ANA.

Je me sors une tasse et fais bouillir rapidement de l'eau, manquant au passage de perdre l'usage de certains de mes doigts. J'entends un bruit près de l'entrée, ma tête pivote lentement vers celle-ci et j'accueille Ana qui débarque dans la pièce. Mes opales curieuses se posent sur Ana. Je ne peux pas m'empêcher, d'imaginer la scène à travers ce qu'Hadrien avait bien voulu me dire, dès que je la vois. Alors que je sais pertinemment que l'intéressé n'y songe déjà plus, mais je suis sa pensine. Je n'oublie rien. Mes incisives mordillent et martyrisent la chair de ma lèvre inférieure alors que je me complais dans le silence, bizarrement. Cette fille, inconsciemment me met mal à l'aise, enfin, peut-être pas jusque là, mais elle dégage une aura assez étrange, suffisamment pour que je m'emploie à la dévisager longuement en balayant toutes les manières que ma mère m'avait inculqué durant des années.  « C'est quoi cette histoire de tribu ? » je demande d'une voix cristalline presque intriguée. Parce que dans un sens, cela pourrait expliquer pas mal de choses, cela me rassurerait. A vrai dire, je suis partagée entre l'envie de savoir et celle de lui demander de plus embrasser Hadrien pour je ne sais quelle raison. Je ne m'en souviens même plus. Parce que je m'en fous qu'elle pense que c'était écrit dans son petit script interne. Cela ne sera jamais le cas. Alors je me contente de me taire parce que c'est ce que je sais mieux faire, parfois. « Tu en veux ? » je lui propose alors en désignant ma tasse de thé de mon regard azuré le temps qu'une fraction de secondes pour qu'elle comprenne de quoi je veux parler. Oui, il me reste encore quelques traces de politesse.

Cela fait bien longtemps que je ne me suis pas réveillée à une heure décente. Une semaine en réalité. Mais je réalise que les études, les témoignages d'anciens candidats de télé-réalité ont raison, on perd la notion du temps à force. Je ne vais pas exagérer en disant que j'ai l'impression d'être là depuis des mois, car ce n'est pas le cas. Le seul moment où j'ai ressenti ce ressentiment c'était lorsque j'étais totalement, complètement déconnecté de la société moderne. Là oui. Dès que mes parents sont morts le temps c'est rompu. Tout a volé en un milliers d'éclats. Ce ne fut pas facile, mais j'ai tout de même réussi à me reconstruire une ligne de temps. J'ai essayé de l'accorder au monde actuel, bien que tout est façade. Superficiel. Bref. Ce n'est pas le moment de ressasser le passé. Le fait de m'être éveillée si tôt va me permettre de réfléchir à une activité nouvelle. Tiens, pourquoi pas jeter un coup d'oeil au gymnase, peut-être que la production m'a entendu et a installé des arcs et des cibles. Je décide de m'habiller en conséquence, au cas où. Enfile un jean troué, un débardeur noir plus un gris. Je m'attache les cheveux en une haute queue de cheval. Je me regarde dans le miroir présent dans la chambre. Me récite une formule mathématique. Esquisse un bref sourire avant de descendre les escaliers pour rejoindre la cuisine. Sur la route, étrangement, je reprends mes habitudes quotidiennes, celle d'en dehors et me récite à voix basse, dix choses impossibles. Je termine pile la récitation de la dixième lorsque je pose un premier pied dans la cuisine. Tiens je ne suis pas seule, je retrouve une blondie. Clémentine je crois. C'est assez amusant que sa couleur de cheveux n'aille pas avec son prénom. Ma remarque me fait rire intérieurement, je ne préfère néanmoins pas la partager sachant pertinemment que ce genre d'idées ne fait rire que moi. N'ayant jamais eu l'occasion de lui parler, je ne me vois pas commencer de si bon matin. J'attrape une tasse, hésite entre thé ou café lorsque je l'entends omettre des mots. Je me retourne alors. Mon regard l'observe et l'analyse en quelques secondes. Je n'aime pas son ton, je n'aime pas sa question. Je ne lui ai jamais parlé alors comment peut-elle savoir? Je farfouille dans ma mémoire et réalise qui elle est. La copine d'Hadrien. Alors il parle en plus. Voilà pourquoi je n'aime pas les humains dit civilisés. "En quoi ça te concerne? " dis-je de mon ton habituel. "Et Non merci, je vais m'en préparer un toute seule." Je sens que cette matinée ne va pas être douce et tranquille comme j'ai pu le penser il y a quelques instants. Je lui tourne le dos pour préparer le dit thé. Je remarque qu'il reste encore de l'eau dans la bouilloire. J'en verse dans ma tasse puis met la petite boule de thé à l'intérieur. Je m'adosse alors au meuble et me remet à la fixer. Regardons ce qu'elle a dans le ventre.

