+ Bien que ce couloir ne me fascine plus autant qu'avant, j'aime m'y arrêter de temps en temps, rien que pour observer les curieuses images que me renvoient les différents miroirs, ou quelle couleur me va le mieux au teint au fur et à mesure que la lumière des néons change. En fait, quand on passe par ici, on dirait un peu qu'on est drogué, je trouve. C'est étrange et à la fois assez plaisant comme sensation. J'ai le nez presque collé contre mon reflet quand j'entends quelqu'un venir. Je m'en détache presque immédiatement. C'est que je n'aimerais pas qu'on me prenne pour plus narcissique que je ne suis, au point de carrément vouloir m'embrasser ou quelque chose du genre alors que ce n'était absolument pas ce que j'essayais de faire. N'empêche que ça me rappelle un rêve où j'avais une jumelle et qu'on faisait des trucs bizarres... Oui, non, bref, peu importe. J'efface un peu de la buée que j'ai créée en m'approchant de la glace et en respirant tout près avec un pan de mon t-shirt. « Voilà, elle est partie. » Je dis pour faire plus vrai, puis je soupire de soulagement. Je fais comme si je venais de me rendre compte qu'il y avait quelqu'un et je me tourne vers le candidat en question. Ce n'est que Mallaury, ça va. Je lui souris, d'un air presque trop innocent pour être tout à fait sincère. « Y avait une tache, ça me perturbait. » Je déclare en désignant le miroir, le rire au bout des lèvres. Comme je suis bonne menteuse, c'est dingue. Je ne peux pas être la plus honnête de toutes les personnes à être passé au détecteur de mensonges, ou alors je mens tellement bien que même une machine ne peut pas s'en rendre compte. Oui, voilà, je suis trop douée.

Je préfère faire comme s'il y avait eu une tache sur le miroir quand Mallaury arrive. Je pense qu'il vaut mieux qu'il me prenne pour une maniaque que pour une fille amoureuse de son reflet, ce que je ne suis assurément pas, faut pas pousser non plus. Je voulais juste m'examiner de plus près, voilà, rien de plus. Quand je lui dis ce que je faisais, il suppose que j'ai bien fait. Je souris. « Bah oui ! Je suis sûre que si moi je l'avais pas vue, personne l'aurait vue et elle serait restée là. » Parce que c'est qu'un couloir et qu'il y a que des gens un peu bizarres comme moi qui y restent un peu plus longtemps que pour simplement le traverser. Il ajoute que ce n'est pas plaisant à voir, il est vrai. « On est bien d'accord. » Je réplique en tendant un peu ma main vers lui comme pour confirmer l'évidence et le remercier de sa compréhension. Mais il prend tout de même un petit air suspicieux pour me demander si je ne lui cacherais pas quelque chose. Oh. « Quoi ? Moi ? Non. » J'ai l'air étonné de la question qu'il me pose, sans doute un peu trop. Je plaque une main contre mon torse et je hoche la tête à la négative avec un petit rire, coupable. « Qu'est-que je pourrais bien cacher ? À part mon secret, je veux dire, mais là ça a rien à voir. J'effaçais juste cette horrible petite tache, rien de plus. » Non, vraiment, je ne vois pas du tout de quoi il parle, je suis innocente, blanche comme neige et je dis toujours la vérité, tout le monde sait ça. Mais oui, ça se lit sur mon visage que je n'ai rien fait de mal, je suis un ange. Oui, bon, non, de qui je me moque ? S'il me pose la question c'est qu'il a dû remarquer un truc, mais ce n'est pas moi qui vais vendre la mèche, non. Il n'aura qu'à deviner si ça lui chante, mais je ne confirmerai aucune de ses hypothèses. Alors à moins qu'il aille vérifier tout ça dans la salle de contrôle, il ne saura jamais rien, hm.

