W. DANAÉ.

Si je n’avais pas bien faim il y a un petit plus d’une heure, eh bien là je commence sérieusement à crever le dalle. C’est étrange. Un coup je n’ai pas envie de me nourrir et la minute d’après je serais capable de bouffer un éléphant. Je dois avoir un souci avec la nourriture, mais à la limite cela n’est pas très important. C’est le soir alors je vais simplement me contenter de grignoter un petit truc pour ne pas avoir des problèmes de digestion par la suite. Je fais un détour par le dressing avant pour enfiler un petit gilet parce qu’il fait tout de même super froid dans le château, j’crois bien que Cupidon n’a pas envie de payer le chauffage, et voilà que je me dirige vers la cuisine. Je suis presque en train de courir. Cela fait un petit moment qu’une odeur de cramé vient me chatouiller le nez, mais je ne fais pas plus attention que ça. Seulement plus je m’approche de la cuisine et plus l’odeur est forte. J’en grimace même. En pénétrant dans la pièce je trouve un jeune homme debout devant une poêle. Il semble blasé. M’approchant un petit peu plus de lui, je viens, par curiosité, regarder moi aussi l’intérieur de la poêle. « Je sais » J’ai envie d’étouffer un petit rire, mais je me retiens. « Je sais. » On dirait qu’il a essayé de cuisiner des œufs. Je n’en suis pas certaine. « Tu as voulu faire quoi là ? » que je lui demande amusé tout en me penchant très légèrement vers l’avant pour continuer d’observer l’intérieur de l’ustensile de cuisine. « Tu vis avec ta mère ? » Ou sa femme. C’est une question comme une autre pour essayer d’expliquer comment il a pu rater la cuisson de ce qui ressemble à des œufs. Sans attendre une seconde de plus, j’attrape la queue de la poêle pour jeter son contenant à la poubelle et la passer sous l’eau. « Des pâtes, ça te convient ? » Je me propose de lui faire à manger, il ne serait tout de même pas assez fou pour refuser quand même. Je me tourne très légèrement vers lui pour lui adresser un sourire.

De nos jours les hommes n’ont aucune excuse valable pour admettre ne pas savoir faire la cuisine. Ils sont tout à fait capables de faire des pâtes, de faire cuire un steak ou un œuf et de couper des tomates en rondelles pour faire une salade. Enfin ça c’est ce que je pense actuellement, mais la vision que j’ai de Celse en train de se décomposer devant deux œufs au plat complètement cramés est en train de me faire redescendre sur terre. Les hommes ne sont pas faits pour la cuisine, même aujourd’hui. Je viens le taquiner en lui demandant ce qu’il était en train de faire et je m’attends à tout sauf à ce qu’il me sorte le nom d’un plat hyper long et qui semble super compliqué, bref le truc qui vient tout droit du restaurant d’un grand chef. Ou tout simplement de son imagination. « Œufs brouillés au caviar d'aubergine sur leur pâte brisée fine et légère » Intéressant comme plat en tout cas. Jetant un énième coup d’œil à l’intérieur de la poêle, voilà que je ne peux m’empêcher de le taquiner encore un petit peu. « Ah. J’imagine que ce que tu es en train de faire cuire là, c’est de l’aubergine ? » que je demande toujours sur un ton amusé. J’ai toujours ce petit sourire en coin sur les lèvres lorsque je viens m’emparer de la poêle pour jeter le tout à la poubelle et laver l’ustensile de cuisine. Je sors une casserole et un paquet de pâte puis le questionne sur son envie de manger des féculents ce soir. Je ne lui laisse pas vraiment le choix en fait vu que je suis déjà en train de remplir d’eau la casserole et de la poser sur le gaz que j’allume en un rien de temps. Un tout petit peu d’huile dans l’eau, du sel, du poivre et le tour est joué. Manque plus que les petits bulles. « Je saurai quoi répondre au prochain qui me dira que les anges n'existent pas » Tout ça pour une histoire de pâtes. Je ne peux m’empêcher de laisser un rictus s’échapper dans les airs. « Et attention les yeux, si t’es sage t’auras peut-être même droit à une super sauce bolognaise pour accompagner le tout. » Là, il peut carrément parler de déesse. Je lui adresse un nouveau sourire avant d’aller ouvrir le congélateur pour en sortir deux steaks hachés. « Tu peux regarder s’il y a des petites boîtes de concentré de tomate là-dedans. » que je demande en désignant un placard à l’aide d’une cuillère en bois. Oui maintenant que je viens de parler de sauce bolognaise, beh j’ai envie d’en manger.