La jeune femme donne le ton à la conversation avec ses réflexions teintées d'acidité. Son attitude me fait hausser les épaules, si elle commence sur cette voie on ne risque pas de s'en sortir ... Je considère que c'est de sa faute. Je me contente d'un simple sourire insolent qui orne mes lèvres en la regardant avec compassion. Elle peut jouer la sauvage autant qu'elle veut, cela n'empêchera la communication entre elle et moi. Je suis patiente, parfois. « Je vérifie simplement que tu ne te sers pas de cela comme d'une excuse fumeuse pour justifier ton attitude incohérente » j'explique simplement comme si cela coulait de source, en posant mes yeux clairs sur sa personne. Je ne sais pas si elle me provoque, je n'en n'ai aucune idée. Mais je ne joue pas. Elle ne m’intéresse pas, je vérifie simplement qu'elle ne bouscule pas mon écosystème. Or pour l'instant, elle représente une ombre floue qui gravite bizarrement autour d'Hadrien et ça me dérange. Je ne sais pas ce qu'elle lui veut, clairement, parce qu'il suffit de la regarder pour comprendre que son esprit est déviant. On est deux. C'est justement ça, qui m'inquiète. Je m'en fous qu'ils s'entendent bien, je n'ai jamais rien imposé à Hadrien, et ce n'est pas maintenant que cela va commencer, je ne veux simplement pas qu'elle se serve de tout et de rien pour justifier ses actes. A quand le plaquage sauvage contre le tronc d'un arbre sous prétexte qu'il s'agissait d'une destin ? A cette allure là, c'est la semaine prochaine. Mes prunelles inquisitrices la contemplent alors que dans une attitude puérile elle refuse mon offre. Ana se met à m'observer, à son tour. Je ne comprends pas. Elle joue à quoi ? Je cille un instant avant de ranger une mèche platine derrière mon oreille. « Et puis tu sais, si tu comptais garder un semblant de vie privée ici, tu t'es trompée » je lui indique de ma voix enfantine avant que mon bras ne désigne la sortie de la cuisine, dans un geste symbolique. Cette émission existent simplement parce que les gens s'amusent à disséquer notre vie. « Tu ne seras que la quatrième » je souffle en haussant les épaules, on avait déjà Ohana, Zelda, Auguste, si les conditions du jeu sont trop difficiles pour elle à accepter, elle n'a qu'à faire sa valise et faire place.

