Nicole

MERCREDI 17 OCTOBRE ; 16H07
QUARTIER AUBANEL - FERME

Je ne connaissais rien au monde agricole - je pense surtout qu'il n'était pas fait pour moi. Aussi, je m'imaginais mal traire une vache ou cultiver un potager. Néanmoins je savais qu'au sein de ce village se trouvait une ferme. Je m'en étais approché la semaine passée, en courant sous la pluie avec Ismay, mais n'avais jusque là pas eu l'occasion d'y mettre un pied. Voilà pourquoi j'eus cet après-midi l'envie mais surtout la curiosité d'y faire un tour. Moi qui n'avais encore jamais pénétré dans une ferme, c'était une grande première. Je fus accueilli par une petite chèvre toute mignonne qui semblait fortement intéressée par la sacoche en cuir clipsée à ma ceinture. Je m'agenouillai pour la papouiller, mais elle me fit basculer en arrière, d'un coup, sans que je comprenne comment ni pourquoi. Vilaine bête - voilà qui m'apprendrait à être trop gentil, et surtout pas assez méfiant. Je me relevai tout en lançant à l'animal un regard assassin, prenant la petite biquette de haut, considérant que nous étions désormais brouillés elle et moi. Là, elle avait été trop loin la petite. Aussi, j'entrepris de lui tourner le dos, et c'est en me retournant que je vis Nicole arriver en ma direction. Ni une ni deux, je délaissai l'insidieuse bête pour rejoindre ma partenaire, un grand sourire aux lèvres. « Tu ferais bien de te méfier, cette chèvre est très sournoise... je songe à me plaindre auprès de la production pour violences volontaires. » fis-je tout en désignant l'animal d'un mouvement de tête. Je ne m'attendais pas franchement à voir Nicole dans les parages... De vous à moi, elle ne devait pas vraiment donner dans les tracteurs, foin et autres éléments propres à l’exploitation agricole. D'ailleurs, je constatai qu'elle s'était munie d'escarpins vertigineux, ce qui n'était certainement pas la paire de chaussures la plus adaptée dans une ferme... Sauf si elle n'y tenait pas plus que ça et acceptait de les salir. Mais rien qu'au niveau de l'équilibre, cela poserait problème. « Hum, tu aurais peut-être dû mettre des bottes en caoutchouc ou des tennis... je ne donne pas cher de tes escarpins honnêtement. » Imaginez un peu que l'un de ses talons vienne à se briser et Nicole à faire une mauvais chute... On l'entendrait probablement brayer à des kilomètres... les femmes réagissaient bien souvent de cette façon lorsque ce genre d'incidents advenaient... c'était aussi le cas lorsqu'elles se cassaient un ongle, et tout ceci demeurait d'ailleurs pour moi un grand mystère. Les femmes étaient d'un compliqué, vraiment...

J’aime la nourriture bio. Je suis persuadée que c’est plus efficace que de la crème fraiche avec zéro pourcent de matières grasses. Pour mon omelette de ce soir j’ai donc, logiquement, décidé d’aller chercher des œufs à la ferme afin d’être sûre qu’ils ne soient pas infectés de pesticides ou quoi. M’aventurant sur mes Louboutin favorites afin d’être dans la capacité de planter une poule si jamais l’une d’elle me faisait trop chier ou s’approchait un peu très près, je m’aperçus vite que c’était une mauvaise idée. Non pas que le sol me paraissait cabossé mais un peu quand même. Au loin je pus apercevoir Malik, ce dernier ne tardant pas à me foncer dessus. Que faisait-il ici ? Ah je sais. Dis donc c’était pathétique. Certes il s’abstenait depuis un moment mais en venir à tâter les pis d’une chèvre afin de ne pas s’accuser lui-même d’autosatisfaction je trouvais ça déplacé. « T’es sûr que c’est pas plutôt elle qui devrait porter plainte ? » Mon sourcil droit s’haussait, perplexe. Il était pas chié lui dans son genre dis donc. « Hum, tu aurais peut-être dû mettre des bottes en caoutchouc ou des tennis... je ne donne pas cher de tes escarpins honnêtement. » Un rire s’échappa d’entre mes lèvres. Il n’était pas sérieux là, si ? « Des bottes en caoutchouc ? Chéri faut pas croire ce qu’ils disent dans les Jeune et Jolie, c’est bel et bien has been comme item. » Mon regard et les attitudes de mes mains laissaient percevoir la fashionista qui était en moi. Au vu du look de mon partenaire je savais très bien que le style n’était pas sa tasse de thé mais à ce point... « Enfin c’est pas grave, je t’ai promis que je t’aiderais à te remettre au goût du jour de toute façon. » concluais-je. Son look de père laissait à désirer mais je m’étais engagée à l’aider à refaire sa garde de robe une fois que nous serions sortis, je m’y tiendrais donc. Je marquais une pause afin de réflexioner. Oui, il fallait que je lui en touche quelques mots. « Pourquoi tu ne sautes pas le pas avec une des candidates ? Y en a bien une qui te plait. Je veux dire… une chèvre quoi Malik… c’est pathétique. » Bien sûr moi je suis là, je veux bien l’aider d’ailleurs mais je savais bien que je n'étais pas son premier choix. Il faut qu’il se libère de ses chacras, sincèrement. Ça en devient… zoophile.

