Il y a des gens qui aiment consacrer le début de leur après-midi à la sieste, laissant leur corps se reposer à loisir tandis que l'estomac carbure en digérant tous les aliments gras et mauvais pour la santé qu'ils viennent d'ingérer, mais moi ce n'est pas trop mon style, et maintenant que j'ai l'accès à la salle de sports, je compte bien me reprendre en main et laisser tomber mon rôle d'amoureuse éplorée – c'est fini, c'est fini, un point c'est tout, pas la peine d'épiloguer. Et surtout pas la peine de me donner au spectacle devant les caméras, et donc indirectement devant lui. Alors j'ai laissé de côté les pots de glace devant lesquels j'ai un peu trop cédé la première semaine, pour en revenir à une alimentation plus équilibrée, une alimentation qui me ressemble plus d'ailleurs. Un peu de légumes et des pâtes pour l'effort, rien de trop gras, laitage et fruit et le tour est joué. Et mine de rien, je me sens bien mieux dans ma peau. J'en profite alors pour aller faire un peu de sport, testant les divers appareils mis à notre disposition avant de me diriger vers le ring, mon petit chouchou. Y'a même un sac de frappe, ce qui est plutôt pratique vu que ça m'évite d'avoir à aller chercher un cobaye ou un partenaire masochiste. J'enfile des gants et me mets à cogner, dansant autour du sac, me penchant, reculant, avançant et bouger mon cou avec souplesse ; je ne danse pas seulement autour du sac, je danse avec lui. Au bout d'un moment la soif se fait ressentir, aussi je déserre les gants et descends du ring afin d'aller me chercher de l'eau au distributeur, et c'est à cet instant que je réalise que je ne suis plus seule. « Oh, salut ! Hésite pas à entrer, y'a de la place pour deux. » je fais à l'intention d'Amery, un sourire amical au visage, me demandant s'il hésitait à entrer ou s'il passait juste par là.

Ils ont eu la bonne idée de mettre une salle de sport à disposition. C'est une très bonne chose pour les personnes comme Amery qui dans leur vie n'ont de distractions que la cigarette et le sport de temps à autre, quand il en a encore le temps. Il est vrai que la salle de gym n'est pas son endroit favori, il s'y rend presque par obligation, mais quand il est là-bas il ressent un sentiment de plénitude qu'il ne pourrait expliquer. Il enfile rapidement une tenue plus adaptée à la situation, il se dit qu'il sera plus à l'aise comme ça. Il arrive bien vite dans cette salle de sport, dans laquelle il est possible d'en pratiquer autant qu'on le voudrait. Il remarque bien vite le ring de boxe. Il en a fait quand il était plus jeune, quand il avait encore le temps pour ça et aucune responsabilité sur ses épaules. Lui qui n'a jamais été très loquace, c'était un bon moyen d'exprimer ce qu'il n'avait pas envie de dire. Aujourd'hui il a un enfant à élever, un travail, il ne peut pas se permettre de prendre des coups, avant ce n'était pas important, aujourd'hui il sait qu'on ne peut rien prévoir à l'avance alors il a tout arrêté. Mais ce ring est déjà occupé par une jeune femme qu'il reconnaît être Aliénor, aux prises avec le sac de frappe. Il la regarde sans rien dire, elle semble être dans son élément, il ne voudrait pas la déranger. Elle s'arrête et finit par le remarquer. « Salut. Oh d'accord, je ne voulais pas te déranger. » Mais maintenant qu'elle lui propose il ne va pas refuser, lui aussi avait bien envie de s'y remettre. Il attrape une paire de gants pour les enfiler. « Tu te débrouille bien, t'en fais souvent ? Ou c'est simplement pour te défouler ? » Il n'est pas non plus un expert en la matière, il n'a jamais été parmi les plus doués, même s'il l'aurait voulu, mais il a tendance à penser qu'Aliénor ne se débrouille pas trop mal.