"Mon attitude incohérente?" Ce n'est pas parce que je ne suis pas certaines normes que je suis incohérente. Je trouve ça très facile de juger des comportements dont elle n'est pas témoin. Encore une fois c'est un jugement qu'on me porte sur ma personne sans avoir essayé, une seule fois de me connaître. "Le fait d'avoir vécu en compagnie d'une tribu n'a rien à voir avec le fait que j'ai embrassé, si on peut appeler ça un baiser, Hadrien." Non parce qu'au final si elle daigne me parler c'est parce que j'ai touché son petit protégé. A un moment donné il ne faut pas trop se moquer des autres. J'ai beau être à l'ouest je suis tout de même assez intelligente, même plus qu'intelligente pour déceler de la jalousie dans ses propos. La jeune femme se sent menacée alors que franchement il n'y a pas de quoi. C'est dingue comme un geste peut être interprété de mille et une façon. Ses remarques suivantes ne sont pas d'une grande volée non plus. Elle ne comprend rien ma parole. Elle a beau être blonde, cela ne doit pas souvent s'illuminer dans son petit crâne. "Non pas spécialement.Si tu me connaissais un minimum ou du moins mon parcours dans l'aventure tu saurais que je suis parfaitement au courant de cette vie privée dévoilée. Je trouve cela juste étonnant que tu viennes m'en parler avec si peu de délicatesse et tellement de subtilité." Ils en raffolent malheureusement. "Sois franche et crache ta question ou alors sors moi ta petite menace. De toute manière je ne vais pas vraiment en apporter une grande importance." Pas que ses paroles vont rentrer dans une oreille et en ressortir par une autre, tout simplement parce que je n'ai pas prévu de me mettre en couple, encore moins avec Hadrien. "Je ne vais pas abandonner la partie blondie. Tu peux penser ce que tu veux sur moi, tu es loin du compte. Tu as beau avoir entendu quelques phrases par-ci par là, tu as beau croire que tu peux omettre un jugement sur moi, tu as décidé de me parler dès que tu as eu vent de cette histoire dans les bois." Ce qui est pour ma part assez hypocrite de sa part. Puis le fait de parler de la sorte d'Auguste m'agace. Bien qu'elle n'a pas tort, bien que mon avis rejoigne le sien par rapport aux différents abandons, je ne peux en vouloir à Auguste. Candidat dont je m'étais étonnamment et fortement attaché.

Je fronce simplement les sourcils en l'écoutant, et puis, c'est la première fois que j'entends aussi longtemps le timbre de sa voix. Que je lui pose ma question ? Cela risque d'être difficile sachant que j'en ai aucune précisément qui se fracasse dans mon crâne. Juste une vague incompréhension face à ce qu'elle débite. « Quelle menace ? » je lui demande étonnée en cillant. « Ta réalité est biaisée Ana » je lâche de ma voix cristalline alors que mes prunelles azurées s'en vont scruter son visage à la recherche d'un signe, d'un indice. Parce que je ne comprends pas ce qu'elle me sort, ni de quoi elle me parle. Je note simplement qu'elle s'emballe pour rien. Si cela me contrarie ? Nullement, je suis simplement gênée pour elle. Je pince délicatement mes lèvres entre elles. On ne semble pas évoluer dans le même monde puisqu'elle arrive à tirer des conclusions inexistantes dans tout ce que je dis. Apparemment, elle n'a pas apprécié la proposition que je lui faisais sur une possible sortie par la petite porte et elle s'emporte. « Je ne pense rien de toi, c'est bien ça le problème » je réponds platement, parce qu'elle reste une case blanche, vierge, que je voudrais bien griffonner mais son attitude pseudo défensive me laisse de marbre. Je me contente d'hausser un sourire lorsqu'elle laisse entendre que je la juge, alors c'est qu'elle ne comprend rien, j'esquisse un simple sourire. « Je ne juge pas ceux qui m'indiffèrent » j'ajoute d'une voix cristalline parce qu'il ne faut pas qu'elle exagère la mince attention que je pourrais lui porter. Il est vrai que j'apprends son existence simplement parce que la sienne a frôlé celle d'Hadrien. Suffisamment pour cela m'interpelle. « Je tentais de comprendre  » je réponds d'une voix blanche en haussant les épaules avant d'avaler une gorgée de mon thé. Mais je ne vais pas m'attarder sur ce qu'elle est, puisqu'elle se sent obligée d'être agressive ou même piquante. Les rapports de force ne m'ont jamais attiré, alors encore moins avec elle. Maintenant, je pense qu'elle peut disposer, je ne cherche pas la négativité qui semble s'infiltrer en elle au fil des minutes, sans que j'en comprends la source, c'est comme si j'étais déjà condamnée avant même d'ouvrir la bouche. Je n'aime pas les causes perdues. Ou alors c'est que je n'ai pas son mode d'emploi, mais je ne le chercherais jamais.