Il y avait cette chèvre là, Blanquette de veau ou je ne sais plus quoi, peu importe. La vilaine bête s'était permise de me violenter alors que mes intentions étaient bonnes initialement, je n'avais jamais fait que m'approcher d'elle pour la caresser, mais visiblement elle s'était méprise et, résultat, je me retrouvais les fesses à terre et les quatre fers en l'air. Sympa la biquette, mais pour le coup je crois que le mieux à faire était tout simplement de men éloigner. Et justement, je venais de trouver un prétexte pour la délaisser : Nicole, ma chère partenaire, que je ne manquais pas de mettre en garde contre l'animal. « T’es sûr que c’est pas plutôt elle qui devrait porter plainte ? » À son image, j’arquais un sourcil, par incompréhension en fait, car je n'avais je pense rien fait pour que cette chèvre puisse m'accuser de quoi que ce soit. Nicole n'avait pas tout vu, et, la connaissant, elle devait d'ors et déjà s'imaginer le pire. C'est qu'elle avait un esprit assez déplacé, vous savez. Et dire qu'elle était venue en escarpins de douze, dans une ferme ! Elle aurait dû se rabattre sur des bottes, bien plus confortables à mon sens. « Des bottes en caoutchouc ? Chéri faut pas croire ce qu’ils disent dans les Jeune et Jolie, c’est bel et bien has been comme item. » Je ne lisais pas son "Jeune et Jolie" mais oui, d'accord, je voulais bien la croire. D'ailleurs, je venais un peu d'avoir la révélation de ma vie là. « Quoi, les bottes en caoutchouc sont passées de mode ?! » m'offusquais-je avec exagération. « Je vais devoir me séparer des miennes alors. » Ou pas, car je ne suivais absolument pas la mode, comme il était possible de le remarquer à ma façon de me vêtir. Et puis, avec un peu de chance, elles redeviendraient peut-être à nouveau tendance dans, allez, vingt-cinq ans. « Enfin c’est pas grave, je t’ai promis que je t’aiderait à te remettre au goût du jour de toute façon. » Hum, je me méfiais quand même. D'accord mon look craignait du boudin, mais je n'étais pas certain de réellement vouloir un relooking made in Nicole. Ou alors il me fallait imposer quelques conditions. Une seule suffirait en fait. « Tant que tu ne me fais pas porter d'escarpins, je suis ouvert à tout. » Voilà, rien de plus. Un court silence s'installa. Je m'imaginais déjà dans un style qui ne me correspondrait en rien, et Nicole avait semble-t-il tout autre chose à l'esprit. « Pourquoi tu ne sautes pas le pas avec une des candidates ? Y en a bien une qui te plait. Je veux dire… une chèvre quoi Malik… c’est pathétique. » Co... comment ?! Que sous-entendait-elle au juste, là ? Oula, je craignais le pire. « Mais enfin Nicole, je te jure qu'il n'y a rien entre Blanquette de veau et moi ! » Ou Blanquette, oui, à la limite. Cela sonnait presque mélodramatique. « Sérieusement tu n'as quand même pas cru que... eurrk. » C'était aberrant, s'imaginer de telles choses, roh, c'était bien mal me connaitre. Et pour répondre à sa question, non, je n'envisageais pas de "sauter le pas" avec l'une des candidates. « Je n'ai flashé sur personne. » Menteur ! Ce qui était vrai, en revanche, c'est que personne n'avait flashé pour moi. « Je ne ressens pas le besoin de "sauter le pas" avec quiconque pour l'instant. » J'avais beau être un homme, je demeurais civilisé et ne me comportais pas comme un animal. Je pense que ces sept ans d'abstinence avaient laissé des traces, surtout.

