Waou quoi, j'en venais sérieusement à me demander si en fin de compte certains de mes camarades n'avaient pas raison. Peut-être que quelque chose clochait véritablement chez moi, car pour se lever à même pas neuf heures trente il fallait forcément avoir un grain. Ou avoir passé une nuit de merde, comme ça avait été mon cas. Autant dire que la bonne humeur n'était pas franchement au rendez-vous, loin de là. Même, j'avais une tête de déterré qui ne manquerait certainement pas d'effrayer bon nombre de mes camarades. Oh oui c'était certain. Malgré une mine fatiguée et un teint un peu pâlichon, je ne perdais rien de ma superbe. Bien sur. La perfection, même partiellement atteinte, restait la perfection. N'ayant rien à faire de ma peau ce matin, et au vu de la faim qui commençait à se faire ressentir, je crus bon de rejoindre la cuisine, persuadé du fait que je serais le seul éveillé à une heure si matinale. C'était pourtant sans compter sur la présence d'une jeune femme dans la dite pièce - Laoise si je ne me trompais pas. En me voyant arriver, et sans même remarquer le fait que j'avais la tête dans le cul, la demoiselle m'adressa ce qui me sembla être une question. « Tu viens m'aider à nettoyer ? » S'en était forcément une, à en juger le ton interrogatif de sa réplique. J'espérais bien que s'en était une d'ailleurs. « Attends, tu plaisantes je suppose ? » Non parce qu'autant me le dire tout de suite, s'il s'agissait d'un blague pourrie effectuée de très bon matin. Je n'étais pas franchement disposé à rire là, vraiment pas. « J'ai la gueule d'un type prêt à s'foutre à quatre pâtes pour nettoyer les conneries d'ses camarades ? » Absolument pas, et elle ne pourrait certainement qu'approuver ce fait. Et sinon, il était possible de manger ici ou ?... ou devais-je attendre que le grand nettoyage ne soit effectué ? Une chose demeurait certaine : elle devrait se débrouiller seule. J'étais comme qui dirait l'homme invisible de cette cuisine.

Certains prenaient leurs rêves pour la réalité, vraiment. Cette jeune femme dans la cuisine, ce matin, semblait bel et bien persuadée du fait que j'allais mettre ma mauvaise humeur de côté pour l'aider à nettoyer des cochonneries dont je n'étais aucunement responsable. Eeeeeeet puis quoi encore ?! Je ne pensais tout de même pas avoir la tronche d'un mec prêt à faire une bonne action, et surtout à se salir les mains rien que pour ses beaux yeux. Vraiment, j'en avais l'air ? « Oui. » Ah vraiment ? Mais heu, d'où est-ce qu'elle se permettait de me demander de l'aider à faire le ménage alors qu'on se connaissait à peine, voir pas du tout, elle et moi ? Voyons, je me voyais mal me mettre dans une situation fort dégradante pour une nana qui me connaissait de toute évidence déjà très mal. « Alors d'jà, t'es myope. » Car cela se lisait direct sur mon visage que lorsqu'il s'agissait d'aider mon prochain, je me défilais. Je détestais rendre service - ça étonnerait vraiment quelqu'un ? La demoiselle semblait plus que jamais déterminée à me faire craquer. Avec le peu d'heures de sommeil que j'avais au compteur, il était en effet facile de me faire agir contre mon gré. Elle s'en était probablement rendue compte, et jouait de ça. « S'il te plait... » Et allez que je vous sors les yeux de biches. Raaah, comment résister à c'la, je vous le demande. « Bon, je suppose que tout gentleman digne de ce nom ne pourrait te laisser t'en occuper seule plus longtemps... » Je n'étais qu'un être faible. Honte à moi. Par ailleurs je ne disais jamais non à une jolie jeune femme, c'était l'un de mes principes. « Alors dis-moi, en quoi puis-je me montrer utile, dans l'immédiat ? » Maintenant que j'étais là et que j'avais exposé mes faiblesses, autant servir à quelque chose. Toutefois, elle n'aurait pas franchement intérêt à profiter de moi et de ma bonté. À croire que lorsque je n'étais pas bien réveillé, on pouvait me faire faire absolument n'importe quoi. Ça n'était pas bon pour moi, ça. Non, pas bon du tout.

