Y'avait rien que je détestais plus dans le fait de courir, que de le faire sur un tapis de course. Je trouvais ça anti-naturel, en fait je trouvais que c'était une solution de facilité pour les feignasses, ouais. Et puis surtout à courir sur un tapis on n'allait nul part, le truc ridiculement inutile quand on pouvait au lieu de ça courir et profiter du paysage, et des irrégularités du terrain. Sauf que voilà, aujourd'hui il faisait un temps de chien et quand bien même ce n'était d'ordinaire pas le vent et le ciel orageux qui m'auraient arrêté, je m'étais chopé la crève en début de semaine ... Camille aussi semblait l'avoir attrapé d'ailleurs, l'un de nous deux l'avait sans doute refilé à l'autre, bien que le pauvre semble plus patraque que moi au final. Mais bon, du coup j'avais pas vraiment envie d'aggraver le truc en allant courir sous des seaux d'eau comme un abruti, du coup content ou pas je l'étais rabattu sur la salle de sport. Et ses tapis de course ô combien ridicules, à mon sens. Mais j'avais besoin de courir, du genre besoin vital d'évacuer de l'énergie, parce que si j'en emmagasinais trop j'avais tendance à virer lapin Duracel, impossible à canaliser, et je finissais par emmerder tout le monde. Mais tout ça c'était juste en attendant que la piscine se libère dans la soirée, après ça je pourrais sans mal retourner jouer les hommes-poisson et je laisserais le tapis de course à quelqu'un qui en aurait véritablement envie et qui ne se rabattrait pas dessus uniquement parce que c'était ça ou s'initier au lancer de nain avec une ou deux statues de Cupidon. Et oui, j'étais parfaitement au courant que le lancer de nains était une pratique désormais interdite en France ... Je le savais parce que Benjamin me l'avait dit avant que je parte. Pourquoi il me l'avait dit ? Ça, j'en avais pas la moindre idée, mais c'était sans doute sa façon à lui de me dire de ne pas me comporter comme un Néandertalien. C'était parfois agaçant, qu'il me connaisse si bien, hm. Bref, m'arrêtant après trois quarts d'heure à allure soutenue, j'avais pris quelques instants pour reprendre mon souffle et j'avais fini par attraper ma bouteille d'eau, appréciant moyennement la façon dont mon dos me lançais à chaque fois que j'effectuais ce genre de mouvement ; Ça c'était depuis que je m'étais cassé la gueule en descendant d'un arbre la semaine dernière. Et non, vous ne vouliez pas savoir ce que je faisais sur cet arbre. Soupirant avec autant de lassitude que d'exaspération, j'avais enfilé ma veste et remonté la fermeture éclair jusqu'en haut, avant de me diriger vers la sortie et ... de me prendre la porte dans la figure, au moment où j'allais l'ouvrir. « Putain de m .... aargh ! » Ouais, c'était plus ou moins tout ce qui était sortit de ma bouche tandis qu'une main plaquée contre mon oeil droit et mon front, je découvrais l'identité de la personne de l'autre côté de la porte. Cian. Je lui avais jamais parlé jusqu'à présent, mais là pour une entrée en matière, c'était douloureux. J'hésitais encore entre une bosse ou un œil au beurre noir, je savais pas ce qui m'agacerait le plus, hm.

Je le savais. Je savais bien que venir courir sur ces satanés tapis c'était une sale idée, c'était le karma qui me renvoyait à la tête - littéralement - le fait que j'avais fait une entorse à mes principes. Parce que oui, j'étais du genre superstitieux comme ça, vous voyez. « Ah putain. C'est pas moi, j'ai rien fait, enfin désolé mais dis leur que c'est pas moi c'est la porte et c'est involontaire. » Il réalisait qu'il était en train de rejeter la faute sur la porte, c'est à dire sur un objet inanimé qui ne risquait pas d'être coupable de grand chose sans qu'on l'y aide un peu ? Je savais bien que ce château était franchement bizarre, je parlais même pas de la décoration vraiment douteuse, mais les portes s'ouvraient encore pas toutes seules. Enfin, pas que je sache. « C'est pas très sympa d'accuser la porte. Pas sympa pour elle, j'entends. » avais-je alors répondu non sans une pointe d'humour, tout en m'appuyant contre le mur le temps que l'intérieur de ma tête cesse de résonner comme si un lutin était soudainement venu y jouer du tambour. A en juger par la tête de Cian en tout cas il ne semblait pas avoir totalement compris que j'étais en train de me foutre de sa gueule « Non mais ça va je plaisante, je sais bien que c'est involontaire. » Et puis ouais, non, il avait sans doute déjà assez de soucis comme ça en ce moment le pauvre, inutile qu'on pense qu'il avait en plus essayé de me casser la gueule ... ça ne ferait de bien ni à sa réputation, ni à mon égo, hm. Me massant le front en grimaçant je l'avais entendu me demander « C'est ton œil ? Ton front ? Ça va, tu veux de la glace ? J'peux aller chercher de la glace. » et j'avais secoué la tête à la négative sans la moindre hésitation. Pourtant je savais ce qui se passerait si je ne mettais rien dessus, ça allait enfler, et demain matin je le regretterais, mais ... non, là j'avais surtout envie de faire comme si c'était pas grand chose, j'avais pas envie de passer pour une chocotte voyez-vous. « Mon œil est toujours à sa place, alors je suppose que c'est que ça doit aller, mais merci. » avais-je ironisé d'un ton presque amusé. Non mais pour de vrai ça allait déjà mieux, j'avais toujours les oreilles qui bourdonnaient mais j'y voyais à nouveau à peu près clair « J'ai pris de bien plus gros coups sur la tête, t'inquiète. » Et ça aussi on ne s'imaginait absolument pas à quel point c'était vrai, mais je préférais le garder pour moi, hm. Finalement j'avais cherché en plissant les yeux - enfin, un œil - le banc le plus proche et je m'y étais assis, prêtant à peine attention à ma bouteille d'eau que j'avais laissé rouler sous mes pieds. « Rassure-moi et dis moi que ta manière d'engager la conversation avec les gens est pas toujours aussi ... brutale ? » Au cas où il se le demanderait donc, j'étais pas vraiment rancunier comme garçon, la preuve si je me mettais à plaisanter c'était que ça allait.