Il ne répond pas à la question que je lui pose. J’espère qu’il n’est pas vexé. Si c’est le cas, tant pis. Je ne vais pas aller me tailler les veines simplement parce que monsieur est aussi susceptible qu’une nana en période rouge. Je hausse les épaules et puis j’aperçois son petit air ignorant. Un petit air qui me fait marrer et qui n’efface en rien le sourire en coin que je porte sur les lèvres. Il n’est pas vexé, son égo d’homme macho a juste pris un petit coup entre les omoplates. J’ai envie de le taquiner encore un petit peu, mais je n’ai pas envie de me montrer trop lourde alors je m’arrête pas. Je préfère réparer ses bêtises pour que personne ne puisse voir ça et se moquer de lui ou un truc dans l’genre. Je lui propose des pâtes et il a l’air plutôt partant. Tant mieux parce que je ne sais cuisiner que des choses basiques. Les plats trop élaborés, ce n’est pas pour moi. Je lui propose même une petite sauce d’accompagnement. Je crois bien qu’il a perdu sa langue. Tant pis. Le temps que l’eau se mette à bouillir, je vais dans le congélateur pour prendre deux steaks hachés. Je lui parle d’une sauce bolognaise et ça me donne envie alors du coup je m’occupe d’en faire une. Je me retourne pour revenir à mes fourneaux et là Celse attrape les deux bouts de viande pour me les prendre des mains. « Je m’en occupe » qu’il me sort avec un air de mec sûr de lui. J’arque un sourcil et lâche un rictus amusé. « Si ça te fais plaisir. » Après tout je ne peux pas l’empêcher de vouloir faire cuire de la viande s’il le veut. J’suis certaine qu’il a juste envie de se montrer utile, de ne pas rester dans son coin. C’est tout à son honneur. Je le regarde faire. Pour le moment il ne se débrouille pas trop mal. Tel un grand chef j’attrape une cuillère en bois pour en faire mon instrument directeur. Je lui demande un petit service pendant que je pars à la recherche d’un nouvel ingrédient. « Oui, bien sûr. » Je lui adresse un nouveau sourire pour le remercier et pendant qu’il part à la recherche de la sauce tomate j’en profite pour attraper un oignon dans un panier plein de légumes et je commence à émincer le tout avec un couteau. Je jette un coup d’œil à la casserole et à la poêle en même temps. Faudrait pas que ça crame une deuxième fois. « Tu me demandais si je vivais avec ma mère ; et toi, t’as un mari pour avoir autant de patience et de dévotion ? » La question qui fâche. Je ne lève même pas la tête et fais un signe négatif de la tête. « J’vis toute seule avec mon fils et il est encore trop petit pour que je lui fasse de la viande, des pâtes ou quoi que ce soit d’autre à part de la soupe en fait. » Machinalement je viens passer mon poignet sous l’un de mes yeux. L’oignon ce n’est pas très agréable et ça pique un petit peu. « Tu devrais peut-être tourner les steaks non ? » Avant qu’il y ait un côté complètement carboniser. « Tu ne m’as pas dit tout à l’heure, tu vis tout seul ? » Une question comme une autre. Pas besoin d’y voir une quelconque ambiguïté.

Il est plutôt sympathique Celse. Je n’avais encore jamais eu l’occasion de lui parler avant ce soir et je suis agréablement surprise. C’est le genre de garçon que, en général, je vois comme étant macho, mais non il n’a pas l’air comme ça et c’est tant mieux. Je le taquine sur sa façon de cuisiner et lui vient me qualifier d’ange. C’est tout de même super gratifiant d’entendre ça. Je me contente de sourire tout en baissant la tête pour rester un minimum concentré sur ce que je fais. Mes pommettes deviennent aussi un petit peu rose, mais ça j’essaye de le cacher comme je peux pour ne pas qu’il puisse s’en apercevoir. Je lui pose des questions. Questions qu’il me retourne. Non je n’ai pas de conjoint, seulement un petit garçon. Je ne lui parle que brièvement de mon petit bout lui laissant deviner plus ou moins son âge en insinuant que pour le moment il n’a pas vraiment l’occasion de manger des pâtes ou encore de la viande. Il est plutôt branché soupe de légumes mon petit loup. Il ne dit plus un mot alors que je suis encore en train de couper mon oignon. J’espère que la situation ne le gêne pas. Ce n’est pas parce que j’ai un gamin que l’on doit me traiter d’une toute autre façon que celle dont on l’aurait fait avec une nana de vingt-quatre ans qui serait célibataire et qui passerait son temps à profiter de la vie et de sa jeunesse. Je lui retourne la question. J’ai bien envie d’en savoir un petit peu plus sur lui moi aussi. « Normalement je vis avec ma copine, mais mon boulot m’oblige à me déplacer tout le temps, alors c’est un peu compliqué de se voir aussi souvent qu’on le voudrait » Oh. Ainsi monsieur est en couple. C’est bien le tout premier candidat que je croise dans ce château est qui partage sa vie avec quelqu’un. « Je dors notamment à l’hôtel pendant mes déplacements, et là non plus, je ne me pose pas la question de cuisiner » Un petit sourire amusé vient prendre place sur mes lèvres lorsque je croise son regard un brin honteux. « Je comprends mieux pourquoi tu n’es pas le roi des œufs au plat maintenant. » que je dis d’une petite voix enfantine pour venir le taquiner. C’est évident que si sa copine fait à manger et s’il passe tout son temps libre dans des hôtels, il ne risque pas de savoir faire grand-chose comme tâches ménagère quotidienne. « Tu bosses dans quoi ? » que je demande naturellement en posant mon couteau pour attraper une casserole, y verser la tomate à l’intérieur et ajouter les petits oignons. « Tu as une photo, de ton fils ? » Je m’attends à tout sauf à cette question. Je m’arrête net et me tourne très légèrement vers lui pour l’observer un instant. J’ai envie de lui demander pourquoi, mais je reste là sans pouvoir articuler quoi que ce soit. Je lui fais un signe de la main pour lui indiquer de ne pas bouger d’ici. « J’arrive tout de suite. » Je vais rejoindre ma chambre le plus rapidement possible pour fouiller dans mes affaires et en sortir une photo. Une photo récente que j’ai prise juste avant de rentrer dans le nid. Mon petit garçon prend la pose aux côtés de sa maman sur la photo. Un sourire vient illuminer mon visage lorsque je la vois. Je me dépêche d’aller rejoindre Celse. Il est toujours là. Il n’a pas bougé. « Laisse-moi te présenter Erick. » que je dis fièrement en lui tendant la photo de moi en compagnie d’un bébé de sept mois, huit maintenant, blond comme les blés, aux yeux bleus, aux traits fins et souriant. Oui je sais, il est magnifique. Le temps qu’il observe le cliché, je m’occupe de remuer légèrement la sauce tomate.