« Je vais devoir me séparer des miennes alors. » Mes yeux s’arrondissèrent. Ce n’est pas possible ! Ma main venait s’aplatir contre mon front, signe de pur désespoir. « Fais vite ! » grinçais-je. Malik avait vraiment besoin d’aide ; de MON aide, soit la meilleure qui puisse être. En soi c’était déjà un grand soulagement qu’il accepte que je vienne à son secours… ou plutôt au miens. Mes yeux brulaient quand je voyais ses pulls. « Tant que tu ne me fais pas porter d'escarpins, je suis ouvert à tout. » Je laisse ça à Vincent McDoom, nous on se contentera des derbies. Pour le côté ouvert d’esprit cependant j’avais remarqué. Avec la chèvre. Je ne pus m’empêcher de tenter de le raisonner sur cette sale attitude mais sa tentative de justification me laissa perplexe. « Alors pourquoi tu lui donnes un surnom alors que moi j’en ai pas ?! » Nan mais c’est vrai quoi, il portait plus d’affection à une biquette qui pue qu’à mon sublime être. « Sérieusement tu n'as quand même pas cru que... eurrk. » Mes bras se croisèrent sous ma poitrine. Je boudais, voilà. « Bah si ! Oui je crois que bim bam. Sept ans quoiiiiii !» Semblant soudainement attirés vers le sol, je laissais mes bras ballants. J’en avais marre de me coltiner un frustré à la fin, blasée I am ! Le pire du pire c’est qu’il n’avouait même pas qu’il avait les hormones qui frétillaient à la vue d’une candidate bien spéciale. La fille cucul qui avait l’air montée sur ressors là… « Je ne ressens pas le besoin de "sauter le pas" avec quiconque pour l'instant. » Mais quel menteur ! J'étais indignée par le manque de sincérité de mon partenaire. Heureusement que j’avais appris à observer les gens, même si pour le coup ça crèvait les yeux, parce que sinon je ne saurais rien de ce type mis à part qu’il possédait une mère qui m’attendait à la sortie pour me casser la gueule. « Et si je me mets du fond de teint trop foncé et une perruque bouclée t’auras envie de me sauter ou pas ? » Sourire de sale gamine vicieuse aux lèvres, j’avoue le provoquer mais c’était amusant et j'étais certaine que mon regard traduisait ma pensée. Je ne me gênais plus pour retenir mes mots maintenant, ça suffit de faire la bien élevée à parler correctement, les gens qui me connaissaient bien savaient pertinemment que j'étais une fille vulgaire … mais avec raffinement. Sinon c’est pas classe. J’avais cru comprendre que la petite frisée était le point faible de Malik j’en profitais donc pour tester à quel point elle l’avait enivré. Garce. Je n’aime pas qu’on me pique mes jouets et je suis encore moins friande du partage. Dommage.

