Joanès & Tifenn
5 mars à 14h53

Apparemment cette saison les candidats ne peuvent s’empoisonner la vie avec une cigarette que sur le balcon. C’est en tout cas ce que Tifenn a compris. Elle trouve cette idée un petit peu grotesque, bien qu’idéale pour éviter que les enfants ne voient tout le monde en train de fumer à longueur de journée et termine avec une clope au bec. Elle comprend tout à fait ne pas avoir le droit de fumer à l’intérieur du lit d’amour, mais dans tous les coins situés à l’extérieur cela n’a jamais été interdit. Enfin, elle est plutôt docile la brunette alors elle va se plier aux exigences de la production et s’installer sur le balcon pour tirer quelques taffes sur une cigarette. Avec un peu de chance la demoiselle en aura vite marre de grimper tout en haut pour fumer et elle va diminuer sa consommation jusqu’à arrêter complètement et ainsi sauver quelques années de sa misérable vie. Arrêter de fumer, c’est la chose à laquelle elle pense en se rendant, non sans difficultés, au rendez-vous des fumeurs. Mettant un pied sur le béton, Tifenn pénètre sur le balcon presque vide. Presque car une seule personne se trouve là, appuyée contre la rambarde et scrutant l’horizon. La brunette ne tarde pas à le reconnaître. Joanès. Elle a un peu honte d’être là, seule avec lui alors qu’il y a à peine quelques jours ils étaient en train d’échanger un baiser. Certes un baiser tout simple, mais un baiser quand même. Tenant compte de la politesse, la jeune femme vient le saluer d’une voix timide et basse. « Salut. » Elle se pose un petit peu plus loin, contre le mur, se laissant glisser jusqu’à ce que ses fesses atteignent le sol. Sortant un paquet de tabac, des feuilles et des filtres de la poche de son sweat, bien trop grand pour elle d’ailleurs, l’étudiante commence à rouler parfaitement une cigarette parfaite. En deux secondes l’affaire est close. « Tiens. » qu’elle dit en tendant son œuvre en direction du garçon. Après tout il l’a bien dépanné d’une la dernière fois.

Qu’est-ce que c’est étouffant d’être ici. Les caméras. Les candidats. C’est un tout. Pourtant, je n’ai pas à me plaindre. Le nid est charmant. Les femmes sont charmantes. Et puis bon, le reste, on s’en gratte. Pourtant, le grand air, la liberté, rapidement, ça manque. En quête du grand air, je me dirige vers le balcon. La vue y est juste grandiose. Oui, cet espace est sans doute celui que je préfère au milieu de tout ce vice et ce luxe. Je m’accoude à la balustrade, me perds dans l’horizon, histoire de m’évader, un instant. Une poignée de secondes à peine. Une parole me ramène à la réalité. Je me retourne. Aussitôt, mes lèvres s’étirent sous un grand sourire, amusé et agréable à la fois. Je la dévisage rapidement, de la tête aux pieds, insistant brièvement sur la tête. Tifenn. Ah… Tifenn.  «  Sarah » lançai-je, taquin. Mes pensées me ramènent tout droit sur le parking, après que le casting. Elle, moi. Une embrassade de pacotilles. C’était presque mignon. Je l’observe rouler une cigarette. Elle me la tend. Vraiment très gentille cette jeune femme. Vraiment. Je la lui prends, observe mon bien un instant, jugeant brièvement la qualité de son travail avant de le glisser entre mes lèvres. « Merci » lui dis-je sous un sourire gracieux avant de sortir un briquet de ma poche et m’en servir pour allumer ma clope. Je tire longuement dessus, laisse cette délicate fumée m’envahir, dans toute mon intégrité, avant de l’expulser. Je tends ensuite cette cigarette vers la jeune femme. « Aller, j’suis pas un type comme ça, on peut partager. » lui adressai-je. J’attends qu’elle me la dérobe avant de faire quelques pas à peine, traînant légèrement les pieds, mains dans les poches, l'air penseur. Puis je me rapproche de la jeune femme, sans l’offusquer pour autant. Je guette son visage, ses lèvres, puis remonte dans ses yeux. Mon regard est vide de toute émotion. Doucement, je lui demande « tu crois aux coïncidences ? » Mon ton se voyait délicat, mon regard doux. En soit, une attitude presque enjôleuse, digne d’un lover de pacotille. Parce que, oui, j’allais sortir le grand jeu.

