C'est encore engourdie que Paloma pénètre à pas de loup dans le salon, uniquement vêtue de son maillot de bain, ses ray ban sur son crâne. Il fait doux, il fait beau, elle a passé une partie de l'après-midi à nager dans la piscine, à admirer les reflets du soleil se mirer dans l'eau turquoise et puis finalement à lire sur un transat. Elle a du s'endormir parce qu'elle se sent groggy. Sa peau est chaude, gorgée de soleil et ses gestes habituellement lestes sont empreints de la nonchalance propre aux dormeurs. Elle étire son corps longiligne à s'en décrocher une vertèbre mais ça ne l'aide pas vraiment à revenir ici, sur la terre ferme. Paloma flotte quelque part entre le sommeil et l'éveil, dans cet entre-deux qui a parfois la douceur d'une bulle de coton mais souvent le trouble désorientant d'un cauchemar. Ici c'est ni, ni l'autre. Elle se sent seulement un peu absente et comme souvent, un peu mélancolique éprise d'un spleen qui la ronge de l'intérieur sans qu'elle en connaisse vraiment la cause. Elle met le doigt dessus, évidemment, mais ne parvient pas à la chasser. C'est comme s'il faisait partie d'elle, comme un trou noir, et qu'il absorbait la lumière de ses souvenirs. Alors quand il la lance, c'est toujours pour une raison mais rarement pour la même. Paloma se dirige tout droit en direction de la salle de bains pour prendre une douche revigorante mais la voix de Mallaury l'interpelle et à la place, elle se laisse tomber sur le canapé en face de lui et s'y alanguit sans autre forme de procès. Il quitte son sofa pour rejoindre le sien et naturellement, elle replie ses longues jambes fuselées pour lui laisser une place décente. Et puis, comme ça, à moitié allongée, elle le voit même pas, c'est un peu nul. Alors Paloma se redresse, relève les genoux contre sa poitrine et y pose sagement ses coudes, puis son minois de poupée. Un sourire ravi, légèrement timoré, se peint sur ses lèvres lorsque Mallaury ouvre la bouche. De surprise d'abord, puis d'un bonheur simple, le genre qui effleure le coeur et le réchauffe. Elle s'attend pas à ce genre de propos, surtout pas de lui et ça lui plaît, à Paloma. Parce qu'à ses yeux, le candidat est le genre sincère, loyal avec un sens de la morale sans doute élevé. Alors si ses actions le contentent, ça lui fait plaisir. C'est peut-être son côté petite fille de bonne famille mais Paloma a l'impression d'avoir récolté une bonne note et d'entendre son professeur la congratuler, déclenchant une fierté qu'elle ressent pourtant jamais. « Si ça t'a fait plaisir alors ça m'fait plaisir » suggère-t-elle du bout des lèvres. Ses pupilles s'embrument de douceur pour dévisager son visage d'ourson mais Paloma se sent un peu comme une imposture. « Mais j'ai rien fait de spécial tu sais. C'est un coup de chance. » souffle-t-elle en haussant les épaules. Paloma cherche pas à minimiser d'avoir trouvé le premier secret de la saison, elle précise seulement qu'elle a rien fait de spécial à part obtenir des indices qu'elle a trouvés plutôt explicites pour le coup. Ou alors, qui correspondaient bien à sa logique parce qu'elle s'est contentée de les lire de façon littérale, de les assembler et d'en tirer une conclusion. « Et le bon candidat aussi. J'aurais pas tenté aussi vite avec un autre... » Mais elle a eu envie de provoquer Isaac, de lui montrer qu'elle aussi pouvait le mettre en danger si elle le voulait alors elle a foncé, Paloma. Elle aurait pu foncer droit dans le mur mais a eu de la chance. Seulement de la chance.