« Fais vite ! » Mince, je tenais beaucoup à mes bottes en caoutchouc moi, alors devoir m'en débarrasser me faisait tout de même un peu mal au cœur. Mais je crois que Nicole essayait de me faire comprendre que j'étais dans une immense détresse vestimentaire. Aussi, elle était très certainement partante pour me relooker, et c'est alors que je lui laissai carte blanche, à la seule exception que je refusais d'être amené à porter des escarpins. Non ça, vraiment, c'était pas mon truc. Je n'aimais déjà pas tellement en voir aux pieds d'une femme, alors aux miens... Suite à quoi Nicole sous-entendit qu'il se passait quelque chose entre Blanquette de veau et moi, ce que je m'empressai alors de démentir, scandalisé qu'elle ait pu s'imaginer pareille absurdité. « Alors pourquoi tu lui donnes un surnom alors que moi j’en ai pas ?! » Roooh tout de suite. Elle n'allait pas bouder parce que je ne lui avais pas trouvé de surnom, si ? « Un surnom ne signifie pas grand chose. Ce n'est pas parce que je ne t'en ai pas donné que je ne t'apprécie pas Nicole. » Et d'ailleurs, hein, elle non plus ne m'avait pas trouvé de surnom. Ah mais si ! Quel était-il déjà ? Kilam, c'est ça. Ce qui me donna une idée. « Sinon prenons ton prénom en verlan également, ce qui nous donnera Kilam et Elocin. » Une telle combinaison vendait du rêve, non ? Hm. Mais j'en restais à cette histoire de chèvre, sur qui Nicole semblait avoir de sérieux soupçons. N'était-elle tout de même pas en train d'imaginer que je pouvais avoir... oooh... « Bah si ! Oui je crois que bim bam. Sept ans quoiiiiii ! » Oui, sept ans, et alors, où était le problème ? Elle voulait visiblement à tout prix que je me dévergonde, au point de sauter sur la première venue, ce que je n'envisageais pas le moins du monde, sachez-le. Ma situation me convenait, je n'avais pas envie d'en changer. Je lui affirmai alors que de toute manière, aucune candidate ne m'avait tapé dans l’œil. Mais je n'étais pas certain de m'être montré suffisamment convaincant pour le coup. « Et si je me mets du fond de teint trop foncé et une perruque bouclée t’auras envie de me sauter ou pas ? » Je restai un instant dubitatif face à sa question. Puis, quelques secondes plus tard, je saisis enfin la référence. À moins de n'être complètement à côté de la plaque, il devait s'agir d'Asmaa, qui était la seule candidate à qui me faisait d'emblée penser cette "description", si on pouvait nommer cela comme tel. « Attends Nicole qu'est ce que tu me fais là ? » lui demandais-je tout en ouvrant de grands yeux, éberlué. J'allais même finir par penser qu'elle était un peu jalouse d'Asmaa avec qui, c'est vrai, je m'entendais très bien. Mais de là à déceler une quelconque attirance, je pense qu'elle allait un peu vite en besogne. « Et je ne "sauterai" personne enfin ! » Voyons, je n'utilisais pas ce genre de termes moi. Et il n'était pas question de me redonner goût au sexe ou que sais-je encore, il fallait qu'elle cesse à tout prix de faire une fixette là-dessus - ça ne m'intéressait tout simplement plus, voilà tout. « Il y a méprise j'ai l'impression. » terminais-je tout en reportant le regard au sol. C'était gênant car ma partenaire pensait que j'avais un faible pour Asmaa, or je n'avais jamais prétendu une telle chose. Bon, je ne l'avais pas non plus contesté mais d'un autre côté elle ne m'en avait jamais posé la question. Dans tous les cas Nicole pouvait dormir tranquille, car il n'était pas prévu que je jette mon dévolu sur qui que ce soit prochainement, ni ici, ni ailleurs. Et je n'étais pas à la recherche d'une relation sans lendemain, qu'on se le dise, je laissais ça à d'autres.

