Il avait fait son possible pour prendre sur lui toute la semaine, et jusqu'à présent il pensait ne s'en être pas trop mal tiré. Oh bien sûr, aux yeux des plus ouverts il devait malgré tout déjà avoir reçu l'étiquette de type peu bavard et donc peu aimable, comme si les deux allaient forcément de paire, mais parce qu'il avait conscience de ses propres efforts Sayid estimait quand même ne pas avoir démérité. Est-ce qu'il serait capable de tenir sur la durée, ça il n'en avait pas la moindre idée en revanche ... Il avait simplement assez de jugeote pour avoir conscience qu'engager la conversation par "les gens m'emmerdent, et toi aussi" n'était sans doute pas la meilleure manière de prouver qu'il méritait sa place de l'autre côté du portail. Il avait une bonne raison d'être là, quoi qu'on puisse en penser, elle ne se situait simplement pas dans "la beauté de l'aventure humaine" ou dans "le désir d'aller à la rencontre de son prochain" et au fond personne n'avait jamais affirmé qu'il s'agissait d'une condition obligatoire. Il était là, simplement, et il tentait de s'en accommoder au même titre que les autres, non sans imposer ses propres conditions. Il se couchait tard et il se lavait au milieu de la nuit, quand il était certain d'avoir la paix, déjà. Mais puisqu'il n'était ce soir pas encore assez tard à son goût il zonait près du feu de camp, ayant finalement décidé de s'y asseoir et fixant les flammes d'un air absent. Il n'était pas d'humeur à faire la conversation, et pour cette raison lorsque Gigi était venue s'installer non loin de lui il n'avait pas bronché, relevant à peine sa présence. Il avait retenu rapidement son nom à elle, elle passait difficilement inaperçue de toute façon, mais il n'arrivait pas encore à savoir s'il la trouvait agaçante ou attendrissante. Évite de lui dire ça, retiens-toi. « Sayid c'est ça ? » Il avait relevé les yeux vers elle, mécaniquement, se contentant de hocher la tête de manière presque imperceptible pour répondre à sa question, mais attendant de savoir ce qu'elle comptait ajouter ensuite. Parce qu'elle avait une idée derrière la tête, cela se voyait aussi facilement que le nez au milieu de sa figure. « Tu voudrais bien faire quelque chose pour moi ? » Sourire légèrement narquois, c'était tellement prévisible. « Je ne vais pas te demander de tuer un insecte, je te rassure. » Heureusement, parce que lui n'avait pas changé sa vision des choses à ce sujet depuis le début de la semaine. Il n'était pas spécialement un fanatique des insectes, même si depuis qu'il vivait en Afrique il avait appris à s'habituer à certains d'entre eux, mais il ne voyait pas en vertu de quoi lui ou quelqu'un d'autre s'octroierait le droit de vie ou de mort sur un autre être vivant. « Ça tombe bien, ma réponse n'aurait pas changé. » Il n'avait pas vraiment saisi la boutade ou l'ironie dans la réflexion de Gigi, mais qu'importe. Sa réponse en tout cas n'était ni accusatrice ni agacée, il ne s'agissait que d'un fait qu'il estimait légitime d'établir. Et donc, si ce n'était pas ce qu'elle comptait lui demander ... ? « Par contre je veux bien un câlin pour mon anniversaire, tu ferais ça ? » Il était resté interdit un instant. Il ne doutait pas du sérieux de la question pour la simple et bonne raison que tout était aux yeux de Sayid du premier degré pur et dur, mais il ne savait pas trop comment il était supposé réagir. « Heu ... si tu veux. D'accord. » Il était peut-être le premier surpris de sa réponse, mais malgré son acceptation il restait là, assis à la même place et sans effectuer le moindre mouvement de nature à entamer un rapprochement. C'était elle qui demandait après tout, alors c'était à elle de venir chercher son dû ... et le temps qu'il parvienne à se remettre sur ses jambes pour se lever, ils seraient encore là demain ou presque, alors il valait mieux que ce soit elle qui se déplace. « Joyeux anniversaire. » avait-il finalement laissé échapper à voix basse, tentant une esquisse de sourire, gêné, tandis qu'il jetait son mégot de cigarette dans le feu pour s'en débarrasser. C'était devenu un concept un peu lointain pour lui, il n'avait pas fêté son anniversaire depuis plusieurs années, ce n'était qu'un jour comme les autres à ses yeux, et la volonté de certains à vouloir faire de ce jour quelque chose de spécial le laissait un peu perplexe.