Oui, bon, j'en fais certainement un peu beaucoup, trop, en fait, mais c'est pas que je mens, je trouve juste sa question surprenante. Je ne cache absolument rien, non. Mais il sent aussi bien que moi que ça sonne faux tout ça. Et puis c'est facile d'accuser une pauvre petite tache qui n'est plus de ce monde, et qui, même si elle m'avait résisté, n'aurait rien pu dire pour sa défense, puisque ce n'était qu'une tache. Mallaury me demande alors si je maintiens ma version des faits. « Oui, voilà. » Je réponds en hochant vivant la tête pour signifier à quel point j'en suis sûre. Mais je me dis que c'est quand même totalement idiot de vouloir inventer ne serait-ce qu'un tout petit, petit mensonge à ce sujet. Je n'ai rien fait de mal. Non mais je n'aime vraiment pas la façon dont il me regarde avec ses petits yeux, comme s'il savait déjà tout. Si ça se trouve il m'a vu le nez presque collé au miroir avant que je ne le remarque et il sait parfaitement que je raconte n'importe quoi. Ou alors il sait juste que je raconte n'importe quoi et il veut savoir pourquoi en me laissant penser que peut-être il sait. En tout cas, maintenant, il m'a toute embrouillée, à moins que je n'ai réussi à le faire toute seule. « Bon, t'as gagné ! En vrai, je regardais mon magnifique reflet dans la glace de si près que ça a fait de la buée. » C'est d'une idiotie, mon dieu ! « Mais par pitié, évite de me juger. » Je lui demande en l'implorant presque, comme si c'était vraiment le pire truc qu'il m'est été donné de faire durant ma courte vie. C'est que je me sens déjà assez bête, alors si en plus il me fait savoir ce qu'il pense de toute cette petite histoire ridicule et s'il se moque de moi, mais je vais me sentir dix fois plus mal, c'est pas possible ! Alors je préfère qu'il m'épargne son jugement sur ma personne, même si je ne crois pas que ce soit son genre, mais on ne sait jamais.

Spoiler:

Je finis par avouer la vérité à Mallaury, au sujet de cette tache. Ce n'était que de la buée, que j'ai moi-même créée sans faire exprès en m'approchant trop de près de la glace alors que je m'observais. Je n'aimerais pas qu'il me juge pour ça, je me sens déjà assez bête, et encore plus de lui demander de ne faire aucun commentaire en fait. C'est stupide, stupide, stupide, mais je le suis un peu, alors ça n'a rien d'étonnant. Il me demande pardon. « Bah... » Je fais en haussant les épaules, l'air de ne pas vraiment savoir. Il m'explique alors que lui, il ne juge personne. Bon, tant mieux. Enfin, il dit ça mais il doit bien penser certaines choses sur les gens, sans pour autant le leur faire savoir. Mais ça n'a peut-être rien à voir avec des jugements, juste un avis comme ça. Mais de toute façon, puisqu'il n'est pas du genre à juger, je n'en saurais sans doute pas plus, et ce n'est pas plus mal, j'ai déjà bien assez à faire avec mes propres pensées. Le jeune homme m'avoue qu'il ne voit pas ce qu'il y a de mal à s'admirer. Non, c'est vrai, peut-être que ce n'est pas bien grave finalement. Mais si, quand même un peu, j'ai l'impression. Je ne hausse qu'une épaule en hochant légèrement la tête, comme s'il avait un peu raison, dans le fond, mais je ne suis toujours pas totalement convaincue. Il ajoute que moi, au moins, j'ai quelque chose à contempler, il ne voit donc pas ce qu'on pourrait me reprocher. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres alors qu'il conclut en déclarant que je suis jolie et que je le sais. « Oh, merci, t'es adorable. » Je dis dans un sourire presque volontairement gêné, pour ne pas trop montrer que oui, je suis jolie et je le sais, en effet. Enfin c'est surement idiot de faire semblant, comme si je le savais pas, comme si on ne me l'avait jamais dit. C'est bête, oui. C'est comme toute cette stupide histoire de tache dont je lui ai fait part à l'instant où je l'ai aperçu dans le couloir. C'est inutile et futile, mais je le fais quand même.