Sarah. Ce n’est pas vraiment le prénom qui ressemble le plus à Tifenn mais la brunette ne rétorque pas. Elle commence à avoir l’habitude qui l’appelle ainsi. Et puis elle est certaine qu’il le fait exprès alors elle ne peut pas lui en vouloir. Elle en vient même à sourire. Un sourire léger mais un sourire quand même. Dans son coin la demoiselle roule une cigarette qu’elle s’empresse de lui tendre pour payer la dette de tabac qu’elle a envers lui depuis leur dernière rencontre. Joanès vient remercier la remercier avant de caler le tout entre ses lèvres et de tirer longuement dessus. Elle le regarde faire un instant. Elle en oublie même de se rouler une clope. Faut dire qu’elle vient de se remémorer leur baiser et tout le tralala. C’est étrange mais elle aurait presque envie de recommencer. Seulement elle ne va pas le dire, ni même le faire parce que ce serait un peu déplacé et complètement stupide de toute façon. C’est la voix du garçon qui fait sortir la belle de ses rêveries. « Aller, j’suis pas un type comme ça, on peut partager. » Un sourire idiot vient s’inscrire sur Ses lèvres alors qu’elle pose hâtivement tout son matériel sur la dalle en bêton avant de se lever pour s’accouder à la rambarde. Elle ne vient pas s’installer trop près de Joanès. Elle tend son bras et attrape la cigarette qu’il lui tend et qu’elle porte à ses lèvres pour tirer dessus. C’est à ce moment-là qu’il décide de s’approcher de la brunette qui, étonnée, pose ses pupilles sur lui. Il l’observe et elle le sent. « tu crois aux coïncidences ? » C’est étrange parce que ça ne lui ressemble tellement pas tout ça. Il n’est pas comme ça le petit Joanès et Tifenn le sait bien. Elle le sait depuis le jour où elle a posé ses yeux sur lui, sur ce parking, sous cette pluie. Elle l’a senti lors de leur baiser. « Pas vraiment. » Elle lui confie ça d’une voix un brin hésitante en se demandant où il veut en venir. N’arrivant pas à détacher son regard azur du visage du garçon, la brunette reprends sur un ton franchement pas très confiant : « Pourquoi ? » Reculant d’un tout petit pas, Tifenn ne cesse de le regarder. Elle se dit que si elle le quitte des yeux un instant ça risque de jouer en sa défaveur. On se sait jamais à quoi s’attendre avec Joanès.

J’suis un beau parleur quand je le veux. Vraiment. Je me trouve beau parleur. Bon orateur. Passé professionnel dans le domaine du charme et du tact. Enfin, ce n’est que mon opinion, mais sans doute la plus importante. Soit. Croit-elle aux coïncidences ? Je la sens se perdre dans ses pensées. Comme quoi, je ne la laisse pas de marbre, la p’tite. Elle répond finalement que non, pas vraiment. Elle recule d’un pas, sans pour autant se détacher de mon regard. Elle m’interroge « Pourquoi ? » J’avance du pas dont elle a  reculé. Doucement, j’avance d’un nouveau pas, à peine remarquable. D’un ton relativement soigné, je lui réponds « Parce que, je ne pense pas que le fait de nous retrouver, ici, tous les deux, après ce qu’il s’est passé lors des castings soit une coïncidence. » dis-je. En effet, il y avait peu de chances qu’on se retrouve ensemble dans l’émission étant donné l’étendu de participants lors du casting. Mais pourtant. Si. Nous voilà. Nous deux. Amants de pacotilles et d’un instant d’échange de salive. Bon, ce n’est pas plus mal ; ça nous donnera une chance de conclure. Je m’approche d’un nouveau pas en lui disant : « C’est un signe ma belle. » Je lui adresse un large sourire. Au fond, ça n’a aucune importance. Je trouve mes répliques très saillantes. J’en suis même plutôt fier. Mon air charmeur s’illumine sur mon visage tandis que je lui adresse un sourire. Je plonge mon regard dans le sien. Je le voulais troublant, mais à vrai dire, le sien l’est bien plus. Il et si facile de si perdre. J’ai rarement connu quelqu’un dégageant autant d’énergie dans un simple regard. Vraiment impressionnant. Je poursuis dans mon discours. « Je penses qu’il ne faut vraiment pas passer à côté de ça… » Je m’approche davantage, la fait quelque peu reculer pour qu’elle atteigne la balustrade. Nos visages sont relativement proches. Je profite de cet instant, espérant qu’elle n’allait pas me repousser pour autant. J’insiste, et lui demande, gracieusement  « tu ne penses pas ? » Je souris légèrement amusé. En effet, son avis à ce sujet m’intéresse.