Elocin ? Je restais dubitative. Kilam encore ça sonnait bien mais Elocin… Je préfèrerais encore Nikki, c’était comme ça que les personnes qui m'étaient proches m’appellaient… même si elles étaient assez limitées en nombre. Je ne me souciais pas vraiment de l’affection que Malik me portait, dans tous les cas il était contraint de me supporter, du coup qu’il me donne un surnom ou non m’importait peu. J’avais bien conscience de ne pas être très accessible et de ne pas faire d’efforts pour m’ouvrir aux autres, même envers Malik qui connaissait pourtant mon secret je ne faisait pas cet effort ; donc après tout ça ne me vexait pas tant que ça, contrairement à ce qu’il avait l’air de penser. Faire des caprices était simplement un pur loisir. « Hello seins ? Si ça te fait plaisir !» Décidément ce Malik ! Il allait finir par péter un câble. Ce serait marrant mais là sincèrement c’était du pur cinoche, ce surnom était juste atroce. Je lui sortais ensuite ma phrase provocatrice à propos d’Asmaa. Sa réaction fut… décevante ? « Attends Nicole qu'est-ce que tu me fais là ? » Je levais mes mains, les sourcils froncés d’incompréhension en mode « what da fuck » si vous voyez ce que je veux dire. Difficile à expliquer mais en toute sincérité je ne voyais pas où était le problème dans mes propos, on parlait de lui là, pas de moi. « Et je ne "sauterai" personne enfin ! » Qu’il est ennuyeux. Soit, j’abandonne. Pour le moment seulement, soyons clairs. Il me faisait vraiment penser à un homme d’âge mûr lorsqu’il parlait, enfin à mon père quoi. Etait-ce flippant ? Oui. Je ne dis rien, laissant couler. Ce sujet me saoulait maintenant, ce genre de conversation surtout ; c’était lassant et fatiguant. « Il y a méprise j'ai l'impression. » Non je ne pense pas, et la preuve il admirait le sol afin d’échapper à mon regard. « Un soucis avec le cailloux qui est à tes pieds ? » On ne pouvait pas faire plus explicite je crois. Je ne pouvais m’empêcher de le persécuter de la sorte, et je sentais bien qu’à un moment donné ça finirait mal. Dans tous les cas ce mal ne sera pas aussi intense que celui dont souffraient mes oreilles. C’était quoi cette musique de merde ? Ah oui oui je me souviens ! C'était la chose qui m’avait le plus intéressée lorsqu’on m’avait expliqué les règles. La fameuse alarme où il faut embrasser son partenaire. A l’époque où je m’étais réjouie d’apprendre l’existence de ce système je ne savais pas encore qui serait mon partenaire, maintenant c’était différent. On m’avait associée à Malik, un homme qui faisait abstinence depuis sept ans et qui n’avait pas embrassé de fille depuis autant de temps. En deux mots : pourquoi moi ? Je marquais un temps de pause, regardant fixement mon fake lover boy. Je me devais d’y aller, punie une fois par Cupidon mais pas deux et puis… n’était-ce pas l’embêter un peu plus ? Non, non… à bien y réfléchir je n’aimais pas l’importuner, j’aimais simplement voir quelles réactions il pourrait avoir si je le poussais un peu sauf que j’appréciais seulement lorsque c’est moi qui décidais ; par lorsque c’était le petit gros. J’aurais voulu ne pas le faire, en toute honnêteté ; m’asseoir par terre en tailleur et en croisant les bras comme une teigne, sauf qu’ici nous n’étions que des pions prêts à casser le cou des autres pour un gros chèque. Enfin moi du moins j’étais prête à ça. Je m’approchais donc de Kilam, m’efforçant d’oublier tout ce qui avait été dit sur le carrousel il y a deux semaines ; chassant de mon esprit qui il était. Je trouvais ça presque malsain de lui infliger ça dans le but de ne pas me faire réprimander par un être fictif. Égoïste, même. Mais n’est-ce pas ce que je suis ? Mes mains venant se croiser dans mon dos, je me pencha afin de lui déposer un délicat baiser. Ca ne devrait pas trop le traumatiser, ça va. Doucement je me redressa et bien que je fasse la maline mon regard lui criait mes excuses même si je me cloîtrais à ne rien dire. Simplement Malik, si tu m’entends, ne te mets pas à pleurer car ça me foutrait vraiment les boules. Enfin les seins. Puisque c’est les seules boules que j’ai. Enfin y a toujours les boules de geisha de Teresa mais c’est une autre histoire ça… je crois. « C'est triste que ce soit arrivé comme ça. Si tu me coupes les cheveux pendant mon sommeil pour te venger je te démonte. T'es prévenu. » Bah ouais quoi autant prendre ses précautions ! Il allait m'en vouloir à mort, j'en étais certaine alors autant le prévenir de ce qu'il adviendrait de lui si jamais il tentait quoi que ce soit, et je savais me faire menaçante et ferme quand je voulais. On ne s'improvise pas conasse. Non mais.

