La vie nous réserve parfois de sacrées surprises et elles ne sont pas toujours très bonnes. Qui n’a jamais pris des décisions sur le coup, de stupides choix qui lui font regretter d’avoir agi ainsi dans le présent ? Je pense que personne ne pourra lever la main fièrement et assurer n’avoir jamais regretté une seule petite décision. Ma vie n’est pas des plus simples, je bénéficie d’une vie de famille très appréciable, je peux profiter de l’intégralité de ma famille en permanence puisqu’ils vivent quasiment tous dans des caravanes. Nous suivons le même type de fêtes foraines et nous nous retrouvons donc la plupart du temps aux mêmes emplacements. Mais ça implique de faire certains choix et de suivre un certain code que j’ai parfois ignoré et qui m’a coûté énormément. Peut-être que j’étais jeune mais je me suis éloigné de mes responsabilités pour prendre la fuite et m’éloigner de ce qui aurait vraiment compté pour moi. Moi qui me suis toujours imaginé père d’une grande tribu libre et heureuse je crois bien avoir saboté ma vision de la vie de famille en prenant des décisions qui sont discutables et sincèrement regrettables. Lors de notre engueulade, la semaine passée, Ana a fait ressortir pas mal de choses en moi et je me sens tellement mal depuis que je me sens quasiment obligé d’aller la voir pour en parler. Une confrontation que j’aurais joyeusement évitée si ce n’était pas pour mon propre bien. Je ne sais pas comment ça va se passer mais j’ai envie de faire une nouvelle tentative et je la trouve justement dans le salon, avachie sur le canapé, une bière à la main. « Je viens en paix ! » Que je signale en levant les mains en l’air ! « A vrai dire, j’ai envie que l’on discute tous les deux… Enfin, si tu es d’accord. »

Je tente un pari risqué, il y a de fortes probabilités pour que je me brûle les ailes de la plus effroyable des manières en essayant à nouveau de me frotter à Ana mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir envie de parler avec la jeune femme. Il y a une énorme rancœur entre nous deux qui est sortie de nulle part et qui me donne toujours envie de lui hurler dessus, je ne suis pas lunatique et je ne change donc pas d’avis aussi facilement sur les autres mais il me parait important de faire un dernier effort. Ceci est la dernière tentative que je ferais, je me mets une dernière fois en danger en plaçant tout ce que j’ai sur la table, un coup de poker qui fonctionnera peut-être ou qui, dans le cas contraire, me mettra à nouveau dans une position délicate. Comme je pouvais m’y attendre Ana semble très surprise par ma subite envie de discuter avec elle, normal puisque nous nous sommes encore mis plein de mauvaises réflexions dans la gueule la semaine dernière, n’oublions pas qu’elle s’est fait plaisir en me giflant lors du prime également. L’heure n’est pas aux règlements de compte, et si j’oubliais ce qui me pousse à ne pas l’apprécier pour me concentrer sur ce qui pourrait potentiellement me permettre de la découvrir davantage et qui sait, de nouer de nouveaux liens ? « Une discussion? Nous deux? » Un sourire franc apporte un peu de luminosité à l’expression neutre de mon visage. « Improbable n’est-ce pas ! » Je préfère en rire ce soir, je suis fatigué par cette bataille qui ne rime à rien. « Et quel serait le sujet? » Pertinente comme question, c’est le moment de tout risquer. « Il parait que se confier à un inconnu ou quelqu’un qu’on n’aime pas du tout est le meilleur moyen de dépasser certaines choses… Et si tu me parlais de la raison pour laquelle tu te sens aussi mal ces dernières semaines, de la raison pour laquelle tu te touches sans arrêt le ventre ! Tu as été enceinte ? »