C’est quand même dingue comme ce garçon arrive à déstabiliser Tifenn en un seul regard, en quelques mots. Depuis le moment où elle a posé ses yeux sur lui la brunette ne cesse d’imaginer ce qu’il pourrait arriver entre eux si jamais ils venaient à se revoir. Comme là. Elle recule d’un pas et lui s’approche tout doucement mais surement. Elle n’arrive pas à détacher ses pupilles azurs des siennes. Les coïncidences, elle n’y croit pas. Ce n’est qu’un mot inventé par des personnes n’ayant pas vraiment de moment d’excitation dans leurs vies. Le genre de personne qui ne fait rien de ses journées et qui invente des prétextes idiots pour se donner de l’espoir et faire croire que leurs vies sont pleines d’imprévues. « Parce que, je ne pense pas que le fait de nous retrouver, ici, tous les deux, après ce qu’il s’est passé lors des castings soit une coïncidence. » Finalement, Joanès arriverait presque à lui faire croire en l’existence de ces petites choses. Ce qu’il sait passer lors des castings. Un mince sourire timide s’empare alors des douces lèvres de la belle qui recule d’un pas pour s’éloigner du garçon. Ce n’est pas qu’elle n’a pas apprécié le moment, c’est juste qu’elle ne veut pas passer pour une faible. Pour une nana facile. « C’est un signe ma belle. » La petite brune manque de faire un arrêt cardiaque lorsqu’il ose enfin plonger son regard dans le sien. On dirait qu’il prend un malin plaisir à la rendre toute chose. Son sourire charmeur la rend fébrile. Elle recule à nouveau sans se rendre compte qu’elle va très bientôt être prise au piège. Comme la fois dernière. Entre la balustrade et le garçon. « Je penses qu’il ne faut vraiment pas passer à côté de ça… » On dirait bien qu’il a remarqué parce qu’il avance encore et Tifenn recule à nouveau. Son dos vient tout doucement cogner contre le fer de la rambarde. Instinctivement la demoiselle détourne son regard de celui de Joanès pour regarder le vide en dessous d’elle. C’est tout de même haut. Pas moyen de s’enfuir par là. « tu ne penses pas ? » Il l’interpelle et c’est ce qui la fait sortir de son plan d’évasion. « P-pardon ? » Son regard vient à nouveau se perdre dans celui de son camarade. Bon sang, dans quels draps s’est-elle mise encore ? « J-je … Certainement. Oui. » Elle se trouve stupide et baisse la tête sans rien ajouter de plus. Il y a tout un tas de chose qui se bouscule dans sa tête. Il lui plait bien ce garçon. Il a un truc qui fait qu’elle l’aime bien. En fait il a tout un tas de trucs qui fait qu’elle l’aime bien. C’est tout à fait le genre de garçon pour qui elle craque d’habitude. Le genre de garçon qui s’amuse à la faire souffrir aussi. « J’ai le vertige. » qu’elle murmure sans pour autant relever la tête.

