Ce soir, j’ai décidé de me rendre à la bibliothèque. Pourquoi ? Et bien c’est une bonne question. Ce n’est clairement pas un endroit où on risque de me voir souvent. A vrai dire, je n’y ai posé qu’une seule fois les pieds depuis le début de l’aventure. Et ce n’était pas pour lire, mais empiler des bouquins, comme on ferait un château de cartes. Une activité hautement intellectuelle, n’est ce pas. On s’occupe comme on peut. Du coup, j’sais pas, peut être par acquis de conscience, je me rends à la bibli. Faire genre. Mais bon, je doute que l’envie de lire un livre va soudainement me prendre. De toute façon, je sais qu’ils ont un excellent canapé, alors. Puis j’ai pris mon Ipad. J’entre donc dans la pièce, et qui vois je ? Pavel, confortablement installé sur un fauteuil. Pas l’ombre d’un bouquin en main. « Hum j'me souviens pas avoir vu de rayon dédié aux livrets de coloriage en entrant tout à l'heure, mais euh vas-y cherche quand même, on sait jamais. » Ce qu’il est drole le petit. N’empêche quand j’étais gosse, j’étais trop nul à ça, je dépassais toujours. « T’as dû être déçu de ne pas en trouver alors. » C’est que le monsieur aussi il serait plus probable qu’il soit là pour faire du coloriage que lire un bouquin. « Mais bon c’est pas grave, je gribouillerais sur les romans alors. » Je trouve une solution à tout. Non mais ça va, évidemment je plaisante, je n’ai pas l’intention d’abimer quelques œuvres qu’il soit. Au crierait au scandale après. Puis je ne veux pas qu’on me retire de l’argent pour dégradation de matériel, non merci. « Avoue que tu t'attendais pas à me trouver là. » J’hoche la tête en signe d’acquiescement. « Oh bah c’est certain. C’est tout aussi improbable que moi dans cette pièce. » Et oui. On se rappelle de ma dernière venue ici. « Tu t’es dis que ça serait dommage de mourir sans avoir vu au moins une fois cette bibliothèque ? » Parce qu’à priori, il n’est pas là pour se lancer dans la lecture. Je peux me tromper aussi, m’enfin. Il évoque alors Aliénor. Que si je la cherche, je peux repartir, elle n’est pas là. Tss. « Si je la cherchais, j’aurais plus de chances de la trouver à la piscine ou la salle de sport. » Et pas la bibliothèque. Ou alors c’est que j’aurais fais toutes les pièces auparavant.  « Il date de quand le dernier livre que tu as lu ? » Je me suis posé sur la canapé en face de lui.

En venant dans cette bibliothèque, je ne m’attendais pas à tomber sur Pavel. Bon à vrai dire, je ne m’attendais à rien du tout en débarquant ici, en fait. Je ne sais même pas trop pourquoi je suis là. Pas pour lire c’est certain. Ou alors il y a de quoi s’inquiéter, c’est que je serais malade. « Tout à fait, j'avais d'ailleurs imploré le ciel pour ça, mais mes prières n'ont pas été entendues... » A propos du livre de coloriage. « C’est que tu n’as pas du prier assez fort. Tu sais si tu demande gentiment à la production, je suis sur qu’ils seront ravis de t’en fournir. » Oh bah oui ils ne pourront pas lui refuser de lui donner un livre à colorier. Le pauvre. C’est que ça doit tellement lui manquer. Blague à part, il doit être là pour…hm visiter ? Probablement juste se faire une idée de la pièce. Histoire qu’il ne meurt pas idiot. « T'as tout compris. Maintenant que je m'en suis fait une idée, je pourrais tout à fait redescendre sauf que ce fauteuil est trop confortable, il fait l'amour à mes fesses là, j'te jure. » Ah oui carrément. « Je ne savais pas que tu étais de ce bord là. » Que je dis en plaisantant. Avant de m’installer à mon tour dans le canapé d’en face. Histoire de voir si ce qu’il dit est vrai. C’est vrai que c’est confortable. Par curiosité, ou simplement pour faire la conversation, je lui demande depuis quand il n’a pas touché à un bouquin. S’il me dit la semaine dernière, j’aurais franchement du mal à le croire. Ou alors c’était le Kamasutra ou des « œuvres » dans le genre. « Huum, j'ai pas dû toucher de bouquin depuis mes quinze ans, enfin quand tu comptes c'est pas si lointain que ça mais bon, hm, ouais si quand même un peu. » C’est