W. DANAÉ.

Je dois bien avouer que je commence à tourner à rond dans ce château. Il n’y a rien à faire puisque maintenant je connais tous les moindres recoins du nid d’amour dans lequel je vis depuis un bon gros mois et demi. Il n’y a plus de mystère à découvrir, sauf les secrets des candidats. D’ailleurs je trouve qu’on n’est pas vraiment engagé dans la recherche des secrets. L’alarme ne sonne pas souvent. J’ai bien envie de me donner un petit coup de stress. J’ai bien envie d’entendre le doux son de cette alarme me prévenir que c’est moi et personne d’autre qui va être en danger dans peu de temps. J’ai bien envie de savoir ce que les autres candidats pensent que je cacher comme secret. Moi, je suis certaine qu’il se trompe. Ils n’auront jamais mon secret parce qu’il est trop bien gardé. Je suis sûre que quand ils vont le connaître ils vont tous dire que c’est une évidence, que j’en parle assez ouvertement et qu’ils le savent tous depuis le début. C’est peut-être parce que je ne cherche pas à le cacher qu’il est bien plus difficile à trouver. Je pense qu’il ne faut essayer de le dissimuler dans ce genre de jeu. Ce sont toujours les idées farfelues qui viennent à l’esprit des gens, pas les choses toutes simples. En général ces gens-là passent pour des idiots. Un petit peu comme moi avec mon idée de voir Aliénor et Eibhlin sœurs. Tout le monde a dû bien rigoler à l’extérieur. Bref, tout ça pour dire que je m’ennuie. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas à qui parler. Tout le monde est en train de se reposer en ce début d’après-midi. Personne n’a envie de faire quelque chose d’excitant, d’éprouvant. Ils veulent tous faire les larves. Par chance il ne fait pas trop mauvais dehors. Il fait même plutôt beau. Froid, mais beau. J’enfile donc une veste par-dessus mon haut et m’en vais en promenade à travers les jardins. C’est calme. Il n’y a pas de bruit. Pas de bruit jusqu’à ce que je tombe nez à nez avec Celse en train de bronzer dans un coin. C’est étrange, mais c’est exactement le genre de garçon que je n’imagine pas en train de bronzer. Peut-être parce qu’il fait un sport violent et que je trouve que le soleil et le MMA, même si je ne sais toujours pas ce que c’est précisément puisque monsieur refuse de m’expliquer ou de me faire une démonstration, sont deux choses contraires. Je m’approche de lui sans faire trop de bruit, mais c’est tellement calme que mes pas feutrés par l’herbe doivent être la cause de son dérangement. « Tu viens faire une sieste au soleil ? » Une sieste au soleil ? En plein mois de novembre ? Quelle drôle d’idée, mais après tout pourquoi pas. Je réponds à son sourire sincère par un sourire franc, mais toujours quelque peu timide parce que, même si je n’en donne pas l’impression, je suis quand même une nana réservé lorsqu’il y a des caméras tout autour. Je viens remuer la tête de gauche à droite en signe de réponse négative. « En fait, je te suis. » que je dis comme si cela est tout à fait normal. Ce n’est pas le cas bien évidemment, mais c’est une réponse comme une autre pour expliquer ma présence ici, à ce moment précis, avec lui. Sans lui en demander la permission, je m’installe à ses côtés. Lui sur sa chaise et moi par terre. On doit avoir l’air idiot comme ça, mais ce n’est pas bien grave. « J’peux faire quoi pour te remercier de m’avoir immunisé cette semaine ? » que je demande naturellement en levant la tête pour poser mes yeux sur lui.