Peut-être bien que je peux m’en aller et le laisse comme un idiot devant sa poêle avec ses deux œufs en train de cramer. Peut-être bien que je peux me contenter d’attraper une pomme, de me moquer de lui et de quitter la pièce. Peut-être bien que je peux faire comme si je ne le vois pas. Mais c’est plus fort que moi. Je me sens obligé de lui parler. Je me sens obligé de l’aider. Je m’occuper de réparer son erreur et bien vite je lui propose un plat de pâtes à la bolognaise. Ca à l’air de lui plaire. Tant mieux. L’eau est en train de bouillir, les steaks sont en train de cuire, la sauce tomate mijote comme il faut. Je m’occupe des oignons pendant que Celse s’occupe de … m’observer et de me raconter ce qu’il fait de sa vie. Il a d’ailleurs l’air un petit peu gêné de m’expliquer. Il regarder un petit peu partout et presqu’en même temps. « Je fais des combats d’arts martiaux, du MMA, ça s’appelle. Chaque champion possède son art de prédilection, les miens étant le jujitsu et la boxe thaïlandaise. On se place à l’intérieur de cages avec un arbitre, nos coachs respectifs, et le combat se termine au finish » Je ne suis pas certaine de tout comprendre, mais ce n’est pas bien grave. Je lui adresse un petit sourire timide. Il me parle de cages. C’est quand même vachement violent du coup non ? « Des … cages ? » que je demande pour être certaine d’avoir bien entendu. Je trouve ça étrange comme métier. Enfin peut-être pas plus étrange que le mien finalement. « Mais tu fais ça tout le temps ? » Je sais c’est stupide comme question. Il me parle aussi de chaque champion et de ses spécialités à lui. Ainsi il est donc … champion. Je crois que je ne comprends pas tout. D’ailleurs je fronce les sourcils tout en l’observant. « Je … C’est la première fois que j’entends parler de ce sport. » que je viens lui demander timidement tout en continuant de m’occuper du repas. Il vient me parler d’Erick. Mon regard s’illumine et je me précipite pour chercher une photo de mon petit trésor. Je lui demande de ne pas bouger. Je fais au plus vite. Lorsque je reviens, il attrape délicatement le cliché et l’observe durant plusieurs secondes. Je fais de même, regardant chaque trait du visage de mon bébé, imaginant ce qu’il fait à cette heure-ci, sentant même son odeur. Je ferme brièvement les yeux et pousse un soupir de béatitude. « Je veux le même. » Je ne comprends pas vraiment pourquoi il me dit ça. J’arque un sourcil avant de hausser les épaules. « Fais en un avec ta copine. » Beh oui je ne peux pas lui dire autre chose là. « Enfin, ce ne sera pas exactement le même et tu risques d’être déçu par la suite, mais tu peux toujours essayer. » Je m’enfonce là. Je retourne à mes fourneaux et lui tourne le dos, le laissant avec la photo entre les mains. Les pâtes ne vont pas se cuire toutes seules. Je plonge les féculents dans l’eau bouillante avant de continuer à remuer la sauce tomate.