COOPER

Laver le linge. J’étais, dans ce domaine comme dans bien d’autres, aussi volontaire et habile qu’un homme. Pour traduire, ça me faisait royalement chier et j’y mettais la plus mauvaise volonté du monde. Dans mon appartement je me contentais d’accumuler les vêtements sales dans un grand panier, puis d’aller à la laverie automatique au maximum une fois par mois. Et je n’étais pas du genre à asseoir mes petites fesses en bouquinant, ce qui m’avait déjà valu un vol de soutien-gorge plutôt honteux. Une fille aux seins aussi petits que moi c’était repérable à deux cents mètres, mais en jouant les guetteurs pendant une semaine d’affilé j’en étais venue à me demander s’il ne s’agissait pas d’un pervers qui sniffait désormais mes sous-vêtements. Le point positif du château c’était donc la machine à laver. Ne manquerait plus qu’on doive aussi se taper la corvée comme à l’époque des chevaliers. Aller tremper mes petites culottes dans l’eau de la rivière, ce n’était pas vraiment mon trip. Je plongeais la main dans mes affaires humides afin de tester l’efficacité de la machine, et en retirai à ma plus grande surprise une espèce de slip, qui –de toute évidence-, ne m’appartenait pas. Masculin, visiblement, vraiment moche, et rose fluo pour couronner le tout. Non mais honnêtement, qui mettait encore des slips à notre époque ? Et pas du bio en plus, ça non. La pub de PACT, ça ne lui disait rien ? J’entrepris, passablement agacée, de dissocier nos fringues pour mieux s’y retrouver, lorsque je constatais avec horreur que ma belle chemise de nuit –comprenez par là t-shirt XXL- était devenue rose pâle. « Abruti ! » L’impatient ne s’était donc pas contenté de polluer ma machine avec ses vêtements pourris, il avait coloré en rose tout le contenu. Laissez-moi rectifier, j’avais davantage de notions qu’un homme en matière de linge, je savais au moins qu’il fallait dissocier le blanc des couleurs avec certains produits. Dans un mouvement de rage je plaçai mes pouces dans le magnifique slip rose meurtrier comme on tend un arc, prête à l’expédier à l’autre bout de la pièce. Et je n'avais pas l'intention de m'arrêter en si bon chemin, ayant la ferme intention de faire suivre à ses petits amis le même chemin, direct sur la toile d'araignée qui trônait dans le coin de la pièce. Le lancer de slips, vous connaissez ?

La faim me tiraillait l'estomac depuis une bonne heure. J'avais pourtant bien mangé ce midi, mais c'était ainsi, mon estomac ne semblait jamais rassasié, il en demandait toujours plus. Je ne comprenais pas comment les filles pouvaient se contenter d'une maigre petite salade. Pour ma part, un repas devait comprendre une bonne ration de légume, et surtout un bon gros morceau de viande. Ou de poisson, mais que diable, contenter mon estomac. Oui je mangeais pour deux, et alors ? Avec ma corpulence de toute manière, il fallait bien ça non ? Bref, dans la mesure où je n'allais pas me faire la cuisine à une heure pareille, je décidai de me rendre dans le cellier, pour grignoter quelques conneries. Oui c'était mal, mais de toute façon, rien qu'un peu de sport ne pourrait faire disparaître. Lorsque je pénétrai dans la pièce, sans même comprendre ce qui m'arrivais, bim, je fus aveuglé, me prenant un projectile en pleine tronche. Enlevant le vêtement de mon visage, je pu constater qu'on venait de m'attaquer avec...un slip rose fluo ? Eurk. Je m'empressai de le jeter par terre. Je levai alors le regard vers mon agresseur. Sixtine.  « C'est comme ça que tu accueilles ton coéquipier ? » Voilà qu'elle tenait dans la main, ce qui semblait être une chaussette, prête à me la balancer.  « Je t'ordonne de poser immédiatement cette chaussette, la violence n'est pas la solution. »

« Oh désolée ! » Je pris un air faussement navré, en vérité ça m’avait plus amusée qu’autre chose. Recevoir un slip fluo dans la figure n’était certainement pas l’accueil auquel il s’attendait. J'esquissai un sourire malicieux, glissant ma main dans mes cheveux blonds venus voiler ma vue pendant mon combat avec le linge. « Je ne voudrais pas empêcher le seul membre de l’équipe qui se bouge un peu de nous rapporter des points. Parce que là on se fait ratatiner comme des moucherons. » Il me semblait que Cooper avait rempli sa part du marché, attrapant quelques asticots lors de la soirée, et répondant aux défis du mieux qu'il le pouvait. Il avait alors grimpé dans mon estime de quelques barreaux. Cependant il fallait bien l'avouer, cela n'avait pas suffi à faire la différence. « Remarque, au point ou on en est . . . » Je lançai la chaussette dans sa direction. Au moins ne pourrait-il se plaindre de l’odeur, elle sortait tout droit de la machine, et elle aussi était devenue aussi rose que la panthère. J’étais prête à utiliser mes munitions suivantes lorsque je m’arrêtai soudain, comme si je venais de comprendre la théorie de la relativité. Entre mes mains, je tenais une jupe qui ne m’appartenait pas non plus. Finalement, peut-être m’étais-je trompée sur le sexe du propriétaire de ces fringues. Ou alors . . . « Dis, tu viens récupérer tes affaires chéri ? » Je lui jetai un œil suspicieux. Son secret c’était peut-être un truc du genre : je suis un mec super sexy la journée et je me transforme en drag queen une fois la nuit tombée. Parce qu’honnêtement, c’était une drôle de coïncidence de se pointer comme une fleur juste quand la machine était terminée. J’attendais sa réponse, mon index tenant la jupette avec sa première phalange, l’éloignant de moi comme s’il s’agissait d'une tranche de fromage périmé. « J'ai un beau rouge à lèvres pour aller avec celle-ci. »