Je commençais vraiment à croire que je ne laissais pas cette demoiselle de marbre. Je m’en satisfaisais pleinement d’ailleurs. Je profite de sa vulnérabilité, sans doute. Mais tout de même ! Elle soutient mon regard, ne s’en détache pas. Je ne faillis pas non plus. Elle semble à peine m’écouter, être sur ses gardes. J’étais le grand méchant loup. Elle-même agissait comme si, à tout moment, j’allais la dévorer. Je la dévorerais bien. C’est vrai, elle est à croquer –c’était monsieur jeu de mots. Elle recule d’un nouveau pas, que je compense immédiatement. Elle en arrive contre la balustrade. Bloquée. A ma merci. Mais aussitôt, elle détache son regard du mien. J’essaye de le suivre, de m’immiscer dans ses pensées. Je cherche ses yeux, son regard. Quand je le retrouve, elle bredouille un ‘pardon’. Je lui adresse un sourire plus qu’amusé. Tout mon speech pour qu’elle n'en retienne rien ? Elle en a du cran. Elle se corrige, m’affirme que j’ai certainement raison. A vrai dire, je ne pense même pas qu’elle sache ce qu’elle acquiesce. Elle baisse la tête. Pourtant, je ne cesse de l’observer. A vrai dire, je pense qu’elle m’intrigue. Elle titille ma curiosité. Je n’arrive pas à la cerner, à savoir ce qu’elle veut, ce qu’elle pense. C’est frustrant. Je n’aime pas être frustré. Mais je reste attendri devant une telle fragilité. Il en faut pour que je daigne ressentir quoique se soit. Elle murmure avoir le vertige. Ah, bah, il fallait pas regarder en bas ! Elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même pour le coup. Je pourrais la laisser là, à la merci de ses démons. Mais j’suis pas comme ça. J’suis un type sympa. Au fond. « Tifenn » Je l’interpelle, d’une voix douce, qu’elle lève les yeux. Pour une fois que je prononce son vrai prénom, j’espère qu’elle saura le remarquer. Je pose mes deux mains sur ses épaules. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Une pulsion. J’me dis que ça devrait la rassurer ? Peut-être. Peut-être pas. « T’as pas de quoi avoir peur, il va rien t’arriver. » lui dis-je, sur le même ton, mais avec un malicieux sourire en coin. Ok, ok, je profite carrément de la situation. Au fond, j’aurais très bien pu la lâcher, reculer, et la laisser s’enfuir. Le résultat, pour elle, aurait sans doute été bien plus concluant. Mais, je n’estimais pas que ce soit le choix le plus intéressant, pour elle, comme pour moi. Je caresse son épaule de l’un de mes pouces, d’une manière quasi imperceptible. J’attends qu’elle relève la tête pour plonger mes yeux dans les siens. Je lui lançai un défi. Lequel ? Moi-même je ne sais pas. Mais je le lui transmettais. Machinalement, je me mordille le coin des lèvres, sans défaire l’étreinte de nos regards. Puis, d'un coup, je me détache d'elle. Je tourne mon regard sur la droite, remet mes mains dans mes poches. « Joli sweat. Tu l’as piqué à ton mec ? » demandai-je, taquin. Elle portait un sweat un peu trop grand pour elle. Les nanas qui portent des sweats trop grands sont soit des anciennes obèses, soit des cleptomanes. Elle a pas la tête d’une ancienne obèse. Et puis, au moins, comme ça, je saurais si elle est maquée ou pas. Mais même si elle l’est, ça ne m’empêchera pas d’agir comme je le souhaite.