Je prends un énième risque avec Ana, je me demande à chaque fois pourquoi est-ce que je m’entête à toujours vouloir faire un effort avec elle. Ne faut-il pas se rendre à l’évidence au bout d’un moment ? Nous ne parvenons pas à nous entendre et c’est comme ça depuis le début de l’aventure alors pourquoi s’obstiner ? Elle ne m’aime pas, je ne l’apprécie pas énormément non plus… Restons-en là ! J’aimerais être capable de me tenir à une telle réflexion, avoir l’irrespect de ne pas m’intéresser aux autres même lorsque je ne les porte pas dans mon cœur mais je n’y arrive pas. « Tu penses que si notre relation va mal c'est à cause de moi n'est-ce pas? Donc dans ta logique si je me confie sur ma vie, sur mes angoisses... tout va s'arranger. » Je me doutais qu’elle réagirait de cette manière, comment ne pas l’avoir vu venir alors que je suis arrivé avec mes grands sabots, entrant directement dans le vif du sujet. J’ai tapé là où ça doit faire mal pour trouver les éléments qui me donneront envie de m’accrocher à cette impression que j’ai, celle qui me donne envie de la connaitre un peu plus avant de m’arrêter sur un stupide jugement. « Je crois que tu mets énormément de mauvaise volonté, je te tends des perches et tu ne fais que de les envoyer valser, donc ouais… Je pense que t’es fautive parce que tu ne fais pas l’effort de dépasser tout cela, de chercher s’il n’y a pas mieux ! » Je suis honnête et je le resterais, je ne vais pas faire semblant pour la ménager, ce serait ne pas l’aider non plus ! « Donc si je te parle de mes problèmes féminins cela n'a aucun problème. Non parce que justement je crois avoir eu des morpions une fois dans ma vie, penses-tu que cela m'a perturber l'esprit plus qu'il n'en faut? » Je ne prends même pas la peine de répondre, elle est vraiment stupide cette fille. « Si j'ai été aussi mal c'est tout simplement parce que j'ai arrêté un traitement. » J’étais à deux doigts de partir mais elle se confie, je sens de la sincérité dans ses propos et c’est ce qui me permet d’avoir envie de rester, je persiste et signe, peut-être qu’à force elle se confiera un peu plus à moi ? Peut-être se rendra-t-elle compte que… Que je ne suis pas le monstre qu’elle pense que je suis. « ça faisait longtemps que je le prenais.... et ça me permettait de faire face à des épreuves, à les adoucir. Ils sont juste revenus. Mes souvenirs. Mais cela n'a rien avoir avec toi et te parler de ma grossesse ne va m'aider en rien. » Je me mordille la lèvre, elle est en train de baisser la garde, puis-je me permettre de répondre à ses confessions, puis-je lui poser les questions qui me brûlent les lèvres ? « Tu es tombée enceinte à quel âge ? Tu as gardé le bébé ? » Je suis soudainement fébrile, stressé et mon cœur bat la chamade. J’aurais été le père du bébé que ma réaction aurait été la même je crois.

Au fond, je pense que je n’ai pas ce qu’il faut pour pouvoir être un « méchant » garçon. Je suis certes impulsif, parfois immature et très facilement tenté par la bagarre mais je passe toujours l’éponge après une certaine période. Je me considère malgré tout très rancunier puisque mon pardon peut parfois prendre des années, comme ça a été le cas pour le mec qui a osé insulter ma mère devant moi. Au final il y a toujours quelque chose qui fait que les choses s’arrangent et c’est pour le mieux, à quoi ça sert de juste se détester ? J’aurais toujours du mal à le comprendre même si je suis le premier à employer cette expression de haine à toutes les sauces à chaud. « Mais si j'ai pas envie. Bon sang, mais c'est pas une tare! Il y a bien des personnes que tu n'apprécies pas spécialement dans ta vie. Ils ne reviennent pas à la charge à chaque fois. Si? » Elle m’insupporte vraiment parfois, c’est physique et il n’y a rien à faire là-dessus. « T’as le droit en effet, mais c’est de la faiblesse à mes yeux ! » Il y a des choses qui m’intriguent et j’ai besoin de lui poser certaines questions, c’est plus fort que moi et j’en deviens même stressé. Vous n’avez pas idée du bordel que c’est à l’intérieur, je me sens comme debout, en plein milieu d’un champ de bataille sans avoir un camp vers lequel me tourner pour obtenir du secours. Je suis l’ennemi commun et j’évite les balles jusqu’à ce que l’une d’entre elles ne viennent me prendre par surprise. « ça va te servir à quoi ces informations? Tu fais un sondage? » Elle a du mal à en parler et je le sais, mais j’ai besoin de savoir, ne me demandez pas pourquoi. « Si je te réponds on arrête d'en parler? » Difficile de lui répondre sans émettre de doutes sur la question. « Je te le promets ! » Je suis prêt à m’engager pour avoir des réponses, pour qu’elle puisse soulager une conscience peut-être trop lourde à porter ? « C'était lors de ma dernière année de lycée et... non je ne l'ai pas gardé. » Je suis bouleversé et j’ai bien du mal à soutenir son regard, un retournement bien étrange puisque je ne devrais pas être touché par l’histoire d’une personne que je ne connais pas. Je me mordille l’intérieur de la joue au sang, à l’écoute pour une fois. « J'ai pris la décision de le faire adopter. Le père n'est pas au courant alors… » Je ne peux contenir ma surprise, j’en suis tout déboussolé. « Il est au courant pour la grossesse ? Tu lui as dit quoi ? » Je ronge mon frein, la nervosité me fait perdre les pédales et j’ai bien du mal à me contenir. « S'il me regarde. Surprise. » Je ne peux pas m’en empêcher, je lui demande, quelque peu énervé. « Je pense qu’il aurait mérité de l’apprendre d’une autre manière, il a surement été le pire des enculés avec toi mais il méritait mieux… Je ne le connais pas mais je ne peux cesser de m’imaginer à sa place et ça me fout les boules ! » Je baisse la tête, glissant l’une de mes mains contre ma poitrine, comme si cette simple action allait m’aider à réguler les battements affolés de mon cœur. « Content? » Je relève la tête pour plonger mes yeux dans son regard bien moins assuré qu’en temps normal. « J’ai eu mes réponses, n’en parlons plus. » A vrai dire je ne sais plus quoi dire, je me sens juste… Stupide. « Je ne te dérangerais pas davantage. »