« Je ne voudrais pas empêcher le seul membre de l’équipe qui se bouge un peu de nous rapporter des points. Parce que là on se fait ratatiner comme des moucherons. » Ah ça pour sur, on se faisait ratatiner, et en beauté. Franchement, pouvions nous vraiment parler d'équipe ?  « Oui ça serait vraiment dommage » Alors poses cette fichue chaussette, non mais ! Je m'approchai prudemment d'elle, ne voulant pas faire de gestes brusques, pour ne pas l'effrayer. Un accident était si vite arrivé. Sauf que voilà, elle ne semblait pas encline à rendre les armes. Non au contraire... Voilà que contre tout logique, elle décida quand même de me balancer à la figure la chaussette. Garce. Ayant tous mes réflexes, je la rattrapai au vol, avant qu'elle n'atteigne mon visage. Ainsi donc elle avait osé. Moi qui venait pourtant en paix.  « Je retiens. Trahi par sa propre équipe. On ne peut plus faire confiance à personne de nos jours. » Elle devrait avoir honte ! Voilà maintenant qu'elle s'emparait d'une jupe. Quoi ? Elle comptait aussi la faire voler à travers la pièce ? Comprenez bien que je ne la laisserais m'attaquer trois fois d’afillée, non non non. « Dis, tu viens récupérer tes affaires chéri ? J'ai un beau rouge à lèvres pour aller avec celle-ci. » Haha. Ne me dîtes pas qu'elle pensait réellement que tout ceci pourrait m'appartenir ? Etait ce pour cela qu'elle m'attaquait injustement ?  « Je te remercie, mais j'ai déjà le mien. Je déteste emprunter celui des autres filles tu comprends. Par soucis d'hygiène. » Inutile de préciser que je plaisantais. Je m'approchai alors des étagères remplis de nourriture, et attrapai un paquet de Granola.  « C'est ça que je suis venu récupérer » dis je, en portant un gâteau à mes lèvres.

Zut, il avait de meilleurs réflexes que ce que j’avais imaginé, stoppant ma pauvre chaussette en pleine course. J’esquissai une moue boudeuse, j’étais mauvaise perdante. Je plaçai mes mains sur mes hanches, lui jetant un œil en biais. « Personne, surtout dans ce château tu devrais pourtant le savoir ! » lui rétorquai-je un sourire espiègle aux lèvres. Une petite attaque de linge propre, ce n’était pas bien méchant. Et puis rien ne nous obligeait à agir en équipe constamment, n’est-ce pas ? Devoir unir nos forces pour les défis étaient déjà assez douloureux, vu le taux de réussite. Lorsqu’il me rétorqua avoir son propre maquillage je ne pus m’empêcher de rire franchement, reposant la jupe sur la table centrale en signe de paix. « Je voulais te buzzer sur ce secret mais si ce n’en est pas un . . . » lâchai-je avec une fausse pointe de déception. Je continuai alors mon tri tandis qu’il s’emparait d’un paquet de gâteaux. Gourmand. Il allait se couper l’appétit s’il continuait de grignoter comme ça. N’en pêche, il me donnait sacrément envie. « J’pensais que tu surveillais ta ligne pour être foutu comme ça. Tu cherches à rendre quelques téléspectateurs jaloux ? » Je détachai mes yeux bleus des petites culottes que je pliai pour détailler son corps avec une insistance exagérée. Non mais je ne plaisantais pas, j’avais toujours imaginé que les gars musclés dans son genre étaient à la limite de l’anorexie, surveillant chaque aliment en inspectant soigneusement le nombre de calorie. Je me replongeai dans ma tâche avec une grimace, saisissant un t-shirt assez long qui me servait de chemise de nuit avec dépit. Lui aussi était d’un rose délavé particulièrement hideux. « C’est horrible ce rose, à jeter, qu'est-ce que je vais pouvoir en faire ? » Je l’interrogeais sans vraiment le regarder, absorbée par ce spectacle écœurant. On aurait dit les fringues des Bisounours mélangées à celles des Teletubbies.