C'est à en devenir folle ce début de conversation. Certes je m'emporte, mais je commence à en avoir assez de ces non-dits. Ne peut-on pas avoir des conversations banales. Je m'en plains très rapidement et très facilement, mais cela ne veut pas dire que je ne les préfère pas à ce que je vis en ce moment. Pour blondie ma réalité est biaisée. Sur le coup je ne sais pas trop quoi répondre. Pas parce qu'elle a réussi à me la fermer, tout simplement parce qu'elle ne doit pas avoir tort. Je ne me sens pas proche de sa réalité, je discerne deux sens, deux mode de vie entre elle et moi. Je pense que dans d'autres circonstances nous aurions pu nous entendre. Rien n'est tout blanc, rien n'est tout noir. Tout est d'un joli gris comme dirait mon père. "Je t'indiffère donc?" dis-je totalement perdue. Oui elle a réussie à me perdre. Il me faut une demi-seconde de réflexion pour reprendre le fil de notre conversation. Si je lui importe peu, ce qui l'inquiète alors c'est ma relation avec Hadrien, quoi que pas tant que ça vu qu'elle n'a pas prévu de me menacer de quoi que ce soit. Je recommence à ne plus savoir où j'en suis. "De me comprendre? Dans quoi?" Je commence à avoir cette drôle d'impression d'être un sujet scientifique. Un spécimen rare tout juste d'être transféré dans un zoo. Je ne comprends pas ses véritables intentions et avale une gorgée de mon thé pour essayer de m'éclaircir l'esprit. Sans succès.

(terriblement mauvais désolée :s)

Elle se tait. Je me contente d'avaler une gorgée de mon thé, en l'observant, je l'imaginais partir en emportant avec elle les traces de notre surement dernière conversation au sein du Nid. Un départ symbolique, du moins. Mais la candidate me fait toujours face. Étrangement. Ana veut une confirmation. Je pense être plutôt limpide. « Depuis deux minutes, oui » je réponds en esquissant un vague sourire alors en arquant un sourcil. Depuis qu'elle s'est mise en mode défensive pour simple question et semble me prendre pour une conne et après, c'est moi qu'on accuse de juger. J'ai un peu du mal avec cela, alors, plutôt qu'alimenter un conflit inutile et inexistant à mes yeux, je pense que je vais me contenter de lui offrir mon indifférence. Cela sera mieux pour elle, comme pour moi. J'ai la très nette impression qu'elle s'imagine que je m’intéresse à elle, sous prétexte qu'elle est différente. Sauf qu'on l'est tous, sinon, on ne serait pas ici, à étaler notre vie insipide aux autres des autres. Je ne cherche pas à connaître sa vie, je veux juste avoir une bride d'explication concernant ce qu'il a bien pu se passer dans son crâne pendant l'épisode la biche, simplement parce que je suis curieuse. Que c'est inscrit dans mon patrimoine génétique, je ne peux pas lutter contre cela. Je crois que je l'ai perdu en court de route, tant pis pour elle, vu que j'ai très mal accueillie la première fois, et bien tant pis pour elle. « Ton attitude » je réponds simplement alors, en haussant les épaules comme si cela était une évidence pour moi. « Pourquoi ? » je lâche du bout des lèvres en fronçant les sourcils. Pourquoi ? Même Hadrien se posait la même question, c'était soudain, surprenant. A la différence, c'est que lui, il oubliait.