Non je ne suis pas réellement en train de le suivre, mais je trouve ça plutôt amusant de lui faire croire que c’est le cas. J’imagine bien qu’il ne me prend pas une seule seconde au sérieux, bien que je l’observe avec mon petit sourire timide et mon regard presque gêné, mais je suis quand même certaine qu’au fond ça doit bien le faire rire. Ou du moins un tout petit peu. « C’est donc ça… » qu’il murmure comme pour que je n’entende pas ce qu’il est en train de dire. Sauf que j’entends tout. Je ne dis rien pour le moment. Je me contente de le regarder se lever de sa chaise pour la balancer dans un coin du jardin et s’installer à mes côtés, sur l’herbe. Il passe ses mains derrière sa tête pour venir s’allonger et observer le ciel, les nuages pendant que moi je reste là, assise à le regarder. Je laisse le silence perdurer encore un petit peu. C’est tout de même calmer et reposant. D’un côté j’ai envie de me taire, mais de l’autre ma langue me picote tellement j’ai envie de parler. Passant un bras sous ma tête, je viens prendre la même position que la sienne. Je m’allonge. « J’crois que c’est parce que j’suis complètement sous ton charme en fait. » que je dis en tournant la tête vers lui pour voir sa réaction. Un sourire un petit peu plus malicieux que le précédent s’installe sur mes lèvres. Là, je ne peux plus rester aussi sérieuse qu’au début. C’est tellement gros que je suis certaine qu’il ne va pas me croire. C’est peut-être parce que je sais qu’il ne va pas me croire que je me donne le droit de le dire. En tout cas je préfère passer à un tout autre sujet, la façon dont je vais pouvoir le remercier de m’avoir immunisé cette semaine. Après tout c’est quand même un beau cadeau, je suis certaine de rester quinze jours supplémentaires dans l’aventure et ce n’est franchement pas négligeable. « J’aimerais que tu te sentes ici comme chez toi. Que tu fasses uniquement ce que tu as envie de faire, peu importe les jugements des autres – ils n’ont qu’à apprendre à mieux se regarder eux-mêmes » Je grimace comme une petite fille. Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée que je fasse uniquement ce dont j’ai envie sans me soucier du jugement des autres. Ca termine toujours par se retourner contre moi alors je pense que je vais rester toute sage et dans mon coin. « Ce n’est pas gagné pour que je me sente comme chez moi. » Je marque une courte pause. « Parce que déjà, je n’ai pas de jardin comme ça chez moi et puis je ne suis pas une princesse donc je n’habite pas dans un château et c’est faut avouer que c’est quand même assez spécial la vie de château. Tout est trop grand. » Hors de question que je dise que je suis le genre de nana à me soucier, quand même un petit peu, de ce que pense les autres. On ne parle plus durant quelques secondes. C’est lui qui brise le silence. « Et si jamais il te prend l’envie soudaine de cuisiner de nouveau des spaghettis bolognaises, je suis ton homme » Notre première rencontre. Rien qu’en y repensant je me mets à sourire. C’était quand même assez drôle de le voir avec une tête blasé devant ses deux œufs au plat complètement carbonisé. « T’as quand même eu droit à ma spécialité dès notre première rencontre. A ta place, je crois bien que je serais l’homme le plus heureux du monde. » Parce que oui je fais ma maligne avec mes pâtes à la bolognaise, mais c’est presque la seule chose que je sais faire en cuisine. Seulement je ne veux pas lui dire parce que déjà que je suis descendu bien bas dans son estime, je n’ai pas envie d’en sortir totalement.