vrai qu’il est jeune le bonhomme. Encore plus que moi. Il a à peine la vingtaine. Tout juste. Il ne se rappelle même pas du titre. En même temps si je devais me souvenir le dernier truc que j’ai lu…Pareil, trou de mémoire. « Les résumés sur internet, évidemment. J’avais quand même mieux à faire que lire leurs bouquins à la noix. » Franchement, une perte de temps. « Parce que bon évidemment, ce n’était pas des trucs cools, mais les livres les plus chiants du monde. » A la limite, peut être aurais je fais un effort pour un livre de SF. Mais les lectures obligatoires qu’ils nous confiaient…non non, très peu pour moi. « J’en conclus que tu faisais pareil. » Il ne poserait pas la question sinon je pense. « Je n’étais pas quelqu’un de très assidu en cours… Et comme quand j’étais là, j’avais tendance à perturber les cours, je crois qu’au final les profs étaient content quand je séchais…ça leur faisait des vacances. » Vous savez il en faut toujours un perturbateur de classe. Et bien c’était moi. Le type qui chahute, n’écoute rien, lance des avions en papier…S’amuse au labo de chimie à faire tout pleins de mélanges. Joue avec les grenouilles lors des dissections, etc. « T’es encore étudiant au fait ? » Je me rends compte que j’en sais rien. A vrai dire au final, je ne sais rien de lui.

« Hmm, si mon lapin alors gare à toi. » Oh je ne m’en fais pas trop, ça va. Même s’il était de l’autre bord, il m’avait déjà clairement fait comprendre par le passé à quel point il me trouvait laid. Quoi que, ça pourrait cacher quelque chose…Vous savez, faire croire qu’on vous révulse, alors que dans le fond on cache une attirance inavouable. Bon, je ne pense pas que ça soit le cas ici. Du reste, il ne m’a pas l’air porté sur les hommes de toute façon. Et comme moi non plus, ça tombe bien hein. On évoque ensuite notre passé scolaire, qui à l’évidence n’était pas bien brillant dans les deux cas. J’ai toujours été plutôt le cancre de service, plutôt que l’intello. « Bon alors on devait avoir des appréciations semblables sur nos bulletins toi et moi, et une note de comportement proche de zéro car c'était mon cas perso. » J’hoche la tête. « Tout à fait ça ! Pas que le comportement, j’étais une brèle, faut le dire. A part le sport où j’excellais. Mais bon les profs étaient concilients avec moi, j’avais des circonstances atténuantes. Je me demande comment j’ai eu mon diplôme. Ils ont du avoir pitié. » Ou ils ne voulaient peut être pas que je triple ma dernière année de lycée, alors hop, on va vous le refilez, y en a marre de votre tronche. Je lui demande alors s’il était toujours étudiant. Parce que bon il est jeune, et puis si il était aussi doué que moi, il a pu redoubler des classes le petit, et allez savoir être encore au lycée tiens. « Non, puis t'sais les études ça a jamais été pour moi. » J’esquisse un sourire. « On croirait m’entendre. » Pas pour rien que j’ai arrêté après le lycée. Hors de question de me lancer dans des études supérieures, très peu pour moi. « J'ai quand même suivi une formation de maitre-chien quand j'étais... enfin... ces derniers mois quoi, ensuite j'ai obtenu un certificat d'assistant dresseur, je sais pas trop ce que ça vaut ni si ça va me servir par la suite mais c'est mieux que rien, hein. » Cela m’intrigue tout ça. « Quand t’étais quoi ? » Ouais, il n’a pas fini se phrase, il s’est reprit le petit, mais je l’ai remarqué. « Mais c’est cool en tout cas. J’adore les chiens. » Je suis toujours attristé du départ de Kiki, mon berger allemand. « Je bosse dans un parc d’attractions la moitié de l’année. A l’espace aquatique, t’sais, je surveille la baignade. Y en a de la nana canon en maillot de bain, je peux te dire ! » Quoi ? Un des avantages du métier. « Sinon je fais des petits boulots par ci par là… J’aime bien changer. » Je suis pas du genre à me fixer trop longtemps dans le même boulot. A part le parc d’attraction, ça fait deux ans que j’y bosse. Mais sinon le reste, c’est l’espace de quelques mois, quand je finis par me lasser. Ou qu’on me vire, aussi.

