Neuf heures pile sonnent. C'est l'heure de sa dose journalière d'insuline. Ses journées sont rythmées par cette insuline sans qui il ne pourrait survivre. Il s'est habitué à cette condition et ne la voit désormais plus comme une fatalité. Quand on l'a diagnostiqué diabétique, il n'aurait jamais imaginé la pénibilité que c'est au quotidien. Enfant, cela a été très difficile de l'accepter. Au début de sa cure, il restait cloîtré dans sa chambre ou séjournait régulièrement à l’hôpital pour des crises parfois graves. Il n'a pas eu une enfance comme les autres. La version adulte qu'il est aujourd'hui a bien changé et relativise plutôt bien sur sa condition. Rares sont les personnes qui le sachent malades. Et pour cause, il ne veut pas gêner les gens avec cela. Seule une personne dans l'aventure est au courant. Du moins, l'était car hier soir, ont été montrés des extraits de notre conversation. Il semble que les attitudes le concernant n'ont pas changé. Après un court passage dans la salle d'eau, il se remet au lit, attrape le livre et les lunettes posés sur sa table de chevet. Il paresse, il prend du temps pour lui en toute tranquillité dans une chambre presque vidée de ses habitants. Il entend des bruits de pas, lève son nez de son bouquin et croise des prunelles azurées qu'il connaît si bien. « Tu cherches ta sœur ? », qu'il demande, le visage serein, en détaillant de son regard le visage porcelaine de la belle. « Tu viens de la rater. », lui lance-t-il en indiquant la porte d'entrée. Scarlett est partie prendre son petit-déjeuner, il suppose. Lui, il se contente juste d'une pomme pour l'instant - n'ayant pas d'appétit particulier ce matin. Il fait une légère entorse, mais qu'il paiera chère dans la journée.

Dehors, les prunelles paumées, je tente de refocaliser mon attention. Mes maux de cranes sont persistants et lancinants. Cela m'en donne presque le vertige. Je m’agrippe à un pan du mur pour éviter une chute certaine. Je me rends compte que je suis entrain de décliner depuis quelques jours. Il n'y a qu'une seule solution à mon malheur. Scarlett. Je cherche ma soeur. Je dois lui demander une chose de la plus haute importance. Evidemment, ma première idée est de la chercher dans sa chambre. Je profite d'abord d'une dernière cigarette avant de m'enfermer à nouveau. Je jette rapidement mon mégot dans un cendrier. Je rentre me mettre au chaud et monte quasiment deux par deux les marches qui me séparent de la chambre de mon aînée. A la place de tomber sur la rousse, mes prunelles croisent celles de son partenaire qui a apparemment anticipé ma demande. Mince. J'esquisse une simple moue presque déçue parce que je ne compte pas non plus lui courir après toute la semaine. « Tu sais ce qu'elle comptait faire ? » j'ajoute bien que ma question est stupide, Scarlett est imprévisible, elle se laisse conduire, et si en chemin elle trouve une activité plus plaisante, elle n'hésitera pas. « Qu'est-ce que tu lis ? » je l'interroge en arquant un sourcil parce qu'il me semble bien avoir capté un livre non loin sur son lit. « Tu as conscience qu'il est onze heures passées et que tu es encore au lit ? » je ne peux m'empêcher de lui demander avant d'esquisser quelques pas gracieux dans sa direction. Arrivée sur son lit, je pose prudemment l'un de mes genoux dessus, ne voulait pas non loin lui squatter tout son espace vital. Aucune réaction de sa part. Je finis par monter complètement dessus. Je m'assieds en tailleur.

