Assis sur le garde-fou du balcon, une cigarette entre les lèvres, je tends l'oreille malgré tout, des fois qu'on aie un assassin en thérapie dans les parages. Je m'attends à tout. Y compris à un malade qui s'éclate à me pousser dans le vide juste pour passer le temps. J'imagine que pour un candidat de ce genre, ça doit être une distraction de choix. Je l'envierais presque, en l'état actuel des choses. Tout est encore trop nouveau pour que j'ai réellement pu prendre mes marques et habitudes. Il y a a bibliothèque que j'aime envahir, mais y rester H24 n'est pas exactement le meilleur moyen pour se faire bien voir. Il me faut donc m'inventer d'autres passe-temps. Par exemple, il parait qu'on est supposés tenir des comptes twitter. Honnêtement, je n'ai découvert que très récemment de quoi il s'agissait. Les réseaux sociaux, c'est pas trop mon truc. Je suis plus du genre éternel arriéré technologiquement parlant, et j'aurais sans doute totalement abandonné l'idée de m'atteler à la tâche si ma partenaire, d'un regard condescendant, ne m'avait pas à moitié convaincu d'au moins y jeter un coup d’œil. Aussi, j'achève ma cigarette dont je jette le mégot dans une poubelle et aligne un pas souple quoi qu'un peu râleur jusqu'à la salle de contrôle. Un seul coup d’œil à l'intérieur de la pièce a suffi pour signer notre inimité, à elle et moi. De base, le principe même de la vidéo-surveillance me dérange. On peut se demander ce que je fous là, dans un jeu de télé-réalité, donc, et ça m'arrive aussi de me le demander moi-même. Et puis j'oublie. Un peu. Parfois. Jamais complètement, cependant. En l'occurrence, ça me revient en pleine gueule quand je passe la porte et que mon regard est aussitôt agressé par tout ce métal, tous ces écrans. Et au milieu de tout ça, il y a quelqu'un. Quelqu'un de dos, qui semble avoir le regard rivé vers les dédales de couloirs et les multiples pièces qui grésillent sur les différents écrans, laissant de temps à autre découvrir des silhouettes en mouvement. Je m'arrête, les mains dans les poches, observe une seconde Percy, avant de m'approcher, levant à mon tour le regard vers une télévision affichant la cuisine. « Pourquoi tu t'infliges ça ? » je lâche, perplexe. Non contente de projeter nos images au pays entier, la production tenait à ce qu'en plus, on puisse se voir nous-même. C'est pas un peu malsain, ça ? Télé-réalitéception ? « Tu ne te sens pas encore assez piégé ? » j'ajoute avec un brin de sarcasme, détournant finalement le regard pour le dévisager.

Si Percy craignait d'être dépaysé, il avait bien fait d'entrer dans la salle de contrôle, puisque s'y trouvaient bon nombre d'ordinateurs qui lui rappelleraient sans nul doute celui devant lequel il passait plusieurs heures tous les jours. Sauf qu'ici, on en faisait un usage somme tout un peu différent. On y postait sur des blogs, a priori, on y jouait même occasionnellement semble-t-il. Et, mieux encore, on y surveillait les faits et gestes de tous ceux qui avaient le tort de ne pas se trouver à l'intérieur de cette pièce. Percy n'était peut être pas plus voyeur qu'un autre, mais l'idée de voir tout ce qui se passait en ce moment même à travers le nid, ça lui plaisait presque. Non pas qu'il s'attende à quoi que ce soit d'un tant soit peu croustillant, mais il trouvait ça pas inintéressant d'être pour un instant à la place de ceux qui les voyaient depuis l'extérieur. Seulement voilà, c'est quand il n'était pas du tout disposé à se lancer dans de grands questionnements que quelqu'un débarquait toujours pour essayer de lui donner l'impression que quelque chose ne tournait pas rond chez lui. Ici, ce fut un grand brun, qui entra dans la salle de contrôle et lâcha quelques mots qui le laissèrent perplexe, et par deux fois. Sans pour autant décoller ses yeux des écrans, l'anglais réfléchit à ce qu'il pouvait vouloir lui dire. Non pas qu'il ne comprenait pas, mais il n'était pas sûr de vouloir être considéré comme un mec qui subissait son sort. Parce que ouais, d'accord, c'est vrai qu'à bien y réfléchir c'était glauque d'imaginer que ce qu'il voyait là, n'importe quel mec qui allumerait sa télé pourrait le voir aussi. Mais de là à se laisser obnubiler par cette idée, non, il s'y refusait. « Je suis là parce que je l'ai bien voulu » articula-t-il simplement au moment où il releva finalement les yeux pour croiser ceux du grand type. « Je savais à quoi m'attendre. J'ai signé en connaissance de cause. » Il le formulait sur un ton presque fataliste, finalement. Parce qu'il considérait que puisqu'il savait globalement dès le départ dans quel monde il allait entrer, il ne pouvait pas aujourd'hui se faire passer pour la victime d'une organisation qui faisait dans le voyeurisme. Pourtant dieu sait que même un gars comme lui aurait envie d'oublier la présence des caméras dans certains moments. Car bien sûr que c'était plus facile d'être ici à cet instant que de l'autre coté de l'écran. Mais il partait du principe qu'il fallait avoir une certaine propension à accepter ne serait-ce qu'une partie de la situation pour consentir à se retrouver ici. Donc lui, il estimait ne rien subir, simplement vivre l'exposition qu'impliquait de faire partie d'une telle aventure. « Toi, t'imaginais pas ça comme ça ? » demanda-t-il alors, avec comme l'envie d'en savoir un peu plus sur ce qui amenait ce type à dépeindre la situation de cette façon. Tout le monde n'avait peut être pas été aussi conscient que lui au moment de se lancer, ainsi peut être que certains constats s'avéraient difficiles.