Il y a un petit truc chez ce garçon qui fait que Tifenn se sent toute chose à chaque fois qu’il pose son regard sur elle. C’est peut-être idiot mais, à chaque fois qu’il la regarde la brunette peut sentir son cœur battre un tout petit peu plus fort contre sa poitrine et ses mains devenir moites. Ce n’est pas un coup de foudre car elle ne se sent absolument pas amoureuse et tout le tralala, mais c’est tout comme. Il semble juste qu’il lui plait bien le petit Joanès. Même si là elle est plutôt paralysée par la peur du vide, il lui plait bien quand même. Surtout quand il prononce son prénom. Son véritable prénom et pas un qu’il lui donne juste pour s’amuser. Il le dit avec une voix si douce qu’elle prend confiance et ose lever les yeux vers ceux de son camarade. Ses mains viennent se poser sur les épaules de la belle. Mains qu’elle observe un bref instant avant de se focaliser une nouvelle fois sur le visage de son interlocuteur. « T’as pas de quoi avoir peur, il va rien t’arriver. » Tifenn a bien envie de le croire. Sauf qu’elle a tellement peur qu’elle n’est pas vraiment satisfaite par les paroles de Joanès. « Tu crois ? » C’est la seule chose qu’elle arrive à articuler et encore d’une toute petite voix hésitante. La petite caresse qu’il est en train de faire son épaule est presque impossible à percevoir, mais Tifenn le ressent tout de même. D’ailleurs ce contact la fait frissonner. C’est fou cette faculté qu’il a à la rendre encore plus guimauve qu’elle ne l’est d’habitude. Les deux jeunes gens ne détachent pas leurs regards l’un de l’autre. Il l’observe comme s’il était en train de lui demander quelque chose, de lui lancer un défi. Elle fronce brièvement les sourcils. C’est là qu’il décide de lâcher la belle et de lui rendre sa liberté Il ne bouge pas pour autant et se contente juste de mettre ses mains dans ses poches. « Joli sweat. Tu l’as piqué à ton mec ? » Les pupilles de la brunette glissent vers le vêtement en question. Effectivement il n’est pas à elle. Il n’est pas à son homme non plus. Enfin si, mais … c’est compliqué. Bien trop compliqué pour lui expliquer. « À mon colocataire » Son ton est bas. On dirait qu’elle n’a pas envie qu’il sache qu’elle a un colocataire. Pourtant il n’y a pas de honte à ça. Ses yeux s’aventurent sur le visage de gamin du garçon. Il a un truc. Quoi. Tifenn n’en sait rien, mais il a un truc. Une toute nouvelle fois elle vient regarder dans le vide. Bon sang. Pourquoi elle se fait du mal comme ça ? Fermant les yeux, elle essaye de respirer normalement. Sérieusement entre Joanès tout proche d’elle et le vide derrière elle, la brunette est à deux doigts de la crise cardiaque là.

Je me voulais rassurant. Ca n’a pas semblait marcher. Elle n’est pas convaincue, mais le fait d’ailleurs remarqué par son ‘tu crois’. Bah oui je crois ! Elle ne peut pas être entre de meilleures mains que les miennes. D’autant plus qu’elle est adossée à la balustrade justement présente pour éviter toute chute. Elle ne peut pas tomber. Non. Aucune chance. Alors donc, bon voilà ! Je me contente de hocher positivement la tête, confiant. Peut-être même trop confiant. Quand je me détache d’elle, elle ne part pas pour autant. Elle ne bouge pas. Moi non plus. En même temps, on est bien là. Il fait beau. Belle vue. Aucun chieur de candidat dans les parages. Le pied ! Pourquoi bouger ? Ma question la laisse perplexe. J’en conclue qu’elle a un copain. Ouais, mais qu’elle veut pas le dire. Qu’elle ne veut pas ME le dire… Soit. Tant pis. Ca n’empêchera rien. Elle répond doucement qu’il appartient à son colocataire. Ah. Donc à son copain. Elle en dit bien plus sans un mot, qu’elle ne l’aurait fait avec une phrase. Mais je laisse couler. Si elle ne veut pas en parler, c’est qu’il y a une raison. Je respecte. Je balaye rapidement les environs de mes pupilles furtives. Comment ne pas apprécier une telle vue ?! En ayant le vertige, sans doute. Je souffle en m’apercevant que la jeune femme regarde à nouveau dans le vide. Sérieusement ? « T’es suicidaire ou quelque chose ? » demandai-je, sarcastique. C’est vrai, elle a peur du vide mais s’y plonge sans cesse. Je lui adresse un sourire railleur. Finalement je lui attrape le poignet, la tire vers moi alors que je fais quelques pas en arrière. Nous nous retrouvons au milieu du balcon, relativement proche. Son poignet est toujours captif entre mes doigts. Cette étreinte est quasi-insignifiante, mais je m’en satisfais. Je ne me fais pas oppressant pour autant. Si elle le veut, elle peut