« Non mais forcément qu'ils ont eu pitié, attends. Et c'est "grâce" à ta tronche, c'est sûr, ils se sont dit que t'avais déjà pas très bien commencé dans la vie avec ça alors... roh ça va je déconne ! » Et allez, ça faisait quoi, 48h qu’on n’avait pas fait une critique sur ma tronche ? Heureusement qu’il est là hein, tant ça me manquait. Ouf. Un jour sans une remarque sur mon physique soit disant ingrat, et ça ne serait pas une journée normale. Il déconne, il déconne…il verra lui si on passait ses journées à s’en prendre à sa tronche. C’est comme Eibhlin ça. Elle adore se foutre de ma gueule, dire combien je suis moche à la moindre occasion, mais elle se met à chialer quand elle reçoit une remarque désobligeante. Ça ne marche que dans un sens avec eux. Bref, de toute façon vaut mieux qu’il croit que c’est à ma tronche qu’ils ont eu pitié plutôt que de connaître la vraie raison. « Ma pauvre petite mère quand même… Vous passez votre temps à critiquer son travail. » Bah ouais c’est elle qui m’a fait. Non mais en plus je sais que ça la blesse ce genre de choses, limite plus que moi. Moi je suis à un stade où ça me passe au dessus. Bien que là il faut l’avouer, ils mettent le paquet. J’étais surtout habitué durant mon enfance. Normalement une fois adulte, t’es moins con. Mais c’est vrai que dans un jeu pareil, il y a un tel concentré au mètre carré… «  Heureusement que je comptais pas sur ce jeu pour prendre confiance en moi » Que je dis en plaisantant. Sinon ça serait carrément raté je pense. Il me parle ensuite un peu plus de lui. De sa formation de maître chien. Il fait un petit écart de langage, avant de se rattraper, mais trop tard, je l’ai remarqué.  « Hum, "hors d'état de nuire" qu'ils disaient je crois. » Hors d’état de nuire ? Pour moi quand tu mets quelqu’un hors d’état de nuire, bah c’est soit tu le zigouilles, soit tu le fou en prison. Et vu qu’il est vivant, il ne reste plus qu’une possibilité. Mais peut être que c’est autre chose. « Tu veux dire quoi par hors d’état de nuire ? On t’a enfermé ? » Après ça m’étonnerait pas tant que ça, parce que bon, j’ai toujours dit qu’il avait une tête de psychopathe le bonhomme. Même si t’as pas besoin d’avoir une tête de psycho, pour être dangereux. J’en sais quelque chose. C’est parfois ceux qui paraissent les plus inoffensifs, qui sont en fait les pires. Je parle ensuite de mon job, puisqu’il me retourne ma question. Surveillant de baignade dans un parc d’attraction. Je soulève le fait de mater des nanas en maillot de bain. Je me permets de dire ça à lui, parce que je me doute bien que ça lui parle. Il serait surement du genre à faire pareil.  « Ouais j'imagine, et toi tu rates évidemment pas une occasion de te rincer l’œil hein, filou. » J’esquisse un sourire. « Evidemment. J’aurais tort de ne pas en profiter, non ? Dieu nous a donné des yeux, ce n’est pas pour rien. » C’est bien pour qu’on s’en serve. « Euuh, la question que je vais te poser risque de te sembler un peu absurde, mais... si t'avais dû deviner ce que je faisais dans la vie, enfin un truc qui aurait pu me correspondre selon toi, t'aurais répondu quoi ? » Houla… « J’sais pas. Je t’aurais dis chômeur. » Mais c’est pas un métier ça, bon. « Sinon…je crois, ouvrier dans le bâtiment, un truc dans le genre. » Ouais, j’sais pas pourquoi, je l’aurais bien construire des murs, faire la charpente, ce genre de choses.