ensuite vaguement tourné la tête vers la fenêtre, regardé la pluie qui s'abattait dessus, et levé les yeux au ciel en soupirant, avant d'enfin me décider à répondre « Avant de te voir débarquer, j'envisageais de me pendre avec la cravate qu'on m'a forcé à porter le soir du premier prime. » Ça répondait à sa question, ça ? Heureusement en débarquant elle venant de m'empêcher de commettre un acte désespéré, ça méritait presque une médaille ça, mais comme j'en avais pas à lui offrir elle se contenterait de ma reconnaissance éternelle, ce qui n'était déjà pas si mal à mon avis. « Mais ça c'était avant que vous n'arriviez, toi et ta charmante copine. » que j'avais finalement ajouté en désignant du menton la bouteille qu'elle tenait à la main. Une bouteille de quoi ça je ne savais pas vraiment, mais franchement je crois que j'étais prêt à me contenter de n'importe quoi. « Enfin, vous êtes charmantes toutes les deux, hein, je voudrais pas faire de jalouses. » Ce que je pouvais débiter comme conneries parfois moi. Mais bon, j'avais soif.

J'avais souvent le chic pour tomber au mauvais moment, toujours là quand il ne faut pas, mais c'est moi tout craché ça, de me fourrer dans les problèmes en était au mauvais endroit au mauvais moment. Et pourtant, cette fois, je tombais bien puisque le bel Akela s'ennuyait ferme. Sa remarque à propos d'un éventuel suicide avec la cravate qu'il portait le soir de prime me fit sourire. Elle était vraiment immonde en plus sa cravate. Ravie d'être arrivée à temps. Que je dis en levant la bouteille que j'ai dans les mains. Je l'ouvre ensuite et bois une gorgée, ou deux. Et puis il me dit que son envie de se suicidé s'était évaporée quand nous sommes arrivées, moi et ma petite copine bouteille d'alcool. Le meilleur remède contre l'ennuie. Que je dis en basculant ma lourde tête pleine de cheveux en arrière. J'avais même pas relevé qu'il avait dit que la bouteille était charmante et pas moi, enfin, en même temps on pas dire que je sois quelqu'un de vraiment charmant, donc c'est pas grave qu'il l'ait pas dit. Mais il se reprend rapidement en disant qu'on était charmantes toutes les deux. J'aurais vraiment un grain si j'étais jalouse d'une bouteille. Que je déclare avec tout le sérieux du monde qu'il peut y avoir dans ma voix. Tiens. Je la lui tend pour qu'il puisse profiter de ce breuvage divin, parce que même si je bois beaucoup et souvent, je vais pas me la taper en entier alors qu'il est là, je suis quelqu'un de généreux, quand je veux.

Bon, je grossissais sans doute un peu le trait, l'ambiance ici n'était pas non plus à se pendre ... Non, juste la météo. Mais je suppose que c'était ça, un climat où les saisons n'avaient rien à voir les unes avec les autres. C'était intéressant, d'un point de vue scientifique disons, mais je plaignais ceux qui vivaient ça l'intégralité de leur vie. Bref, du coup ça plus le fait que je m'emmerdais comme un rat mort depuis le début de l'après-midi, autant dire que j'étais prêt à profiter de n'importe quelle excuse pour m'occuper. « Ravie d'être arrivée à temps. » Ouais, elle n'imaginait même pas à quel point du coup. Mais de toute évidence elle avait trouvé une occupation meilleure que la mienne, une occupation qui fonctionnait un peu plus que le bouquin que j'avais essayé de lire pendant plus d'une heure avant de me rendre compte que j'avais lu la même page trois fois de suite. « Le meilleur remède contre l'ennui. » m'avait-elle même assuré comme si elle lisait une fois de plus dans mes pensées. J'allais finir par m'inquiéter, si elle continuait, d'ailleurs. M'enfonçant un peu mieux dans le canapé j'avais toutefois répondu « Je tuerais pour du soleil et le bruit des vagues, là. » Enfin, presque. Je tuerais presque, j'étais pas un psychopathe non plus. Du coup à défaut d'avoir la plage à portée de tong, j'aurais bien tué pour boire un coup, et comme j'avais pas spécialement envie de tuer Betty j'avais préféré y aller avec les sous-entendus pour espérer avoir droit à une gorgée ou deux, au moins. « J'aurais vraiment un grain si j'étais jalouse d'une bouteille. » J'avais simplement répondu par une moue dubitative, avant qu'un léger sourire ne s'étire sur mon visage et que je laisse doucement retomber ma tête sur le dossier du canapé. C'était juste pas possible d'avoir à ce point la flemme quand on ne faisait déjà rien de ses journées « Tiens. » m'avait alors dit Betty en me tendant sa bouteille, après y avoir bu. Je l'avais prise bien volontiers pour y boire à mon tour, sans trop savoir ce que je buvais à vrai dire mais sans m'en soucier non plus ... j'étais plus à ça près, après le cocktail rose et assommant que j'avais bu le soir de notre arrivée ici. « Mahalo. » avais-je alors murmuré en lui rendant ensuite sa bouteille. Fixant un instant le plafond d'un air pensif, j'avais fini par secouer la tête pour redescendre sur terre, et me tournant vers Betty j'avais demandé « Bon, raconte-moi un peu, t'étais passée où toutes ces années ? Ça fait quoi, huit, neuf ans ? » Mon dieu, le temps passait à une vitesse, j'avais du mal à réaliser que tout cela remontait déjà à presque une décennie. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu'il ne s'en était pas passé des choses, ces dernières années, mais bon.