W. ORSON.

L’ensemble du nid a organisé ce soir ce qui ressemble à une pool party, pour profiter des dernières soirées de chaleur annoncée. Avec Orson, on s’est regardés un moment avant de réaliser qu’on pensait la même chose : le salon nous attendait, avec ses fauteuils de cuir moelleux, le whisky ambré que nous allions dérober au mini bar et faire tourner entre nos doigts, et cette boite de cigares cubains que j’ai ramenée du pays au fond de ma valise. Une semaine que nous attendions le moment « m » pour l’ouvrir et plonger les mains dedans. J’ai déposé l’iPad sur l’enceinte qui lui sert de socle, balancé un album de jazz (du Django Reinhardt, tiens), et rejoint Orson dans les fauteuils. Face à face, notre whisky dans une main, nous profitons du calme, du silence et du bienêtre d’un instant privilégié dans le magnifique salon du nid. La lumière dorée nous entoure comme un hâle de sainteté, et je m’enfonce un peu plus contre le dossier, plus satisfait que jamais. « Quand je pense que Camille a préféré jouer dans une piscine pleine de mousse plutôt que de goûter au whisky-cigare  », je déplore en attrapant un cigare dans la boite ouverte, posée contre la table basse qui nous sépare. Je sors le coupe-cigare que j’avais préalablement glissé dans la boite, et m’occupe de préparer le mien tandis qu’Orson pioche à son tour. Je suis content de le régaler ce soir, après la visite au musée, je n’avais qu’une envie : partager ça avec lui. Je gratte l’allumette contre le rebord rouge du paquet et allume le cigare entre mes lèvres, en aspire une bouffée avant de le prendre entre deux doigts, me laisser le temps de goûter, recracher la fumée. Il est incroyablement bon, bordel. Je jette un œil à Orson, qui apprécie à sa façon. « Verdict ?  » Je lâche entre deux bouffées.

Grâce à Celse, nous avons échappé à une soirée ennuyeuse aux bords de la piscine, dans le brouhaha. A la place, nous nous sommes réfugiés dans salon. De la musique, du whisky et des cigares. Que demander de plus ?  Le tchéque fait allusion à Camille concernant le combo whisky-cigare. Je hausse les épaules.  Le jeune homme ne sait pas apprécier ce genre de choses. Il se serait senti de trop de toute manière. - Il ne sait pas ce qu'il rate alors., dis-je en faisant tournoyer le whisky dans mon verre avant d'en boire une gorgée. Il n'y a pas à dire. Ce whisky est bon, très bon. Bien fort comme je les aime. Je vois Celse prendre place sur l'un des fauteuils disposition, sortant son coupe cigare, etc. Je l'imite, attrape une cigare dans la boîte et me sers du coupe-cigare. Pendant le blond savoure son cigare, c'est à mon tour de le goûter. Je ne me fais pas prier. Je sors mon briquet d'argent de la poche arrière de mon pantalon de costume. Je porte la cigare à mes lèvres. J'inhale la fumée, puis l'expire. Je suis en extase. Je me tourne vers mon camarade lorsqu'il me demande mon avis sur la cigare. J'esquisse un léger sourire de contentement. Je lâche : - Excellent. Mon sourire s'agrandit alors. Je sens que cette soirée va réellement me plaire. - Je ne te savais pas amateur de cigares. Un rire léger quitte ma bouche tandis que je reprends une latte de ma cigare en m'enfonçant davantage dans le fauteuil pour me mettre à l'aise. Le corps détendu, je savoure le goût du whisky sur mon palais et plante mon regard dans celui de mon comparse, un sourire au bout des lèvres. Je m'évade.

Excellent, j’ai l’approbation d’Orson et c’est une bonne chose, après l’immunité qu’il m’a offerte en plus de m’avoir invité à l’accompagner dans sa visite du musée, je n’avais envie de personne d’autre pour partager ces douceurs. Le whisky d’âge se mélange dans ma bouche avec les restes d’embruns de fumée du cigare, donnent un mélange des plus agréables. En espérant qu’à force de tirer là-dessus on ne finisse pas par déclencher l’alarme incendie du château, ce serait con de se faire remarquer de cette façon. Je lève le nez vers Orson à l’entente de sa remarque, sourit. « Je les ai ramenés de la Havane », j’explique. Je les gardais avec moi, à Prague, dans l’attente du jour béni où j’aurai l’occasion de les goûter. « Je venais de gagner un assez gros combat », je raconte dans un nouveau sourire, mon verre dans une main, mon cigare dans l’autre. « En quittant les cages, j’apprends par mon entraineur que deux hommes importants de la ville ont parié sur moi. Le premier était un homme politique cubain, le second un fils d’ancien SS allemand réfugié là pour échapper à Nuremberg. Les deux me voulaient dans leur voiture pour me féliciter de l’argent que je leur avais fait gagner. » Je revois la scène comme si j’y étais, la foule en délire, les mains frappant dans les miennes pendant la traversée jusqu’à ma loge, et mon oncle, une main sur mon épaule, me suivant comme mon ombre. « J’avais le choix, mais un choix délicat : je ne pouvais accorder la faveur de ma présence qu’à un des deux hommes, et, tu t’en doutes, j’ai choisi l’homme politique plutôt que le fils de nazi », j’ajoute en fixant Orson du regard. Je laisse planer un instant de silence, tire sur mon cigare, prends le temps de savourer son odeur et son goût, la tête en arrière, avant de reporter mon attention sur Orson. « C’est dans sa voiture que Fidel Castro m’a offert cette boite de cigares », je conclus, tout sourire.