~ Mallaury


L'heure du repas était passé. Pas que j'y étais allé. Oui c'est vrai je l'avoue je n'y ai pas fait acte de présence... En même temps je n'ai pas l'habitude de manger dans ces tranches horaires, en fait je n'ai pas l'habitude de manger des repas habituels si je puis dire. Sauf le mardi et encore c'est une drôle de tradition que mes parents avaient instaurés lorsque j'étais jeune. ça peut paraître bizarre, de ne pas manger à l'heure convenue. Une entrée, un plat et un dessert. J'ai participé à ce mode de fonctionnement, pendant une certaine période... Mais je m'en suis très vite détaché pour suivre mon propre rythme. On peut croire que je mange que des cochonneries, que je grignote, ce qui est très mauvais pour la santé selon les nutritionnistes du monde entier. Mais ce n'est pas ce que je fais. Non. Je m'alimente selon mes convenances et selon mes besoins. Certes j'ai remarqué depuis mon entrée dans le nid que mes règles alimentaires ne vont pas être facile à gérer. Pour l'instant je m'en sors pas trop mal. Je crois même que personne n'a remarqué mon absence au repas commun. Je ne dis pas que je suis invisible dans la maison, juste que vu notre nombre, ils n'ont pas le temps d'assimiler toutes les têtes et donc de faire un rapprochement quelconque. Oui je les prends pour des imbéciles. Du moment que cela reste personnel il n'y a aucun problème n'est-ce pas? Puis en ce début d'après-midi j'avais besoin de me recentrer. Direction la salle de musique. Heureusement pour moi il n'y avait personne. Je n'avais pas envie de taper la discussion. Parler c'est bien, mais j'aime jouer au roi du silence. Le fait de voir tous ces instruments au tour de moi me fait esquisser un petit sourire, timide, discret. Je pourrais en attraper un, mais lequel. J'ai beau avoir appris à jouer de la guitare, cela faisait une éternité que je n'en avais pas touché. Tiens. Une harpe? Oh je me rappelle quelques bases. Au final ce qui attire le plus mon attention n'est autre que le tourne-disque. Je m'y dirige et jette très vite un coup d'oeil aux vinyles. J'en attrape un au hasard, l'installe puis le met en route. What Makes a Good Man du groupe The Heavy retentit dans la pièce. Je monte le volume, un poil plus haut pour emplir la pièce des résonances. Je me mets au milieu de la pièce, ferme les yeux et commence à me déhancher au rythme des percussions. Je me laisse porter par la musique, envahir. La porte s'ouvre, mes yeux font de même et je découvre une petite bouille. Connu. Je ne me rappelle plus de son nom, ne croit pas qu'il me l'ait dit et ne pense pas l'avoir entendu lors du prime d'ouverture. Prise dans ma folie, prise par le tempo, je ne m'arrête pas et l'attrape par les mains, ne lui demande pas la permission et commence à faire un semblant de danse en sa compagnie. Ne pas parler, juste partager ce moment. Pas de Ana, pas de je ne sais pas qui. Juste une danse. Ce n'est qu'au dernier coup de batterie, qu'au début de la fondue de la fin que je réalise mes gestes, mon acte et m'écarte en douceur tout doucement. Loin du centre de la pièce, presque dans la pénombre. C'est gênant.