La boxe, ça a toujours été mon truc. Même quand j'en faisais pas encore (officiellement) c'était déjà mon truc. Je rêvais d'en faire depuis toute petite, mais c'était le genre d'ambitions que mes parents espéraient étouffer. Heureusement, j'avais d'autres aspirations qui leur plaisaient plus – comme devenir une princesse par exemple. Il y a des gens qui ne comprennent pas ça, d'ailleurs, le fait que j'ai une personnalité aux facettes multiples, et c'est d'ailleurs quelque chose qui peut me porter sur les nerfs assez facilement ; je revendique le droit de pouvoir vouloir des choses que tout semble opposer, et celui d'être une personne complexe composées de ses propres qualités, défauts, forces et failles sans répondre d'un quelconque stéréotype. Je peux prendre des cours de MMA et aimer porter des talons hauts, et celui qui me dira le contraire je lui mettrais la misère. C'est aussi simple que ça. Adressant un sourire amical à Amery, je me réhydrate doucement, espaçant les gorgées, parce que je me connais, et si je fais pas gaffe je vais me foutre de l'eau partout. « Oh t'inquiète pas tu me déranges pas du tout ! C'est même tout l'inverse, un peu de compagnie m'est agréable. » je confesse avec un demi-sourire. Je n'étais pas franchement une solitaire. Pas du tout même – mise en face à face avec moi-même, j'angoissais facilement, ou me mettais à stresser, ou à me poser des questions existentielles auxquelles je n'ai aucune envie de répondre. L'horreur, quoi. « Merci. » j'ajoute ensuite avec un petit sourire en baissant les yeux, quand il me complimente, même si, concrètement, je suis loin d'être embarrassée par le compliment, puisque j'ai moi-même tout à fait conscience de bien me débrouiller. Officiellement, je n'ai que deux ans de pratique, mais ma motivation en béton a beaucoup influencé ma progression, qui suit une bonne trajectoire depuis le début. « Je fais une heure trente de Muay Thaï par semaine, mais j'ai un punching-ball chez moi et je me défoule dessus régulièrement. Donc un peu des deux, en fait. J'adore le sport, surtout les arts martiaux, ça a quelque chose de cathartique je trouve. » Après avoir bu à satiété, je remonte sur le ring en passant entre les cordes, tout en gardant mon regard posé sur mon interlocuteur. « Et toi, tu en fais ? T'es plutôt sportif ou pas du tout ? »

Ces dernières années Amery n'a pas trop eu le temps de faire du sport, il faut dire que ça lui manque un peu. Quelques heures perdues à la salle de sport, des parties de golf le dimanche, c'est à peine ce qu'il a le temps de faire désormais. Et il est vrai que ça commençait à lui manquer. Ici il n'avait pas grand chose à faire, plus aucune responsabilité, il avait du temps pour lui désormais ce qui signifiait qu'il avait largement le temps pour se remettre au sport. Il avait sacrifié beaucoup de choses ces dernières années, là il n'était pas obligé de tout mettre de côté. Il pouvait bien se remettre à la boxe, il ne risquait rien ici, et puis de toute manière il était persuadé d'avoir déjà tout oublié. Il n'était pas le seul à avoir eu cette idée, car une fois qu'il eut pénétré dans la salle de sport il constata qu'Aliénor était déjà sur le ring. Il reste là quelques secondes à la regarder sans oser dire un mot, il ne veut pas la déranger. Elle finit par le remarquer, et lui dire qu'elle ne le dérange pas. Il lui adresse un sourire, sans ajouter un mot. Il finit par reprendre la parole pour lui dire qu'elle se débrouille bien. Oui c'est vrai, elle est douée, il peut bien le lui dire. Sans doute le sait-elle déjà, elle n'a pas besoin de lui pour le savoir. « Je ne peux que t'approuver là-dessus. » Oui il était bien d'accord avec elle, la boxe avait un côté cathartique, pour le reste il ne pratiquait aucun art martial il ne pouvait en juger. « Et tu pratiques un autre art martial ? » Vu qu'elle lui disait adorer ça, il se disait qu'elle devait sûrement en pratiquer d'autres, même si bon bon honnêtement il n'en savait rien, il trouvait cela intéressant. Il la regarde entrer sur le ring et finit de se préparer pour la rejoindre. « Je ne fais plus de boxe, je n'ai plus trop le temps, et puis c'est trop dangereux. J'étais sportif avant oui, maintenant je fais du golf essentiellement. » Il rit légèrement, ouais le golf c'est autre chose, c'est un peu risible, mais au moins c'est sans risque mais il ne peut pas se permettre d'avoir un coquard au bureau, ou d'avoir un bras casser pour s'occuper de son fils.

