“ poison heart ”

w/elsa.

La nuit avait été courte pour l'anglais, qui s'était levé ce matin avec la drôle d'impression d'avoir rêvé deux mois de sa vie, tant se retrouver ici, dans cette chambre d'hôtel, alors que vingt-quatre heures plus tôt il était encore dans le nid, faussement insouciant à quelques heures du début de son dernier prime, lui faisait bizarre. Se retrouver subitement seul, après avoir vécu en communauté pendant des semaines, c'était ce qui le déstabilisait le plus, parce qu'il avait été le premier à affirmer qu'il ne regretterait personne une fois tout ça fini, et qu'aujourd'hui il était forcé de reconnaître que cette page qu'il pensait pouvoir tourner si facilement lui résisterait quelques peu. Et à vrai dire, il ne comptait pas particulièrement lutter, lui qui la veille au soir avait subtilement négocié quelques informations auprès d'un type de la production, le genre stagiaire qui avait vu un billet de cent pour la première fois de sa vie, et grâce à qui il avait pu entrer en possession des coordonnées d'une ancienne candidate qu'il avait ressenti le besoin de contacter, bien qu'il ne s'y soit pas résolu sur le moment, pensant qu'il ne saurait pas nécessairement lui donner envie de le rencontrer tant qu'il n'aurait pas dormi quelques heures – essayé du moins. Dans le fond, il n'était pas question d'un discours présidentiel, mais de faire savoir à une fille qui comptait pour lui qu'il aimerait que leurs routes se recroisent. Alors oui, si tôt sorti du lit, il avait appelé Elsa, et lui avait proposé de le retrouver ici, dans cet hôtel, justifiant cette idée par son envie de lui parler, de mettre au clair ce qui pouvait avoir besoin de l'être, et plus généralement de passer du temps avec elle sans craindre qu'un micro capte ou qu'une caméra immortalise leur échange. La brune avait dit oui, et alors qu'ils convinrent ensemble d'une heure de rendez-vous, fixée au début de l'après-midi, l'anglais s'empressa de passer quelque chose qui sauverait comme toujours les apparences, qui en l'occurrence ici ferait idéalement oublier la mine qu'il arborait non pas parce que les événements de la veille pesaient sur son moral, mais parce qu'il aurait fallu qu'il passe moins de temps à réfléchir et plus de temps à récupérer du sommeil. Voyant l'heure approcher, il quitta sa chambre, glissant distraitement dans sa poche la lettre que Paloma lui avait donné hier soir, une lettre qu'il savait riche de mots touchants, apaisants, et qu'il ne voudrait pas lire dans son état, parce que ce serait faire affront à sa plume, à tout ce qu'elle avait pu mettre dedans. Alors il descendit au rez-de-chaussée, où le hall s'avérait peu fréquenté à une heure comme celle-ci. Se laissant tomber dans le premier fauteuil qui croisa sa route, près de la large porte par laquelle il verrait certainement entrer Elsa d'un instant à l'autre, l'anglais attendit, patiemment, et chaque seconde qui le sépara de son arrivée lui parurent éternelles, parce que la dernière fois c'avait été court, douloureux et hautement frustrant, alors quand il distingua la brune, à quelques mètres de là, il se releva et marcha dans sa direction, profitant du fait qu'elle note sa présence pour sourire, légèrement, comme on sourirait à quelqu'un qu'on a perdu de vue des mois auparavant et avec qui on ne saurait plus tellement comment aborder la suite. Eux, ça ne faisait qu'une semaine qu'ils s'étaient quittés, mais à l'intérieur du nid tout passait plus vite, il s'en rendait compte maintenant qu'il était là. « Comment on fait, dans ces cas-là ? » qu'il souffla à son attention, lui lançant un regard complice, mais teinté d'une hésitation inévitable, étant donné que ni l'un ni l'autre ne savait certainement plus tellement où ils en étaient, tous les deux. « Est-ce qu'on se fait la bise ? » qu'il tenta, un peu bête, parce qu'ils étaient plus que des amis sans être totalement autre chose pour autant, c'était spécial, un peu indéfinissable, alors savoir comment se saluer avait des airs de questionnement existentiel à cet instant.