Nicole allait faire tout un pataquès de franchement pas grand chose. Blanquette de veau avait droit à son surnom, et pas elle. Sacrilège, il me fallu en vitesse lui en dégoter un, et ma foi le seul que je trouvai était un équivalent au mien, à savoir son prénom en verlan ; Elocin. Après tout, si elle se permettait de modifier mon prénom à sa guise, je pouvais bien faire de même non ? Mais je ne sais pas pourquoi, je sentais que ce surnom ne lui plairait pas longtemps. Qu'il ne lui plairait même pas du tout. Ou alors allait-elle une nouvelle fois prendre plaisir à démanteler toutes mes propositions, toutes mes paroles, tous mes dires en somme. « Hello seins ? Si ça te fait plaisir ! » Provocation, encore et toujours. J'allais finir par avoir l'habitude. Nicole avait tout de même l'esprit mal placé hein, ou alors était-elle tout simplement déterminée à me faire la misère... Bah, je devais être tellement énervant, et tellement lassant comme partenaire. Elle voulait sans doute se défouler un peu sur moi, et hélas je ne pouvais rien contre ça. Elle fit bientôt référence à Asmaa, et j'eus même l'impression qu'elle la jalousait quelque peu. Il fut question de perruque, de fond de teint foncé, ouais, d'accord... En attendant je ne comprenais pas pourquoi elle parlait de ça maintenant. Cela resterait donc un mystère, puisque lorsque je soulignai une méprise, elle surenchérit. « Un soucis avec le cailloux qui est à tes pieds ? » Hm, le caillou à mes pieds se portait bien, enfin je crois. Si j'avais détourné le regard jusqu'à le poser à même le sol, ça n'était quand même pas pour rien et j'osais espérer qu'elle allait comprendre que le malaise était véritablement en train de s'installer entre nous, comme au bon vieux temps si je puis dire. C'était dommage franchement, parce que je pensais ne plus jamais revenir aux rapports que nous entretenions au tout début du jeu, là où la gêne et l'incompréhension ne laissaient place à rien d'autre. Mais rebelote, j'avais de nouveau l'impression d'être un boulet dont avait écopé Nicole, et on peut dire que celle-ci ne faisait rien, sur l'instant, pour me pousser à penser le contraire. Aussi, cette remarque sur le fameux caillou était un peu agressante - peut-être que ça n'en était pas le but, seulement je le prenais mal. Je n'eus néanmoins le temps de rétorquer quoi que ce soit, puisque bientôt une musique se mit à raisonner - et nous fit tous deux sursauter. Je restai perplexe un instant ou deux, puis je me souvenais ce que Cupidon nous avait expliqué au sujet des mélodies raisonnant de cette façon. En fait, à son entente nous devions entreprendre d'embrasser la personne la plus proche de nous, c'est ça ? Aussi, il me semble qu'en cas de refus l'on pouvait clairement s'exposer à une importante perte d'argent. Enfin, importante à mes yeux, ne roulant à la base pas vraiment sur l'or, voir pas du tout. Je me demandai du coup qui de Nicole ou de moi allait faire le premier pas. J'étais prêt à agir, je vous assure, rien que pour faire un nouvel effort et lui prouver que je n'étais pas si coincé. Seulement elle se montra plus rapide que moi pour le coup, et ses lèvres ne tardèrent pas à se déposer avec douceur sur les miennes. Lorsqu'elle se retira, je jetai mon regard dans le sien, ne sachant trop ce que j'essayais de lui dire en fait... Son regard à elle aussi se voulait intense sur le moment. « C'est triste que ce soit arrivé comme ça. Si tu me coupes les cheveux pendant mon sommeil pour te venger je te démonte. T'es prévenu. » Il fallait être un brin démoniaque tout de même, pour entreprendre une telle chose, et carrément sournois. Et ça n'était vraiment pas mon genre, non, je ne risquais pas de m'en prendre à ses cheveux, ou à elle tout court, que ce soit dans son sommeil ou tandis qu'elle resterait parfaitement consciente. Elle devait avoir vachement confiance en moi pour me mettre en garde de cette façon, hein. Waou quoi. Je soupirai. « Tu n'auras pas à me "démonter", car je n'en ferai rien. » Je lui donnai ma parole là, mais allait-elle seulement me croire ? Oh, elle se disait probablement que là, j'étais en rogne, que je lui en voulais de m'avoir "volé" ce baiser, or ça n'était vraiment pas le cas. De plus, Cupidon l'avait exigé, et pour le bien de nos cagnottes il fallait que cela se fasse. Aussi, je tenais à lui faire savoir que je n'avais pas attendu que la chose se passe sans penser à agir de mon côté - car j'avais tout de même suffisamment de bonne volonté pour ne pas estimer que la tâche lui revenait à elle, et non à moi. Bref, il fallait qu'elle le sache je pense. « Tu sais Nicole, j'étais sur le point de... t'embrasser. Je veux dire, je me suis dis que tu ne voudrais pas faire de nouvel effort alors bon, j'étais prêt à le faire quoi... » lui avouais-je malhabilement. Seulement elle m'avait coupé dans mon élan en entreprenant de m'embrasser la première. Mais ça va hein, je suppose que puisque la musique avait cessé de raisonner, aucun baiser n'était plus à donner ni à recevoir, hein ? Pas que je n'étais d'un coup plus prêt à l'embrasser, seulement en toute logique ça n'était plus nécessaire. Mais dites-moi si je me trompe surtout.