Mallaury est intriguant. Il porte sur lui cette espèce de candeur presque enfantine qui donne inexorablement envie de le protéger, de le prendre dans ses bras et de lui promettre que tout ira bien. Pour sûr, ça peut agacer les fortes têtes un peu grandes gueules et les pousser à le secouer, mais Paloma n'est pas de ceux-là. Elle a toujours ce petit quelque chose pour les outsiders, cette tendresse qui naît dans son coeur trop prompt à se donner aux quatre vents et qui a besoin de se diffuser. Ca s'explique pas, c'est sa sensibilité, c'est quelque chose en elle qui s'éclaire et se réchauffe en présence de gens un peu différents, mal armés contre la vie, qui dégagent un brin de poésie. Ca peut être de la souffrance, de la timidité, un manque de confiance ou juste une innocence, ça l'émeut elle y peu rien. P'têtre parce qu'elle a longtemps été de ce côté-là de la barrière, celui de l'underdog, la gamine aveugle qu'on qualifiait jamais autrement qu'on accolant un 'pauvre' condescendant devant son nom. On la plaignait, ça oui. On la jugeait, aussi. Mais au fond, personne ne s'intéressait à ses propres ressentis. A la peur qu'elle éprouvait, tout le temps, à être perdue dans son environnement aussi familier soit-il pour le reste du monde. A la solitude qui ronge lentement, aussi. Mallaury fait partie des candidats dont elle aimerait connaître l'histoire sur le bout des doigts, parce que c'est ainsi qu'elle fonctionne, Paloma. Elle observe, elle questionne, elle savoure d'apprendre des détails et elle se livre ensuite, une fois qu'elle sait qu'elle peut accorder sa confiance. « Tu te fourvoies, ça aurait pas été plus ou moins de la chance que moi » le reprend-t-elle doucement. Paloma le détaille fixement de ses prunelles et espère que Mallaury y lise quelque chose de positif, qu'il se regarde à travers ses iris et comprenne qu'il est pas obligé de toujours se rabaisser, comme ça. Elle hésite à venir presser sa main, délicatement, mais suspend son geste en plein vol en se souvenant de l'épisode Alistair qu'aime vraiment pas ça. P'têtre que Mallaury est le même genre, p'têtre qu'on a le droit d'être tactile qu'avec ceux qui se montre un peu ambigus. Elle sait pas, Paloma. Elle, parfois elle l'est, tantôt elle se dérobe au contact comme un chat sauvage. Ca dépend de son humeur, souvent. Sa cagnotte arrive fièrement sur le tapis et ça l'a fait gentiment rire. Sa frimousse de poupée esquisse un sourire railleur et Paloma hausse ses épaules, où siège fièrement sa tête. On peut pas dire qu'elle grossisse ou s'envole comme un ballon au moins. « Ma cagnotte c'est du vent, du virtuel. Ceux qui pensent ressortir d'ici riches sont naïfs... » dit-elle sobrement, sa voix cendrée lestée d'une pointe de dureté. Paloma se moque de ses 39 000 euros, c'est pas de l'argent, c'est des billets de monopoly, ni plus, ni moins. C'est pour ça qu'elle peut balancer 5000 ou 10000 euros sur un indice si ça la chante ; elle préfère découvrir les secrets qu'amasser une fortune. Les secrets, ça en dit long sur une personne, elle imagine. Elle espère seulement que ça ne changera jamais ce qu'elle pense de ses camarades. Paloma se l'est promis, de ne pas juger. D'écouter sagement, de noter, mais de surtout pas remettre en question tout ce qu'elle aura ressenti alors qu'elle connaissait pas ce secret. Elle ignore si elle y parviendra cela dit, mais elle essayera. « Je crois que je serais soulagée si mon secret tombait. » chuchote-t-elle en baissant les yeux sur ses genoux cagneux. Paloma a conscience de trop en dire, de se livrer plus qu'elle ne le devrait mais Mallaury lui inspire confiance. Elle a l'impression que c'est le genre d'homme qui est juste bon, celui qui peut ouvrir ses bras pour qu'on s'y love sans rien attendre en retour. Elle se plante peut-être, sûrement d'ailleurs, mais ça ne fait rien. Pour l'instant, elle a envie d'y croire. Alors elle relève ses prunelles sur le visage de son camarade et ébauche difficilement un sourire faiblard, évanescent. Le genre d'esquisse vulnérable qu'un rien peut effacer. « Ton secret te fait sentir comme ça aussi ? » Mal, en fait.

Mallaury affirme qu'elle est réaliste et ça décroche un sourire distrait à Paloma. C'est que les autres doivent être vraiment à l'ouest alors parce que réaliste n'est pas le premier adjectif auquel on pense quand on pose ses yeux sur elle, loin de là. Paloma n'est pas réaliste, elle est pas non plus son contraire, elle évolue quelque part entre les deux telle une funambule sur un fil, perchée au milieu des nuages. Sa vision de la vie diffère et s'éloigne de la logique communément attendue. Paloma voit le monde à travers des prunelles à la sensibilité exacerbée et s'en fait une vision singulière et artistique. Elle s'attache à des détails insignifiants pour le reste du monde, s'émeut d'un rien d'un coucher de soleil à un joli visage et a toujours tendance à croire que l'humain est moins déviant et mauvais qu'il est dépeint. Elle est naïve, quoi. Mais c'est pas une stupidité, pas à ses yeux. Paloma n'est pas naïve parce qu'elle est stupide, elle sait parfaitement à