Absolument pas fatigué, Ghika se relève emportant avec lui sa couette. Il ressemble à un immense cocon duveteux mais il s'en moque, tout le monde dort. Passer une nuit à la belle étoile de temps en temps lui rappelle son excursion d'un mois dans une tribu d'Amazonie. Il pourrait chercher Pia pour passer la nuit à discuter, mais il n'est pas d'humeur à la chercher pendant une heure. Il semblerait que ce ne soit finalement pas la peine puisqu'il aperçoit quelqu'un étendu dans l'herbe. C'est forcément la rousse qui a décidé de passer un moment sous les étoiles. En s'approchant cependant, à mesure que ses yeux s'habituent à l'obscurité ambiante Ghika réalise qu'il s'agit en fait de Tilda. C'est tout aussi bien en fait, ils vont pouvoir discuter tranquillement, sans avoir l'impression que quelqu'un les espionne ou quoique ce soit. Il s'allonge à côté d'elle sans parler. Il préfère lui laisser l'initiative, depuis quelques jours elle est assez mélancolique et si elle ne veut pas discuter, Ghika respectera son choix, aussi difficile que se taire soit pour lui. Finalement elle rompt le silence. « Je veux pas jouer les Ana-bis, mais tu te rends compte qu'on parle peut-être d'habiter une planète morte dont on reçoit la lumière des milliers d'années après son extinction ? » remarque-t-il pragmatique comme toujours. Pas que l'idée de s'installer sur un morceau de glace géant le dérange, ça pourrait avoir son charme, mais il fait déjà frais la nuit en Australie, il ne sait pas comment ils vont supporter les températures drastiques pratiquées par un astre éteint. « Mais bon... pourquoi pas ? On l'appellera Tildika-One. C'est un peu le genre de nom qu'ils donnent aux astres quand ils les découvrent. » dit-il avec un sourire. Tildika-One c'est plutôt cool comme identifiant pour une planète qui fut un jour viable. Ce serait quand même con qu'ils débarquent sur une étoile sans atmosphère et sans eau après une éternité de trajet. « On précisera à l'habitant dans ton bide que je ne suis pas son géniteur, histoire qu'il ou elle ne puisse pas m'en vouloir si jamais il hérite de mauvais gènes de la part de son père biologique. » dit-il gentiment. C'est marrant Ghika s'est toujours imaginé être père, il ne sait pas si ça arrivera un jour mais il adorerait avoir un gosse, même s'il a l'impression que c'est plus de temps et d'investissement qu'il n'a envie d'en fournir instinctivement. Il n'arrive pas vraiment à se mettre à la place de Tilda. Parce qu'il n'a jamais été enceinte obviously, et parce qu'il ne connaît pas toute l'histoire qu'il y a derrière cette grossesse. Une question le taraude depuis dimanche soir dernier. Il va falloir qu'il enfile des gants et y aille avec des pincettes, ce qui chez Ghika est assez peu naturel il faut le reconnaître, mais il peut faire une exception de temps en temps, surtout pour Tilda. « Je peux te demander pourquoi t'as explosé sur le prime ? J'étais un peu à côté de la plaque et j'avoue que j'ai dû faire un micro-sommeil et quand j'ai ouvert les yeux c'était contre Percy que tu semblais t'énerver et finalement j'ai vu que toi et Lou vous faisiez chambre à part... » Parce que Ghika ne s'engage jamais sans avoir faire ses recherches, il a l'esprit d'un scientifique et tente de toujours savoir de quoi il parle avant d'ouvrir la bouche, d'avoir au moins des hypothèses à vérifier, c'est comme ça qu'on mène une bonne enquête dans son domaine alors déformation professionnelle, il applique son expertise à la vie quotidienne. « Désolé si Percy t'a offensée d'une quelconque façon... » Parce que Ghika il est comme ça, il se sent un peu responsable des dégâts que Percy peut faire sur son passage. C'est son partenaire alors Ghika a un peu l'impression qu'il devrait être celui qui le muselle quand il est sur le point de dépasser les bornes. Mais il sait bien qu'il n'est pas non plus son garde-fou et que même s'il l'avait été il n'aurait probablement pas pu empêcher Percy d'exprimer ses opinions tranchées et parfois un peu trop nettes. Il y a des choses qu'on ne peut pas contrôler dans l'univers, Ghika doit juste l'accepter. Il passe sa main sur le bras de Tilda et constate qu'elle est glacée malgré que la quasi-totalité de son corps soit enroulé dans le couvre-lit. « Viens par là, tu vas choper une pneumonie. » dit-il en l'attirant contre lui et en passant sa couette autour des épaules de la jeune femme. Entre la chaleur humaine et celle de sa couette ils devraient s'en sortir en vie.