Je ne l'écoutais pas. Pas parce que je ne voulais pas, mais parce que pendant un court instant j'étais juste déconnectée. ça peut paraître égoïste. ça l'est en quelque sorte. Je n'ai pas pensé à lui et à ce qu'il voulait. Je l'ai juste emporté dans ma danse, l'ai forcé à en subir les conséquences. Je suis une piètre danseuse. Nous sommes maintenant tous deux gênés alors qu'il n'y a pas à l'être. On m'a souvent dit que j'étais sauvage. Que je prenais chaque réaction comme une pique. Toujours ce besoin de se défendre, de se protéger. Si l'on ne marche pas dans mon sens on marche contre moi. J'ai toujours fonctionné de cette manière et l'on doit bien comprendre que cela ne facilite pas la vie. Je ne me plains pas loin de là, car je n'ai connu que ça finalement. Puis je suis en soit plutôt heureuse. C'est juste que ce genre de situation je le vis fréquemment. Ce n'est pas que je pensais ne pas le vivre au sein de cette aventure. Je me disais juste que cela n'allait pas arriver aussi vite. C'est moi qui ai décidé de reculer et qui me retrouve maintenant à quelques mètres de lui. Enfermé dans mon mutisme il me faut un temps pour me dire, pour me faire réaliser, comprendre que ce n'est pas grave. Que ce n'est pas une honte. Que je n'ai pas fait d'erreurs.Sa prise de parole m'étonne. "Tu crois?" dis-je mal-à-l'aise. Ce n'est pas véritablement une bonne approche. "Je... non! Euh... c'est que..." Je ne sais pas quoi répondre. Pour la première fois ma tête est vide. Je ne peux lui sortir une de mes théories scientifiques... "Tu te rappelles notre première rencontre?" dis-je en me rapprochant de lui, tout doucement, tel un faon. "J'essayais de résoudre une théorie scientifique et toi tu m'as demandé de baisser la musique. Tu n'as pas gâché ce moment. Bien que je n'ai toujours pas réussi à la résoudre. Mais tu ne l'as pas compromis tout comme celui-ci." Chercher de l'aide dans le passé pour résoudre les problèmes du présent, ça je sais faire. "Pas de reproches donc!" dis-je en esquissant un faible sourire. Je m'approche par la suite de la harpe. M'installe et commence à effleurer quelques cordes. "Pourquoi tu es venu ici? Dans ce jeu?" dis-je d'un ton neutre. Autant, maintenant, apprendre à le connaître.

Je m'attendais pas à ce qu'il s'en rappelle. Pas que je suis "oubliable", juste parce que généralement, la plupart des humains, oublie très vite. Catégorise les souvenirs importants ou non. On n'avait pas communiqué entre nous, a proprement parlé. Nous n'avions pas eu d'échange. Dans ce genre de cas, l'homme préfère alors oublier, car cela ne lui apportera rien dans un futur proche. Mallaury n'est pas un homme banal. Il ne fait pas partie des quatre-vingt-neuf pour cent de personnes qui adoptent ce genre de comportement. Ce qui le rend donc intéressant. "Pas spécialement. Généralement elle me stimule. La musique est pour mon cerveau un bon café. Elle me permet de me concentrer. De rentrer dans le monde des maths. Je suis généralement le rythme de la musique. Si tu l'écoutes bien tu peux même y découvrir une formule scientifique." Je fabule pour certain et pourtant c'est comme cela que je fonctionne. Que cela plaise à mes confrères ou non. "Pour toi à quoi sert la musique alors? Et que fais-tu comme travail?"dis-je curieuse de le connaître un peu plus. J'aimerais, étrangement, avoir son avis. Je sais d'emblée que ses idées vont être différentes des miennes. Je sais que je vais vouloir le contredire. Mais je vais d'abord le laisser argumenter. Chose que je ne fais pas souvent. Mais il m'intrigue et c'est d'ailleurs pour cela que je lui pose, certes une question bateau, mais le pourquoi de sa venu ici. Sa réponse m'interpelle. Je le regarde alors, droit dans les yeux. Mon regard change, devient plus dur et nostalgique à la fois. "Pourquoi tu étais du genre à rester cloîtré chez toi? Attendant que la fin du monde arrive?" J'aurais pu m'abstenir pour les sept derniers mots. J'esquisse alors un semblant de sourire, ressemblant plus à une tête de tortue. "Yep. Pour les sciences. J'étudie dans ce milieu. Les sciences naturelles en fait. Je suis un peu le parcours de ma mère. Elle était scientifique." étrangement, cette fois-ci lorsque je le dis, une pointe au coeur se ressent. Mon regard se détourne vers les instruments présents derrière Mallaury. Je recherche des mots. Pourquoi suis-je ici? "Eh bien... pourquoi pas. Je... je suis pas douée avec les êtres humains. J'y arrive pas. Je communique, j'observe. Mais je ne vous comprends pas! Alors... quoi de mieux de participer à ce jeu. Au moins ici, je suis obligé de côtoyer l'homme." Je glisse mes doigts sur les cordes. Un son cristallin s'entend, s'écoute. "Puis j'ai bien envie de découvrir les secrets. Je trouve cet aspect du jeu intéressant." Ce qui est assez amusant. Je préfère cet aspect plutôt que celui de l'amour. Pourtant cela fait aussi partie du jeu. "Content de ton binôme?" dis-je en me rappelant l'avoir aperçu avec Christa.