J'ignore s'il a mal compris ce que je voulais dire ou si, pour lui, il est tout à fait normal de se retrouver dans une pièce bourrée de télévisions affichant chacune un angle différent du domaine dans lequel on vit, et mettant en scène les candidats que l'on côtoie en permanence depuis plusieurs jours. Peut-être un peu des deux. Dans tous les cas, c'est pas bien grave, au fond. Il fait ce qu'il veut. Moi, je ne suis pas particulièrement pudique, de façon générale, mais je sais parfaitement que dans un certain environnement, c'est agréable de savoir que notre entourage met un peu de sien dans un semblant de bien-être. Ça me semble être le minimum, la base du savoir-vivre en société. Ça ne viendrait à l'esprit de personne (de sensé) d'aller ouvrir les cabines de douche pour aller mater les gens en train de se laver en camping, si ? « Si, je m'étais fait une idée, mais j'imagine on ne sait jamais vraiment sans le vivre » je réponds simplement. Même lui, Percy, ne peut prétendre avoir parfaitement su comment il réagirait à la présence des caméras et des micros, à l'enfermement et à la vie à trente-trois. « Je parlais de mater des gens avec qui tu vis au quotidien » j'indique tout de même en désignant d'un vague geste de la main les écrans de télévision. Mon regard, en même temps, s'égare sur une silhouette masculine occupée à se préparer à manger, j'imagine. Je pourrais presque calculer le temps qu'il lui faudra pour que ça soit prêt, et le coiffer au poteau en allant chercher son repas avant lui. « Quand tu ne les connais pas, c'est facile. Là, ça donne un petit côté Gestapo. » et j'esquisse un sourire sarcastique. Se fondre dans la masse et pourtant avoir la possibilité de connaître le moindre de leurs faits et gestes. Ça doit être tentant, pour certains. En définitive, je crois que je m'en fous. Je ne passerai pas ma vie ici mais comme il l'a si justement fait remarqué, on est là de notre plein gré, faut faire avec. Je détourne les yeux du type à la cuisine pour finalement tirer une chaise face à un ordinateur et me laisser tomber dessus, les jambes tendues et les chevilles croisées. « Non, sérieusement, pourquoi tu t'es inscris ? » je l'interroge alors, rendu curieux par ses paroles. Il est bien conscient des conditions de vie, qu'est-ce qu'il peut bien chercher ici ? J'imagine que ses motivations sont différentes des miennes, et de celles de tous les autres, aussi. « L'argent ? La, hm, gloire ? L'amour ? » j'ironise en dernier, parce que franchement, vu son expression et les échos que chaque candidat doit avoir glaner à son sujet au détour d'un couloir, c'est quand même l'hypothèse la moins probable de toute l'histoire de l'hypothèse.