Je n'en revenais pas moi-même : j'avais accepté d'aider la demoiselle, réellement. Mais qu'est ce qui m'était bien passé par la tête, à ce moment précis, pour ainsi lui donner la réponse qu'elle attendait et qu'elle n'attendait plus à la fois ? Putain, ce que je pouvais être con parfois. S'en était désolant. Mais puisque j'étais visiblement d'humeur généreuse, il y avait forcément quelque chose que je pouvais entreprendre afin de décharger un peu la jeune femme. « Peut-être que... » Vous allez voir qu'elle allait profiter de la situation pour me foutre dans les pattes la tâche la plus chiante. Celle qu'elle rêvait de me refiler, celle qu'elle ne se voyait juste pas le moins du monde effectuer. « tu pourrais t'occuper de nettoyer les dégâts du concours de la plus grosse éclaboussure de jus de tomates ? » Ah, ça ? Bah je m'attendais à pire, franchement. Ça n'était jamais que quelques trainées rouges sur un mur. Un coup d'éponge et hop, on n'en parlait déjà plus, non ? « Ouais je pourrais... et j'vais le faire d'ailleurs. » Qu'on me prenne en photo, car j'allais d'un instant à l'autre me saisir d'une éponge et passer celle-ci sous l'eau avant de ne frotter délicatement sur le mur pour effacer les traces de tomates étalées sur ce dernier. Je voulais faire les choses bien, quand même. « Merci. » Bah, quelque part ça ne m'avait pas tué. J'étais même prêt à l'aider pour autre chose si il demeurait encore une tâche à me confier dans cette cuisine. « Pas d'quoi. Hum, autre chose peut-être ? » Vous ne rêvez pas, il semblait que je n'en avais jamais assez. Une trace de tomates d'effacée et voilà qu'il fallait à nouveau m'occuper. Rassurez-vous, je ne me reconnaissais pas non plus. Je portai le regard sur la demoiselle, à nouveau, comme intrigué et curieux à la fois. J'avais comme un doute en ce qui concernait son prénom, d'un coup. « C'est bien... Laoise, je n'me trompe pas ? » Et elle, connaissait-elle seulement mon nom ? Oui certainement. J'avais gardé l'éponge à la main, et cette dernière ne tarda pas à être mouillée et pleine de jus de tomate - je l'avais serrée avec un peu trop de force, certainement, cette éponge. Merde, j'aurais peut-être du la foutre directement sous l'eau après avoir nettoyé le mur... Il fallait dire aussi que mon esprit était ailleurs : que s'était-il bien passé dans cette cuisine, pour qu'elle ait été dans un tel état ? Mystère et boule de gomme.

C'est bien simple, je n'avais jamais été aussi serviable. J'ignore si il y avait dans cette cuisine des ondes positives motivantes ou si l'on m'avait jeté un sort durant la nuit, toujours était-il que je me trouvais bel et bien en train de nettoyer des trainées rouges sur un mur ce qui ne m'était encore jamais arrivé. Voyez-vous, je n'étais pas du genre à foutre les mains dans la merde, à prendre ne serait-ce qu'un bout de sopalin... Je n'étais qu'à peine conscient du fait que tout ceci n'était pas normal - après coup, je ne pouvais que réaliser qu'Andreas n'était plus vraiment lui, ce matin-là. Le pire restait à venir, néanmoins. Non content d'avoir éliminé de ce présent mur une coulée de jus de tomate qui n'avait rien à y faire, j'avais demandé à la jeune femme de me confier une autre tâche, des fois que mes mains ne soient pas assez sales. Bah quoi, autant rendre service jusqu'au bout, non ? Qu'Andreas revienne à lui et vite... ça ne pouvait pas aller. « Eh bien, tu as le plan de travail. Ou bien, la table. » Vas pour la table, dans un premier temps. Le plan de travail viendrait ensuite. J'entrepris tout d'abord de passer l'éponge sous l'eau et de me laver les mains en même temps. Puis je revins vers la dite table, pour effacer les tâches présentes sur celle-ci, et éliminer les miettes de... je ne sais trop quoi, d'ailleurs. La table propre et paraissant comme neuve, les miettes jetées, l'éponge repassée sous l'eau. Pffou, un jeu d'enfant tout ça. Mais au fait, la jeune femme, c'était bien Laoise ? Faisais-je erreur ?... « Tu ne te trompes pas, non. » Et j'eus droit à un sourire. Oh, mais quel jour merveilleux ! « Et tu es Andreas. » Bien, mon nom n'avait pas manqué de faire tout le tour du château. Parfait. C'était justement ce que je voulais : que tout le monde me connaisse, que mon nom soit sur toutes les lèvres. Et c'était le cas. Alors oui, dans un sens c'était parfait. « Exactement. Bon, cette table est nickel. » J'étais plutôt fier de moi pour le coup. Se saisissant d'une éponge, Laoise finit par rétorquer « Si je dis que tu es venu m'aider, je crois que personne ne me croira. » Je fis alors de gros yeux ronds et me tournai brusquement vers la demoiselle. « Heuuu... » Comment dire... « Justement je... préfèrerais qu'ils n'en sachent rien. » Je réalisais bien qu'en apprenant ça, mes camarades pourraient me voir différemment et je ne voulais pas casser l'image qui était la mienne. Ce serait trop dommage et puis, il était inconcevable qu'ils puissent apprendre que de temps à autres, je pouvais aussi rendre service. J'aurais vite fait de devenir le larbin de service après ça. « J'pense que ce s'rait mieux que tu le gardes pour toi. Ce sera... notre petit secret, oui ! » Héhé, sauve ta peau Andreas. Et ta réputation. Si cela venait à se savoir... j'étais foutu. Ni plus ni moins.