m’échapper. Je l’observe avec minutie, profite de cette proximité pour découvrir son visage dans le moindre détail. « Dans l’absolu, c’est tout comme si je venais de te sauver la vie…» lançai-je vers la jeune femme, fièrement. Elle a le vertige, je l’ai éloigné du vide. Clairement, je suis un héros. Certes, elle n’était pas à deux doigts de mourir, mais on ne sait jamais ; elle aurait très bien put l’être si je n’étais pas intervenu. Je baisse mon regard sur le sien, et ajoute plus doucement « Tu m’en dois une » Dans l’absolu, elle ne me doit strictement rien, mais c’est uniquement pour la forme. Je lui adressai malgré cela ces quelques mots d’un sérieux déroutant. Je suis opportuniste. Je finis lâcher son poignet. Ma main retrouve la poche de mon pantalon. « Alors, raconte un peu, ça s’passe ici ? Avec ton partenaire ? » demandai-je pour établir une nouvelle conversation. D’ailleurs, c’est qui son partenaire ? Je ne m’en souviens plus. Nuance, je n’ai jamais su. Pff, et de toute manière la relation qui se constitue entre deux partenaires, dans ma vision des faits, est totalement insignifiante. Si j’avais été avec Miranda Kerr, j’aurais peut-être une autre vision des faits, mais là, j’me retrouve avec un mec, Jouko, sympa, certes, mais avec qui je ne risque pas de vivre le grand amour, même pas un plan cul, alors bon, Cupidon il est plus que bidon.

La petite Tifenn a peut-être peur du vide, mais elle ne bouge pas d’un pouce. Elle reste là. Sans bouger. Faut dire qu’elle se sent bien tout proche du garçon. Sa présence la rassure. La protège. Le regard du garçon soutient celui de la belle qui ne semble pas avoir envie de s’en détacher. Parler de son colocataire est une façon comme une autre de lui dire qu’elle a quelqu’un dans sa vie. Seulement sa relation avec cette personne est tellement étrange qu’elle n’ose pas en dire plus. Elle n’a pas de mot pour décrire ce qu’elle vit depuis quelques années. De toute façon personne ne la comprendrait. Elle a peut-être froissé son interlocuteur en ne voulant pas lui dire plus. Il détache son regard de celui de la belle. Belle qui ne peut s’empêcher de regarder dans le vide. Encore une fois. « T’es suicidaire ou quelque chose ? » Son ton est plus railleur que d’habitude. C’est étonnant. Tifenn en est surprise. Les yeux clos, elle tourne la tête vers son camarade avant de poser son regard sur lui. Elle n’a pas le temps de dire quoi que ce soit que déjà Joanès lui attrape délicatement le poignet pour l’attirer vers lui. Vers le milieu du balcon. Il garde son poignet entre ses doigts. « Dans l’absolu, c’est tout comme si je venais de te sauver la vie…» Un petit sourire timide s’incruste alors sur le visage de la demoiselle. Lui sauver la vie, elle n’en sait rien. La sauver d’une crise d’angoisse, certainement. « Tu m’en dois une » Son regard croise à nouveau celui de la brunette dont le sourire s’intensifie légèrement. « Et je te dois quoi ? » qu’elle demande à voix basse. Presque en murmurant. Parce qu’elle est peut-être timide la demoiselle, mais elle n’en reste pas moins curieuse pour autant. Peut-être qu’il attend quelque chose en particulier. Il a l’air d’un garçon assez déterminé. Il doit déjà avoir une idée en tête alors autant qu’elle le lui demande et qu’il le lui dise clairement plutôt que de tourner autour du pot pendant cent ans. « Alors, raconte un peu, ça s’passe ici ? Avec ton partenaire ? » Ah, la fameuse question concernant ce début d’aventure. Tifenn hausse les épaules. « Il est gentil. » Après tout c’est l’une des seules choses qu’elle peut dire sur son camarade puisqu’il ne parle pas des masses et que, pour le moment, il ne lui a rien fait. Si on ne compte pas le jour où il a fait nominer d’office la demoiselle avec la roulette russe. « Il est réservé. » Un petit peu comme elle. Ils devraient bien s’entendre normalement. « Je n’ai rencontré que des gens gentils. » Pour le moment. Elle n’a pas encore eu l’occasion de passer entre les griffes de Jasmine. Tant mieux. Tifenn pense même ne pas s’approcher d’elle. Ce serait un petit peu comme s’approcher d’une bête sauvage prête à vous dévorer sans prévenir. « J’imagine que tout se passe bien pour toi. » C’est évident. Joanès est le genre de garçon pour qui tout ce passe toujours bien. Il a un physique plaisant. Il semble à l’aise en compagnie des autres. Il se sent comme chez lui un petit peu partout. Bref, c’est le genre d’aventure idéale pour lui. Il a tous les atouts pour aller le plus loin possible et faire tout ce dont il a envie.