Dans le fond, c'était probablement Hadrien qui adoptait la bonne attitude face à la situation. Percy n'était pas du genre à se demander si c'était franchement sain de se retrouver dans un endroit où le moindre de nos faits et gestes est filmé. Il estimait que puisqu'il savait à peu près à quoi s'attendre avant d'entrer dans le jeu, il n'avait aucune raison de se questionner quant à la manière dont on exploiterait son image. Il faisait partie des trente-trois personnes susceptibles de ressortir d'ici avec les poches pleines. Tout ça, il l'avait bien voulu. C'était même assez normal qu'il y ait une contrepartie au fait de n'avoir à se préoccuper que de nominations et de stratégies pendant plusieurs semaines. Maintenant, il pouvait comprendre que d'autres aient un peu plus de mal à se faire à tout ça. Ce type, pourtant, n'avait pas vraiment le profil du candidat qui se demande continuellement ce qu'il fout ici. Du coup, l'anglais supposa qu'il s'était simplement imaginé les choses un tout petit peu différemment. Il hocha alors la tête à ses propos. Il était assez d'accord avec l'idée que personne ne puisse vraiment prétendre savoir de quoi il retournait avant d'arriver ici. Même lui qui n'avait rien laissé au hasard avait inévitablement eu quelques surprises. Maintenant, ça faisait partie de l'aventure, et se laisser déstabiliser serait une perte de temps. Hadrien nuança alors ses propos et Percy reporta son attention sur les écrans. « Je crois que les voir comme des adversaires avant toute autre chose les déshumanise légèrement à mes yeux » avoua-t-il alors, sans franchement avoir honte de ne pas être ici pour devenir le pote d'une grande partie des candidats. « Je suppose que ça me donne bonne conscience. » Il ne réfléchissait habituellement jamais à ce genre de choses, mais ici il était confronté à son choix de rester focalisé sur le jeu. Il ne pouvait pas se permettre d'avoir des scrupules, que ce soit pour ça ou pour autre chose. Finalement, son camarade lui demanda ce qui l'avait poussé à s'inscrire, et c'est vrai que ça suivait assez le court de la conversation. Les propositions qu'il énonça le firent alors sourire, surtout la troisième, parce qu'il sentit qu'au moment de le dire Hadrien n'y croyait même pas lui-même. « Venir ici dans l'espoir de se caser, tu penses aussi que c'est pathétique autant qu'invraisemblable, non ? » Du moins l'espérait-il. Parce qu'à lui ça lui paraissait logique, mais tout le monde ne pouvait pas être aussi catégorique sur le sujet. « C'est pour le jeu en lui même que je le suis là. Pour mettre mes capacités tactiques au service d'une partie que je compte bien remporter. » Il ne se cachait jamais derrière une fausse modestie qui n'aurait pas lieu d'être. Il était bon dans ce qu'il entreprenait à l'extérieur, bon dans ce qui l'amenait à utiliser des manœuvres stratégiques, alors oui, il s'était dit qu'il pourrait tout aussi bien le faire ici, pour un enjeu un peu particulier. « C'est pour l'argent, en ce qui te concerne ? » Il le supposait simplement parce que beaucoup semblaient être ici pour ça. C'était la motivation type, la plus assumée aussi peut être.

Distraitement, du bout d'un doigt, je fais rouler une souris sur son tapis. Ils sont quand même plus sophistiqués, les ordinateurs, dans la civilisation normale. Sans blague, je n'avais plus vu de tapis de souris depuis des années. Enfin, vu le temps relativement restreint que je compte passer dessus, ce n'est pas moi que ça va gêner le plus. Il n'y a qu'au démineur que j'assure. En écoutant Percy, je détache le regard de mon petit divertissement bien merdique pour redresser la tête en direction des écrans et suivre des yeux une silhouette qui court tout autour de la piste encerclant le stade. À cette distance, difficile de dire de qui il s'agit. Mais peu importe, puisqu'il ne s'agit que d'un adversaire. C'est vrai que c'est une façon facile de voir les choses. Oublier qu'il s'agit d'êtres humains, se contenter de les considérer comme des obstacles entre soi et la finale, voire la victoire. Je pourrais sans problème le faire, à quelques exceptions près. Je n'ai jamais eu beaucoup de scrupules pour les inconnus. « Aucun ne trouve donc grâce à tes yeux ? » je l'interroge avec un sourire dramatique. Allons, il y a bien un ou deux candidats susceptibles de le faire hésiter, non ? À un stade embryonnaire, du moins. Parce que très franchement, pour l'instant, à part Clémentine, je considère que je n'ai de comptes à rendre à personne. Il va donc s'en dire que mon but en venant ici n'est clairement pas de me défaire de ces personnes et de m'amouracher avec la première jolie fille venue. « Disons qu'il faut atteindre un certain degré de désespoir que je ne pensais pas possible » je rétorque. Les gens font ce qu'ils veulent. S'ils ont l'impression d'être tombés sur leur âme sœur, c'est leur problème. Mais pour ma part, la perspective de vivre une histoire à la vue de tous me déplaît tant que je suis quasiment certain que ça n'arrivera pas. Et même s'il se trouvait que, par le plus grand des hasards, une femme en particulier me plaise, ce n'est certainement pas ici, dans un contexte qui empêche toute connaissance de l'impact de l'extérieur sur le