Si on lui avait dit, deux mois plus tôt, qu'il attendrait dans un hall d'hôtel d'être rejoint par une jeune femme rencontrée dans Fake Lover, l'anglais ne l'aurait certainement pas cru. Parce qu'en entrant dans le jeu, il s'était persuadé d'une chose plus que de n'importe quelle autre : il repartirait comme il était entré, à savoir solitaire et individualiste. Seulement voilà, ces semaines passées à sociabiliser, à tâcher de dompter sa méfiance à l'égard des autres, elles l'avaient fait mentir, parce que même un gars comme lui était ressorti de là avec le cœur deux fois plus gros, deux fois plus lourd, car rempli de ces moments passés à découvrir des êtres attachants, des personnalités qui le marqueraient, qu'il soit ou non amené à revoir ces visages qu'il avait quitté à regret, envahi du sentiment désagréable d'avoir connu une fin navrante, qui l'aurait certainement tenu éveillé une bonne partie de la nuit si les questions qui l'avaient tourmenté ne s'en étaient pas chargé elles-mêmes. Mais au petit matin, il n'eut plus envie de penser à tout ça, juste de faire en sorte de passer une bonne journée, en s’accompagnant d'une personne qui n'avait jamais cessé de compter pour lui, même après l'éloignement, d'abord représenté par la distance symbolique qu'elle avait voulu mettre entre eux, puis qui fut purement physique, lorsqu'ils furent séparés. Cette personne, c'était Elsa, avec qui le temps était donc aux retrouvailles, et maintenant qu'il était là, assis dans ce hall, à attendre de la voir franchir cette porte et le rejoindre, il relativisait vis à vis de tout ce qu'il y avait eu de moins agréable entre eux, parce que tout ce qui comptait à présent, c'était cet ensemble de choses qui les liaient depuis le départ, depuis les castings, depuis cette fois où il l'avait surprise avec sa veste sur le dos. Il la vit finalement entrer et son cœur battit au rythme des pas qu'elle effectua dans sa direction, se rapprochant à son tour, un peu timidement peut être, parce que se retrouver là, avec elle, ça lui paraissait irréel, alors qu'au contraire ici tout était plus vrai que dans le nid, où les choses se ressentaient différemment. Et justement, lui qui avait confié à Alistair craindre qu'elle ne le voit plus de la même façon depuis qu'elle était dehors fut apaisé par sa présence. Mais, un peu désorienté tout de même, l'anglais chercha à savoir comment procéder, parce qu'il ne voudrait pas mal faire, pas aujourd'hui. Elsa se pressa alors tout contre lui et il se laissa faire, ses bras s'enroulant autour d'elle et l'enserrant comme on enserrerait sa peluche préférée, un peu jalousement, comme s'il voulait la garder pour lui, maintenant qu'il l'avait retrouvée. « Une semaine, c'est plus long qu'on le croit, surtout là-dedans » qu'il souffla, parce que pour lui c'avait été une semaine quasi interminable, puisqu'il avait eu son amertume sous le nez à chaque instant. Il caressa son dos au moment où elle laissa entendre que ça faisait du bien, de se revoir, parce que oui c'était vrai, ça embaumait l'espace d'une odeur agréable, savoureuse, et rien qu'à l'avoir contre lui, il en oubliait ses heures de sommeil perdues et ses désillusions de la veille. Elle reprit la parole et il inspira, doucement, se redressant pour regarder autour de lui, avant de replanter ses yeux dans les siens. « Pas ici. » Ici, ça n'était pas l'endroit pour parler, tout du moins pas pour mettre ce qu'il comptait mettre sur la table, à savoir son cœur, ses tripes, tout ce qui en soi ne regardait qu'eux. Alors sa main vint trouver la sienne, d'un geste caressant, et il l'attira à sa suite tandis qu'il marcha jusqu'à l'ascenseur. Montant, il s'adossa à l'une des parois, coulant un regard appuyé sur la brune, sans même noter que leurs mains restaient liées, que leurs peaux chaudes ne s'étaient plus quittées. Il appuya sur le bouton et attendit, sans plus laisser aucun mot franchir la barrière de ses lèvres tant qu'ils n'étaient pas là-haut. Et puis les portes s'ouvrirent et quelques pas suffirent à les mener jusqu'à la porte de sa chambre, qu'il ouvrit avant de la laisser passer la première, cette fois, sa main délivrant enfin la sienne. La porte refermée, il soupira, parce qu'il savait qu'elle pourrait noter le luxe relatif de l'endroit, mais que la discussion qui les attendait ne serait pas nécessairement plus confortable que celle qu'ils auraient pu partager s'il ne prit pas la parole. « Tu sais, c'est pas le fait qu'il ait choisi de m'éliminer qui m'a fait le plus mal. » Sa voix était rêche, ses yeux baissés, et c'est par des pas presque hésitants qu'il entreprit de se rapprocher d'elle. Il essayait de relativiser quant à cette élimination, parce qu'effectivement, ça n'était pas ce qui l'avait le plus blessé, au final. Sacha avait peut être fait un choix partial, influencé par son opinion au sujet de l'anglais, mais ça restait le jeu, aussi pénible fut-il pour lui de partir comme ça. « C'est ce qu'il a dit avant ça, sur nous. » Sur leur histoire, que soit disant il avait utilisé pour se montrer, et c'est en ça qu'il avait été le plus injuste, en jugeant une relation qui lui échappait complètement. Oui il était l'ami d'Elsa, mais que savait-il de ce que l'anglais, lui, ressentait ? Etait-il dans sa tête, était-il dans son cœur, pour affirmer qu'il s'était servi d'elle ? Lui qui semblait s'être amouraché, ne pouvait-il pas comprendre, justement, que même dans un jeu comme celui-ci, il pouvait y avoir une part de vrai ? « J'ai jamais joué de notre relation pour me faire remarquer. D'autres choses, oui, mais pas de ça. » Parce qu'il était entré pour aller au bout, pas pour rester dans un coin en regardant les autres avancer jusqu'à la victoire. Alors oui, il avait montré de quoi attirer l'attention, pour durer, mais il avait très tôt renoncé à dépasser certaines limites, parce que des scrupules, il en avait, quoi qu'il ait toujours dit. « Que lui n'y croit pas, j'en ai rien à foutre, il en a pas vu assez pour juger. Mais je veux pas que toi tu doutes à cause de lui. » Parce que des pauvres types persuadés de tout savoir, de tout comprendre, y'en avait beaucoup et ça l'emmerderait qu'elle se fie à eux plutôt qu'à lui. Parce que le plus malintentionné des deux, pour le coup, ça n'était pas lui.