« Tu n'auras pas à me "démonter", car je n'en ferai rien. » Mieux vaut prévenir que guérir. Je savais que depuis sept ans mon partenaire était en phase d’abstinence et qu’il y tenait grandement, logique donc que je me méfie de sa future réaction. Il ne m’avait pas habituée à être vil ou violent mais je n’avais pas de raison à rester sur des acquis ; depuis quand je lui faisais confiance ? On ne se connaissait même pas que je sache. D’ailleurs peut-être qu’il prévoyait tout simplement de me fracasser une phalange de l’auriculaire, d’où le fait que je ne pourrais pas me venger par la suite. En toute honnêteté je trouvais ça très mesquin comme façon d’opérer. « Hm, si tu le dis. » Je restais sceptique quant à ses représailles inexistantes mais je ne cherchais pas à alimenter la conversation avec ces doutes ; je me contenterais d’aller dormir dans un autre lit ce soir. « Tu sais Nicole, j'étais sur le point de... t'embrasser. Je veux dire, je me suis dis que tu ne voudrais pas faire de nouvel effort alors bon, j'étais prêt à le faire quoi... » Pause. Dire que j’avais hésité à obéir à ce gros bébé à deux balles, j’étais passée à côté de la surprise du siècle là. Je connaissais son histoire d’amour marquante (qui n’était en fait qu’un placage mal assumé de la part de monsieur, mais soit) et bien que je trouvais ça vraiment d’un simplisme profond, j’étais touchée par sa sensibilité à fleur de peau, autant qu’elle me peinait. Je restais persuadée que Malik avait été élevé dans un cocon familial où tous les malheurs de la Terre auraient annexés, ce qui expliquerait sa fragilité face à tout ce qui l’entoure. Il avait besoin de quelqu’un pour le protéger, pour l’alarmer sur le monde et ses dangers. J’aurais sincèrement été volontaire pour m’en charger mais je pense avoir fait assez d’efforts comme ça. Notre relation me lassait. Je ne suis pas quelqu’un qui supporte les gens bien longtemps, pour le peu que je les ai trouvé intéressants à un moment donné. Sachant que ma cousine sera toujours là pour moi, je ne juge aucun intérêt à passer du temps avec autrui. « Tu n’as pas tort. Il avait raison sur ce point : j’étais lassée de toujours avancer vers lui, encore et encore. Cette image du loup qui poursuivait le petit chaperon rouge jusqu’à en perdre haleine m’en devenait insupportable. Malgré ce que tu peux penser je suis consciente du malaise que ça représente pour toi, alors permet moi d’en douter. » J’avais tendance à ignorer ce qu’il m’avait dit ce soir-là sur le carrousel afin que les choses soient plus distrayantes pour moi. Si je prenais tout ça en compte jamais je n’aurais pu lui sauter dessus dans le lit commun et encore moins l’embrasser au milieu d’une ferme. J’étais venue ici pour m’amuser et non pas pour faire du social. Je soupirais. « Dis-moi au moins que ça t'as permis d’avancer dans ton traumatisme parce que j’en ai ma claque de jouer la psy. » Ceci étant le but de ma quête. Si je ne pouvais pas jouer le couple à proprement parler -enfin ce n'était pas comme si je savais réellement ce que c'était, un couple- alors je l'aiderais à surmonter ses peines afin qu'il trouve un jour le véritable amour. Sauf que je n'ai jamais été comme ça. Jouer les filles sympas qui pensent aux autres ne me correspondait pas, je ne pouvais continuer de la sorte. Mais si Malik y avait trouvé son compte, au point où il était prêt à m'embrasser pour de l'argent alors tant mieux, je crois que mon but venait d'être atteint.