Qu’est-ce qu’elle me devait ? Bah, la vie, et encore, c’est un euphémisme. Non, bien sur que non. Elle ne me devait rien. Je profite simplement de la situation pour lui faire croire que si. Ingénu, pas vrai ?! Mais tout de même, elle était au bord du gouffre la p’tite. Si elle ne s’était pas échouée par-dessus la balustrade, elle aurait sans le moindre doute fini par faire un arrêt cardiaque. « Tôt ou tard, je trouverais déjà » Quand j’aurais besoin d’un service, je la sifflerais ; elle pourra me faire la bouffe, laver mon linge, repasser mes chemises, ranger mes affaires, faire ma vaisselle, mon lit, me rouler des clopes à la chaîne, m’apporter le p’tit déjeuner au lit, cirer mes godasses, aspirer ma chambre, me faire une turlute… Je ne peux m’empêcher de retenir un sourire amusé en réponse à mes pensées trop extravagantes. Je suis imaginatif, opportuniste, machiste sur les bords. Je trouverais déjà quelque chose, en effet. M’enfin, si elle tient à me rembourser sa dette rapidement… « Mais si ça te tiens tant à cœur, tu peux toujours m’offrir ton corps, là, tout de suite. » ajoutai-je en haussant brièvement les épaules, tout naturellement. Je lui souris doucement, la rassure. Je vais finir par lui faire peur à la p’tite. Faudrait pas qu’elle me voit non plus comme le pervers du coin, ça la foutrait mal. Après, je ne dis pas non si elle répond positivement à ma proposition ; c’est vrai, elle est grande, je suis grand, elle est bien foutue, je le suis tout autant… Entre deux personnes bandantes et consentantes, où serait le mal ?! Elle finit par répondre à ma question sur son début d’aventure. Ca ne m’intéresse qu’à moitié. Le bout sur son partenaire davantage. Oui, en effet, je suis relativement curieux à ce sujet. Pourquoi ? Allez savoir. Je n’en sais rien moi-même. Elle dit qu’il est gentil. Ah. Ok. Bon, point, ils ont pas niqué. Elle ajoute qu’il est réservé. Ah, ok. Elle doit vraiment être avec une fiotte si elle-même, timide gente dame qu’elle est, le qualifie de ‘réservé’. Dans un souffle, je pouffe un léger rictus. Je pense trop fort. Elle ajoute qu’elle n’a que rencontré des gens gentils. « T’es super indulgentes quand même. » répondis-je. C’est vrai, ils sont tous plus faux les uns que les autres. Moi le premier. Mais ce sont les règles du jeu. Les trouver ‘gentils’ revient à croire au Père Noël. Elle croit au Père Noël ? Il semblerait. Elle est douce et indulgente, comment lui reprocher d’être naïve et optimiste ? Elle me retourne ma question. « Ouais, ça se passe » J’me fais pas spécialement bavard pour le coup. Ca se passe. C’est vrai. Mais sans plus. En même, je ne fais pas particulièrement d’effort pour aller vers les autres. Mis à part mon partenaire qui à pas l’air bien méchant… Honnêtement, je me contre fous des autres. Pourtant, je rebondis sur sa question : c’est vrai, pourquoi ça devrait bien se passer pour moi ? « Pourquoi tu dis ça ? » demandai-je, curieux d’entendre ses arguments. J’ai vraiment la gueule du mec le plus adorable du monde ? Bon Dieu, j’espère que non. Passer pour le mec gentil revient à passer pour le puceau de base. Non. Merci.