Sayid ne savait pas trop quoi penser de Gigi. Au premier abord elle ne lui avait pas fait bonne impression, à la fois à cause de cette histoire de papillon et parce qu'elle respirait le luxe et la futilité à plein nez ... Mais maintenant qu'il la voyait là, l’œil triste et l'air penaud, il était perturbé parce qu'il se rendait compte que son premier jugement avait peut-être été un peu hâtif, et par conséquent erroné. Et il n'avait pas l'habitude que sa première impression ne soit pas la bonne, généralement il jaugeait les gens rapidement et sans se tromper ... Mais il n'avait jamais croisé personne comme Gigi avant, non plus. Elle semblait en tout cas contrariée à l'idée de passer son anniversaire devant ce feu de camp, dans ces abysses, mais il n'y avait pas besoin de la connaitre en détails pour se douter qu'elle devait être habituée à fêter son anniversaire comme une princesse. Et si la notion d'anniversaire n'avait aux yeux de Sayid pas de réelle importance, il avait tout de même pris sur lui et tenté de faire un effort pour le lui souhaiter ; Sans trop mal s'en sortir puisqu'elle avait répondu « Merci. » d'un ton enjoué. Pour autant il n'avait toujours pas accédé à sa requête principale, un câlin, puisqu'il n'avait pas bougé d'un millimètre et se contentait de la regarder sans plus la quitter des yeux. Comme s'il attendait que ce soit elle qui s'y colle, parce que lui ne savait pas trop comment il était supposé procéder. « Tu as pas trop l'air de savoir comment faire un câlin ... » C'était donc bien l'impression qu'il donnait. Et pourtant ce n'était pas entièrement la vérité, bien sûr que sur le principe il savait, ce n'était simplement pas ... dans ses habitudes. Sayid avait la vie décousue d'un mec qui gardait peu de place pour la tendresse envers son prochain, tout dans ses relations était soit platonique soit sexuel, il ne connaissait pas la demi-mesure. Sauf avec ses animaux. De la tendresse il en avait envers ses animaux parce que c'était ainsi qu'ils communiquaient, parce que quand un jeune singe voulait témoigner son affection s'accrocher au cou de la personne qu'il avait devant lui était sa seule manière de le témoigner. S'étant en tout cas rapprochée de lui, Gigi avait continué « Ouvre tes bras. » Il avait à nouveau eu un moment de flottement, un de trop au goût de la jeune femme sans doute puisqu'elle avait fini par se charger de le faire s'exécuter, se blottissant finalement contre lui avant de chuchoter « Tu dois me serrer avec tes bras maintenant. » Oui, ça aussi il le savait en théorie, et bien que perturbé avec la jeune femme ainsi serrée contre lui, il avait fini par se prêter au jeu et refermé doucement ses bras autour de ses épaules. Il se tenait pourtant toujours un peu raide comme un piquet, pas parce qu'il n'était pas à son aise mais justement parce qu'il ne parvenait pas à déterminer s'il l'était ou non. A l'aise. « Est-ce ... ça va ? » avait-il enfin décidé de demander, ses muscles se détendant peu à peu, au fil des secondes. Il se disait que cela devait être la chose à demander, que pour chercher ainsi de l'affection auprès d'un inconnu quelque chose devait la tracasser ... Le besoin d'affection n'était tellement pas inné chez lui qu'au fond il ne lui était même pas envisageable que certains puissent simplement aimer ça, sans raison. « Tu fais toujours confiance aux inconnus ? » Ce n'était pas un reproche. D'ailleurs, le ton de sa question était, comme presque tout le temps, entièrement neutre. A vrai dire c'était simplement une interrogation de sa part, parce que la confiance était une vertu dont certains étaient plus pourvus que d'autres et que Sayid ne faisait pour cela non plus pas partie des plus gâtés.