Je ne sais pas trop pourquoi je traîne encore dans les locaux de la production au lieu d'aller retrouver ma chambre d'hôtel et surtout le lit pour faire un somme. Je commence à avoir mal aux pieds et j'ai bien dû faire le tour de l'endroit deux ou trois fois déjà, pour être sûre de n'avoir rien manqué, comme une porte laissée ouverte pour aller fouiner là où c'est interdit. Je sais que c'est mal, mais tout le monde irait voir si quelqu'un laissait une porte ouverte par mégarde, alors qu'elle ne devrait pas l'être. Enfin bref, ce n'est pas arrivé, et c'est pour ça que je fais une tête aussi dépitée que ça. Je termine mon dernier petit tour du bâtiment, mais je m'arrête sur le balcon. On n'y voit pas grand chose d'ici, c'est un peu nul. Je soupire doucement en m'appuyant sur la rambarde. Je remarque alors un cendrier plein de cigarettes complètement consumées. C'est vrai qu'on peut fumer ici. Je ne fume pas vraiment, de temps en temps, mais rarement. J'ai tout de même toujours une ou deux clopes et un briquet qui traînent dans mon grand sac toujours très mal rangé dans lequel je retrouve ce que je veux trois ans après avoir commencé à le chercher. Pourtant, cette fois, coup de chance, je tombe directement sur ce que je veux : une longue cigarette, aussi élégante que je le suis aujourd'hui, qui devait appartenir à une de mes collègues avant qu'elle ne décide de me la donner. Le briquet n'est pas loin lui non plus, et je ne tarde pas à avoir une cigarette allumée entre les lèvres. Je tire doucement dessus à plusieurs reprises, toussotant un peu au début parce que même si j'en ai peut-être l'air, je ne fume pas tant que ça. Je laisse la fumée se répandre, virevoltant autour de moi alors que je fixe le vide. Une jeune femme en a profité pour s'approcher de moi et me sort de mes pensées embrumées pour me demander si elle peut. Elle peut quoi ? Je mets une seconde et demi à revenir sur terre et à comprendre qu'elle veut partager ma clope. « Oh, heu, oui, bien sûr, vas-y. » Que j'arrive à dire, même si le tout est un peu saccadé et que ma voix se veut plus rauque que je ne l'aurais pensée. Je détache le cylindre de mes lèvres, le prends entre deux doigts et le tends à la brune. « Tu peux même la finir si tu veux. Hm, et désolée pour ça, je devais en avoir mis beaucoup trop. » Que je dis en fixant la marque de rouge à lèvres que j'ai laissé sur le blanc du papier qui se consume toujours lentement. « Mais il m'en reste quand même encore un peu, dis ? » Je lui demande alors, presque paniquée à l'idée d'avoir tout laissé sur ma clope, bien que ce ne soit pas forcément grave maintenant que je suis passée devant le jury, mais j'aime bien être jolie, le plus souvent possible, même quand je ne fais que fumer et rencontrer une inconnue à qui je donne une cigarette à laquelle mon rose à lèvres semblait assez attaché.

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Je la laisse tirer sur ma cigarette, et même la terminer si elle veut, parce que moi, perdue dans mes pensées, je n'aurais peut-être même pas remarqué qu'elle se consumait et au final je ne l'aurais consommée qu'à moitié. Donc il me semble que maintenant tout le monde y trouve son compte. Cette inconnue profite de ce dont je n'aurais eu aucun usage, soit ce qu'il reste de nicotine à fumer dans ce fin cylindre. Je remarque que j'y ai laissé l'emprunte presque parfaite de mes lèvres colorées et pulpeuses, mais ça n'a pas l'air de gêner la brune, puisqu'elle aussi a laissé un peu de son rouge à lèvres sur le papier. « C'est plutôt joli. » Que je lui fais remarquer dans un sourire quand je vois les deux couleurs qui se suivent et se superposent. Mais je m'inquiète alors de savoir s'il m'en reste sur les lèvres. C'est peut-être idiot de penser que la clope a pu tout absorber, mais on ne sait jamais. Et puis, j'ai plutôt beaucoup parlé pendant mon entretien et je n'ai plus fait de point beauté depuis un bon moment, alors avec le temps, peut-être que ça s'en est allé. Je pose la question à l'inconnue qui pose les yeux sur moi un instant avant de me répondre. J'effleure ma lèvre inférieure du bout des doigts quand elle me dit que mon rouge à lèvres est parfaitement en place. « Oh, super, merci. » Que je dis dans un soupir de soulagement, plaquant une main au dessus de ma poitrine. Oui, c'est super parce que ça veut dire que je n'aurais pas besoin de fouiller dans mon sac pour trouver ma petite trousse de maquillage au bout de trois heures. Et l'inconnue se présente. Paloma. « Hm, Paloma, ça veut pas dire colombe, ou un truc comme ça, en espagnol ? » Je crois que j'ai déjà entendu dire ça, mais je ne suis pas vraiment sûr de moi. « En tout cas j'aime bien. Moi c'est Jessica. » Et ça signifie peut-être quelque chose, mais je ne sais pas quoi.

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Je pose mes yeux de biche sur Paloma qui fume. Elle est jolie cette fille, plus jolie que moi je trouve. Elle a quelque chose, ce genre de quelque chose qu'on ne saurait identifier et définir mais qu'on perçoit en elle, rien qu'en la regardant. Je ne suis pas du genre à voir la poésie et la beauté en toute chose, mais ça m'arrive quand même, parfois. Et le tableau qui s'offre à moi est une de ces rares fois. J'en détourne pourtant l'attention, le temps qu'elle m'apprenne que je sais comment se dit "colombe" en espagnol. C'est bien ce que son prénom veut dire, mais elle trouve qu'il est du genre "à la con". « Non, je ne trouve pas. » Que je lui assure. « Et puis, après tout, un prénom est un prénom. » Que je souffle comme si c'était une sorte d'évidence ou de fatalité. Il y en a des cons et des moins cons, mais pas la peine de le rajouter. C'est très certainement idiot de dire ça, mais je suis tout à fait le genre de fille qui sort des phrases à la con, comme ça, pour meubler. Mais ça n'a pas l'air d'être son truc à elle, Paloma. En tout cas, sa question n'a rien d'une question pour combler le vide. Est-ce que j'ai l'impression d'être passée sur le billard ? Je fronce légèrement les sourcils, n'étant pas bien sûre d'avoir compris. « Heu, non, enfin je ne sais pas. Tu as cette impression, toi ? » Oui, oui, si elle m'a demandé si je l'avais "aussi" c'est qu'elle l'avait elle-même, à la base. Mais je trouve ça un peu étrange tout de même, surtout si c'est son passage devant le jury qui lui a fait cet effet-là. Moi, je me suis contentée de répondre aux questions du mieux que j'ai pu, en livrant peut-être un peu trop de ma personne, je ne sais pas. Mais je n'ai rien ressenti de tel. J'étais un peu angoissée en arrivant, en attendant, puis en entrant dans la pièce, ensuite ça s'est bien passé, et maintenant je crois que ça va. Et puis c'est tout.

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