L'insomnie a bien choisi sa nuit pour montrer le bout de son nez, cette nuit. Je dirais presque que c'est le destin qui a voulu que cette nuit je me réveille, alors que je m'étais pourtant couché tôt, sans mauvaises pensées qui préoccuperaient mon esprit, que je n'avais aucune raison de me lever à une heure pareille. Ou bien un sixième sens, celui qui sait quand quelqu'un a besoin de vous. Vous y croyez vous à ces conneries ? Moi je n'y croyais pas non plus, jusqu'à cette nuit. Déambulant comme une âme en peine dans les couloirs, c'est en passant à côté de la salle de musique que je m'arrête, comme appelé, comme hypnotisé par la mélodie. J'ai d'abord l'impression qu'elle vient de ma tête, de ma propre imagination puisque je connais ce morceau mais une fausse note me rappelle à la réalité. Dans ma tête, il n'y en a pas, des fausses notes alors ceci est bien réel. Elles m’enveloppent, me prennent aux tripes. Mon coeur s'emballe, encore une fois à cause de mon imaginaire. Je replonge dans mes travers, ne distinguant plus le vrai du faux, le rêve et la réalité. Paniqué, oppressé, je sens mes jambes flancher. Ma main se pose sur la poignée, figée, incapable de l'ouvrir. Ma raison me traite d'idiot, mais j'ai encore envie d'y croire, juste encore un peu. Mon esprit est torturé, perdu entre deux mondes. Ne pas savoir, ça me fait autant de mal que de bien... Au bout d'un moment, ça en devient insupportable. Je ne sais pas pourquoi je m'inflige cette douce agonie. J'ouvre la porte et la vérité me saute en pleine face, comme une claque que je me serais pris. Je cherche du regard le piano, et je la vois. Je suis une nouvelle fois frappé, déboussolé par la tristesse de son visage. Des secondes s'écoulent, de longues secondes qui me paraissent durer des minutes, des minutes où je détaille la scène, chaque détails, chaque essence comme une belle toile que je voudrais garder en souvenir dans ma mémoire. C'est plus intense que n'importe quoi. Instinctivement, je la rejoins, l'entoure de mes bras comme pour la protéger, comme si mes bras étaient un remède magique qui pouvaient la préserver de tout maux mais ce n'est pas le cas, malheureusement. Tout ce qu'ils font, c'est lui faire sentir qu'elle n'est pas seule. Je ne sais pas comment réconforter, tout ce que je sais, c'est que dans les moments difficiles, il faut se sentir soutenu, aussi bien mentalement que physiquement. Et si je ne peux rien faire mentalement, je peux au moins le lui faire sentir physiquement. Mes lèvres se déposent juste au coin des siennes, salés, comme je l'imaginais, dans un geste tout ce qu'il y a de plus pur. Je ne sais pas ce que je peux faire d'autre, alors je reste debout, dans son dos à l'entourer. Ravaler ses larmes ou fondre, il faut qu'elle choisisse l'une des deux options.

J'ai suffisamment été confronté à ce visage pour savoir quoi faire, parce qu'il me rappelle sans le vouloir le mien dans mes moments de doute, de chagrin, de nostalgie. J'en ai eu moi aussi, et j'en ai encore. Oh, les raisons doivent bien être différentes, mais nos coeurs peuvent battre à l’unisson ensemble pour cette fois. Et c'est pour cette raison, parce que je pense comprendre ce qu'elle ressent mieux que quiconque que je peux affirmer savoir comment elle va réagir. Elle va se laisser faire, me laisser l'étreindre du mieux que je peux -puisque de toute façon, elle n'a pas le choix-, me regarder quelques secondes pour lire dans mes yeux le désintéressé, une forme de protection qu'elle peut saisir là, maintenant, et se jeter dans mes bras en signe d'approbation. J'ai sans aucun doute un réel sixième sens, puisque c'est exactement ce qu'elle fait. Je suis là pour elle, je veux lui faire sentir alors la pression de mes bras se veulent plus fort comme si elle était gelée et que je cherchais à la réchauffer par tous les moyens, que sa vie était en danger, tandis qu'elle niche son visage contre ma nuque. « Je suis désolée… » Elle n'a pas à l'être. Ça me fait mal en fait, de l'entendre. D'entendre sa peine, ses mots coupés par des sanglots. Mon coeur se tord à chacun d'entre eux, comme pincé de tous les côtés. Ça fait d'autant plus mal lorsqu'on a la chance de connaitre son sourire. Je veux pas la voir comme ça, ça me rappelle bien trop de souvenirs, ça me rappelle dans quel état je peux me retrouver. « Dors avec moi ce soir. » C'est une demande, c'est aussi un ordre, je ne sais pas. La question ne se pose pas finalement, parce que je suis persuadé que le destin ne peut en être autrement. Je suis persuadé qu'elle en a besoin, que c'est la meilleur chose à faire. Où ça ? J'en sais rien, on se démerdera pour trouver. Je veux juste ne pas la laisser à son sort, pouvoir la blottir contre moi toute la nuit s'il le faut. C'est ce que je souhaite par dessus tout en cet instant.