quoi elle s'expose. La manipulation, la déception, la souffrance. Et derrière un voile de méfiance qui s'évanouit rapidement comme un écran de fumée, elle accepte de tomber parce que y'a les mauvaises surprises, mais y'a aussi les bonnes et une bonne surprise, une jolie découverte, ça vaut mille bleus au coeur, mille genoux écorchés et cicatrices indélébiles. Sa force, à Paloma, n'est pas la chute mais le pouvoir de se relever malgré ses rêves explosés sur le trottoir et son coeur aux allures de trou noir, un grand trou qui creuse sa poitrine et lui donne la sensation terrible d'être vide. Elle est pas réaliste, pas du tout, et pourtant elle reste plus lucide que de nombreux candidats, sans doute ici pour de mauvaises raisons. Celles qui durent pas. Le fric, la renommée, la vanité humaine en fait... « Je suis pourtant pas du genre réaliste » souffle-t-elle dans un sourire évanescent. On lui a jamais dit un truc pareil avant et Paloma aime bien que Mallaury puisse voir ce truc en elle, même si c'est faux. Elle aime bien parce que ça la rend moins fragile, moins frêle qu'elle apparaît. Parce que tout le monde pense qu'elle vacillera au premier coup de vent avec son physique gracile de ballerine, de petite poupée docile dont on peut plier ou tordre les os à foison. Mais c'est pas vrai, elle est plus roseau que chêne et malgré les apparences on connaît la morale... Le faible souffre mais ne rompt pas. « Mais ça m'empêche pas d'être lucide, j'imagine qu'il y a une nuance » énonce-t-elle d'une voix réfléchie, posée, un peu lointaine comme si elle était encore en pleine introspection. C'est pas son truc pourtant, Paloma préfère effeuiller les autres qu'elle-même et réfléchir à leurs tourments plutôt qu'aux siens. Mais Mallaury à ce petit quelque chose dans le regard qui la rassure, lui plaît et lui donne envie de confier à lui plus qu'à d'autres. Il est le genre d'homme à qui elle offrirait sa confiance les yeux fermés, elle qui la distribue si peu. Elle sait pas si c'est un instinct ou une belle connerie mais c'est que l'aura de Mallaury, elle a l'air si jolie que c'est facile de tomber pour lui. « Arrête, tu vas m'faire rougir » lâche-t-elle en coulant sur lui un regard mutin, pétillant. Bien sûr, elle plaisante, Paloma a la peau dorée de son pays, gorgée de soleil madrilène, le genre velouté de pêche qui s'imprime jamais de rouge. Mais elle aime pas vraiment les compliments, elle les trouve toujours un peu immérités et ne sait jamais comment y répondre. Les compliments, Paloma n'est pas non plus très forte pour les faire. Elle les pense, mais les dit assez peu. Mallaury évoque son secret et elle sent son coeur se gonfler dans sa poitrine, comme une éponge, parce que ses paroles ont un truc rassurant. Il prétend que ça changera rien, ça veut dire que son secret n'est pas trop lourd, qu'il n'a pas à mentir tout le temps, à tout le monde, pour le protéger. Ca veut dire qu'il agit avec sincérité, et ça lui donne envie de baisser un peu la garde, de réduire ses défenses et de s'ouvrir à lui. « Ca doit faire du bien, un secret qui change rien. Tu sais que tu peux lier aux autres sans que la révélation fasse tout exploser en vol... » Elle l'envie un peu, Paloma, et c'est exactement ce qu'on peut lire dans son iris flamboyantes qui caressent son visage de petit ourson. Elle dit pas que son secret ruinera tout, juste qu'il attise les jugements et qu'elle sait qu'elle n'y échappera pas. Qu'on la comprendra pas, même si elle se livre avec sincérité. C'est ça, qu'elle craint. Parce que Paloma n'est pas une mauvaise personne, tout ce qu'elle fait, c'est avec des bonnes raisons, c'est avec son coeur, mais parfois... même avec les meilleures intentions, on merde en beauté et les autres sont pas enclins à pardonner, voire à piger. « Qu'est-ce que tu veux dire ? » l'interroge-t-elle d'une voix douce et concernée, comme un écrin. Paloma le fixe, intriguée, les sourcils arqués. Elle comprend pas. Elle comprend pas ce qu'il pourrait perdre, ici, outre son secret. « Ici ou en général ? » qu'elle précise en se redressant tout à fait, croisant ses jolies jambes fuselées pour s'asseoir en tailleur et ainsi, se rapprocher de Mallaury et de cette discussion à coeur ouvert. « Dans quel état d'esprit es-tu ? » Elle soutient son regard, le fixe avec un intérêt et une compassion toute naturelle chez elle, celle qui la pousse à savoir, à comprendre, à aider, à protéger. Celle qui fait qu'elle donne tout et reçoit parfois rien du tout en retour. Paloma est comme ça, c'est tout. « C'est peut-être juste un temps d'adaptation, tu crois pas... » qu'elle souffle avec la délicatesse d'une caresse en un timbre rassurant. Une nouvelle fois, ses muscles se tendent et elle retient un geste affectif. Elle aimerait presser sa main, ou son genou, juste esquisser un pas en avant, le remercier en un geste implicite de se confier, de la laisser entrer, même si c'est juste un peu. Mais Paloma conserve sa réserve naturelle, alors elle n'en fait rien et se contente de s'abreuver de son visage, de sa silhouette et du mystère qu'il représente, Mallaury.