couple, que ça se concrétisera. Bref, non. Pas de ça. Finalement, il me livre ses motivations en s'inscrivant à Fake Lover, et si elles ne font pas vraiment écho aux miennes, je les comprends tout de même plutôt bien. « Amen. » Je hoche la tête. C'est vrai que le jeu en lui-même, d'un point de vue purement tactique et défi, a quelque chose d'assez attrayant. Mais moi ? « Pour le single philosophico-electro-daubesque qui m'attend à la sortie, voyons » je réplique aussitôt, en secouant vivement le menton. Quoi d'autre ? Ce n'est pas ce dont rêvent tous les candidats de télé-réalité ? Non parce que, honnêtement, en France, c'est pas bien brillant du côté du domaine du télé-crochet. « Tout juste » je précise toutefois en redevenant sérieux. Inutile de prétendre être en quête de mon petit moi et de l'aventure humaine et psychologique. Si je suis là, c'est pour être logé et nourri gratos, tout en ayant en plus la possibilité d'être payé pour ça. « L'ennui, aussi. » Pour ne pas dire principalement.  J'ai beau me convaincre qu'un quotidien chiant à Vienne est ce dont j'ai besoin en ce moment, ça ne m'empêche pas de franchement râmer, à certains moments. « Cela dit, quand je le vois, celui-là, je me dis que je me suis peut-être planté niveau qualité des distractions » j'ajoute un brin sarcastique, en désignant vaguement du doigt le gars qui continue de courir tout autour de son terrain, inlassablement.

Percy n'oubliait pas qu'il était entré ici seul, et que tous les gus qui l'entouraient depuis quelques jours n'étaient encore pour lui que des inconnus il n'y a pas si longtemps. S'il n'avait pas prévu de passer son aventure à fuir tout contact, il ne se voyait pas nouer de lien durable, parce qu'il n'était pas venu là pour ça. A ses yeux, Fake Lover n'était pas un endroit où devaient primer les rencontres, ou alors on lui avait menti, et il pouvait dès à présent faire ses valises - ce qu'en soit il aurait de toute façon à faire en toute fin de semaine. Hadrien trouverait peut être son discours aberrant, mais Percy tâchait de ne voir principalement ses camarades que comme des adversaires, des obstacles à la réalisation de son principal objectif : remporter l'aventure. Et les voir de cette manière, ça lui donnait bonne conscience, oui, pour un certain nombre de choses, parce qu'il n'avait pas à s'encombrer de scrupules. Pourtant, la question de son camarade le fit réfléchir. Pouvait-il vraiment mettre tout le monde dans le même sac ? N'y avait-il vraiment personne susceptible de l'amener à modérer son discours ? A bien y réfléchir, il y avait bien quelqu'un, effectivement, qui pourrait réveiller chez lui une certaine clémence, parce que sa façon d'être l'avait relativement séduit. Mais était-ce suffisant pour remettre en question ses principes ? Non, probablement pas après quelques jours, et sachant qu'elle n'aurait jamais réellement conscience de ce que c'était que de lui apparaitre d'une telle façon, quand de son coté elle devait probablement l'estimer autant qu'elle en estimait beaucoup d'autres. « Certains ... ne sont pas inintéressants » résuma-t-il sur le moment, employant expressément cette courte formulation pour qu'on ne puisse surtout pas imaginer que cette question ait pu le faire autant réfléchir. L'anglais était toujours très pudique quand il s'agissait de témoigner de ce que certains pouvaient être capables de réveiller chez lui. Parce qu'il ne l'assumait pas, tout simplement. Quant au fait de venir ici avec l'idée de trouver l'amour, il est vrai qu'il trouvait ça hautement pathétique, et qu'au fond il espérait que son camarade aussi, tant pour lui c'était sérieusement triste. Justement, ce fut le cas, et la façon qu'il eut de résumer sa pensée fit sourire le blond, qui ne l'aurait sûrement pas mieux dit. Ainsi, approuvant d'un signe de tête, il confessa bientôt que c'était le jeu qui l'avait attiré, lui. Parce qu'il était stratège de nature et que jouer dans un cadre comme celui-ci, c'était le rêve des types dans son genre. Hadrien, quant à lui, eut le don de l'amuser, parce que le regard qu'il portait sur l'après-jeu était délirant. « Tu oublies le best-seller autobiographique au titre aussi vendeur que solennel, livrant les dessous de l'aventure. » Il y en avait bien qui écrivaient des bouquins pour raconter des trucs dont tout le monde était très susceptible de se foutre, alors bon. Finalement, il lui confirma que c'était bien l'argent qui l'avait quant à lui véritablement motivé, avant d'ajouter que l'ennui y était aussi pour quelque chose. Et la suite l'amusa, à nouveau, tandis qu'il observa le type désigné par Hadrien. « En arrivant, on se dit qu'on aura pas assez de temps pour tout faire, mais finalement on en fait très vite le tour » commenta-t-il par expérience, parce que lui-même s'était dit qu'il mettrait du temps à se distraite de toutes les manières possibles, alors qu'en fait tourner en rond était inévitable. « Qu'est-ce que tu fais à l'extérieur qui t'ennuie à ce point ? » Quel était son quotidien, en somme. Percy, qui n'avait jamais le temps de s'ennuyer, était inévitablement intrigué. Il ne lui demanderait pas ce qui l'empêchait de changer de vie, ayant bien compris que c'était le manque d'argent, du coup.