« Hm, si tu le dis. » Mouais, la confiance régnait hein... Et pourtant je ne prévoyais réellement pas de m'en prendre à elle, car j'étais incapable de faire du mal à qui que ce soit. La violence, je ne connaissais pas. Elle avait trop souvent fait partie de mon quotidien mais je n'en avais jamais usé. Elle pouvait bien douter de moi, se méfier, seulement je vous assure qu'elle n'avait pas à s'en faire, car si il y avait bien quelqu'un ici qui ne toucherait pas à un seul de ses cheveux, c'était bien moi. De toute façon elle n'avait aucun moyen de le vérifier, et si elle n'avait pas totalement confiance en moi je n'y pouvais rien. Aussi, mieux valait encore ne pas s’attarder d'avantage sur le sujet. Et justement, Cupidon opéra la transition. Une mélodie se fit entendre, Nicole entreprit de m'embrasser et je lui fit par la suite savoir que j'étais moi aussi prêt à le faire compte tenu du fait que je m'imaginais bien qu'à la longue, elle devait en avoir assez de faire des efforts tandis que je ne donnais pas tellement l'impression d'en faire de mon côté, probablement. « Tu n’as pas tort. Malgré ce que tu peux penser je suis consciente du malaise que ça représente pour toi, alors permet moi d’en douter. » Bien, au moins j'avais maintenant la certitude de faire office de boulet au sein de notre couple. Franchement, si c'est ce qu'elle avait voulu me faire comprendre, elle ne pouvait pas mieux me le signifier. Et du coup, j'hésitais entre me sentir coupable, honteux ou juste partir en courant. Bah, j'allais opter pour les deux premières options, hein, c'était pas trop le moment de passer pour un dégonflé. « Dis-moi au moins que ça t'as permis d’avancer dans ton traumatisme parce que j’en ai ma claque de jouer la psy. » Et voilà, ce que je redoutais tant venait d'arriver : Nicole ne me supportait plus. J'avais très certainement tout fait pour qu'on en arrive là tous les deux, seulement c'était difficile à admettre car je n'avais jamais consciemment cherché à me la mettre à dos. Je ne savais jamais vraiment comment me comporter avec elle, je ne savais pas quelle portée pouvaient avoir mes propos, comment elle était susceptible de les prendre... Je regrettais tellement que Nicole et moi en venions à ces rapports-là, dont je ne voulais pas. Je reconnaissais volontiers que tout ceci était de ma faute, que j'étais le seul responsable. « Je ne t'ai jamais demandé de jouer la psy. Tu peux ne plus te préoccuper de moi, c'est bon, 'toute façon je suis irrécupérable. » Et ce qui était certain, à mes yeux, c'est qu'elle perdait son temps avec moi, et je pense qu'elle n'était pas dotée de la patience nécessaire pour s'occuper d'un type dans mon genre. Alors si je lui avais envoyé le moindre signal de détresse un jour, je m'en excusais, vraiment elle n'était chargée d'aucune mission, et pouvait sans problème me laisser comme elle m'avait trouvé. « Ne te sens même pas obligée de rester d'ailleurs, tu peux vaquer à tes occupations. » lui signifiais-je ensuite, avant de soupirer. Elle avait sans doute mieux à faire que de rester là, à mes côtés, perchée sur des escarpins pas du tout appropriés sur un tel terrain. De mon côté j'allais très certainement retourner batifoler avec Blanquette de veau. Enfin, plutôt me faire violenter par cette dernière. Elle non plus ne me portait pas vraiment dans son cœur. Mais cela m'importait bien moins que ce que pouvait penser Nicole de moi. J’espérais ne pas avoir "perdu" ma partenaire.