Cette table resplendissait désormais de propreté. Je venais de découvrir que pour le ménage, comme pour beaucoup d'autres tâches, j'étais doué. Brillant, même. Bref, certains téléspectateurs venaient probablement de s'étouffer avec leurs chips en voyant ces images retransmises de par leur poste de télévision. Andreas participant à l'entretien de ce vaste et spacieux château, ça avait quand même de quoi choquer et je voyais bien que même Laoise n'en revenait pas. Remarquez, j'en venais à m'épater pour moi. On m'avait peut-être drogué, la veille, bah allez savoir... Cependant la jeune femme évoqua le fait de surprendre les autres candidats en le leur apprenant. Il était hors de question que cela se sache, et sorte de cette cuisine. Je préférais qu'elle garde ce qu'elle avait vu ce matin pour elle, qu'elle taise l'affaire et que ce soit notre petit secret, à elle et à moi. Ça n'était pas trop demander après avoir aidé au nettoyage, quand même. Je la sentis d'un coup bien intriguée, et elle cessa un instant ce qu'elle effectuait pour se tourner vers moi, suspicieuse. « Et dis-moi, pourquoi devrais-je le garder pour moi ? En quoi ça pourrait être si terrible qu'ils sachent que tu n'es peut-être pas forcément l'ordure qu'ils pensent que tu es? » Aussi étrange que cela puisse paraitre, je souhaitais conserver la réputation qui était la mienne et l'image que je véhiculais. Je ne voulais pas changer aux yeux de tous, et encore moins qu'ils puissent s'imaginer après ça pouvoir me demander telle ou telle chose. Non, y'avait clairement pas moyen. « Mais justement, je suis l'ordure qu'ils pensent que je suis. » Ça, c'était bien vrai. Voilà une chose qui n'avait pas évolué durant la nuit - j'avais peut-être participé aux tâches ménagères, je restais néanmoins le même. « Après... j'voudrais pas qu'ils m'voient autrement, tu saisis l'idée ? Faudrait surtout pas qu'ils s'imaginent des choses, qu'ils puissent penser qu'il y a un cœur qui bat quelque part en moi. » Alors d'accord, j'avais pris une éponge, effacé des traces sur un mur et balayé des miettes sur une table. Mais en gros j'étais encore et toujours Andreas, un grand type à l'accent approximatif insensible et dépourvu de tout sentiment, mais parfait avant tout. Bien sur. « 'Toute manière tu peux toujours courir le leur dire, hein, j'vais pas t'en empêcher en te tirant par les cheveux ou en te tapant la tête contre le frigo. Mais personne ne te croira, non, personne. Ce serait gaspiller de ta salive, leur révéler une information croustillante à laquelle ils ne croiront pas. » Autant dire qu'aller tout raconter aux autres serait une perte de temps pour Laoise. Personne en ces lieux ne pourrait m'imaginer en train de m'adonner aux tâches ménagères, tout simplement parce que ça ne me ressemblait pas et que personne n'en attendait autant de moi. Ah oui c'est vrai, le plan de travail maintenant. J'eus comme la flemme, subitement - revenais-je enfin à moi ? Ça ne serait pas trop tôt ! Je poussai un long soupire, avant de ne passer une main dans mes cheveux.