Ça serait quand même le comble, dans le cadre d'une émission mettant en scène une série d'individus triés sur le volet, qu'aucun des trente-deux autres candidats sélectionnés cette saison ne soit un tant soi peu intéressant. Pas que je me considère comme particulièrement intéressant mais je préfère ne pas émettre d'opinion sur mon compte, je préfère ne m'inclure dans aucun groupe. Comme tout le monde, je dois avoir des côtés sympas et des côtés franchement chiants. « C'est largement suffisant » je conclus en hochant la tête. Au bout d'une semaine, en tout cas. On aura tout le temps de découvrir plus tard si ces premières impressions se révèlent fondées ou pas du tout. Quelqu'un d'intéressant peut vite démontrer qu'il a déjà offert tous ses points positifs. Bref, comme ni lui, ni moi, ne sommes là pour le côté plutôt relationnel du jeu, on finit vite par digresser sur nos réels intérêts. Nos réelles motivations quant à l'émission. Les buts de nos vies, en somme. L'après Fake Lover. La gloire sans précédent que ça nous apportera, chacun dans notre domaine. Moi la chanson, parce que voilà, il est de notoriété publique que j'ai une vraie voix de stentor, que le chant, c'est mon domaine. C'est mon talent, ma passion. Et, en l'imaginant en écrivain de seconde zone, j'éclate de rire. « Classique. » Mais pas tellement vrai, on est d'accord. Le jour où je déciderai de sortir un single n'est pas arrivé. Et n'arrivera jamais, dieu et ma raison m'en préservent. Non, moi, si je suis là, ce sont pour des raisons que l'on pourrait considérer comme aussi superficielles. L'argent, principalement, je ne m'en cache pas. Mais aussi l'ennui, le besoin de nouveauté. Et il est clair que le contexte dans lequel je suis à présent plongé a tout d'une nouveauté, même si, en soi, les activités qu'on a pour passer le temps n'ont rien d'innovantes, pour la plupart. « Littéralement, dans son cas » je confirme, avec un sourire amusé. Mais je détourne rapidement la tête de l'écran, parce que sans blague, il me file le tournis. C'est autre chose que de regarder des meetings d'athlétisme. Je redresse la tête vers Percy, qui m'interroge à nouveau, mais je me tais, les premières secondes. « Je travaille au musée d'Histoire de l'Art de Vienne, mais ne te méprends pas » et je balance vaguement la tête de gauche à droite. C'est plus complexe que ça. Ou peut-être plus prétentieux. Ouais, j'imagine que ça doit l'être un peu. J'ai un appart, j'ai un bon boulot, je ne manque de rien, inutile de le nier. Mais c'est pas assez. Ce n'est jamais assez. « J'ai choisi ce mode de vie. Je m'ennuie parce que c'est ce dont j'ai besoin pour l'instant. » Ça peut paraître difficile à comprendre, dans l'absolu, et surtout pour des inconnus ne sachant absolument rien de moi mais n'importe qui m'ayant connu à Paris doit pertinemment savoir que ralentir un peu la cadence ne peut pas me faire de mal. « Me calmer. » j'achève. Enterrer un peu l’extrémisme de mes réactions, de ma façon de voir les choses, de mes actes. Bref, m'adoucir. M'investir moins. Mais j'y pense tant que je doute que ça fonctionne. Depuis que j'ai entériné cet objectif en emménageant à Vienne, j'ai l'impression de vivre au ralenti et si c'est exactement ce que je veux, ça n'a rien de très naturel. « Et toi, Stephenie Meyer, qu'est-ce que tu fais de ta vie ? » je lui renvoie alors, sans parvenir à deviner ce à quoi il peut bien occuper ses journées. Allez, joueur de combat naval professionnel, ou un truc du genre.