Elle lâche qu'il est terre à terre. C'est un fait, il ne peut même pas essayer d'arguer que ce n'est pas vrai, il est ultra-rationnel, il a vu un psychologue à une époque. A une époque Ghika n'était pas exactement le même qu'il est maintenant. Allumez vos télévisions, regardez une série télé, vous trouverez toujours le personnage du geek légèrement inadapté socialement, ça ! Ça c'était Ghika avant. Pas d'amis, une bouche dont le débit verbal était incessant et qui ne saisissait ni le premier ni le second degré. Voilà qui était Ghika avant. Un garçon seul et qui en souffrait. Ça demande des efforts considérables, que certaines personnes ne pourraient pas faire, pour se transformer comme il l'a fait. « Être terre à terre c'est dans la description du job de génie. » plaisante-t-il. Elle sait de quoi il parle, ils ont eu une confrontation et ont discuté de son cerveau. Ce n'est pas de sa faute à Ghika si par moment il revient à ses fondements de temps en temps. Tilda réagit à son commentaire sur son fœtus et sa paternité. Elle évoque sa sexualité et ça le pique un peu, venant d'elle il ne s'y attendait pas, mais ce n'est pas grave, il peut comprendre, il ne comprend pas, mais il peut comprendre en faisant un peu d'effort. « Je n'ai jamais été gay pour commencer. Et je ne vois pas en quoi le fait que je sois en fait hétéro pourrait me rendre plus responsable des mauvais gênes de la crevette. » réplique-t-il parce que c'est logique, c'est rationnel. C'est terre à terre. Même s'il était le plus gros nymphomane de la planète, même si Isaac et Percy étaient des petits joueurs en comparaison, même s'il était un bâtard de la pire espèce, il n'a rien à voir avec l'enfant dans le ventre de Tilda. Alors effectivement il n'est pas gay, mais la question ne se pose toujours pas. Et ça même si Ghika aurait été honoré d'être le père de cet enfant, il ne l'est pas. La question de Percy éliminée, il est rassuré que son partenaire n'ait pas été un connard. C'est peut-être la première fois qu'il entend quelqu'un confirmer que Percy n'est pas responsable de ce qui arrive. La réflexion de Percy au sujet de Lou n'était probablement pas appropriée, mais Percy n'est pas un personnage approprié, il est parfois irrespectueux, parfois irrespectable, mais au fond de lui Ghika sait qu'il n'est pas aussi mauvais que tout le monde le pense. « D'accord... alors tu me vois désolé que votre écart de conduite et les conséquences de celui-ci t'ait coûté ta relation privilégiée avec Lou. » Formel, efficace, franc. Ghika ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants de la situation alors il ne peut se permettre de fournir un jugement complètement fondé, et quand il ne sait pas exactement ce qu'il juge, Ghika évite de s'exprimer. Alors qu'elle résume la situation avec Lou, Ghika émet un petit rire, même pas un rire, un souffle presque amusé quoique légèrement exaspéré. Les hommes sont si étranges parfois. Ils veulent être propriétaires d'une chose mais n'en prenne pas possession, il laisse la terre s'ensauvager et lorsqu'ils perdent le contrôle sortent de leurs gonds et battent la terre jusqu'à ce qu'elle redevienne un sol fertile, propice à les recevoir. Tilda est la terre dans cette métaphore et Lou en est le propriétaire malheureux... ce qui fait de Percy une mauvaise herbe ayant profité de l'absence de surveillance pour pousser. « Je comprendrais jamais la logique des mecs... il te reproche quoi exactement ? Que ce soit Percy ou que ce ne soit pas lui ? Parce que s'il t'avait vraiment voulu, il aurait pu t'avoir et puis c'est pas comme s'il n'avait pas fait pareil avec Aaron et Sacha. » lâche Ghika presque irrité. Lou et Percy ne s'entendent pas, il n'est pas sûr qu'ils cherchent à le faire mais il trouve ça facile de donner à Percy le rôle du méchant alors qu'il n'est ni plus ni moins qu'un garçon ayant saisi une opportunité qui lui était offerte. Une opportunité que Lou s'était vu offrir et qu'il avait décidé de ne pas accepter. Au fond c'est peut-être à lui-même que Lou en veut, plus qu'à Percy. « Et si j'étais en train de te draguer qu'est-ce que tu en dirais ? » demande un Ghika très intéressé par la réponse. Il ne drague pas, pas souvent, pas comme il faut aussi. Mais le fait que Tilda puisse être sur ses gardes avec lui le touche. Il est ami avec des femmes, des femmes qui savent qu'il est hétérosexuel, ce n'est pas parce qu'il n'aime pas les hommes qu'il ne peut pas être engagé dans une relation amicale libre de toute ambiguïté. « À tes yeux ça change quoi que je ne sois pas gay ? » lâche-t-il enfin. Parce que c'est ça la question qui lui brûle les lèvres. Il pensait que ça ne changerait rien, mais apparemment ça change la donne. Si ce n'était pas le cas Tilda n'aurait pas fait des réflexions sur ça à deux reprises déjà. Alors maintenant il veut savoir, il veut être fixé sur la question.