Il est rare qu'il paresse, Lino. Hyperactif comme il est, il déteste se tourner les pouces. Il trouve toujours un moyen de palier à son ennui. Cela le conduit à faire des activités sportives, aussi qu'insolites que classiques. Ses journées sont surchargées - limite trop - et il ne s'accorde que très peu de vacances ou de sorties car il consacre le restant de son temps à vaquer à d'autres occupations. Son doctorat en poche, il exerce le métier de ses rêves tout en le conciliant à des loisirs divers. Pour n'en citer qu'un, le jeu de rôle par exemple. Hier, il a débuté sa énième relecture des Voyages de Gulliver comme tous les ans, à cette période de l'année. C'est une tradition qu'il a débuté avec son père. L'exemplaire qu'il tient entre les mains lui appartenait. Une vieille édition à laquelle il tenait comme la prunelle de ses yeux. Il s'est posé dans le lit pour lire, loin du raffut. Rien ne peut ébranler sa tranquillité, excepté la présence d'une certaine rousse. Le joli minois de cette dernière l'extirpe de sa lecture. Elle semble à la recherche de sa soeur. Ce qu'elle comptait faire ?  « Manger. », répondit-il de façon laconique en finissant de lire un dernier paragraphe et cale son marque-page avant de refermer le bouquin définitivement. Il garde ses lunettes pour l'instant, se ré-accoutumant à sa légère myopie. Il a surtout la flemme d'enfiler ses lentilles. Quel livre lisait-il qu'elle lui demande. Il réplique en reposant le dit-livre sur sa table chevet attitrée : « Les Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift. » Un de ses lèvres fétiches. Après les aventures du célèbre gentleman-cambrioleur français, Arsène Lupin. Elle lui fait une remarque concernant le fait qu'il soit encore au lit à cette heure-ci. Il acquiesça.  « Je sais. », souffle-t-il. Il remet sur ce pas son pull qu'il a retiré afin de ne pas mourir de chaud. Ils allument le radiateur à haute température par ici. Il lui explique le pourquoi du comment : « Ce sont de petits plaisirs auxquels je ne profite jamais quand je suis chez moi. » Oui, trop occupé. Il ne rentre chez lui que pour dormir et pour nourrir son chat. Sinon pour le reste, il s'occupe de sa librairie et de ses clients.  « Viens à côté de moi. Fais pas ta timide. », dit-il d'un ton moqueur. Il tapote la place vacante à côté de lui. Il les sent proches, assez proches pour qu'il se permette ce genre de requête. Il préfère la savoir à ses côtés. Il est apaisé à sa proximité. « Cela remonte à quand la dernière qu'on t'a fait un suçon ? » Il change du sujet d'un claquement d'un doigt. Il a pensé à cette question au moment où il a touché distraitement son cou, sans vraiment faire attention. C'est plutôt une question indirecte, plus personnelle sans doute qu'il tient à lui poser à sa façon, sans la brusquer.

Je scrute un instant son visage. « Tu veux que je m'adapte au régime alimentaire que toi ? » je lui demande parce que je vois bien que cela le fruste un peu de ne pas pouvoir faire comme tout le monde. C'est motivant si on est plusieurs, il me semble ? Je peux très bien me calée sur son rythme et ses quantités, cela ne me demande aucun effort, par contre, je ne peux pas abandonner la clope, impossible, désolée Lino, j'ai beau t'apprécier... Il repose rapidement son libre. « Et ça parle de ? » je l'interroge rapidement en arquant un sourcil, posant sur lui mes grandes opales interrogatrices. J'apprends aussi qu'il aime bien prendre le temps de rien faire, un concept qui m'est étranger j'avoue ...J'en suis rarement capable même si j'essaie de ralentir le rythme. « Je ne fais pas ma timide, je voulais juste te laisser ton espace vital » je rectifie quand même dans un battement de cils. Je me rapproche donc de lui, sur sa demande. A quand remonte mon dernier suçon ... Je l'observe un moment, presque déconcertée en me demande d'où lui sort cette question, c'est un peu étrange non ? Il plane ? Ça ne rentre pas dans la sphère du privé en plus ? Il n'empêche que je suis quand même obligée de me poser tant la réponse n'est pas si évidente que cela. « Ça doit faire six ans, ou plus » je lâche en haussant les épaules, je devais être à peine majeure et en pleine demande d'expérience. Mais maintenant je sais ... « Je trouve que cela sert à rien, c'est juste une marque de possession futile à vrai dire » je me lance parce que c'est ce que je pense. C'est utile, un suçon ? Non, je ne pense pas, d'ailleurs c'est pour cela que je n'en fait pas. Et puis on en parle de ma peau de rousse qui marque dès la moindre occasion. Non, je ne peux pas assumer une tâche violacée empiétant sur mes taches de rousseurs. Et puis il faut dire aussi que les relations et moi, ça fait dix alors avant qu'un garçon s'approche de moi dans l'intention de m'en faire un, j'ai le temps de le voir venir. « Je n'aime pas » je finis par conclure dans un simple sourire. « Par contre toi, ça te plait apparemment » je me moque dans un haussement d'épaule avant de vriller mes pupilles aux siennes.