Je trouve ça amusant de jouer la nana folle d’un mec et qui tente de lui faire comprendre par des moyens plus ou moins subtils. C’est stupide, je le sais, mais je ne peux quand même pas m’empêcher de trouver ça drôle. Après lui avoir fait croire que j’étais ici parce que j’avais eu dans l’idée de le suivre, voilà que je viens maintenant lui dire que je suis carrément folle de lui. Il me nargue presque avec son grand sourire ravageur. J’aime bien ça. Au moins il entre dans mon jeu. « Pour être honnête avec toi… » Il fait le mec sérieux, mais rien ne laisse présager que ce qu’il va me dire est réel. Il se tourne vers moi et fronce même les sourcils. « Je me pensais un tout petit peu moins irrésistible. » C’est à mon tour de le regarder en fronçant les sourcils, surtout lorsqu’il éclate de rire. Je l’observe un instant. Il se calme et devient pensif, rêveur. J’ai bien envie de savoir à quoi il pense, mais je n’ose pas lui demander. C’est intime et il n’a peut-être pas envie de le partager avec moi. Du coup je me contente de répondre à ce qu’il vient de dire précédemment. « Un tout petit peu moins seulement ? » Je marque une courte pause. « Non parce que entre nous, t’es quand même l’un des plus beaux mâles de cette saison hein. » Et là ce n’est même pas un mensonge. C’est la vérité et je le pense réellement. Je le toise d’un sourire amusé avant de laisser mes pupilles s’évader sur les nuages qui se baladent dans le ciel turquoise de ce milieu d’automne. Je ne suis pas une princesse et je viens le lui faire savoir. Hors de question qu’il pense que j’en suis une uniquement parce que je suis blonde et un petit peu naïve sur les bords. Alors je lui explique que ma maison n’est pas un château. En fait c’est plutôt un loft banal avec des fringues partout et des biberons qui trainent dans les quatre coins. Ce n’est franchement pas excitant comme lieu, mais je m’y sens bien et c’est l’essentiel. Enfin, je crois bien. « A chacun son palais. Moi je suis sûr que tu es une princesse. La preuve, tu as fait un petit prince » Oh, c’est tellement chou. Je tourne presque instantanément ma tête vers lui. Je le regarde sans savoir que dire. Je me contente de lui adresser un petit sourire timide et de baisser brièvement les yeux pour fuir son regard quelques instants. Parler d’Erick est de plus en plus dur. Il me manque énormément ce petit garnement. « Sauf que dans les contes de fée un prince est toujours entouré de ces deux parents. » Et là, ce n’est pas le cas. C’est triste. Après tout c’est son père qui a décidé de me laisser toute seule juste après la naissance du petit alors que j’étais certaine qu’on allait faire notre vie ensemble. Bref, n’en parlons pas. Je préfère largement parler de ma spécialité culinaire, les pâtes à la bolognaise. Ce n’est pas bien compliqué, mais ce n’est quand même pas facile non plus. Je lui dis alors qu’il devrait être l’homme le plus heureux du monde d’avoir pu avoir droit à ma spécialité dès notre première rencontre. Il ne répond pas tout de suite alors je tourne la tête vers lui pour observer sa réaction. « Qu’est-ce qui te dit que je ne le suis pas ? » Très bonne question. Je fais une petite grimace pour montrer que je ne sais pas quoi lui répondre. Enfin, peut-être bien que si finalement. « Et pourquoi tu serais l’homme le plus heureux du monde alors ? » Je quitte son visage des yeux pour me concentrer à nouveau sur les nuages qui sont au-dessus de nous. C’est étrange comme ça va vite un nuage. Un petit peu comment une semaine dans l’aventure. « Si tu devais partir d’ici demain, quel serait la chose que tu regretterais de ne pas avoir fait ? » C’est une question comme une autre. Une question peut-être un petit peu trop indiscrète.