J'adresse à mon interlocuteur un sourire entendu, heureuse de me savoir approuvée ; c'est tout bête mais rien que des petits échanges positifs de ce genre ont le don de me faire me sentir mieux, j'ai toujours cet espèce de désir absolu de ne pas me sentir seule et donc de me savoir entourée mais aussi en communion, si j'ose dire, avec mon entourage. J'ai besoin de savoir que je ne suis pas la seule à penser comme je pense et à ressentir ce que je ressens, aussi une approbation aussi anodine qu'un "je te comprends" me procure toujours une sensation de satisfaction démesurée. C'est la vie. Je me débrouille comme je peux avec mes obsessions et mes névroses perso – c'est le cas de tout un chacun, nan ? « J'aime bien essayer autant d'arts martiaux que je peux, alors j'ai fait Qwan Ki Do, du Taekwondo, j'ai essayé le Kung Fu et le Ninjutsu, mais en ce moment je fais que du Muay Thaï et du combat–complet, j'ai pas le temps de faire plus avec les cours. » Et puis aussi je n'ai pas envie de basculer dans l'excès, je sais que j'ai une personnalité avec des prédispositions pour les excès alors je me méfie, et ça existe les "sport addicts" après tout, et ça c'est bien un truc que j'ai pas envie de tester. Amery m'avoue ensuite ne plus avoir trop le temps de pratiquer la boxe, ce que je trouve dommage, mais j'imagine que ça doit être compréhensible – il doit avoir ses raisons. Et comme je suis curieuse, faut que je lui demande. « Comment ça se fait que tu n'as plus le temps ? » Je ne commente pas sur le fait que c'est dangereux, c'est vrai que ça peut l'être, même en entraînement on peut se prendre des coups plutôt sérieux, et pour peu qu'on joue de malchance ou qu'on tombe sur un partenaire qui ne maîtrise pas sa force, ça peut facilement se terminer à l'hôpital. Moi je peux le permettre, et puis après tout je suis jeune, je retombe facilement sur mes pattes, mais tout le monde n'a pas ma situation. À la mention du mot "golf", par contre, je peux pas empêcher les commissures de mes lèvres de se retrousser et j'essaye de me contrôler pour pas rigoler mais finalement je ne tiens plus et je finis par laisser échapper un éclat de rire. « Waouh, passer de la boxe au golf, c'est quelque chose ! Laisse-moi deviner, t'as plus le temps pour la boxe parce qu'entre-temps tu es devenu PDG d'une multinationale et le seul sport que tu peux te permettre, c'est lors de ces quelques meetings avec des investisseurs où vous vous retrouvez pour golfer ? » Je sais même pas si ça se dit golfer, on va dire que oui, pour la forme ? En tout cas, l'anecdote me fait sourire. Personnellement, je m'imagine très mal passer au golf un jour, d'ailleurs je suis sûre que ça serait un des rares sports où je serais vraiment nulle.

La boxe avait toujours été un de ses sports favoris, malheureusement il avait été contraint d'arrêter. Il faut dire ce qui est, il n'a jamais eu la prétention d'être particulièrement doué, mais il trouvait à ce sport quelque chose d'apaisant. Malgré les coups, cela lui permettait de se calme, de se libérer de ses émotions. Aliénor elle se débrouillait sans doute bien mieux que lui, même s'il devait très certainement frapper plus fort qu'elle, sans aucun machisme. Elle semblait d'ailleurs bien plus sportive que lui, et avait essayé un nombre assez impressionnant d'art martiaux, ce qui le faisait gentiment sourire. « Dis-donc ça en fait beaucoup. Je t'avoue que je connais à peine la moitié de ces sports. Mais enfin c'est bien, t'as vu beaucoup de choses différentes. » Oui et au final, il pensait qu'elle avait sans doute pu choisir celui qui lui plaisait le plus. Mais c'était toujours bien d'essayer, de voir de nouvelles pratiques, elle avait de la chance. Lui aurait aimé pouvoir essayer tout ça, s'il en avait le temps et s'il ne risquait pas de se blesser. D'ailleurs, elle lui demandait pourquoi n'avait-il plus le temps. Il s'apprête à lui répondre quand elle lui sort la théorie selon laquelle il serait un PDG, et qu'il ferait des parties de golf avec des investisseurs. C'est vrai qu'entre le golf et la boxe c'était un sacré changement. D'ailleurs, elle en riait elle-même, lui aussi se mit à rire à ses paroles. « Si seulement. Non il se trouve que je suis employé de bureau, je m'occupe de la paperasse en fait, c'est tout. Et à côté je m'occupe de mon fils, alors je n'ai pas vraiment le temps pour les loisirs. » Mis à part le golf, le dimanche, de temps à autre. Voilà il avait une vie remplie, élever un enfant seul ce n'était pas tous les jours évident. « Et puis tu sais le golf c'est pas si mal que ça, tu peux te défouler en frappant la balle. » Il sourire, il n'est pas vraiment sérieux. Il ne retrouvera pas dans le golf ce qu'il a connu en faisant de la boxe, mais ce n'était pas si mal.