« Tu m’en vois ravi » Après tout, c’est la vérité. Je ne vois pas pourquoi je vais lui mentir alors que ce que je suis en train de lui est plutôt flatteur pour son égo. Même si je suis certaine que Celse n’est pas du genre à avoir un égo surdimensionné. Je me contente de tourner très légèrement la tête pour lui adresser un sourire. Je n’ai plus rien à ajouter. Je ne sais même plus quoi ajouter. Parler pour ne rien dire et passer pour une idiote ? Non merci. Nous parlons de mon fils et je trouve ce sujet bien plus intéressant que tous les autres, bien que cela ne rendre tout de même un brin nostalgique. Je viens lui certifier que mon fils est loin d’être un prince puisque sa maman et son papa ne seront jamais ensemble autour de lui pour le voir grandir. C’est triste, mais véridique. « Non mais t'as vu les parents dans les contes de fées ?! » Je ne comprends pas tout de suite où il veut en venir alors je me contente de l’observer un court instant tout en fronçant, à peine un tout petit peu, les sourcils. « Les belles-mères des princesses, qui n’ont qu’une envie : les voir crever, les pères des princes qui menacent sans arrêt de les déshériter… » Une petite grimace s’installe sur mon visage. Il n’a pas tort du tout. Il suffit de voir Cendrillon pour se rendre compte que sa vie est loin d’être un conte de fée au début. C’est à la fin qu’elle devient la jolie demoiselle que toutes les petites filles rêvent d’être. « Non, vraiment, je ne crois pas que les princes soient des modèles de schéma familial. » Parfait. Alors mon fils peut se contenter d’être Erick le petit blondinet aux yeux bleus et au teint pâle qui est partagé entre sa maman et son papa. Je ne suis pas sûre que ce soit mieux, mais au moins il peut compter sur deux personnes qui l’aiment. Qui ne sont pas ensemble, mais qui l’aiment. Enfin, une, c’est certain. Je n’ai pas envie de parler. Je n’ai pas envie de me lancer sur ce sujet-là. Je n’ai pas envie de raconter la rupture douloureuse que j’ai eu l’occasion de vivre il y a quelque mois à peine. Je garde les pupilles vers le ciel et observe les nuages sans un m[ot. Celse vient serrer ma main dans la sienne. « Il sera heureux quand même, Danaé » C’est ce que j’espère le plus au monde. « On m’a déjà dit que l’important ce n’est pas le père biologique mais la figure du père. Il la trouvera chez un autre homme, ne t’inquiète pas pour ça » Je ne suis pas sûre que cela marche dans le cas de mon petit bout. « Je ne pense pas puisqu’il voit son père assez régulièrement. » Il n’a pas besoin que quelqu’un d’autre prenne la place de son géniteur. « J’ai seulement peur, qu’en grandissant, il ne comprenne pas pourquoi certains enfants ont deux parents qui s’aiment et vivent ensemble et pourquoi lui il a deux parents qui se détestent et se crachent des noms d’oiseaux en pleine figure à chaque fois qu’ils se croisent. » Je n’ai pas envie de devoir lui expliquer que son père a quitté le domicile conjugal quelques jours après sa naissance. Je n’ai pas non plus envie de lui expliquer que son père n’était pas là lorsqu’il est né. Je n’ai pas envie de devoir passer par toutes ces étapes et pourtant, il le faudra bien un jour. Je préfère changer de sujet et parler d’autre chose. De lui par exemple. J’en profiter pour tourner en enquête notre parenthèse cuisine. Pourquoi est-il l’homme le plus heureux du monde ? « J’ai tous les ingrédients pour l’être. Manque plus qu’à les mélanger comme il le faut pour que ça fonctionne » Alors pourquoi il ne le fait pas ? Je crois que j’ai dû rater un chapitre. Au moment où j’ouvre la bouche pour lui demander ce qu’il attends pour mélanger tous ces ingrédients, voilà qu’il prend la parole encore une fois : « Mais ça me fait un peu peur, aussi. Je préfère le laisser en pièces détachées plutôt que de l’assembler. » Je ne le comprends pas. Moi j’ai tellement envie d’être heureuse en permanence que j’aurais déjà mélangé tous les ingrédients qu’il faut pour l’être. Peut-être qu’il a envie de galérer. Je ne sais pas trop. Je ne prends pas le temps de lui donner mon point de vue. Je préfère lui poser une toute nouvelle question. « De n’avoir pas pu prouver ce que je suis venu prouver » Intéressant. « Et c’est quoi cette chose que tu n’as pas encore pu prouver ? » Je suis curieuse. Peut-être même un petit peu trop. Lui aussi d’ailleurs. « Et toi Danaé ? » Je grimace. C’est étrange qu’il prononce mon prénom comme il le fait. Enfin, ce n’est pas si désagréable que ça. C’est simplement étrange. Je n’en ai pas l’habitude. Je reste silencieuse un instant. « Je ne sais pas trop. Je pense que c’est une fois à l’extérieur que je vais avoir des regrets sur ce que je n’ai pas eu le temps de faire. » Je marque une courte pause avant de venir souffler : « Et de ce que j’ai pu faire aussi. »